Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 18-OFI-098

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 24 ans (plaignant no 1) et un homme de 39 ans (plaignant no 2).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 1er avril 2018, à environ 19 h 36, le Service de police du Grand Sudbury a avisé l’UES qu’un agent avait tiré sur un homme de 24 ans, soit le plaignant no 1.
Ce service de police a rapporté qu’à 18 h 20 à la même date, des agents avaient été dépêchés à la gare d’autobus du centre-ville, au 9, rue Elm, au centre-ville de Sudbury, pour intervenir à cause d’un homme qui s’y trouvait armé de couteaux. Deux agents, soit l’agent impliqué (AI), armé d’un fusil C8, et l’agent témoin (AT) no 2 sont arrivés à la gare et ont confronté le plaignant no 1. L’AI a déchargé son arme une fois et a atteint le plaignant no 1 au bas de l’abdomen, du côté gauche. Celui-ci a été transporté à l’hôpital et son état était jugé stable au moment où l’UES a été avisée.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Plaignants

Plaignant no 1 Homme de 24 ans, a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés
Plaignant no 2 Homme de 39 ans, a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 N’a pas participé à une entrevue (plus proche parent)
TC no 7 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

En outre, l’UES a reçu et examiné les notes de 17 autres agents.


Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué


Description de l’incident

Le 1er avril 2018, un appel au 911 a été reçu par le Service de police du Grand Sudbury de la part d’un gardien de sécurité de la gare d’autobus du centre-ville de Sudbury, qui demandait l’assistance de la police. Le gardien a signalé qu’un homme, soit le plaignant no 1, se trouvait dans la gare et était armé de deux grands couteaux, qu’il marchait dans la gare et qu’il avait essayé d’entrer dans le poste de sécurité.

Quatre agents du Service de police du Grand Sudbury ont alors été dépêchés et sont arrivés à la gare tandis que l’homme ayant fait l’appel au 911 était toujours au bout du fil. L’AI était armé d’un fusil C8, tandis que les AT nos 2, 1 et 3 avaient tous leur pistolet de service et leur arme à impulsions. Les agents ont pénétré dans la gare d’autobus par l’entrée ouest et ils se tenaient côte à côte lorsqu’ils ont vu le plaignant no 1 dans la partie sud de la gare, qui faisait le tour et traversait la zone réservée aux passagers en tenant un couteau dans chaque main. Les agents ont ordonné à plusieurs reprises au plaignant no 1 de lâcher ses couteaux, mais il les a ignorés. La distance séparant les agents du plaignant no 1 était alors d’une dizaine de mètres.

L’AT no 2 a sorti son pistolet de service, tandis que les AT nos 1 et 3 attrapaient leur arme à impulsions et que l’AI épaulait son fusil C8. Ils avaient tous leur arme pointée sur le plaignant no 1, tout en lui criant de lâcher ses couteaux. L’AT no 1 s’est apprêté à décharger son arme à impulsions en visant avec son point laser rouge la poitrine et le centre du tronc du plaignant no 1. Celui-ci a soudainement levé les deux couteaux au-dessus de sa tête, en les agrippant par le manche et en pointant la lame en direction des agents. Il s’est alors mis à crier en se précipitant en direction des quatre agents.

Les AT nos 1 et 3 ont déchargé leur arme à impulsions et ont vu les sondes atteindre le plaignant no 1 à la poitrine et à l’abdomen, mais cela a semblé sans effet sur lui, car il a continué de courir en direction des agents avec ses couteaux pointés vers eux.

Les quatre agents ont fait un bond en arrière quand le plaignant no 1 les a chargés. Les AT nos 1 et 3, qui se trouvaient au centre du couloir, ont pu reculer et accroître la distance entre eux et le plaignant no 1. L’AI, qui était du côté ouest de la gare, a reculé jusqu’au panneau de verre délimitant le vestibule de la porte d’entrée de la gare et a été incapable de s’éloigner davantage.

Le plaignant no 1 s’est précipité vers les AT nos 1 et 3 au centre du couloir et, lorsqu’il est arrivé à la hauteur de l’AI, celui-ci a pivoté vers le plaignant no 1 et il a déchargé son arme à trois reprises. Une balle a atteint le plaignant dans le flanc gauche au moment où il était droit devant l’AI, tandis que les deux autres balles ont frappé le mur extérieur du poste de sécurité, directement en face de l’AI, et ont pénétré la partie externe en métal léger. Le plaignant no 2, qui se trouvait dans le poste de sécurité, a été atteint au tibia gauche par un fragment de balle, qui a traversé le mur du poste de sécurité et a poursuivi sa course, ou par un éclat de métal propulsé par la balle.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant no 2 a été transporté à l’hôpital, où un « corps étranger métallique » a été retrouvé à 14 cm sous la surface de la peau du tibia gauche (os du tibia). Aucune fracture ni dislocation n’a été décelée. Le fragment a été retiré de sa jambe et la blessure a été nettoyée et recouverte d’un bandage. Le plaignant no 2 a obtenu son congé de l’hôpital tout de suite après.

Le plaignant no 1 a subi une blessure par balle dans son flanc gauche et il a été admis à l’hôpital, où il a subi une chirurgie d’extraction de la balle. Celle-ci a traversé le flanc, mais a heureusement raté plusieurs artères et vaisseaux sanguins importants. La balle a éclaté en plusieurs fragments, qui se sont logés dans le sacrum (bas du dos) et n’ont pas été retirés durant la chirurgie. La vessie du plaignant no 1 a aussi été touchée par la balle et il a fallu insérer un cathéter. Le plaignant no 1 a reçu son congé de l’hôpital environ trois semaines plus tard.

Éléments de preuve


Les lieux

L’incident s’est déroulé à la gare d’autobus du centre-ville, au 9, rue Elm, dans la ville de Sudbury.

Intérieur de la gare d’autobus, avec le poste de sécurité à droite

Intérieur de la gare d’autobus, avec le poste de sécurité à droite


Trace de balle dans la poubelle et le coin du poste de sécurité

Trace de balle dans la poubelle et le coin du poste de sécurité


Trajectoire de la balle

Trajectoire de la balle


Trou de balle à l’intérieur du poste de sécurité

Trou de balle à l’intérieur du poste de sécurité

L’un des couteaux du plaignant se trouve par terre, du côté droit de la photo. La flaque de sang marque l’emplacement où le plaignant est tombé après avoir reçu une balle. (La porte d’entrée est du côté droit de la photo, tandis que le poste de sécurité est à gauche.)

L’un des couteaux du plaignant se trouve par terre, du côté droit de la photo. La flaque de sang marque l’emplacement où le plaignant est tombé après avoir reçu une balle. (La porte d’entrée est du côté droit de la photo, tandis que le poste de sécurité est à gauche.)

Même vue que ci-dessus, sauf qu’on voit ici où le deuxième couteau est tombé après les coups de feu.

Même vue que ci-dessus, sauf qu’on voit ici où le deuxième couteau est tombé après les coups de feu.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve matériels

Les deux couteaux retrouvés sur les lieux

Les deux couteaux retrouvés sur les lieux


Les deux couteaux retrouvés sur les lieux


Données téléchargées des armes à impulsion

Données téléchargées des armes à impulsion

Éléments de preuves médicolégaux

Trois cartouches de calibre .223 et le fusil C8 de l’AI ont été envoyés au Centre des sciences judiciaires pour un examen comparatif.

La pièce de métal extraite de la jambe gauche du plaignant no 2 a aussi été envoyée au Centre pour qu’il détermine s’il s’agissait d’un fragment de balle ou d’un éclat du métal léger servant de paroi du poste de sécurité.

Le rapport sur les armes à feu du Centre, établi le 14 juin 2018, a conclu que l’examen des trois cartouches retrouvées a permis de déterminer de façon pratiquement certaine qu’elles avaient été tirées avec le fusil soumis comme pièce no 4 (fusil en possession de l’AI).

Pour ce qui est du fragment retiré de la jambe du plaignant no 2, le rapport conclut qu’il s’agit d’un fragment de blindage de balle et qu’il n’était pas possible de déterminer s’il provenait d’une balle tirée par le fusil soumis comme pièce no 4. C’est donc dire que le fragment de blindage de balle qu’est la pièce no 9 n’a aucune valeur d’identification spéciale.

Les écouvillons ayant servi à prélever des échantillons sur la lame et le manche des deux couteaux en possession du plaignant no 1 ont été envoyés au Centre des sciences judiciaires pour qu’il détermine si du sang était présent et analyse l’ADN provenant de sang ou d’autres fluides corporels sur les couteaux.

Le rapport d’ADN établi par le Centre le 15 mai 2018 conclut que du sang était présent sur le couteau Smith and Wesson, mais pas sur le couteau Gerber.

Les échantillons prélevés sur le manche de chaque couteau contenaient de l’ADN, mais seul celui provenant du couteau Gerber était suffisant pour permettre une comparaison. Le sang trouvé sous la lame du couteau Smith and Wesson n’était pas suffisant pour permettre une comparaison.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Vidéo sur téléphone cellulaire

Le TC no 3 a capté avec son téléphone cellulaire des images des coups de feu tirés sur le plaignant avec son téléphone cellulaire. L’image était de bonne qualité et il y avait aussi le son, mais malheureusement, la caméra était dirigée vers le sol par moments et des parties de l’interaction ne sont pas visibles.

La vidéo sur téléphone cellulaire concorde tout à fait avec ce qui a été enregistré par les caméras de la gare et qui est résumé ci-dessous, mais en plus, on y entend ce qui est décrit ci-dessous.

Pendant que les agents font face au plaignant no 1 avec les armes à impulsions et les armes à feu, on les entend crier au plaignant no 1, pour lui ordonner de lâcher ses armes. Dans les secondes qui suivent, le plaignant lève les couteaux, en en tenant un dans chaque main et il se met à hurler en se précipitant sur les agents.

Dès que le plaignant no 1 tombe au sol, on entend un agent crier à la radio « Des coups de feu ont été tirés, des coups de feu ont été tirés! »


Enregistrements des caméras de sécurité de la gare d’autobus du centre-ville

On a aussi obtenu des enregistrements de caméras de sécurité placées à quatre endroits différents dans la gare d’autobus qui ont capté des images jusqu’au moment où le plaignant no 1 s’est fait tirer dessus, et deux ont montré l’interaction avec la police. La qualité des enregistrements des caméras de la gare est très bonne, mais il n’y a pas de son.

Résumé des images des moments importants captées par les caméras de la gare. 

Enregistrement VLC Media Player, zone principale no 2 de la gare d’autobus

Minutes (horloge)

À 0 min 0 s, le plaignant no 1 est assis sur un banc.
À 22 min 31 s, le plaignant no 1 place un couteau sur sa gorge.
À 22 min 36 s, le plaignant no 1 se lève et se met à marcher à vivre allure.
À 24 min 14 s, le plaignant no 1 marche à vive allure et on voit trois témoins civils dans la zone immédiate à proximité.
À 24 min 36 s, le plaignant a un couteau dans chaque main et il marche à vive allure.
A 24 min 59 s, le plaignant no 2 entre dans le poste de sécurité, et le plaignant no 1 brandissant les couteaux s’approche de lui par-derrière.
À 28 min 27 s, le plaignant no 1 se fait tirer dessus.


Enregistrement, zone principale no 1 de la gare d’autobus

L’enregistrement montre clairement les quatre agents côte à côte dans le couloir de la gare d’autobus qui font face au plaignant no 1. Dans les moments ayant précédé celui où le plaignant no 1 charge les agents, on peut voir la lumière blanche de deux armes à impulsions (tenues par les AT nos 1 et 3) indiquant qu’elles sont activées.

Comme le plaignant no 1 se précipite sur les agents, les AT nos 1, 2 et 3 sautent vers l’arrière et s’enfuient du plaignant no 1, tandis que l’AI, qui est adossé au vestibule de la porte d’entrée, et qui pointe son fusil C8 sur le plaignant no 1, se retourne pour faire face au plaignant no 1, tandis que celui-ci court et le dépasse pour continuer en direction des trois agents. Comme le plaignant no 1 arrive à la hauteur de l’AI et s’approche des trois autres agents, avec un couteau dans chaque main et la lame pointée vers les agents, l’AI fait feu à trois reprises. Le plaignant no 1 tombe alors au sol en criant, et les agents s’approchent immédiatement pour lui passer les menottes et lui prêter assistance.

Enregistrements de communications

Les enregistrements de l’appel au 911 et des communications de la police ont été obtenus et examinés.


Enregistrements des communications du 911

Le TC no 2 a appelé le 911 à environ 18 h 23 le 1er avril 2018 et a demandé que la police vienne à la gare d’autobus de Sudbury, au 9, rue Elm, parce que le plaignant no 1 déambulait avec un couteau. Le TC no 2 a signalé qu’il était un gardien de sécurité de service dans la gare et que le plaignant no 1 essayait d’entrer de force dans le poste de sécurité et avait un couteau dans chaque main.

Il a ensuite indiqué que le plaignant no 1 avait porté un couteau à sa propre gorge et qu’il pointait un autre couteau vers des membres du public se trouvant dans la gare.

Le TC no 2 a donné une description du plaignant no 1 et il a précisé qu’il marchait autour du guichet de la gare avec un grand couteau dans chaque main. Il a ensuite annoncé que des agents venaient d’entrer dans la gare et que le plaignant no 1 avait toujours des couteaux dans les mains.


Enregistrements des communications par radio du Service de police du Grand Sudbury

Le 1er avril 2018, à 18 h 24 min 26 s, le répartiteur du Service de police du Grand Sudbury a envoyé une alerte prioritaire concernant une personne armée se trouvant dans la gare d’autobus de Sudbury, au 9, rue Elm. Le répartiteur a annoncé qu’il y avait un homme, soit le plaignant no 1, qui marchait dans la gare avec un couteau. Cinq voitures de police du service ont alors été dépêchées en réponse à l’appel.

Le répartiteur du centre de communication a donné une description physique du plaignant no 1 et a précisé qu’il tentait d’entrer de force dans le poste de sécurité de la gare et était armé de deux grands couteaux.

À 18 h 26 min 23 s, la première voiture de police avec à son bord deux agents, soit les AT nos 2 et 3, est arrivée à la gare. Les agents ont avisé le répartiteur qu’ils surveillaient le plaignant no 1 et qu’il avait toujours un couteau dans chaque main. Les agents ont demandé l’heure d’arrivée prévue d’une unité de renfort. Un autre agent a répondu qu’en arrivant sur les lieux, il aurait avec lui un fusil C8.

À 18 h 28 min 3 s, les agents sur les lieux ont indiqué que le plaignant no 1 était cerné, à une dizaine de mètres de distance à l’extrémité sud de la gare, et qu’il tentait de s’approcher d’eux et refusait d’obtempérer.

À 18 h 28 min 48 s, un agent a indiqué par message radio que des coups de feu avaient été tirés et que le plaignant était au sol. Une ambulance a été demandée. Un agent a dit qu’un employé de la gare de Sudbury avait été blessé par un fragment. Par la suite, les agents ont dit que le plaignant no 1 avait été atteint à la hanche gauche et qu’ils essayaient d’arrêter le saignement. Un agent a avisé le répartiteur qu’une arme à impulsions avait été déployée.

Les agents ont essayé de questionner le plaignant no 1, mais il ne cessait de scander « White Power ».

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du Service de police du Grand Sudbury :

  • les enregistrements des communications du 911;
  • les enregistrements des communications de la police;
  • le rapport d’intervention du Centre d'information de la police canadienne, Service de police du Grand Sudbury;
  • la chronologie des événements;
  • le rapport d’incident général;
  • la déclaration écrite du TC no 4 au Service de police du Grand Sudbury;
  • les notes des AT nos 1 et 3 et de 17 agents témoins non désignés;
  • la liste des agents ayant participé à l’intervention;
  • les données téléchargées de l’arme à impulsions;
  • le sommaire de la déposition d’agents non désignés du Service de police du Grand Sudbury;
  • la liste des témoins de la police.

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants d’autres sources :
  • le rapport d’analyse d’ADN du Centre des sciences judiciaires du 14 juin 2018;
  • le rapport sur les armes à feu du 15 mai 2018 du Centre des sciences judiciaires;
  • le dossier médical du plaignant no 1 relatif à l’incident (obtenu avec son consentement);
  • le dossier médical du plaignant no 2 relatif à l’incident (obtenu avec son consentement);
  • l’enregistrement vidéo effectué à partir d’un téléphone cellulaire par le TC no 3;
  • les enregistrements des caméras de surveillance de la gare d’autobus.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

Article 27 du Code criminel -- Recours à la force pour empêcher la perpétration d’une infraction

27 Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire :
a) pour empêcher la perpétration d’une infraction :
(i) d’une part, pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat,
(ii) d’autre part, qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne;
b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a). 

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances 
(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Paragraphe 88(1) du Code criminel -- Port d’arme dans un dessein dangereux

88 (1) Commet une infraction quiconque porte ou a en sa possession une arme, une imitation d’arme, un dispositif prohibé, des munitions ou des munitions prohibées dans un dessein dangereux pour la paix publique ou en vue de commettre une infraction.

Article 267 du Code criminel -- Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :
a) porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
b) inflige des lésions corporelles au plaignant


Analyse et décision du directeur

Le 1er avril 2018, à 18 h 23 min 59 s, un appel au 911 a été reçu par le Service de police du Grand Sudbury de la part d’un témoin civil, soit le TC no 2, un gardien de sécurité travaillant pour la gare d’autobus du centre-ville au 9, rue Elm à Sudbury. Le TC no 2 a dit qu’il avait besoin de l’aide de la police « tout de suite » par qu’il y avait un « homme qui marchait avec un couteau » et il avait « essayé d’entrer de force dans mon poste de sécurité ». Il a ajouté que cela s’était passé dans la gare d’autobus et que l’homme avait « deux couteaux dans les mains ».

À la suite de cet appel, des agents ont été immédiatement dépêchés à la gare d’autobus, et les agents témoins (AT) nos 2 et 3 sont arrivés les premiers, tandis que l’AT no 1 et l’agent impliqué (AI) sont arrivés quelques secondes plus tard. Les AT nos 1, 3 et 2 étaient tous armés d’un pistolet de service, tandis que l’AI avait un fusil C8. Les AT nos 1 et 3 avaient aussi une arme à impulsions en leur possession. Durant l’interaction avec la police, les AT nos 1 et 3 ont déchargé leur arme à impulsions une fois chacun, et l’AI a fait feu à trois reprises avec son fusil C8. Le plaignant no 1 a reçu une balle dans le flanc gauche, tandis que le plaignant no 2 a reçu un petit fragment de balle qui l’a atteint au tibia gauche.

Durant l’enquête, on a interrogé six témoins civils, en plus de trois agents témoins et des deux plaignants. Heureusement, il est relativement facile de reconstituer les faits puisque la majeure partie des interactions ont été enregistrées à la fois par un TC, sur son téléphone cellulaire, et par des caméras de sécurité de la gare d’autobus.Avec les enregistrements vidéo et les déclarations des témoins, il a été facile de faire de façon exacte et fiable un résumé de la situation, qui figure ci-dessous. Il n’y a pas de contradictions quant à la version des faits entre les différentes preuves.

Même si l’entrevue avec le plaignant no 1 a été brève, il a dit aux enquêteurs de l’UES qu’il était bel et bien présent dans la gare d’autobus le 1er avril 2018, qu’il était armé de deux couteaux, soit un dans chaque main, que les agents lui avaient ordonné de lâcher ses couteaux et qu’il n’avait pas obtempéré, après quoi il s’était précipité sur les agents et avait d’abord été atteint par la sonde d’une arme à impulsions, puis avait reçu un coup de feu dans le flanc gauche. Le plaignant no 1 a expliqué qu’il avait attaqué les agents avec des couteaux parce qu’il voulait se faire tuer.

Les enregistrements des caméras de sécurité confirment que le plaignant no 1 est arrivé à la gare d’autobus le 1er avril 2018, et on le voit par la suite marcher à toute allure dans la gare avec ses couteaux, un dans chaque main.

À environ 18 h 10, le TC no 2, un gardien de sécurité travaillant à la gare d’autobus, se trouvait dans le poste de sécurité et regardait les écrans de surveillance lorsqu’il a vu le plaignant no 1 qui tenait un couteau sur sa propre gorge tout en marchant à vive allure dans la partie sud de la gare. Le TC no 2 a déclaré qu’il était alors sorti de son poste pour aller voir ce qui se passait et que le plaignant no 1 l’avait regardé dans les yeux, tout en continuant de tenir le couteau sur sa gorge. Le TC no 2 a alors regagné son poste et a tenté de verrouiller la porte, mais le plaignant no 1 a foncé sur la porte et s’est mis à donner des coups de pied dedans, tandis que le TC no 2, qui était incapable de verrouiller la porte, poussait dessus pour empêcher le plaignant no 1 d’entrer. Le TC no 2 a dit avoir craint pour sa vie à ce stade.

Le TC no 2 a alors communiqué avec le plaignant no 2, soit le superviseur de sécurité, par radio et lui a fait savoir qu’il appelait le 911. Le plaignant no 1 s’est alors éloigné de la porte du poste de sécurité et s’est remis à marcher à vive allure dans la gare.

Le plaignant no 2, qui était à l’étage supérieur de la gare, est descendu au rez-de-chaussée où il a lui aussi vu le plaignant no 1 et il s’est dirigé vers lui. Le plaignant no 2 a constaté que le plaignant no 1 avait un couteau dans chaque main. Lorsque le plaignant no 1 a aperçu le plaignant no 2, il s’est mis à avancer rapidement dans sa direction, et le plaignant no 2, qui craignait pour sa sécurité, a rebroussé chemin pour entrer dans le poste de sécurité. Quand le plaignant no 2 est arrivé à proximité de la porte du poste de sécurité, le TC no 2 l’a attrapé pour le tirer dans le poste de sécurité. Les deux hommes ont ensuite gardé la porte du poste bien fermée, tandis que le plaignant no 1 essayait d’entrer de force. Le TC no 2 a alors appelé le 911.

Quelques instants plus tard, deux agents du Service de police du Grand Sudbury en uniforme, soit les AT nos 2 et 3, sont arrivés à la gare d’autobus, et le plaignant no 2 a cogné dans la vitre extérieure pour pointer aux agents l’endroit où se trouvait le plaignant no 1 dans la gare.

Les deux premiers agents sont arrivés à 18 h 25. Lorsqu’ils sont entrés dans la gare, ils ont vu le plaignant no 1, à une dizaine de mètres de distance dans la partie sud de la gare, qui marchait à vive allure avec deux couteaux, soit un dans chaque main, et les lames pointées vers le haut. Les deux agents lui ont crié de lâcher ses couteaux. Celui-ci a jeté un coup d’œil aux agents, mais il n’a pas obtempéré à l’ordre de jeter ses couteaux. Il a plutôt fait quelques pas vers les agents, qui ont alors reculé pour s’éloigner du plaignant no 1. Les agents ont alors dit aux autres civils de sortir de l’immeuble.

L’AT no 2 a ensuite sorti son pistolet de service et a ordonné à l’AT no 3 de sortir son arme à impulsions, ce qu’il a fait. L’AT no 2 a dit espérer que, si le plaignant no 1 les attaquait et était atteint par une sonde de l’arme à impulsions, il lâcherait ses armes et l’AT no 2 pourrait aller le maîtriser directement à mains nues.

À environ 18 h 28, l’AT no 1 et l’AI sont arrivés à la gare. L’AI a avisé le centre de communication par radio qu’il allait tirer avec son fusil d’assaut, ce que confirme l’enregistrement des communications de la police durant l’appel de l’AI reçu par le répartiteur à 18 h 27 min 52 s.

L’AI s’est alors mis à courir vers le terminal, tandis que l’AT no 1 le suivait à pied avec la main posée sur son pistolet de service dans sa gaine. Les agents en question sont entrés dans la gare par les portes du côté ouest. L’AI s’est alors mis en position sur le mur ouest, tandis que l’AT no 1 se dirigeait vers la gauche de l’AI, à une distance d’environ 1,5 mètre. L’AT no 2 était à la gauche de l’AT no 1, et l’AT no 3 à la gauche de l’AT no 2. Les quatre agents prenaient toute la largeur du couloir, avec l’AI qui était le plus près du mur du vestibule derrière lui. La rangée d’agents se trouvait à une dizaine de mètres de la position du plaignant no 1, et ils ont continué de lui crier de lâcher ses couteaux.

Le TC no 3, un témoin qui se trouvait dans la gare au même moment, a évalué que les agents avaient ordonné au plaignant no 1 de lâcher ses armes ou couteaux à 15 ou 20 reprises.

L’enregistrement que le TC no 3 a pris sur son téléphone cellulaire, de même que les enregistrements des caméras de surveillance de la gare, viennent le confirmer.

L’AT no 1 a sorti son arme à impulsions, qu’il a pointée vers le centre du corps du plaignant no 1, tandis que l’AI plaçait son fusil en position de tirer sur le plaignant no 1, et l’AT no 2 avait son arme courte qui visait le plaignant no 1, et l’AT no 3 faisait de même avec son arme à impulsions.

L’AT no 1 a crié un avertissement, en disant : « Taser, Taser! » de manière à prévenir ses collègues qu’il s’apprêtait à décharger son arme à impulsions.

Tout à coup, le plaignant no 1 s’est mis à grogner et à hurler et il s’est précipité sur la rangée d’agents, les deux bras en l’air avec les lames de couteau pointées vers les agents. On voit sur l’enregistrement les agents faire un saut en arrière pour s’éloigner du plaignant no 1, sauf l’AI, qui était adossé au mur de verre du vestibule, qui se trouvait directement derrière lui.

L’AT no 1 a indiqué qu’il avait déchargé son arme à impulsions lorsque le plaignant no 1 était à approximativement 6 mètres de lui, mais lorsqu’il a observé que la décharge avait été sans effet et que le plaignant no 1 continuait d’avancer, il a lâché son arme à impulsions pour s’emparer de son pistolet de service.

L’AT no 3 a aussi avisé qu’il avait déchargé son arme à impulsions lorsque le plaignant no 1 était à moins de 5 mètres des agents, mais cette décharge a aussi été sans effet et n’a pas suffi à arrêter le plaignant no 1.

Les AT nos 1 et 3 ont vu une ou deux sondes de leur arme respective entrer en contact avec la poitrine et l’abdomen du plaignant no 1, mais cela n’a nullement ralenti celui-ci, qui a continué de se précipiter sur les agents.

Dans l’enregistrement vidéo, le plaignant no 1 semble prêter plus d’attention aux trois agents qui s’éloignent de lui qu’à l’AI, qui se tenait à son extrême gauche, adossé dans un coin entre le mur extérieur de la gare et le vestibule de verre.

L’AT no 2 a déclaré qu’il avait reculé et qu’il avait pointé son arme à feu vers le tronc du plaignant no 1, qui franchissait très rapidement la distance qui le séparait des agents. L’AT no 2 avait le doigt sur la détente de son arme à feu et était prêt à tirer.

Pendant que le plaignant no 1 courait en direction des trois agents qui s’éloignaient de lui, il s’est retrouvé dans une position parallèle à l’AI, et l’AI a pivoté vers lui et a tiré trois coups de feu sur le plaignant no 1, tandis qu’il passait à sa hauteur. Il a atteint le plaignant no 1 dans le flanc gauche. On a constaté par la suite que deux des trois balles avaient frappé le mur du poste de sécurité, dont le coin se trouvait juste en face de l’AI, et un fragment de balle a atteint le plaignant no 2 dans le tibia gauche.

L’AT no 2 a indiqué que, parce qu’il serrait la détente de son arme à feu à mesure que le plaignant no 1 approchait, il a d’abord cru que c’était lui qui avait tiré lorsqu’il a entendu le premier coup de feu, mais comme deux autres coups de feu ont ensuite suivi, il s’est aperçu que c’était l’AI qui avait tiré sur le plaignant no 1.

Lorsque la balle a atteint le plaignant no 1, il est tombé au sol et il a échappé les couteaux, qui sont tombés devant lui en glissant sur le plancher.

Les agents se sont alors précipités pour menotter le plaignant no 1 et lui prodiguer des soins médicaux, tandis qu’un agent criait à la radio : « Des coups de feu ont été tirés, des coups de feu ont été tirés! » Lorsque l’AT no 1 a demandé au plaignant no 1 de décliner son identité, il ne cessait de scander « White power ».

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, un agent de police, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, est fondé de recourir à toute la force nécessaire pour exécuter un devoir légitime. En outre, conformément au paragraphe 3 :

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même […] contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

Par conséquent, pour que l’AI puisse bénéficier d’une protection en vertu de l’article 25, il doit être établi qu’il exerçait un devoir légitime, qu’il agissait pour des motifs raisonnables et qu’il n’a pas utilisé plus de force que nécessaire. En outre, conformément au paragraphe 3, en cas de mort ou de lésions corporelles graves, il doit être établi que l’agent de la police a agi ainsi en ayant des motifs raisonnables de croire que c’était nécessaire pour se protéger lui-même ou pour protéger d’autres personnes sous sa protection contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

Disons d’abord, pour évaluer si l’arrestation du plaignant était légitime, qu’il était évident, d’après l’appel au 911, les observations directes des quatre agents présents et la déclaration des deux plaignants et des six témoins civils, que le plaignant no 1 était en possession d’armes menaçant la paix publique, ce qui est interdit par l’article 88 du Code criminel, et qu’il était donc justifié de l’arrêter pour cette infraction. L’appréhension et l’arrestation du plaignant no 1 étaient donc légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui concerne les autres exigences visées par les paragraphes 25 (1) et 25 (3), je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), CanLII 339 (BC CA), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.-B.) :

[Traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

La Cour a résumé le critère applicable en vertu de l’article 25 dans les termes suivants :

Le paragraphe 25(1) indique essentiellement qu’un policier est fondé à utiliser la force pour effectuer une arrestation légale, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances. Mais l’examen de la question ne s’arrête pas là. Le paragraphe 25(3) précise qu’il est interdit au policier d’utiliser une trop grande force, c’est-à-dire une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu’il ne croie que cette force est nécessaire afin de le protéger ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre de telles conséquences. La croyance du policier doit rester objectivement raisonnable. Par conséquent, le recours à la force visé au par. 25(3) doit être examiné à la lumière de motifs subjectifs et objectifs (Chartier c. Greaves, [2001] O.J. No. 634 (QL) (C.S.J.), par. 59).

La décision rendue par le juge Power de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans Chartier c. Greaves [2001] O.J. No. 634, telle qu’elle a été adoptée par la Cour suprême du Canada, énonce d’autres dispositions pertinentes du Code criminel à prendre en considération, à savoir :

27. Recours à la force pour empêcher la perpétration d’une infraction – Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire :
a) pour empêcher la perpétration d’une infraction :
i. d’une part, pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat,
ii. d’autre part, qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne;
b) pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a).

[Traduction] Cet article autorise donc le recours à la force pour empêcher la perpétration de certaines infractions. « Toute personne » inclurait un agent de police. La force ne doit pas dépasser ce qui est raisonnablement nécessaire. Par conséquent, un critère objectif est requis. Dans l’arrêt Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481, la Cour d’appel de l’Ontario a statué que le recours à la force létale ne pouvait être justifié que dans les cas de légitime défense ou pour empêcher la perpétration d’un crime susceptible de causer des blessures immédiates et graves.

37(1) Toute personne est fondée à employer la force pour se défendre d’une attaque, ou pour en défendre toute personne placée sous sa protection, si elle n’a recours qu’à la force nécessaire pour prévenir l’attaque ou sa répétition.
(2) Le présent article n’a pas pour effet de justifier le fait d’infliger volontairement un mal ou dommage qui est excessif, eu égard à la nature de l’attaque que la force employée avait pour but de prévenir.

En outre, la cour énonce un certain nombre d’autres principes juridiques tirés des précédents juridiques cités, dont les suivants :

[Traduction]
(h) Quel que soit l’article du Code criminel utilisé pour évaluer les actes de la police, la Cour doit tenir compte du degré de force qui était nécessaire compte tenu des circonstances entourant l’événement en cause.
(i) « Il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait qu’un agent, dans les exigences du moment, peut se méprendre sur le degré de force nécessaire pour maîtriser un prisonnier. » Il en va de même pour le recours à la force pour procéder à une arrestation ou empêcher une évasion. À l’instar du conducteur d’un véhicule confronté à une urgence soudaine, le policier « ne saurait être tenu de satisfaire à une norme de conduite dont on aura ultérieurement déterminé, dans la quiétude d’une salle d’audience, qu’elle constituait la meilleure méthode d’intervention. » (Foster c. Pawsey) Autrement dit : c’est une chose que d’avoir le temps, dans un procès s’étalant sur plusieurs jours, de reconstituer et d’examiner les événements survenus le soir du 14 août, mais ç’en est une autre que d’être un policier face à une situation d’urgence ayant le devoir d’agir et disposant de très peu de temps pour analyser minutieusement la signification des événements ou réfléchir calmement aux décisions à prendre (Berntt c. Vancouver).
(j) Les policiers exercent une fonction essentielle dans des circonstances parfois difficiles et souvent dangereuses. Ils ne doivent pas être indûment entravés dans l’exécution de cette obligation. Les policiers doivent fréquemment agir rapidement et réagir à des situations urgentes qui surviennent soudainement. Il faut donc considérer leurs actes à la lumière des circonstances.
(k) « Il est à la fois déraisonnable et irréaliste d’imposer à la police l’obligation de n’employer que le minimum de force susceptible de permettre d’atteindre son objectif. Il en résulterait un danger inutile pour eux-mêmes et pour autrui. En pareilles situations, les policiers sont fondés à agir et exonérés de toute responsabilité s’ils n’emploient pas plus que la force qui est nécessaire en se fondant sur leur évaluation raisonnable des circonstances et des dangers dans lesquels ils se trouvent. »(Levesque c. Zanibbi et al.)


En me fondant sur les principes de droit qui précèdent, je dois déterminer :

(1) si l’AI avait subjectivement des motifs raisonnables d’estimer que sa propre vie ou celle d’autres personnes était en danger ou que lui ou d’autres personnes sous sa protection risquaient de subir des blessures graves à cause des agissements du plaignant au moment où il a tiré avec son arme à feu;
(2) si cette conviction était objectivement raisonnable, ou, autrement dit, si leurs actes seraient jugés raisonnables par un observateur objectif disposant de tous les renseignements à la disposition des agents lorsqu’ils ont déchargé leurs armes à feu.

Pour ce qui est du premier critère, il ressort clairement de la déclaration des trois AT (l’AI ayant refusé de faire une déclaration aux enquêteurs de l’UES, comme la loi l’y autorise) qu’ils croyaient être en danger d’être tués ou de subir des lésions corporelles graves lorsque le plaignant no 1 s’est précipité sur eux avec deux couteaux pointés dans les airs dans leur direction, et c’est pourquoi l’AI a déchargé son arme à feu.

Les trois AT semblent avoir basé cette impression sur les renseignements qu’ils possédaient alors, soit :

  • que le plaignant no 1 était en possession de deux grands couteaux de chasse;
  • que ces mêmes renseignements avaient été communiqués durant un appel au 911;
  • que le plaignant no 1 savait que des agents étaient présents, mais avait refusé d’obtempérer à l’ordre de lâcher ses armes;
  • que le déploiement de deux armes à impulsions, qui avaient atteint le plaignant no 1 avait été sans effet;
  • que le plaignant no 1 continuait de charger les agents avec ses armes à bout de bras et parcourait rapidement la distance le séparant d’eux, ce qui les mettait extrêmement en danger.

Par conséquent, même si l’AI n’a pas fait de déclaration, les preuves sont amplement suffisantes pour savoir que les trois agents témoins avaient des motifs raisonnables de croire qu’ils risquaient d’être tués ou d’être grièvement blessés par le plaignant no 1 au moment où l’AI a fait feu sur lui. Puisque chacun des quatre agents présents possédait les mêmes renseignements à ce moment, j’estime que la conviction des trois agents témoins qu’ils risquaient d’être tués ou de subir des lésions corporelles graves était partagée par l’AI. Par conséquent, j’estime les preuves très suffisantes pour répondre dans l’affirmative à la question no 1 et dire que l’AI avait subjectivement des motifs raisonnables de croire que lui-même ou les trois autres agents présents risquaient d’être tués ou grièvement blessés par le plaignant no 1 au moment où il a fait feu.

Pour ce qui est du deuxième critère, à savoir s’il existait ou non des motifs objectivement raisonnables de croire que les agents se trouvant à l’intérieur de la gare risquaient d’être tués ou grièvement blessés par le plaignant no 1, il suffit de se référer aux observations des témoins objectifs qui ont observé directement les agissements du plaignant no 1 et ont dit ce qui suit.
  • Bon nombre de témoins, de même que le plaignant no 1 lui-même, ont confirmé que les agents avaient demandé à plusieurs reprises au plaignant no 1 de lâcher ses armes, mais que le plaignant no 1 les avait ignorés chaque fois.
  • Le plaignant no 2 et le TC no 2, qui se sont barricadés dans le poste de sécurité, ont tous les deux indiqué qu’ils avaient craint pour leur sécurité en voyant le comportement du plaignant no 1.
  • Le TC no 4, un employé du Transit du Grand Sudbury, a signalé que le plaignant no 1 s’était beaucoup approché des trois agents avec un couteau pointé dans leur direction avant que l’AI ne décharge son fusil.
  • Le TC no 5 a mentionné qu’elle croyait que le plaignant no 1 attaquait délibérément les agents et elle a estimé qu’il était à environ 2,5 mètres lorsqu’il a été touché par la balle.
  • Le TC no 2 a entendu les agents crier « Stop! » au plaignant no 1 à plusieurs reprises tandis qu’il se précipitait sur eux en criant, avec deux couteaux dans les airs, de chaque côté de la tête.
  • Le TC no 1, un employé de la gare, a expliqué que le plaignant no 1 courait en direction des agents avec son couteau, comme s’il voulait les attaquer et les tuer, et il était était d’avis que l’AI n’avait fait que son devoir dans les circonstances.
  • Le TC no 3 a mentionné que le plaignant no 1 avait deux grands couteaux qui lui semblaient être des couteaux de chasse ou des couteaux servant à se suicider, qu’il pointait devant lui tout en courant en direction des agents comme s’il était prêt à se faire tuer, tandis qu’il franchissait rapidement la distance qui le séparait des agents.

De plus, le fait que l’AT no 1 a lâché son arme à impulsions puisqu’elle était restée sans effet, qu’il a reculé et qu’il a attrapé son arme à feu et que l’AT no 2 avait déjà son arme à feu dans la main et serrait la détente lorsque l’AI a fait feu montre clairement que les agents croyaient tous que le plaignant no 1 mettait leur vie était en danger et qu’ils étaient tous prêts à recourir à une force létale pour se protéger contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

Qui plus est, d’après les déclarations de divers témoins, il ne fait aucun doute que les quatre agents ont tenté à plusieurs reprises de convaincre le plaignant no 1 de lâcher ses armes, que des armes présentant moins de risques de causer la mort ont été utilisées avant que des coups de feu ne soient tirés et que tous les agents s’éloignaient du plaignant no 1 et ont continué de le faire tandis que le plaignant no 1 poursuivait sa course vers eux avec ses armes pointées. Par conséquent, il apparaît évident que les agents n’ont pas eu immédiatement recours à une force létale, mais ont d’abord tenté de régler la situation d’une autre manière.

Enfin, après avoir examiné les enregistrements des caméras de surveillance et la vidéo prise par le TC no 3 avec son téléphone cellulaire, il me semble évident qu’il s’agissait d’une situation dynamique et que les événements se sont déroulés très rapidement, à partir du moment où le plaignant no 1 s’est soudainement précipité sur les agents avec ses armes dans les airs, tandis que les agents ont d’abord utilisé des armes à impulsions avant de sauter vers l’arrière et de s’éloigner. D’après les preuves, j’estime que l’AI n’avait alors aucun autre moyen efficace de sauver la vie de ses collègues que de recourir à une force létale. J’attire néanmoins l’attention sur le fait que, dès le moment où le plaignant no 1 a été touché et est tombé au sol, aucun autre coup de feu n’a été tiré.

Les dispositions légales sur l’emploi de la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves établissent que, si une personne estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même ou de protéger toute autre personne, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves, elle est fondée à employer une force létale. Après avoir examiné longuement les preuves, j’estime que, dans les circonstances, l’AI croyait, pour des motifs raisonnables, que les trois autres agents couraient un risque imminent d’être tués par le plaignant no 1 et que la décision de recourir à une force létale était justifiée vu la situation.

J’estime qu’il aurait été insensé et imprudent de la part de l’AI de risquer la vie des trois agents en attendant de savoir si le plaignant no 1 allait réellement poignarder l’un d’eux alors que c’était clairement son intention lorsqu’il s’est précipité sur les agents. Ce n’était pas un risque que l’AI aurait dû prendre alors que le plaignant no 1 risquait de tuer quelqu’un.

Enfin, même s’il s’agit d’un incident d’autant plus tragique que le jeune homme était manifestement en état de crise, même si la police avait su que le plaignant no 1 souffrait d’une maladie mentale quelconque, lorsqu’est venu le moment de choisir entre tirer ou risquer que quelqu’un d’autre se fasse tuer, je suis loin d’être convaincu que c’est un facteur qui aurait nécessairement changé quoi que ce soit à la décision de recourir ou non à une force létale.

Dans les circonstances, je me référerai de nouveau à l’arrêt de la Cour suprême du Canada cité ci-dessus, qui est particulièrement pertinent dans cette affaire, à savoir qu’« il ne faut pas oublier que les agents de police accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile ».

Je juge, par conséquent, au vu du dossier, qu’en vertu des paragraphes 25(1) et (3) du Code criminel, l’AI n’a, en recourant à la force létale, qui a eu pour effet de blesser grièvement le plaignant no 1 et de causer une blessure un peu moins grave au plaignant no 2 et qui visait à préserver la vie de ses trois collègues, pas employé plus de force que nécessaire pour exécuter son devoir légitime. De ce fait, je n’ai pas de motifs raisonnables de croire que les actes de l’AI soient sortis des limites prescrites par le droit pénal et je conclus plutôt qu’il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire.


Date : 22 février 2019


Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.