Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 22-OCD-006

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 27 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 11 janvier 2022, vers 1 h 20, le Service de police régional de Waterloo a avisé l’UES du décès du plaignant.

Selon le Service de police régional de Waterloo, il aurait reçu, le 11 janvier 2022, vers 0 h 20, un appel au 911 de la part du témoin civil (TC) no 4, qui téléphonait pour signaler que son ancien « petit ami », soit le plaignant, menaçait de se suicider et de sauter de son appartement s’il apercevait la police. À 0 h 38, l’agent impliqué (AI) et les agents témoins (AT) nos 1, 2 et 3 sont arrivés à l’immeuble de la rue Phillip, à Waterloo et ont obtenu la clé de l’appartement du plaignant. Les agents ont sondé par PING le téléphone cellulaire du plaignant, pour trouver la dernière station cellulaire utilisée pour une transmission par le plaignant, et ils ont cogné à la porte de son appartement. Les agents ont entendu un bruit de verre cassé et ont pénétré dans l’appartement. Ils n’y ont vu personne et le plaignant était en bas au sol, décédé.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : Le 11 janvier 2022, à 1 h 45

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : Le 11 janvier 2022, à 4 h 40

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Les enquêteurs de l’UES ont interrogé des témoins civils et des agents témoins, ont ratissé le secteur à la recherche d’autres témoins et ont cherché et obtenu des enregistrements de caméra de sécurité dans le secteur où l’incident était survenu. Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont pris des photos numériques, ont fait un schéma des lieux et ont prélevé des éléments de preuve relatifs à l’incident.

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 27 ans, décédé


Témoins civils

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)
TC no 2 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)
TC no 3 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue

Des témoins civils ont participé à une entrevue les 11 et 12 janvier 2022.

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 24 février 2022.


Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue le 17 et le 26 janvier 2022.


Témoin employée du service

TES N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

La TES du Service de police régional de Waterloo n’a pas participé à une entrevue, car ses notes ont révélé qu’elle ne détenait pas de nouvelle information de nature à faire avancer l’enquête qui n’avait pas déjà obtenue durant les entrevues avec l’agent impliqué et les agents témoins et les autres données recueillies auprès du Service de police régional de Waterloo durant l’enquête.


Éléments de preuve

Les lieux

Lieux intérieurs

L’appartement du plaignant était gardé par un agent du Service de police régional de Waterloo. Il n’y avait sur la porte d’entrée de l’appartement aucun signe qu’elle ait été forcée. Juste à l’intérieur, sur le bord de la porte d’entrée, se trouvait une chaise. Sa position semblait étrange, compte tenu de l’aménagement. Il s’agissait d’un petit appartement avec deux chambres, une cuisinette et un coin salon. L’entrée donnait directement sur la cuisinette et l’appartement se prolongeait vers le sud et menait au salon. Le mur du côté sud du salon comportait une grande fenêtre, qui avait été fracassée. En regardant à cette fenêtre, on pouvait voir qu’elle se trouvait juste au-dessus du point où était tombé le corps du plaignant.

Du côté ouest de la cuisinette et du salon se trouvait un petit couloir menant à la salle de bain et aux deux chambres. Dans le couloir, il y avait un haltère semblable à celui retrouvé à l’extérieur, dans le stationnement. L’appartement en entier était relativement propre, mais plutôt en désordre. Il y avait des signes que de la drogue (marijuana) et de l’alcool avaient été consommés. Un téléphone cellulaire endommagé était sur le plancher du salon.

Les lieux intérieurs ont été photographiés et mesurés. Après avoir pris des photos, les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires ont ramassé le cellulaire du salon.

Lieux extérieurs

Les lieux avaient été bouclés convenablement par le Service de police régional de Waterloo. Le corps du plaignant a été trouvé du côté sud de l’immeuble. Il était étendu sur le dos avec la tête orientée vers le sud. Le défunt portait une veste avec des pantalons et une botte. L’autre botte était à proximité du corps. Il y avait autour du défunt des fragments de verre cassé. Juste au-dessus de cet emplacement se trouvait une fenêtre d’appartement qui avait été fracassée.

Dans le stationnement adjacent, plusieurs véhicules étaient garés le long du côté opposé de la clôture déjà observée. Entre deux véhicules stationnés se trouvait un haltère de 25 livres (11 kilos) endommagé.


Figure 1 – Haltère de 25 livres trouvé sur les lieux.

Figure 1 – Haltère de 25 livres trouvé sur les lieux.

Une berline Infinity bleue, à l’est de l’haltère, était endommagée du côté passager vers l’arrière, près du panneau pour l’essence. Le véhicule était également recouvert d’une mince couche de neige avec de petits fragments de verre. D’autres véhicules garés à proximité étaient aussi jonchés de fragments de verre mêlés à la neige.

Les lieux extérieurs ainsi que le défunt ont été photographiés.

Éléments de preuve matériels

Un téléphone cellulaire a été ramassé à l’intérieur de l’appartement par un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires.

L’UES a reçu une série de captures d’écran montrant des communications entre le TC no 4 et le plaignant.

Éléments de preuves médicolégaux

Les résultats des analyses des échantillons biologiques recueillis pendant l’autopsie n’étaient pas accessibles au moment de la rédaction du présent rapport.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

L’UES a cherché et obtenu des enregistrements vidéo montrant l’immeuble de la rue Phillip, à Waterloo. Ils ne contenaient rien d’utile pour l’enquête sur les interactions entre les agents et le plaignant avant sa chute.


Enregistrements de communications téléphoniques du Service de police régional de Waterloo

Voici un résumé des communications téléphoniques entre le TC no 4 et le Service de police régional de Waterloo le 11 janvier 2022.

Le 11 janvier 2022, juste avant 0 h 20 min 47 s, le TC no 4 a appelé la ligne ordinaire du Service de police régional de Waterloo pour demander qu’on vérifie l’état de son ex-petit ami, soit le plaignant, qui menaçait de se suicider. La répartitrice a demandé l’adresse et le TC no 4 lui a fournie. Le TC no 4 a signalé que le plaignant lui avait dit que si la police se présentait chez lui, il casserait sa fenêtre et sauterait en bas.

La répartitrice de la police a vérifié l’adresse du plaignant et a demandé au TC no 4 de fournir son nom, sa date de naissance, son adresse et son numéro de téléphone, et celle-ci s’est exécutée. La répartitrice a ensuite demandé le nom du plaignant et le TC no 4 l’a épelé, après quoi la répartitrice a demandé la date de naissance ou l’âge du plaignant et le TC no 4 a répondu qu’il avait 26 ou 27 ans.

La répartitrice a voulu savoir comment il se faisait que le TC no 4 recevait de l’information, et cette dernière a indiqué qu’elle était l’ex-petite amie du plaignant. Elle a dit qu’il lui avait envoyé des textos disant que ce serait sa faute s’il se tuait parce qu’elle ne voulait pas aller le voir.

La répartitrice a demandé si le plaigant avait déjà essayé de se faire du mal par le passé et le TC no 4 a dit qu’elle ne savait pas. Elle lui a ensuite demandé si le plaignant consommait de l’alcool ou de la drogue à sa connaissance et elle a indiqué qu’il était ivre et qu’il avait probablement fumé de la marijuana et peut être pris d’autres drogues. La répartitrice a ensuite demandé au TC no 4 avec qui le plaignant vivait et elle a répondu qu’il habitait avec un ami. À la question à savoir si l’ami en question était chez lui, le TC no 4 a répondu que cet ami passait la majeure partie de son temps chez un autre ami et qu’elle ne savait pas s’il était là ou non.

La répartitrice de la police a demandé au TC no 4 quand elle avait reçu le dernier message texte du plaignant et celle-ci a indiqué que c’était à 23 h 10 le 10 janvier 2022. Le TC no 4 a ajouté qu’elle avait aussi vu que le plaignant avait publié dans un média social que, s’il se tuait, ce serait sa faute à elle. La répartitrice lui a alors demandé si elle avait enregistré cette publication et le TC no 4 a indiqué qu’elle avait fait une capture d’écran. La répartitrice a ensuite demandé au TC no 4 comment le plaignant avait communiqué avec elle et elle a répondu que c’était par message texte. La répartitrice a aussi demandé si le plaignant avait accès à un véhicule et le TC no 4 a confirmé qu’il conduisait et elle a donné le numéro de plaque d’immatriculation.

La répartitrice a obtenu la confirmation que le plaignant avait menacé de casser une fenêtre et de sauter et elle a demandé au TC no 4 s’il avait fait d’autres commentaires au sujet de ses intentions. Le TC no 4 a réitéré qu’il passerait aux actes seulement si la police se rendait chez lui. Lorsqu’elle s’est fait demander si elle avait dit au plaignant qu’elle communiquerait avec la police, le TC no 4 a dit que non. La répartitrice a demandé s’il y avait un intercom avec un code à taper pour entrer dans l’immeuble et le TC no 4 a dit qu’il n’y en avait pas, mais qu’un gardien de sécurité était à la réception.

La répartitrice a demandé depuis quand elle et le plaignant avaient rompu et cette dernière a dit que la relation était instable depuis un moment, mais que la dernière rupture remontait à deux jours. Elle a ajouté que depuis, le plaignant lui envoyait des messages texte disant qu’il allait se tuer, pour l’inciter à aller le voir, et qu’elle était la seule à pouvoir le sauver. À la demande de la répartitrice, le TC no 4 a donné une description du plaignant. Elle a indiqué sa race, sa taille, ses caractéristiques corporelles et s’il avait ou non une barbe. Répondant à une autre question de la répartitrice, elle a aussi précisé que le plaignant n’avait pas d’arme à sa connaissance.

La répartitrice a demandé si le plaignant avait accès à des médicaments et le TC no 4 a répondu que non. Le TC no 4 a dit à la répartitrice que le plaignant lui avait envoyé une photo d’un petit haltère placé à côté de la fenêtre, car elle lui avait dit qu’elle enverrait un message texte à sa mère. Il lui a répété qu’il était sérieux cette fois-là et que ce n’était pas une blague. La répartitrice a demandé s’il avait envoyé autre chose depuis leur dernière conversation et elle a dit que non. La répartitrice a demandé le numéro de téléphone du plaignant, et le TC no 4 lui a fourni. Elle a ensuite demandé au TC no 4 si elle savait quel était le fournisseur de service téléphonique du plaignant, et elle a dit croire que c’était Freedom Mobile.

La répartitrice de la police a avisé le TC no 4 qu’elle allait envoyer des agents vérifier l’état du plaignant et lui a dit de la rappeler si elle recevait d’autres messages texte de lui et de tout garder au cas où les agents en auraient besoin. L’appel a pris fin à 0 h 25 min 32 s.

À 0 h 27 min 43 s, la répartitrice du Service de police régional de Waterloo a appelé le TC no 4 pour obtenir de l’information concernant l’emplacement de l’immeuble et l’endroit où était située la fenêtre dont il avait été question dans la communication précédente. Celle-ci a tenté de clarifier l’emplacement de l’immeuble et la position de la fenêtre, mais la communication a été interrompue à 0 h 30 min 59 s.


Enregistrements audio des communications par radio du Service de police régional de Waterloo

Les communications par radio comprenaient des transmissions concernant l’information fournie par le TC no 4, le déploiement des effectifs policiers sur la rue Phillip, des demandes pour du personnel des services d’urgence après la chute du plaignant ainsi que le bouclage des lieux et la protection des éléments de preuve.


Données de la caméra d’intervention de l’AI du Service de police régional de Waterloo

Voici un résumé des images captées par la caméra d’intervention de l’AI.

À 0 h 31 min 29 s, l’AT no 1, l’AI [portant une caméra d’intervention], l’AT no 2 et l’AT no 3 se sont réunis dans le hall d’entrée de l’immeuble où vivait le plaignant sur la rue Phillip, où ils sont allés à la rencontre du gardien de sécurité [maintenant identifié comme le TC no 5], avant de prendre l’ascenseur pour monter jusqu’à l’étage du plaignant. Pendant qu’ils attendaient l’ascenseur, l’AT no 1 a demandé à l’AI s’ils devraient poster quelqu’un dehors. L’AI a répondu : [Traduction] « Je ne crois pas. »

À 0 h 32 min 49 s, l’ascenseur a commencé à monter vers l’étage du plaignant.

À 0 h 33 min 18 s, les agents, accompagnés du TC no 5, qui avait un passe-partout pour ouvrir la porte de l’appartement du plaignant, sont sortis de l’ascenseur à l’étage du plaignant. Il y a eu une brève discussion sur la taille de l’appartement du plaignant durant la montée.

À 0 h 33 min 36 s, un agent [vraisemblablement l’AI] a dit à la radio de police portative qu’ils allaient frapper à la porte.

À 0 h 33 min 41 s, l’AT no 2 a appuyé la tête sur la porte de l’appartement du plaignant et a semblé écouter les sons à l’intérieur.

À 0 h 33 min 45 s, l’AT no 3, qui avait suivi le TC no 5 menant les agents vers l’appartement et était suivi des AT nos 2 et 1 et de l’AI, a cogné à la porte de l’appartement.

À 0 h 33 min 48 s, l’AI a dit : [Traduction] « S’il ouvre la porte, ne le laissez pas la refermer. »

À 0 h 33 min 58 s, l’AI a épelé le prénom du plaignant pour les agents témoins qui, debout devant lui, semblaient porter leur attention sur la porte de l’appartement du plaignant en tentant d’écouter ce qui se passait à l’intérieur.

À 0 h 34 min 22 s, l’AT no 3 a cogné à six reprises à la porte de l’appartement du plaignant et a attendu tout près en écoutant pour voir s’il y avait une réaction à l’intérieur.

À 0 h 34 min 37 s, l’AT no 1 s’est mis en position derrière l’AI. Celui-ci a demandé à l’AT no 1 à quel moment le dernier message du plaignant avait été reçu.

À 0 h 34 min 50 s, l’AT no 3 a cogné plus fort huit fois à la porte de l’appartement, puis l’AI a répondu à l’AT no 1, qui venait de lui dire que le dernier message avait été reçu du plaignant environ une heure plus tôt.

À 0 h 35 min 19 s, l’AT no 3 a cogné huit fois à la porte.

À 0 h 35 min 35 s, l’AI a communiqué avec le Service de police régional de Waterloo à l’aide de sa radio de police et il a demandé de sonder par PING le téléphone cellulaire du plaignant.

À 0 h 35 min 38 s, l’AT no 2, qui était appuyé au mur pour percevoir les sons à l’intérieur de l’appartement du plaignant, a levé l’index de la main droite pour faire signe aux autres agents dans le couloir de ne pas faire de bruit.

À 0 h 35 min 46 s, l’AT no 3 a frappé très fort treize coups à la porte du plaignant. L’un des agents [vraisemblablement l’AT no 1] a tenté d’appeler le téléphone cellulaire du plaignant et l’AI a dit : [Traduction] « Attends une seconde. »

Les AT nos 2 et 3 sont demeurés près de la porte du plaignant, tentant manifestement de déceler des sons à l’intérieur de l’appartement.

À 0 h 36 min 44 s, l’AI a dit que l’appel au cellulaire du plaignant avait abouti directement à la boîte vocale.

À 0 h 36 min 52 s, à la demande de l’AI, le TC no 5 lui a remis la clé électronique pour la porte du plaignant, puis il s’est éloigné.

À 0 h 36 min 56 s, l’AI tenait le passe-partout électronique entre les doigts de sa main droite. À peu près au même moment, l’AT no 2 est parti de la porte du plaignant à la suite du TC no 5 en parlant avec celui-ci pendant qu’il était près de l’AT no 1, qui est demeuré à la droite de l’AI. Au même moment, l’AT no 3 a cogné vigoureusement dix fois à la porte du plaignant.

À 0 h 37 min 6 s, l’AT no 3 a dit d’une voix moyennement forte et sur un ton engageant : « C’est la police. Nous voulons seulement vous parler. Pouvez-vous venir à la porte s’il vous plaît? »

À 0 h 37 min 10 s, l’AT no 3 a arrêté de parler et l’AT no 2 avait repris sa position initiale, près de la porte de l’appartement du plaignant.

À 0 h 37 min 14 s, l’AI a dit : [Traduction] « Dès que nous aurons les résultats de la localisation du téléphone cellulaire, même si nous n’obtenons qu’un résultat qui n’est pas à jour, nous allons entrer. »

À 0 h 37 min 30 s, l’AT no 3 a encore cogné vigoureusement dix coups à la porte du plaignant. Lorsqu’il a arrêté, l’AI a dit : [Traduction] « Bon, en entrant, couvrez d’abord la zone de la fenêtre. » Puis, les agents ont semblé se mettre à parler entre eux à voix basse pour déterminer où ils allaient se diriger à l’intérieur de l’appartement du plaignant à partir de leur position dans le couloir.

À 0 h 38 min 9 s, l’AT no 3 s’est penché vers la porte du plaignant et a cogné à treize reprises sur la porte puis, à 0 h 38 min 14 s, l’AT no 3 a dit en direction de la porte : [Traduction] « Nous voulons seulement vous parler. Pourriez-vous venir à la porte s’il vous plaît? »

À 0 h 38 min 27 s, la caméra d’intervention de l’AI a enregistré un bruit donnant l’impression que quelque chose était en train d’être cassé [présumément la fenêtre du salon] dans l’appartement du plaignant et les AT nos 2 et 3 ont sursauté pendant que le bruit se prolongeait. L’AT no 2 a regardé l’AI en lui faisant signe de se dépêcher et en disant : [Traduction] : « Allons y, vite! »

À 0 h 38 min 31 s, l’AI était à la porte de l’appartement du plaignant. Il avait la main sur la poignée de la porte pour essayer de débloquer la serrure pendant qu’il appuyait frénétiquement la clé électronique sur le récepteur de signal de la serrure et autour. Une lumière rouge s’est allumée deux fois, puis la lumière est devenue verte pendant que la poignée était tournée complètement vers le bas, débloquant ainsi le verrou interne.

À 0 h 38 min 36 s, l’AI a réussi à ouvrir la porte de l’appartement partiellement, mais l’ouverture était suffisante pour qu’il puisse franchir le seuil. Il a été suivi des autres agents.

À 0 h 38 min 43 s, l’AI était devant la fenêtre donnant sur l’extérieur. Un autobus de Grand River Transit avançait lentement pour emprunter la rue Phillip.

À 0 h 38 min 47 s, l’AI a examiné la scène de l’autre côté de la fenêtre et, il a dit à sa radio de police portative : [Traduction] « Un homme a sauté par la fenêtre. Il faut une ambulance immédiatement. »

À 0 h 38 min 55 s, l’AI a envoyé un autre message radio, qui disait ceci : [Traduction] « OK. Nous sommes sur place. Nous allons bloquer les lieux. »

À 0 h 39 min 10 s, l’AI a dit ce qui suit : [Traduction] « OK. Quelqu’un doit descendre boucler les lieux. Il faut bloquer l’accès. »

L’AT no 1 est sorti de l’appartement pour se rendre jusqu’au plaignant, sur le sol dehors, et vérifier son état. Pendant ce temps, l’AI, l’AT no 2 et l’AT no 3 ont inspecté l’appartement du plaignant, mais ils n’y ont trouvé aucun autre occupant.

Documents obtenus du service de police

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants que lui a remis, à sa demande, le Service de police régional de Waterloo :
  • les enregistrements des communications audio;
  • les données de la caméra d’intervention;
  • les notes des AT et de la TES;
  • la liste des témoins civils;
  • le rapport détaillé du système de répartition assisté par ordinateur;
  • le portfolio de photos d’identification médicolégale;
  • le rapport d’incident général d’un agent non désigné;
  • le sommaire de l’entrevue de cinq témoins;
  • le rapport du système de gestion des documents : liste des agents en cause dans l’incident;
  • le rapport général des renseignements régionalisés de la police et des données entrées par un agent non désigné;
  • la procédure du Service de police régional de Waterloo concernant les personnes atteintes d’une maladie mentale ou d’une déficience intellectuelle ou souffrant de troubles affectifs;
  • le rapport de mort subite;
  • le rapport supplémentaire de deux agents non désignés;
  • les registres de formation de l’AI.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu et examiné des captures d’écran sur le téléphone cellulaire de le TC no 4.

Description de l’incident

Le scénario suivant ressort des éléments de preuve collectés par l’UES, soit les entrevues avec l’AI et trois autres agents qui étaient présents au moment des événements. Des enregistrements vidéo de caméra d’intervention ont aussi été utiles pour l’enquête.

Vers 0 h 20 le 11 janvier 2022, des agents, y compris l’AI, ont été dépêchés à un immeuble de la rue Phillip, à Waterloo. Ils allaient vérifier l’état du plaignant, après avoir reçu un appel de son ex-petite amie disant qu’il menaçait de se suicider. Il s’agissait de le TC no 4, qui avait reçu des textos du plaignant lui demandant d’aller le voir à son appartement et menaçant de se faire du mal si elle n’y allait pas. Dans ses messages, il parlait de se jeter en bas de son appartement si la police était envoyée chez lui. Ce détail avait aussi été mentionné par le TC no 4 à la police.

L'AI est arrivé à l’immeuble et est monté à l’étage du plaignant en ascenseur avec des agents témoins et un agent de sécurité, soit le TC no 5, qui était en possession d’un passe-partout. Les agents se sont positionnés dans le couloir, à l’extérieur de l’appartement du plaignant, et ils ont attendu en silence un bon moment pour voir s’ils entendraient du bruit venant de l’intérieur. Comme ils ne percevaient aucun son, ils ont décidé de frapper à la porte. C’est l’AT no 3 qui a cogné, mais personne n’a répondu. L’AT no 3 a recommencé, en disant cette fois à voix haute qu’il s’agissait de la police et qu’ils voulaient parler au plaignant. Après avoir cogné quelques minutes et avoir parlé au plaignant à travers la porte, les agents ont entendu un bruit de verre cassé à l’intérieur de l’appartement.

Le plaignant avait utilisé un petit haltère pour fracasser la fenêtre du salon. Peu après, il a sauté par la fenêtre et est tombé sur le sol en bas. Il était alors environ 0 h 38.

Lorsque les agents ont entendu le bruit de verre cassé, l’AI s’est servi du passe-partout pour déverrouiller la porte et entrer dans l’appartement. Il a perdu un peu de temps à cause d’une chaise qui avait été placée derrière la porte pour empêcher que quiconque puisse entrer. L’agent a quand même réussi à pousser la chaise suffisamment pour pénétrer dans l’appartement et constater que la fenêtre du salon avait été cassée. En regardant par l'ouverture sur le sol en bas, l’AI a vu le corps du plaignant. Il a alors demandé une ambulance par radio.


Cause du décès

À l’autopsie, le médecin légiste a indiqué que, d’après un examen préliminaire, le décès du plaignant était attribuable à de multiples traumatismes contondants. Il a ajouté que les blessures du plaignant [Traduction] « concordaient avec ce qu’on observe habituellement après une chute d’une certaine hauteur. »

Dispositions législatives pertinentes

Les articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle ayant causé la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Aux premières heures le 11 janvier 2022, le plaignant a perdu la vie en se jetant par la fenêtre de son appartement. Puisque des agents du Service de police régional de Waterloo avaient été envoyés à sa résidence et étaient à la porte de son appartement lorsque le plaignant a sauté par la fenêtre du salon, l’UES a été avisée de l’incident et a entrepris une enquête. L’un des agents sur place, soit l’AI, a été désigné comme l’agent impliqué. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle ayant un lien avec le décès du plaignant.

La seule infraction potentielle à prendre en considération est celle de négligence criminelle ayant causé la mort contraire à l’article 220 du Code criminel. Elle ne s’applique que dans les cas de grave négligence qui dénote une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Un simple manque de diligence n’est pas suffisant pour donner lieu à une responsabilité en vertu de cette disposition. La conduite doit représenter un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation. Ce qu’il faut déterminer dans ce dossier, c’est si la manière dont l’AI a agi dans les circonstances en relation avec le plaignant représente de sa part un manquement ayant contribué au décès qui est grave au point de mériter une sanction criminelle. À mon avis, ce n’est pas le cas.

L'AI et ses collègues étaient dans l’exercice légitime de leurs fonctions lorsqu’ils sont arrivés à l’appartement du plaignant. L’obligation première d’un policier est de protéger et de préserver la vie. Puisque les agents savaient que le plaignant était mentalement perturbé, je suis d’avis qu’ils avaient le devoir de prendre des mesures raisonnables pour assurer sa sécurité.

La décision des agents de se rendre à la porte de l’appartement du plaignant et d’annoncer leur présence doit être examinée soigneusement. Ils savaient que le plaignant avait dit à sa petite amie qu’il saurerait de son appartement si la police se rendait chez lui. Il a donc mis sa menace à exécution peu après avoir entendu l’AT no 3 cogner et dire que c’était la police. Il a alors fracassé la fenêtre du salon et s’est tué en sautant en bas.

Il importe toutefois de signaler que les agents avaient une décision difficile à prendre. En effet, ils savaient que leur simple présence risquait d’inciter le plaignant à se faire du mal. Par contre, ils pouvaient aussi craindre qu’il se fasse du mal de toute façon puisqu’il avait envoyé au TC no 4 des messages dans lesquels il disait notamment qu’il allait se tuer si elle n’allait pas le voir à son appartement. Dans les circonstances, il ne m’est pas possible de conclure raisonnablement que l’AI et ses collègues ont agi avec une insouciance téméraire à l’égard du bien être du plaignant en agissant comme ils l’ont fait. Il faut dire à cet effet que les agents ont fait ce qu’ils pouvaient pour atténuer les risques que représentait leur présence sur les lieux : ils n’avaient pas leur équipement d’urgence activé lorsqu’ils étaient arrivés à l’immeuble, ils s’étaient stationnés du côté de l’immeuble opposé à celui de l’appartement du plaignant et ils ne s’étaient pas identifiés lorsqu’ils avaient cogné à la porte pour la première fois. Les choses auraient pu se passer autrement si les agents avaient eu accès à l’équipe mobile intégrée d’intervention en situation de crise (IMPACT) du Service de police régional de Waterloo, qui permet aux agents de travailler en partenariat avec l’Association canadienne pour la santé mentale pour pouvoir intervenir plus efficacement auprès de personnes vivant une situation de crise en santé mentale. Malheureusement, cette équipe n’était pas disponible au moment de l’ incident.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a donc pas de motifs raisonnables de croire que l’AI n’a pas respecté les normes de diligence prescrites par le droit criminel lorsqu’il s’est présenté chez le plaignant. On peut douter du bien-fondé de la décision de l’AI, mais quoi qu’il en soit, j’ai la conviction que la conduite de l’agent ne représente pas un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable. Par conséquent, il n’y a pas lieu de porter des accusations dans cette affaire et le dossier est clos.




Date : 5 mai 2022




Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les enregistrements contiennent des renseignements personnels confidentiels qui ne peuvent être divulgués, conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les renseignements utiles pour l’enquête sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]

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