Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 23-PFP-492

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • des renseignements qui révèlent des
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
  • des renseignements sur le lieu de l’incident;
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la décharge d’une arme à feu sur un jeune homme de 18 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES[1]

Le 29 novembre 2023, à 6 h 25, la Police provinciale de l’Ontario a communiqué avec l’UES et donné les renseignements suivants.

Le 29 novembre 2023, à 2 h 58 du matin, des agents de la Police provinciale – l’agent témoin (AT) no 1 et l’agent impliqué (AI) – ont repéré un véhicule qui faisait l’objet d’une alerte. Un homme [identifié plus tard comme étant le plaignant] avait pris un taxi pour se rendre à Aylmer et, en cours de route, avait volé le taxi en menaçant le chauffeur avec un couteau. Le plaignant avait continué jusqu’à Aylmer où il avait volé un chien dans une maison. L’AT no 1 et l’AI ont repéré le taxi sur la route 3 à Malahide, près de Rogers Road, juste à l’extérieur d’Aylmer. Le plaignant s’est enfui à pied, poursuivi par les agents. Un pistolet à impulsions a été déployé sans succès. Le plaignant a dit aux agents qu’il avait une arme à feu. L’AI a tiré avec son arme à feu, sans toucher le plaignant. Le plaignant a été arrêté et conduit à l’Hôpital général de St. Thomas-Elgin.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 29 novembre 2023 à 7 h 20

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 29 novembre 2023 à 9 h 45

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (le « plaignant ») :

Jeune homme de 18 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 29 novembre 2023.

Témoin civil (TC)

TC A participé à une entrevue

Le témoin civil a participé à une entrevue le 29 novembre 2023.

Agent impliqué

AI N’a pas consenti à participer à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 4 décembre 2023 et le 25 janvier 2024.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont produits dans le champ situé au coin sud-est de l’intersection de Talbot Line (route 3) et de Rogers Road, à Aylmer.

Éléments de preuve matériels

Le 29 novembre 2023, à 9 h 45, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES est arrivé sur la route 3, juste à l’ouest du centre-ville d’Aylmer, où une collision impliquant deux véhicules de police et un véhicule civil s’était produite, à l’est de l’intersection de Rogers. Road. Cette scène était secondaire à l’enquête. Une Hyundai Elantra, orientée nord-est dans la voie ouest de la route 3, était endommagée à l’arrière, côté conducteur. Un véhicule aux couleurs de la Police provinciale – un Ford Taurus – était orienté vers le nord-est, derrière la Hyundai avec laquelle il était entré en collision. Un autre véhicule de la Police provinciale – un Dodge Durango – était orienté vers l’ouest devant le Ford Taurus.

Figure 1 – Le Ford Taurus de la Police provinciale sur les lieux, orienté nord-est derrière la Hyundai

Figure 1 – Le Ford Taurus de la Police provinciale sur les lieux, orienté nord-est derrière la Hyundai

Il y a un grand champ au coin sud-est de l’intersection de la route 3 et de Rogers Road qui fait partie d’une propriété résidentielle située sur Rogers Road. La maison de cette propriété fait face à l’ouest sur Rogers Road, avec une allée du côté nord. Il y a également deux dépendances sur la propriété. Un Dodge Durango de la Police provinciale était garé dans l’allée, moteur en marche. Il y avait une sonde de pistolet à impulsions près du côté nord de la résidence de Rogers Road, ainsi que des portes de cartouches de pistolet à impulsions et une douille de balle Luger de 9 mm près d’un terrain pour jeu de fers.

Les portes de cartouches de pistolet à impulsions et la douille de balle Luger de 9 mm ont été récupérées sur les lieux. L’UES a également récupéré l’arme à feu de l’AI – un Glock modèle 17M – ainsi qu’une balle retirée de la culasse et un chargeur qui contenait 16 balles.

Figure 2 – L’arme à feu de l’AI avec la balle retirée de la culasse et 16 balles retirées du chargeur

Figure 2 – L’arme à feu de l’AI avec la balle retirée de la culasse et 16 balles retirées du chargeur

Éléments de preuves médicolégaux

Données sur le déploiement du pistolet à impulsions de l’AT no 1

D’après les données téléchargées à partir du Taser modèle X2 de l’AT no 1, la gâchette a été déclenchée le 29 novembre 2023 à 4 h 06 min 51 s, entraînant le déploiement de la cartouche 1 et une décharge électrique de deux secondes. La gâchette a été déclenchée de nouveau 3 secondes plus tard, entraînant le déploiement de la cartouche 2 et une décharge électrique de six secondes.[2]

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[3]

Enregistrements des communications de la Police provinciale

Téléphone du service de répartition du comté d’Elgin (le 29 novembre 2023, à partir de 3 h 02 min 44 s)

À 0 min 18 s du début de l’enregistrement, le Service de police de London (SPT) a repéré l’ordinateur portable et le téléphone du conducteur d’un véhicule détourné, à son emplacement le plus récent, à l’intersection de Clarke Road et de la rue Wavell.

À 1 min 53 s, on communique à la Police d’Aylmer (PA) l’information sur le taxi volé et sur un suspect de race blanche armé d’un grand couteau. Le suspect avait initialement demandé au chauffeur du taxi de le conduire à Aylmer.

À 5 min 5 s, le suspect est identifié comme étant le plaignant. Il a volé un chien à Aylmer.

À 7 min 10 s, on repère le plaignant sur la route 3; il roule vers l’est, en direction d’Aylmer.

À 7 min 41 s, le plaignant est sous garde près de l’intersection de Rogers Road et de la route 3, à l’ouest d’Aylmer. Il se peut qu’il ait une arme à feu, mais on ne l’a pas encore trouvée.

Téléphone du sergent (le 29 novembre 2023, à partir de 4 h 02 min 52 s)

À 0 min 17 s du début de l’enregistrement, on signale qu’un taxi volé roule vers l’est sur la route 3 en direction d’Aylmer.

À 1 min 59 s, le plaignant est sous garde.

À 3 min 41 s, il est noté que le vol à main armée d’un taxi à London a été retracé jusqu’à Aylmer. Deux véhicules de la Police provinciale et un véhicule de la PA ont déployé deux tapis cloutés et le deuxième a obtenu l’effet escompté. Un véhicule de la Police provinciale aurait été endommagé. Le plaignant s’est enfui à pied, en disant qu’il avait une arme à feu. Une arme à impulsions a été déployée sans effet. Une agente de Police provinciale a tiré un coup de feu. Aucun blessé n’est signalé.

Téléphone du service de répartition (le 29 novembre 2023, à partir de 4 h 07 min 14 s)

À 0 min 12 s du début de l’enregistrement, on demande qu’un autre agent de la PA vienne aider les agents de la Police provinciale, car le plaignant s’est enfui à pied, et qu’il a peut-être une arme à feu. La décharge d’un pistolet à impulsions a été sans effet.

À 2 min 1 s, le plaignant est sous garde.

Radio du service de répartition (le 29 novembre 2023, à partir de 2 h 59 min 38 s)

Le SPL signale un détournement de véhicule dans le secteur de la rue Dundas et de Clarke Road. Le véhicule, un taxi Hyundai, se dirige apparemment vers l’est sur la rue Dundas. Le suspect est un homme de race blanche [maintenant connu comme étant le plaignant] en possession d’un grand couteau. Le plaignant avait demandé à être conduit à Aylmer avant l’arrivée du taxi. La PA a été informée. Le SPL pense que la tablette (iPad) de la victime, dont ils avaient fait le repérage, a été abandonnée. Le plaignant avait aussi apparemment volé un chien à Aylmer. Un tapis clouté (dispositif de dégonflage des pneus) a été déployé avec succès à l’intersection de Rogers Road et de la route 3. Le plaignant a abandonné le véhicule endommagé et s’est enfui à pied sur Rogers Road, au sud de la route 3. Durant la poursuite à pied, le plaignant a dit aux agents de la Police provinciale qu’il avait une arme à feu. Le déploiement d’un pistolet à impulsions a été sans effet. Le plaignant a été appréhendé et fouillé. L’AT no 1 signale qu’une agente de la Police provinciale a tiré une balle. Aucune blessure n’a été infligée. Le plaignant avait fait le geste de saisir une arme à feu, sans qu’on puisse la voir ou la trouver. Une fois sous garde, le plaignant a fait plusieurs commentaires suicidaires; on a demandé aux SMU de l’évaluer. Le plaignant a avoué avoir consommé des drogues hallucinogènes.

Vidéos des systèmes de caméra à bord de véhicules de police

L’UES a reçu des vidéos de plusieurs véhicules de la Police provinciale. En voici un résumé cumulatif :

Le 29 novembre 2023, vers 3 h 49 du matin, l’AI est au volant d’un véhicule de police et suit un autre véhicule de la Police provinciale sur Imperial Road. L’AI et l’AT no 1 apprennent que le plaignant avait été libéré sous caution pour « agression armée » et que des agents de la PA se trouvaient rue South, à Aylmer.

Un véhicule de police conduit par un agent non désigné roule sur Talbot Line. Les feux arrière d’un véhicule (maintenant connu pour être un taxi) sont visibles au loin. L’agent non désigné se dirige vers un véhicule de la Police provinciale garé au bord de la route. L’AT no 1 est en train de placer un tapis clouté sur la chaussée; l’AI est debout près de la porte du conducteur. Une fois la chaussée dégagée, l’agent non désigné active ses gyrophares. L’agent non désigné détermine que les gyrophares visibles au loin sont ceux d’un véhicule de la PA. Un superviseur du centre de communication de la Police provinciale dit par radio que la PA va prendre les devants et que les agents de la Police provinciale peuvent aider la PA à poursuivre le suspect d’un vol à main armée.

Vers 4 h 05, l’AI reprend sa route sur Talbot Line. L’AT no 1 mentionne que c’est la première fois que l’AI utilise un tapis clouté. Aucun véhicule n’est visible sur Talbot Line. Alors que le taxi approche de Rogers Road à faible vitesse, l’AT no 4 le dépasse et l’agent non désigné se rapproche du taxi. La porte du passager avant du taxi s’ouvre puis se referme immédiatement. Un autre véhicule de la Police provinciale, gyrophares allumés et conduit par l’AT no 2, arrive en sens inverse à la hauteur de l’agent non désigné. Alors que l’AT no 2 approche du taxi, le plaignant s’engage dans la voie en sens inverse. L’AT no 2 heurte l’arrière du taxi, qui finit par s’immobiliser dans la voie en sens inverse. L’agent non désigné dépasse le taxi au moment où la portière du conducteur s’ouvre. On peut entendre ce qui suit : [traduction] « Montre-moi tes mains », alors que l’agent non désigné court vers l’avant du taxi et disparait du champ de vision. L’AT no 2 dit qu’un homme s’est enfui et l’AT no 1 déclare avoir vu le plaignant. L’AI tourne brusquement dans la voie en sens inverse et on peut voir le plaignant courir vers l’ouest dans le fossé, devant le véhicule de police de l’AI. L’AT no 2 apparait sur la chaussée; il poursuit le plaignant, en brandissant son arme à feu. On entend l’AT no 1 sortir du véhicule de police. L’AI, au volant de son véhicule de police, fait demi-tour et se dirige vers Rogers Road. Le plaignant traverse Talbot Line et court sur le bas-côté de la route jusqu’à Rogers Road. L’AT no 2 est à une certaine distance derrière lui, suivi de l’AT no 1. Le plaignant court vers le sud sur Rogers Road. L’AI doit attendre d’avoir la voie libre et au moment où elle tourne à gauche, on peut voir, dans le faisceau d’une lampe de poche, le plaignant allongé dans le champ près d’une remise. Le plaignant est sur le dos, les épaules et la tête relevées. L’AI, son arme de service dégainée, avance vers le champ et se positionne à droite de l’AT no 2. On peut voir une lumière plus brillante (l’AT no 1) s’approcher du plaignant et apparaître à gauche de l’AT no 2, plus près du plaignant. Une lumière vive (possiblement un projecteur) éclaire le plaignant depuis Rogers Road, après quoi l’AT no 4 entre dans le champ, puis, quelques secondes plus tard, l’AT no 1. Le plaignant se retourne vers l’AT no 1 et est maintenant allongé sur le côté droit. Une seconde plus tard, on peut voir l’éclair du coup de feu tiré par l’AI, alors que le plaignant commence à essayer de se relever.

L’AT no 1 recule; le plaignant se rallonge sur le dos puis, moins d’une seconde après, est en position assise, les bras derrière le dos pour se soutenir. Il se relève immédiatement, contourne la remise en courant et continue vers le sud sur Rogers Road, avec l’AT no 4, l’AT no 2 et l’AI à ses trousses. L’AT no 1 reste d’abord dans le champ, puis court vers le véhicule de police de l’AI. L’AT no 1 fait le tour des environs pendant environ trois minutes avant de s’arrêter dans une allée. Le plaignant est par terre, près d’une maison, avec l’AT no 2, l’AI et l’AT no 4 à genoux autour de lui. L’arrestation est terminée et l’AT no 2 fouille le plaignant.

Le plaignant est escorté jusqu’au véhicule de police de l’AI où on le fait s’assoir à l’arrière. Le plaignant demande à haute voix pourquoi il a eu de la chance et dit : [traduction] « J’ai tenté de me suicider par un policier. » Il parle de laisser une « note de suicide et tout ». Le plaignant parle de brutalité policière en affirmant que l’agent lui a cogné la tête contre la fenêtre et plus tard, lui a cassé un bras. L’AT no 2 s’assied sur le siège avant et commence à lui réciter ses droits à l’assistance d’un avocat. Le plaignant dit qu’il a tenté de se suicider et qu’il avait dit qu’il avait une arme à feu parce qu’il voulait que l’AT no 2 lui tire dessus. Il donne des renseignements sur son diagnostic de santé mentale et ses symptômes. Le plaignant commence à faire du bruit, et semble entendre des voix, en répondant : [traduction] « Je ne veux pas faire ça ». Le plaignant dit à l’AT no 2 qu’il a consommé des drogues hallucinogènes. L’AT no 2 sort du véhicule de police. Le plaignant fait du bruit, secoue ou hoche la tête et répète : [traduction] « Meurs, meurs, meurs ». Il demande à quelqu’un : [traduction] « Pourquoi tu ne m’as pas tiré dessus, hostie? » Par moments, le plaignant donne un léger coup de pied dans la portière arrière.

Éléments obtenus auprès du service de police

La Police provinciale, le SPL et la PA ont remis les documents et éléments suivants à l’UES entre le 30 novembre et le 13 décembre 2023 :

  • Audio du taxi jaune de London;
  • Enregistrements des communications;
  • Données GPS de trois véhicules de police;
  • Vidéos de caméras à bord de véhicules de police;
  • Rapport général d’incident;
  • Requalification du recours à la force – l’AI et l’AT no 1;
  • Rapport général d’incident;
  • Résumé de l’incident et des accusations;
  • Feuille d’enregistrement du quart de nuit;
  • Directives de la Police provinciale : poursuite en vue de l’appréhension d’un suspect, recours à la force et arrestation;
  • Résumé de rapport de répartition assistée par ordinateur;
  • Notes – agents de la Police provinciale et de la PA;
  • Photographies des lieux prises par un agent de la police technique;
  • Vidéos de commerces.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les éléments suivants auprès d’autres sources le 8 décembre 2023 :

  • Rapports d’appel d’ambulance et d’incident par les SMU d’Elgin.

Description de l’incident

Les éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment les entrevues avec des agents qui étaient présents au moment des événements en question, ont permis d’établir le scénario suivant. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES, comme c’était son droit. Elle a cependant autorisé la communication de ses notes sur l’incident.

Le 29 novembre 2023, au petit matin, l’AI conduisait un véhicule de patrouille avec l’AT no 1 -– son agent formateur – à ses côtés lorsqu’ils ont reçu une alerte. Le Service de police de London avait signalé qu’un taxi jaune venait d’être détourné par un homme – le plaignant – sous la menace d’un couteau. Avant de détourner le taxi, le plaignant avait apparemment demandé au chauffeur du taxi de le conduire à Aylmer. L’AI et l’AT no 1 étaient à la recherche du taxi aux alentours d’Aylmer lorsqu’un autre agent de la Police provinciale a annoncé par radio qu’il avait repéré le véhicule qui roulait vers l’ouest sur Talbot Line, près de Belmont Road. Peu après, l’agent de la Police provinciale a ajouté que ce véhicule se dirigeait maintenant vers l’est sur Talbot Line.

L’AI et l’AT no 1 se sont rendus à un stationnement du côté sud de Talbot Line, à l’ouest de Rogers Road, où l’AT no 1 a déployé un tapis clouté sur la chaussée en prévision de l’arrivée du taxi. Le taxi est apparu, a franchi le tapis clouté et a continué vers l’est sur Talbot Line. L’AT no 1 a retiré le tapis clouté, est remonté dans le véhicule de police avec l’AI, et ils ont suivi l’agent de la Police provinciale qui était directement derrière le taxi.

D’autres véhicules de police se sont joints au convoi de véhicules de patrouille derrière le taxi alors qu’ils passaient à la hauteur de Rogers Road et poursuivaient leur route vers le centre-ville d’Aylmer. L’AT no 4 de la PA a conduit son véhicule devant le taxi pour e forcer à ralentir. L’AT no 2 s’est approché du taxi et a tenté de se placer à côté de lui, côté conducteur. Le taxi a manœuvré pour bloquer l’AT no 2, et les véhicules sont entrés en contact. L’AT no 2 a maintenu le contact avec l’arrière du taxi jusqu’à ce que celui-ci s’arrête dans la voie ouest de Talbot Line, à plus de 500 mètres à l’est de Rogers Road.

Le plaignant est sorti rapidement du taxi et s’est enfui en courant vers l’ouest sur Talbot Line, en criant qu’il avait une arme à feu et qu’il tirerait sur les agents. L’AT no 2 a poursuivi le plaignant à pied, tout comme l’AT no 1, qui était arrivé avec l’AI peu après sur les lieux de la collision. Les agents ont suivi le plaignant qui traversait un champ au sud-est de l’intersection de Talbot Line et de Rogers Road. Le plaignant a trébuché et est tombé au nord et à faible distance d’un petit bâtiment – le premier bâtiment au sud de la ligne Talbot, près de Rogers Road. Les agents ont confronté le plaignant qui était par terre et lui ont ordonné de montrer les mains et de ne pas bouger. À ce moment-là, l’AI était également sur place et criait des ordres au plaignant. Peu après, l’AT no 1, qui était à gauche de l’AT no 2 et à quelques mètres du plaignant, a déployé son pistolet à impulsions à deux reprises, sans provoquer un blocage neuromusculaire chez le plaignant. À peu près au même moment de la deuxième décharge du pistolet à impulsions, l’AI, qui était à droite de l’AT no 2, a tiré sur le plaignant, sans l’atteindre. Le plaignant s’est relevé et a poursuivi sa fuite vers le sud. Il était alors environ 4 h 05.

Les agents, maintenant rejoints par l’AT no 4, se sont lancés à la poursuite du plaignant. Ils l’ont rattrapé rapidement, au nord de la résidence de Rogers Road. Après une brève lutte, au cours de laquelle il a donné un coup de poing à l’AT no 4 et a reçu deux coups de bâton assénés par l’AT no 2, le plaignant a été placé sous garde.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel – Défense de la personne — emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

a) la nature de la force ou de la menace;

b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

Analyse et décision du directeur

Le 29 novembre 2023, la Police provinciale a contacté l’UES pour signaler qu’un de ses agents avait fait feu sur un homme – le plaignant – avant son arrestation à Aylmer. L’UES a ouvert une enquête et a désigné l’agent impliqué (AI). L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec ce tir.

L’article 34 du Code criminel stipule qu’une conduite qui constituerait autrement une infraction est légalement justifiée si elle visait à dissuader une agression raisonnablement appréhendée ou réelle, ou une menace d’agression, et si elle était elle-même raisonnable. Le caractère raisonnable de la force doit être évalué en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’usage de la force était imminent et d’autres moyens étaient disponibles pour faire face à l’usage possible de la force, le fait qu’une partie à l’incident utilisait ou menaçait d’utiliser une arme, ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction à l’usage ou à la menace d’usage de la force.

L’AI et les autres agents présents sur les lieux exerçaient leurs fonctions tout au long des événements qui ont précédé le coup de feu. Les agents avaient des raisons de croire que le plaignant avait commis un crime violent et étaient donc en droit de chercher à l’arrêter.

Je suis convaincu qu’en faisant feu sur le plaignant, l’AI voulait se protéger et protéger ses collègues d’une agression raisonnablement appréhendée de la part du plaignant. Même si l’AI n’a pas consenti à une entrevue avec l’UES, comme c’était son droit, elle a affirmé dans ses notes qu’elle a tiré pour se défendre et protéger les autres personnes présentes. Cette affirmation est étayée par le témoignage des autres agents présents sur les lieux au moment de la fusillade. Plus précisément, sachant que le plaignant avait déjà brandi un couteau et prétendait maintenant avoir une arme à feu, l’AI a mentionné dans ses notes que le plaignant a fait un geste qui prêtait à croire qu’il s’apprêtait à dégainer une arme à feu. L’AT no 1 a également décrit avoir été inquiété par un mouvement du bras gauche du plaignant juste avant la fusillade, et l’AT no 2 a déclaré qu’à ce moment-là, le plaignant avait mis les mains près de la taille. L’affirmation de l’AI est également corroborée par le témoignage de l’AT no 4, qui, comme l’AI, a expliqué que le plaignant a fait un mouvement de la main, comme s’il dégainait ou tenait une arme à feu. Le fait que le plaignant ait dit à plusieurs reprises aux agents de lui tirer dessus donne encore plus de crédibilité à l’élément de preuve de l’AI. En effet, en faisant semblant de brandir une arme à feu, le plaignant provoquait les agents à tirer.

Enfin, le choix de la force défensive de l’AI était, à mon avis, raisonnable. Pour les raisons susmentionnées, je suis convaincu que l’AI croyait sincèrement et raisonnablement que le plaignant était sur le point de brandir une arme à feu; le fait qu’elle ait utilisé son arme à feu était donc logique. En effet, à ce moment-là, un recours à la force était nécessaire pour neutraliser immédiatement le plaignant, de peur qu’il n’ait l’occasion de tirer sur les agents. Rien d’autre qu’un coup de feu ne permettait d’atteindre cet objectif, d’autant plus que deux décharges de pistolet à impulsions n’avaient pas immobilisé le plaignant. L’AI était donc dans son droit en décidant de contrer des risques de blessures graves ou de mort en recourant elle-même à la force meurtrière.

Pour les raisons qui précèdent, je ne peux pas raisonnablement conclure que l’AI s’est comportée autrement que dans les limites du droit criminel lorsqu’elle a tiré sur le plaignant.[4] Il n’y a donc pas de motif de porter des accusations criminelles. Le dossier est clos.

Date : 28 mars 2024

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino

Directeur

Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) A moins d’indication contraire, les renseignements contenus dans cette section reflètent les informations reçues par l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les conclusions de fait de l’UES à la suite de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Les heures sont dérivées de l’horloge interne du pistolet à impulsions, qui n’est pas nécessairement synchronisée avec l’heure réelle. [Retour au texte]
  • 3) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties pertinentes des enregistrements sont résumées ci-après. [Retour au texte]
  • 4) Même si les coups de bâton assénés par l’AT no 2 n’étaient pas au centre de l’enquête de l’UES, ils ne semblent pas aller à l’encontre de la justification énoncée à l’article 25 du Code criminel. En vertu de cet article, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle pour le recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force était raisonnablement nécessaire à l’accomplissement d’un acte qu’ils étaient autorisés ou tenus de faire en vertu de la loi. Selon le dossier de preuve, quand l’AT no 2 a donné deux coups de bâton, dont aucun ne semble avoir causé de blessures graves, le plaignant avait donné des coups de poing à l’AT no 4, puis lutté contre les efforts des agents pour le menotter. Dans ces circonstances, il ne semble pas que la force utilisée par l’agent soit disproportionnée aux exigences du moment, notamment le risque que le plaignant soit armé d’un couteau et d’une arme à feu. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.