Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-PFD-402

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 57 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 25 novembre 2021, à 11 h 37, la Police provinciale de l’Ontario contacté l’UES et donné le rapport qui suit.

Le 25 novembre 2021, vers 10 h 05, l’agent impliqué (AI) s’est rendu à une propriété rurale, dans le secteur de Highway 49 et Highway 37, pour enquêter sur une plainte de vol d’essence. À son arrivée à la résidence, il a été confronté par un homme [maintenant connu comme étant le plaignant] qui a pointé une carabine sur lui. L’AI a dégainé son pistolet et a fait feu une fois [on sait maintenant que c’était en fait sept fois], puis s’est éloigné. L’AI a appelé des renforts et a attendu leur arrivée. Lorsque d’autres agents sont arrivés, ils sont retournés sur la propriété pour chercher l’homme avec la carabine. Ils l’ont trouvé décédé sur la terrasse à l’arrière de la résidence.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 25 novembre 2021 à 13 h 50

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 25 novembre 2021 à 15 h 08

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 3

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires (SSJ) de l’UES ont examiné la scène, prélevé des douilles de cartouches, pris des photographies et une vidéo, et ont utilisé une station totalisatrice pour prendre des mesures et dessiner un schéma des lieux.

Les enquêteurs ont fait le tour du secteur à la recherche de témoins.

Une carabine de calibre .44, une cartouche cabossée et le pistolet de l’AI ont été transmis au Centre des sciences judiciaires (CSJ) pour examen.

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 57 ans, décédé


Agents impliqués

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 3 décembre 2021.


Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

Les agents témoins ont participé à une entrevue le 27 novembre 2021.


Éléments de preuve

Les lieux

Le 25 novembre 2021, les SSJ de l’UES sont arrivés sur les lieux, près de l’intersection des routes Highway 49 et Highway 37, à Bobcaygeon.

Il s’agit d’une région rurale peu peuplée. La résidence était une maison individuelle, avec un garage attenant. Un véhicule de police banalisé – un Ford Interceptor (Taurus) argenté à 4 portes – se trouvait dans l’allée de la résidence, devant la porte de garage qui était fermée. Le moteur tournait et la portière avant droite était ouverte.

À l’arrière de la résidence, une porte piétonne ouverte donnait accès à un garage dans lequel un véhicule était stationné.

Une porte piétonne, qui était fermée, donnait accès au palier à l’arrière de la résidence. Les enquêteurs ont découvert à cet endroit une carte d’affaires de la Police provinciale, au nom de l’AI, sur laquelle était inscrit à la main [traduction] « Veuillez m’appeler S.V.P »

Il y avait une terrasse à l’arrière de la résidence, avec une main courante sur le pourtour. L’impact d’une balle était visible sur la face inférieure de la main courante – à 0,7 mètre du mur de la maison. L’encoche créée par la balle dans la main courante en bois avait une longueur d’environ 8 centimètres. La seule porte permettant d’accéder de l’intérieur de la maison à la terrasse était ouverte. Le corps du plaignant était sur la terrasse, recouvert d’une bâche bleue.

Le plaignant était sur le dos, la tête vers le sud et les pieds vers le nord. Sa jambe droite était étendue tandis que sa jambe gauche était repliée au niveau du genou, avec la partie inférieure sous la jambe droite. Il avait le bras gauche sous le torse et le bras droit le long de son côté droit. Il était vêtu de pantoufles (la pantoufle gauche était enlevée), d’un jean bleu avec ceinture noire et d’une chemise à manches longues à carreaux foncés qui était déboutonnée, exposant sa poitrine. Il y avait une grande flaque de sang entre la maison et l’endroit où se trouvait le plaignant. De grandes taches de sang étaient visibles sur ses vêtements et sur la partie exposée de sa peau.

Une carabine à levier Winchester modèle 94AE de calibre .44 se trouvait dans le coin sud-ouest de la terrasse. Le canon pointait vers la maison. Le levier de détente était partiellement ouvert. Le levier d’armement était reculé ou armé. La carabine était tachée de sang. Une cartouche de calibre .44 était dans la culasse. L’amorce de la cartouche semblait avoir été frappée.

Figure 1 - La carabine à levier Winchester modèle 94AE de calibre .44.

Figure 1 - La carabine à levier Winchester modèle 94AE de calibre .44.


Le plaignant avait un pistolet Jennings modèle J-22 dans la poche arrière droite de son pantalon. Le pistolet était chargé d’une cartouche de calibre .22 et d’un chargeur de cinq cartouches de calibre .22. Il était en mode sécurisé.

Figure 2 - Le pistolet Jennings modèle J-22.

Figure 2 - Le pistolet Jennings modèle J-22.


Les enquêteurs ont examiné les lieux avec des détecteurs de métaux et des outils à main et ont repéré un total de sept douilles de cartouches de 9 mm près de l’allée piétonne menant à l’arrière de la maison.

Le rez-de-chaussée de la maison comprenait des chambres à coucher, une salle de bain, un salon, une salle à manger et une cuisine. Il y avait deux carabines sur un support mural dans une chambre.

Dans le salon, sur une petite table, il y avait des blocs de papier sur lesquels étaient inscrits les nombres de cas de COVID quotidiens en Ontario. Il y avait deux carabines sur la table de la salle à manger.

Éléments de preuve matériels

Le 26 novembre 2021, l’UES a récupéré les munitions, les chargeurs et le pistolet de l’AI, composé des éléments suivants :
  • Pistolet Glock 17M avec une lampe de poche Sure-Fire attachée.
  • Le premier chargeur de rechange contenait dix cartouches réelles de 9 mm. Le deuxième chargeur de rechange en contenait 17. Le pistolet contenait 17 cartouches réelles de 9 mm dans le chargeur et une cartouche réelle dans la culasse.
Chiffre 3 - Le pistolet Glock 17M.

Chiffre 3 - Le pistolet Glock 17M.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

L’UES a obtenu les enregistrements audios et vidéos décrits ci-après.


Vidéo d’un drone

Le 25 novembre 2021, l’UES a reçu des séquences vidéo prises par un drone de la Police provinciale. Ce qui suit est un résumé de cette vidéo qui n’avait pas d’horodatage ni de fonction audio.

Le drone visait la résidence et la propriété environnante, en planant au-dessus de la maison. On peut voir un corps allongé sur la terrasse arrière. Seule la partie sous la taille est visible, le haut du corps étant dissimulé par le rebord du toit. Le drone change de position et on peut voir le plaignant à plat ventre sur la terrasse arrière en bois, devant la porte de la maison. Sa tête est tournée vers la droite. Il porte un jean bleu, une chemise bleue et des chaussures. Sa tête est sur le seuil de la porte et son corps fait un angle de 45 degrés par rapport à la maison. Le bras droit du plaignant est sous son corps et le bras gauche plié à angle droit vers la gauche au niveau du coude. Quand le drone se rapproche et tourne en rond, on peut voir une carabine sous le plaignant, pointée vers la gauche. La carabine est sous le corps du plaignant – la seule partie qui dépasse est le canon. La main gauche du plaignant n’est pas sur la carabine. Le plaignant ne bouge pas.


Enregistrements des communications

Le 1er décembre 2021, l’UES a reçu les enregistrements des communications de la Police provinciale. Il n’y avait pas d’horodatage. En voici un résumé :

À 10 h 03 min 1 s, l’AI crie [traduction] : « Coups de feu tirés à [adresse], j’ai besoin de renfort. Je recule, il y avait un homme derrière la maison, il avait une carabine, il l’a pointée sur moi. En dernier, sur la terrasse arrière de la résidence, il était par terre quand j’ai battu en retraite. Il était là-bas sur la terrasse arrière; je ne peux pas l’entendre maintenant. Je suis devant la maison à couvert, donc je vais attendre des renforts. Je ne peux pas le voir en ce moment; il était à l’arrière de la maison. »

L’AI donne des renseignements supplémentaires et dit qu’il a jeté un coup d’œil sur la terrasse et a vu une botte par terre. Il pense que l’homme est allongé sur la terrasse.

Le « plan d’action initial » envisagé prévoit de bloquer la circulation aux alentours, de déployer l’Équipe d’intervention en cas d’urgence (EIU) et de mettre en place un poste de commandement.

Il est signalé que neuf membres de l’EIU se rendent sur les lieux et qu’on va aussi déployer un drone.
On utiliserait le drone pour tenter d’obtenir une réaction de la part de l’homme. Le drone permet de voir une des mains de l’homme ¬– l’autre main semble être sous son corps. Il est noté que les images montrent quelque chose de rouge, comme du sang, sous l’homme.

Quelqu’un mentionne que la vidéo du drone montre ce qui semble une arme d’épaule sous le corps de l’homme.

On demande ensuite que les Services médicaux d’urgence se rendent sur les lieux. Des agents sont dans la maison et sur la terrasse arrière. Ils escorteront les ambulanciers paramédicaux jusqu’à l’homme sur la terrasse arrière. Il est noté que l’homme n’a pas de pouls.

On signale que des agents d’intervention tactique ont vérifié la maison et que les ambulanciers paramédicaux sont maintenant sur les lieux, escortés par des agents de l’EIU.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a examiné les dossiers suivants que lui a remis le Détachement de Kawartha Lakes de la Police provinciale :
  • Schéma des lieux dessinés par l’AI;
  • Notes des ATs;
  • Rapports d’incident (x 3);
  • Vidéo prise par un drone;
  • Enregistrements des communications.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES examiné les dossiers suivants que lui ont remis les services médicaux d’urgence de Kawartha Lakes :
  • Rapport d’incident et d’appel d’ambulance.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec l’AI et avec deux autres agents qui se sont rendus sur les lieux après la fusillade. L’enquête a également été facilitée par un examen médicolégal des lieux et des éléments de preuve.

Le 25 novembre 2021, vers 10 h, l’AI s’est retrouvé dans la cour arrière d’une maison située près de Highway 37 et Highway 49, à Bobcaygeon. Il était venu parler au plaignant d’un vol d’essence survenu dans une station-service Shell ce matin-là. Avant d’aller chez le plaignant, l’agent s’était rendu à la station-service où il avait visionné la vidéo du vol. En fait, l’AI était déjà venu au domicile du plaignant la veille pour enquêter sur un autre vol d’essence survenu à la même station-service en septembre et dont le plaignant était également le suspect. L’AI était alors reparti sans avoir pu parler à qui que ce soit dans la maison. Le 25 novembre, l’AI a frappé à la porte du rez-de-chaussée, à l’arrière de la maison. Cette fois encore, personne n’a répondu, mais l’agent pouvait entendre de la musique provenant de l’intérieur de la maison. Le volume de la musique a augmenté et, au bout de quelques minutes, l’AI a entendu la porte coulissante de la terrasse arrière s’ouvrir, au nord de l’endroit où il se trouvait, et un homme apparaître.

Cet homme était le plaignant. Il était sorti sur la terrasse arrière en tenant une carabine dans la main gauche – une carabine à levier Winchester modèle 94AE de calibre .44. Le plaignant est passé devant un barbecue sur la terrasse, s’est retourné pour faire face à l’AI et lui a dit de s’en aller, tout en levant sa carabine et en la pointant vers l’agent.

À la vue du plaignant qui pointait l’arme sur lui, l’AI lui a crié de lâcher son arme, tout en reculant de quelques pas et en dégainant son pistolet. D’une distance initiale de six à sept mètres au sud de l’endroit où se trouvait le plaignant sur la terrasse, l’agent a tiré sept coups en succession rapide. Le plaignant a été touché et s’est écroulé sur la terrasse. L’AI a continué de reculer, en contournant le coin de la maison, jusqu’à sa voiture de patrouille qui était garée dans l’allée devant la maison. Il a annoncé par radio que des coups de feu avaient été tirés et a demandé de l’aide. Il était alors 10 h 03.

L’AT no 1 et l’AT no 2 ont entendu le message de l’AI et sont arrivés sur les lieux environ 15 minutes plus tard. L’AI leur a brièvement expliqué ce qui s’était passé. Comme ils ne savaient pas si le plaignant était neutralisé, ils ont décidé de se mettre à l’abri derrière le véhicule de police de l’AT no 1 en attendant l’arrivée de renforts.

Au cours de l’heure qui a suivi, des agents d’intervention tactique ont commencé à arriver sur les lieux et ont essayé de déterminer l’état du plaignant. Au moyen d’un drone, ils ont finalement pu confirmer la présence du plaignant sur la terrasse arrière et le fait qu’il semblait sans vie. Les agents sont entrés dans la maison et sur la terrasse arrière. Après s’être assurés que l’endroit ne présentait aucun risque, ils ont escorté des ambulanciers paramédicaux sur les lieux. Le plaignant était décédé.


Cause du décès

Le pathologiste chargé de l’autopsie était d’avis préliminaire que le décès du plaignant était attribuable à une blessure par balle à l’épaule gauche. Le plaignant avait été touché par deux coups de feu – en haut de l’épaule gauche et au côté inférieur gauche de l’abdomen.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle causant la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Article 34 du Code criminel – Défense de la personne — emploi ou menace d’emploi de la force


34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;; 
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

a) la nature de la force ou de la menace;
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme; 
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause; 
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace; 
f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force; 
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé le 25 novembre 2021, à son domicile, à Bobcaygeon, des suites de blessures par balle infligées par un agent de la Police provinciale de l’Ontario. L’agent qui a fait feu a été désigné comme agent impliqué (AI) aux fins de l’enquête de l’UES qui a suivi. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec le décès du plaignant.

L’article 34 du Code criminel codifie le droit de la légitime défense au Canada. Il prévoit que la force utilisée pour repousser une attaque raisonnablement appréhendée – que l’attaque soit réelle ou qu’il s’agisse d’une menace d’attaque – est légalement justifiée à condition que la force soit elle-même raisonnable. Le caractère raisonnable de la force doit être évalué en tenant compte des circonstances pertinentes, notamment la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et d’autres moyens étaient disponibles pour faire face à l’emploi possible de la force, le fait qu’une partie à l’incident utilisait ou menaçait d’utiliser une arme, ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction à l’emploi ou la menace d’emploi de la force. À mon avis, la force utilisée par l’AI, soit sept coups de feu avec son pistolet semi-automatique, tombait sous le coup de la protection prévue à l’article 34.

L’AI exerçait légalement ses fonctions au moment des événements en question. Après avoir visionné des séquences vidéo du plaignant apparemment en train de voler de l’essence à une station-service plus tôt dans la matinée, et sachant que le plaignant était également soupçonné d’avoir déjà volé de l’essence à la même station-service, l’agent était en droit de se présenter au domicile du plaignant pour enquêter sur ces infractions. Étant donné qu’il n’y avait pas d’entrée accessible à l’avant de la maison, je suis également convaincu que l’AI avait le droit de marcher le long d’une allée privée jusqu’à l’arrière de la maison où se trouvait une porte accessible.

Aucun des éléments recueillis par l’UES ne permet de mettre en doute le récit de l’AI selon lequel il a fait feu parce qu’il croyait que c’était nécessaire pour éviter d’être abattu par le plaignant. Les circonstances donnent crédit à cet état d’esprit de l’agent. En effet, face à ce qui semblait – et était réellement – une carabine en parfait état de fonctionnement pointée dans sa direction et entre les mains d’un individu qui refusait d’obéir à l’ordre de l’agent de la lâcher, je suis convaincu qu’une personne raisonnable aurait immédiatement ressenti le besoin d’utiliser tout ce qui était à sa disposition, en l’occurrence une arme à feu, pour se défendre contre un risque imminent de lésions corporelles graves ou de mort.

Je suis en outre convaincu que les coups de feu de l’agent constituaient un recours raisonnable à la force. L’AI faisait littéralement face au canon d’une arme à feu que le plaignant brandissait et pointait délibérément sur lui, à faible distance. Bien que l’agent ait reculé de quelques pas, il ne fait aucun doute que sa vie était en danger imminent quand il a décidé de faire feu. En effet, battre en retraite – une option que l’AI a momentanément adoptée – ne permettrait pas de se protéger complètement du danger évident et réel que le plaignant posait dans les circonstances. À cet égard, il est révélateur de noter que certains éléments de preuve suggèrent que le plaignant avait effectivement essayé de tirer sur l’agent puisqu’une cartouche réelle retirée de la culasse de son arme semblait s’être coincée. Quoi qu’il en soit, que le plaignant ait tenté ou non de faire feu, il avait certainement donné à l’agent l’impression d’être prêt et capable de le faire à tout moment. Quant au nombre de coups de feu tirés par l’AI, rien ne permet d’établir que le plaignant présentait autre chose qu’un danger clair et réel tout au long de la série de coups de feu, et que ces coups de feu étaient excessifs compte tenu de leur succession rapide, de l’évolution rapide de la situation et du fait que le plaignant n’a été touché que par deux des sept coups de feu.

Le plaignant n’a pas reçu de soins médicaux pendant environ deux heures après la fusillade, ce qui soulève la question d’un possible manque de diligence de la part de la police qui pourrait avoir causé sa mort ou y avoir contribué. L’infraction à prendre en considération à cet égard est la négligence criminelle causant la mort, une infraction visée par l’article 220 du Code criminel. Cette infraction correspond aux cas graves de négligence, qui démontrent un mépris déréglé ou téméraire pour la vie ou la sécurité d’autrui. La simple négligence ne suffit pas à engager la responsabilité : la conduite doit notamment constituer un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les mêmes circonstances.

À mon avis, aucun élément de preuve ne permet de conclure raisonnablement que l’AI ou l’un des agents qui ont participé aux opérations autour du domicile du plaignant après la fusillade ont transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel. L’AI, puis l’AT no 1 et l’AT no 2 (les premiers agents sur les lieux), ne savaient pas exactement quel était l’état du plaignant. Même s’il semblerait que le plaignant ait succombé aux coups de feu, les agents ne l’auraient pas su et ont naturellement décidé de procéder avec prudence puisque le plaignant avait une arme à feu. Dans les circonstances, je suis convaincu que la décision d’attendre l’arrivée d’agents d’intervention tactique et le déploiement de ressources policières supplémentaires, comme un drone, était prudente dans l’intérêt de la sécurité. Une fois que le drone a confirmé la présence du plaignant sur la terrasse arrière, apparemment immobile et ne constituant plus une menace active, et que les agents ont pu entrer dans la maison et vérifier qu’il n’y avait pas d’autre danger, rien n’indique qu’ils aient tardé à faire intervenir les ambulanciers paramédicaux. Malheureusement, le plaignant était alors décédé.

Pour les raisons qui précèdent, comme il n’y a aucun motif raisonnable de croire que le décès du plaignant résulte d’une conduite illégale de la part de l’AI ou d’un autre agent, il n’y a aucune raison de porter des accusations criminelles en l’espèce. Le dossier est donc clos.


Date : 24 mars 2022


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumées ci-après. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.