Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 24-PCD-458

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
  • des renseignements sur le lieu de l’incident;
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, elle perd une partie du corps ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 52 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES[1]

À 1 h 42 le 26 octobre 2024, la Police provinciale de l’Ontario a avisé l’UES du décès du plaignant.

Selon la Police provinciale de l’Ontario, à environ 21 h le 25 octobre 2024, le plaignant a appelé le centre de communication de la Police provinciale et a dit qu’il entendait des voix et qu’il venait de tirer sur deux membres de sa famille dans leur résidence, près de l’intersection entre Muskoka Road 3 North et la route 60, à Huntsville. Il avait dans la résidence un fusil et d’autres armes à feu. Des négociateurs en situation de crise et des agents de l’Équipe d’intervention d’urgence (EIU) se sont rendus sur les lieux et ils ont bouclé un périmètre de sécurité autour de la résidence. À 23 h 16, des communications avec le plaignant ont été entamées par téléphone et se sont poursuivies jusqu’à 1 h 19 [il a maintenant été établi que c’était plutôt jusqu’à 0 h 18], lorsque le plaignant y a mis un terme. Après environ 30 minutes, l’EIU a utilisé un véhicule blindé pour casser une fenêtre et déployer un drone piloté à distance pour le faire entrer dans la résidence. Le drone a détecté deux femmes décédées ainsi qu’un chien à l’étage supérieur ainsi que le plaignant, aussi décédé, à l’étage inférieur. Tous semblaient avoir reçu des blessures par balle à la tête.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : Le 26 octobre 2024, à 2 h 52

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : Le 26 octobre 2024, à 7 h 45

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 52 ans, décédé.

Témoin civil

TC A participé à une entrevue.

Le témoin civil a participé à une entrevue le 26 octobre 2024.

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 5 décembre 2024.

Agent témoin

AT A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.

L’agent témoin a participé à une entrevue le 28 novembre 2024.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question sont survenus à l’intérieur et autour à proximité d’une résidence située près de l’intersection entre Muskoka Road 3 North et la route 60, à Huntsville.

Éléments de preuve matériels

Les fenêtres et les portes de la résidence étaient lourdement endommagées et montraient des signes d’entrée par effraction.La porte d’en avant avait subi des dommages importants. La fenêtre du salon comportait jusqu’à 28 points d’impact de projectiles d’arme à feu tirés de l’intérieur. Sur le terrain devant la résidence, on observait des traces de pneu jusqu’à la porte d’en avant et une petite fenêtre était aussi endommagée, là où le véhicule blindé avait servi à enfoncé des points d’entrée.

Derrière la résidence se trouvaient des fenêtres et une porte menant au sous-sol. La plupart des fenêtres ainsi que la porte comportaient des points d’impact de projectiles d’arme à feu tirés de l’intérieur. Les fenêtres sur les côtés de la résidence comportaient aussi des points d’impact de balles d’arme à feu tirées de l’intérieur. Des résidences voisines et d’autres bâtiments avaient aussi des points d’impact. Deux femmes décédées ont été trouvées dans le salon avec des blessures évidentes à la tête. Sur le plancher du salon se trouvaient de nombreuses cartouches et douilles de calibre 7,62 mm et 9 mm.

Il y avait dans la cuisine et la salle à manger plusieurs cartouches et douilles des deux calibres sur le comptoir et par terre. Un pistolet semi-automatique de 9 mm se trouvait sur le comptoir de la cuisine, à droite de l’évier, avec deux chargeurs. Des points d’impact de balles tirées de l’intérieur ont aussi été observés à une fenêtre. On a aussi trouvé des douilles et des points d’impact sur le sol du couloir menant aux chambres et à la salle de bain. Dans les deux chambres, il y avait de nombreuses douilles sur le sol et sur les lits, et les deux fenêtres du côté sud comportaient des points d’impact de projectiles tirés de l’intérieur.

Dans l’escalier menant au sous-sol, on a trouvé des cartouches ainsi que des douilles sur les marches. Un foyer au sous-sol avait été endommagé et la fenêtre de la porte extérieure d’en arrière comportait des points d’impact de balles tirées de l’intérieur. Un grand nombre de munitions inutilisées et des chargeurs se trouvaient sur une table de salon. Le long d’un mur, on a trouvé une arme d’assaut semi-automatique. Un fourre-tout près de la table de salon renfermait un autre fusil, avec de l’équipement d’arme à feu. Le plaignant a été trouvé au pied d’un lit, étendu sur le côté gauche. Il avait des blessures évidentes du côté droit de la tête. Un fusil avec la monture appuyée contre un portant à vêtements le long du mur et la bouche du canon pointée vers le plaignant et reposant contre lui a aussi été retrouvé. La détente était vers le haut.

Le long du mur, au-dessus du lit, il y avait une tache, vraisemblablement de sang. Un seul point d’impact a été observé sur le mur. Celui-ci avait été perforé et le projectile était ressorti dans la pièce voisine. Il y avait d’autres points d’impact, y compris un avec perforation dans une étagère à livres. Un projectile a perforé la porte et poursuivi sa course jusqu’au mur du fond d’un placard, où il a endommagé le gypse. La tache de sang sur le mur ainsi que le projectile récupéré donnaient l’impression que le projectile provenait du fusil se trouvant à proximité du défunt.

Les objets suivants ont été réunis par les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES et ont été soumis au Centre des sciences judiciaires pour des analyses :

  • dix douilles trouvées sur le plancher près du plaignant;
  • un fusil SKS de modèle Simonov aussi près du plaignant.

Éléments de preuves médicolégaux

Un seul projectile récupéré dans le mur derrière le plaignant, qui, croit-on, aurait été tiré par lui et aurait causé sa mort, a été recueilli par les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES et remis à la Section de la biologie et à la Section des armes à feu du Centre des sciences judiciaires (CSJ) pour des analyses.

Le 29 janvier 2025, un rapport produit par la Section de la biologie du CSJ a révélé qu’aucune trace de sang n’avait été détectée sur le projectile. Par conséquent, aucune analyse comparative d’ADN n’a été effectuée. Le projectile a été transmis à la Section des armes à feu du CSJ pour une comparaison avec le fusil retrouvé près du plaignant. Les résultats d’analyse des armes à feu restent à venir.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[2]

Enregistrements des appels au 911

À 20 h 46 le 25 octobre 2024, trois appels au 911 faits par des résidents du secteur ont été reçus par le centre de communication de la Police provinciale. Les résidents ont signalé avoir entendu un grand nombre de coups de feu.

À 21 h, le plaignant a aussi appelé le centre de communication pour signaler qu’il entendait des voix dans sa tête et qu’il en était malheureusement venu à tirer sur deux membres de sa famille avec un fusil. Il avait toujours le fusil en sa possession et comptait rester à la maison et relaxer. Les deux femmes décédées étaient sur le sofa du salon, avec le chien de la famille.

À 21 h 3, le plaignant a dit entendre très clairement des voix et qui n’étaient pas des hallucinations.Il a refusé de déposer son arme à feu chargée. Il se déplaçait avec et il tirait encore des coups de feu. Il ne voulait pas que des agents entrent et il refusait aussi de sortir. Il n’avait pas envie de passer sa vie en prison et avait l’intention de se suicider. Les voix lui disaient qu’il n’en avait plus pour longtemps.

À 21 h 10, le plaignant ne voulait toujours pas sortir et aller à la rencontre des agents. Il voulait seulement qu’on le laisse tranquille et disait que la police n’avait aucune chance de le faire sortir. Son arme était un fusil à lunette de calibre .30, et il avait aussi en sa possession deux armes de poing de 9 mm. Le plaignant parcourait le sous-sol et il avait tiré sur deux membres de sa famille environ deux heures plus tôt. Leur décès ne faisait aucun doute.

À 21 h 16, le plaignant n’a pas voulu laisser entrer des agents pour qu’ils puissent vérifier l’état des membres de sa famille et il ne leur recommandait pas de le faire, à cause du danger que cela aurait représenté. Il n’avait aucun doute que les membres de sa famille étaient bel et bien décédés et qu’il irait en prison pour le reste de sa vie.

À 21 h 20, le plaignant a dit croire que ses voisins tentaient de l’assassiner. Entre 18 h et 19 h ce soir-là, il avait vu des voisins sur leur terrasse avec des armes à feu. Puisqu’il était imminent que les voisins viennent les tuer, il a pris les devants et l’a fait lui-même.

À 21 h 25, le plaignant a indiqué qu’il avait tiré sur les membres de sa famille à deux reprises de chaque côté de la tête et qu’il avait aussi tiré quelques coups sur leur chien. Il lui restait assez de munitions pour tirer encore beaucoup.

À 21 h 26, le plaignant a refusé de fermer le gaz et a dit qu’il songeait à faire sauter la maison. Une alarme sonnait en arrière-plan.

À 21 h 27, le plaignant se déplaçait dans la maison, pour profiter de ses derniers instants.

À 21 h 40, le plaignant a indiqué qu’il avait tiré au hasard en direction de ses voisins à peu près au même moment qu’il avait tiré sur un membre de sa famille.

À 21 h 59, le plaignant a signalé qu’il paniquerait si des agents entraient pas la force dans la maison.

À 22 h 34, le plaignant a dit qu’il ne croyait pas qu’aucun agent ne se trouvait dans le garage et qu’il tirerait sur eux s’il s’y en avait.

À 22 h 54, le plaignant a demandé comment s’enlever la vie. Il a demandé ce que les agents avaient prévu et ce qui se passait en dehors de sa résidence.

Communications par radio de la Police provinciale et rapport du système de répartition assisté par ordinateur

À 21 h 1 le 25 octobre 2024, des agents ont été dépêchés par le centre de communication de la Police provinciale pour un incident lié à la possession d’armes dans le secteur de l’intersection entre Muskoka Road 3 North et la route 60 lorsque des voisins ont signalé avoir entendu des coups de feu depuis cinq minutes. On a ensuite appris que le plaignant avait signalé avoir tiré sur deux membres de sa famille. Le plaignant refusait de se départir de son arme à feu chargée et il ne voulait pas que qui que ce soit entre dans la résidence. Il refusait de sortir et ne voulait pas passer le reste de sa vie en prison. Il avait l’intention de se suicider.

À 21 h 4, l’Équipe d’intervention d’urgence (EIU) et l’Unité tactique et de secours (UTS) ont été appelées.

À 21 h 9, des agents de police sont arrivés sur les lieux.

À 21 h 28, des agents ont senti une odeur de propane.

À 21 h 44, des agents ont vu le plaignant dans la maison, près de la porte d’en avant.

À 21 h 56, l’UTS a été déployée.

À 23 h 4, l’énoncé de la mission a été diffusé à la radio : [Traduction] Sécuriser les lieux, gérer la situation, amener le plaignant à se rendre de façon pacifique et mettre tout en œuvre pour protéger la sécurité du public et des unités. Entrer légalement sur la propriété en vertu des pouvoirs d’usage de la force prescrits par l’article 25.

À 0 h 48, l’UTS a enfoncé des portes et une fenêtre de la maison et y a fait entrer un drone. Le plaignant et deux femmes avec des blessures étaient à l’intérieur. Le plaignant avait une blessure par balle qu’il semblait s’être infligée lui-même.

Communications par radio de la Police provinciale avec l’UTS

Un agent [présumément l’AT] a signalé qu’une entrée par effraction provoquerait une réaction dangereuse.

Un agent a dit que si les négociations se passaient bien, ils attendraient, mais ils s’inquiétaient des autres personnes dans la maison. L’agent sentait une odeur de gaz naturel.

L’AT a donné le signal d’aller de l’avant avec l’entrée par effraction et il a dit qu’il allait transmettre l’information à jour sur l’avancement des négociations.

L’AT a demandé si quelqu’un avait entendu un coup de feu, et les agents ont répondu que non, juste des sons de vitre fracassée.

L’AT a signalé que les communications avec le plaignant avaient été interrompues et que les négociateurs en situation de crise avaient entendu ce qui leur avait semblé un coup de feu.

Un agent a signalé que le drone était dans le garage. La porte de la maison était ouverte et donnait sur la cuisine. Un pistolet se trouvait sur le comptoir et il y avait une porte donnant sur un escalier qui menait à l’étage plus bas. Deux femmes décédées ont été trouvées.

Au sous-sol, le plaignant était couché sur le ventre sur un lit. Il y avait du sang frais et le plaignant avait une blessure à la tête. Un long fusil avec une monture en bois se trouvait à côté de lui.

Des agents sont entrés dans la résidence, suivis des membres de l’EMS. Le décès des trois personnes a été confirmé.

Communications avec un négociateur en situation de crise de la Police provinciale

Le plaignant a répondu au téléphone. Le négociateur s’est présenté et a demandé au plaignant comment il allait et ce qui se passait. Celui-ci a répondu qu’il en était venu à tirer sur deux membres de sa famille et sur leur chien. Le négociateur lui a demandé si ces personnes étaient toujours dans la maison avec lui, et il a confirmé que oui et qu’elles étaient décédées. Le négociateur lui a demandé comment il savait qu’elles étaient vraiment décédées, et il a répondu que leur corps était froid et rigide. Il avait tiré dessus avec un fusil.

Le plaignant faisait les cent pas dans le garage et profitait de ses derniers instants, car il n’avait pas l’intention de rester en vie. Il a indiqué qu’il ne lui restait plus vraiment rien, qu’il aurait un tas de problèmes et qu’il ne voulait pas avoir à être jugé par un tribunal.

Le plaignant craignait ses voisins. Il disait avoir des enregistrements audio et vidéo d’eux qui tiraient des coups de feu, même s’ils n’étaient pas dirigés vers lui, mais plus généralement vers le haut. Il les avait entendus tirer des coups de feu ce matin-là. Le plaignant a déclaré avoir reçu des menaces disant qu’ils allaient le tuer et que sa famille serait ensuite assassinée. Il ne voulait pas qu’on fasse du mal ou qu’on torture sa famille, et il avait entendu des propos dégoûtants à ce sujet.

Le plaignant a confirmé avoir en sa possession un fusil de calibre .30 et une arme de poing de 9 mm et que personne d’autre ne se trouvait dans la maison. Les membres de sa famille avaient des blessures par balle partout sur le corps.

Le négociateur en situation de crise a fait valoir au plaignant qu’il serait avisé de sortir et d’avoir une discussion avec la police. Le plaignant a répondu que ce n’était pas la bonne chose à faire pour lui, car ce serait un long processus par lequel il ne voulait pas passer.

Le négociateur a alors demandé au plaignant ce qu’il comptait faire pour le reste de la nuit et il l’a assuré qu’il resterait là pour lui parler. Le plaignant a confirmé qu’il y avait deux femmes décédées dans le salon.

Le plaignant avait une arme à feu avec lui et il en avait d’autres au sous-sol. Il possédait deux armes de poing et deux fusils. Le plaignant a demandé s’il allait se faire attaquer, et le négociateur a répondu que personne n’allait lui faire quoi que ce soit. Ils avaient simplement une conversation et il voulait régler des choses avec lui. Le négociateur l’a assuré que personne n’irait le déranger à l’intérieur.

Le négociateur a demandé au plaignant s’il pouvait sortir pour que ses collègues puissent entrer et évaluer l’état des membres de sa famille, mais le plaignant a rétorqué qu’il ne voulait pas sortir.

Le plaignant croyait que ses voisins essayaient de le tuer, ce qui avait mené à la situation présente, et il a ajouté qu’ils avaient tiré des coups de feu vers 7 h 15 ce matin-là. Le plaignant avait des enregistrements audio et vidéo des voisins disant qu’ils allaient kidnapper les membres de sa famille.

Le négociateur a demandé s’il avait toujours ces enregistrements, et le plaignant a dit que oui. Les clés USB et les disques durs étaient dans un seau, et les agents pouvaient ouvrir la porte et les prendre. Le négociateur s’est dit inquiet pour la sécurité des agents qui iraient les chercher. Leurs priorités étaient d’évaluer l’état des femmes décédées et de vérifier si le plaignant allait bien.

Le négociateur a dit au plaignant que la police voulait éviter qu’il se fasse du mal. Le plaignant a répondu de ne pas entrer dans la maison par effraction. Le négociateur l’a rassuré en disant qu’ils ne le feraient pas tant qu’ils discuteraient ensemble, mais qu’ils devaient vérifier si tout le monde allait bien. Il a ajouté que la police ne voulait pas qu’il se fasse du mal. Le plaignant a répliqué que c’est malheureusement de cette manière que l’incident allait se terminer, en ajoutant qu’il resterait avec sa famille et que sa décision était prise.

Le plaignant se sentait coupable de ce qu’il avait fait aux membres de sa famille, mais il se disait heureux de leur avoir évité ce qu’elles auraient subi s’il avait été tué, car elles auraient été kidnappées et agressées.

Le négociateur l’a encouragé à sortir en lui disant que les personnes en question auraient à répondre de leurs actes et que les agents étaient disposés à l’écouter. Le plaignant a refusé de sortir à cause des conséquences qui en découleraient s’il parlait avec la police et parce qu’il risquait de se faire tuer de toute manière.

Le plaignant a ajouté qu’il n’y avait qu’une seule issue possible pour lui et qu’il ne voulait pas vivre ça, mais avait l’impression d’avoir sauvé sa famille.

Le plaignant a dit que l’incident en question s’était produit vers 19 h et qu’il avait tiré intentionnellement sans regarder au travers des stores, car il croyait que des gens entouraient sa maison à l’extérieur. Il se croyait pourchassé et il a confirmé qu’il avait tiré volontairement sur les membres de sa famille.

Le négociateur en situation de crise a parlé au plaignant d’une forte odeur de gaz à l’extérieur. Celui-ci a confirmé qu’il avait allumé le four au gaz, car il avait envisagé de faire sauter la maison en entier, mais qu’il avait depuis fermé le gaz.

Le plaignant a demandé si la police avait l’intention d’entrer, et le négociateur lui a dit que non. Le plaignant a dit qu’il avait cru entendre quelqu’un qui entrait, mais le négociateur l’a assuré que ce n’était pas le cas. Le négociateur a demandé au plaignant d’envisager de sortir, car il lui a dit qu’il ne croyait pas qu’il était une mauvaise personne. Il lui a dit qu’il s’était simplement retrouvé dans une position difficile.

Le plaignant craignait que quelqu’un soit en train d’entrer. Il a donné l’impression de s’être éloigné du téléphone, et il a dit quelque chose d’inaudible à une certaine distance.

C’est alors que la communication avec le plaignant s’est interrompue.

Enregistrement du drone de la Police provinciale

Le drone est entré dans le garage et est passé par une porte ouverte pour arriver dans la cuisine, où une arme de poing semi-automatique se trouvait sur le comptoir.

Le drone est allé dans la salle à manger et a suivi le couloir jusqu’au salon. Les feux d’urgence du véhicule blindé de dépannage éclairaient le terrain devant la résidence, comme on pouvait le voir par la porte de devant, qui était ouverte. Le drone est entré dans le salon, où deux femmes décédées se trouvaient. Les deux avaient des blessures très évidentes à la tête. Le chien de la famille se trouvait à une trentaine de centimètres aux pieds de l’une des femmes et avait aussi des blessures évidentes.

Le drone a continué son chemin dans le sous-sol, où le plaignant a été trouvé. Il avait un fusil à ses pieds, qui était appuyé sur le lit, avec la monture au sol et le canon de biais en face de lui. Il avait aussi une blessure évidente à la tête.

Documents obtenus du service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, à sa demande, la Police provinciale de l’Ontario entre le 1er novembre 2024 et le 11 février 2025 :

  • le nom et le rôle des agents en cause;
  • l’enregistrement vidéo du drone;
  • le rapport du système de répartition assisté par ordinateur;
  • les enregistrements des communications
  • les notes de l’AT;
  • la politique relative aux suspects barricadés et aux incidents mettant en cause des otages.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants reçus d’autres sources entre le 28 octobre 2024 et le 29 janvier 2025 :

  • le rapport préliminaire d’autopsie établi par le Service de médecine légale de l’Ontario;
  • le rapport de biologie du CSJ.

Description de l’incident

Le scénario qui suit ressort des éléments de preuve recueillis par l’UES, y compris l’entrevue avec l’AI, ainsi que les enregistrements audio ayant capté des images d’une partie de l’incident.

À partir d’environ 20 h 45 le 25 octobre 2024, la Police provinciale a reçu des appels au 911 de la part de résidents du secteur à proximité de l’intersection entre Muskoka Road 3 North et la route 60, à Huntsville, qui signalaient avoir entendu de nombreux coups de feu. Vers 21 h, le plaignant a appelé la Police provinciale pour indiquer qu’il avait abattu par balles deux membres de sa famille dans leur résidence. Des agents ont été dépêchés sur les lieux.

Le plaignant n’avait pas toute sa tête. Il avait entendu des bruits et était convaincu que ses voisins avaient l’intention de les tuer lui ainsi que les membres de sa famille. Il avait décidé de prendre les devants pour tuer les membres de sa famille afin de leur épargner de mourir dans de grandes souffrances qu’il croyait que des tiers leur infligeraient.

Le commandant intérimaire en situation de crise, soit l’AI, a été mis au courant de la situation et il a pris en charge les opérations policières. Sous son commandement, des agents de l’Équipe d’intervention d’urgence (EIU) et de l’Unité tactique et de secours (UTS) ont été déployés, et une équipe de négociateurs a été appelée. À environ 22 h 50, les agents de l’UTS s’étaient mis à couvert autour de la maison. Une demi-heure plus tard, les négociateurs ont communiqué avec le plaignant par téléphone. Le plaignant a refusé obstinément de sortir de la résidence comme ils le lui demandaient et il a ajouté qu’il n’allait pas tarder à se suicider. Il a dit à la police qu’il était armé d’un fusil et avait aussi des armes de poing.

Autour de 0 h 17, un véhicule blindé a été déployé. Il devait s’approcher de la maison et enfoncer des portes et des fenêtres pour qu’un drone puisse entrer et montrer l’intérieur de la résidence. Peu après, le plaignant, qui se trouvait dans une chambre du sous-sol, s’est tiré une balle dans la tête avec un fusil. Le drone a permis de trouver deux femmes décédées de blessures graves à la tête dans le salon du rez-de-chaussée, un chien aussi décédé d’une balle dans la tête dans le salon et le plaignant, décédé d’une balle dans la tête tirée par lui, au sous-sol. Des agents de l’UTS sont entrés dans la résidence vers 0 h 53.

Cause du décès

À l’autopsie, le médecin légiste a indiqué que, d’après un examen préliminaire, le décès du plaignant était attribuable à une blessure par balle perforante à la tête.

Dispositions législatives pertinentes

Les articles 219 et 220 du Code criminel : Négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

a) soit en faisant quelque chose;

b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;

b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé le 26 octobre 2024, durant une confrontation avec des agents de la Police provinciale de l’Ontario à Huntsville. L’UES a été avisée de l’incident et a entrepris une enquête, en désignant l’AI comme agent impliqué. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle en relation avec le décès du plaignant.

La seule infraction à prendre en considération dans cette affaire serait la négligence criminelle ayant causé la mort, contraire à l’article 220 du Code criminel. Elle ne s’applique que dans les cas de grave négligence qui dénotent une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. L’infraction est plutôt fondée, en partie, sur une conduite qui constitue un écart marqué et important par rapport au degré de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. Dans l’affaire qui nous concerne, la question est de savoir s’il y a eu, de la part de l’AI, un manque de diligence ayant causé le décès ou y ayant contribué qui était suffisamment flagrant pour entraîner des sanctions pénales. À mon avis, ce n’est pas le cas.

L’AI et les agents sous son commandement étaient dans l’exercice de leurs fonctions légitimes durant la série d’événements qui se sont conclus par le décès du plaignant. Ayant appris les actes du plaignant signalés, les agents avaient le devoir de se rendre sur les lieux pour faire ce qui était possible pour assurer la sécurité du public et mettre le plaignant sous garde.

Les éléments de preuve indiquent qu’à titre de commandant en situation de crise, l’AI s’est montré soucieux de la sécurité du public en tout temps. Vu la gravité de la situation, l’inspecteur a eu raison de faire de la sécurité des lieux sa priorité et de faire appel à des spécialistes, c’est-à-dire des agents de l’EIU et de l’UTS. Une fois ces personnes en place, des négociateurs spécialement formés et sous le commandement de l’inspecteur ont communiqué avec le plaignant et ont tout tenté pour qu’il se rende sans résister pour être mis sous garde. Lorsqu’il est devenu évident que les négociations piétinaient, l’AI a eu une décision difficile à prendre. Il pouvait soit poursuivre les négociations dans l’espoir d’arriver à un résultat, soit prendre des mesures plus actives. Même si le plaignant avait dit que deux membres de sa famille étaient décédés, l’inspecteur ne pouvait en être certain et la nécessité d’entrer dès que possible dans la maison pour vérifier comment ils allaient a sans doute pesé pour beaucoup. Au vu du dossier, il m’est impossible de conclure de manière raisonnable que l’inspecteur a agi trop vite ou de façon dangereuse lorsqu’il a décidé de faire enfoncer les portes et les fenêtres de la maison pour qu’un drone puisse entrer, même si, semble-t-il, c’est à ce moment que le plaignant a décidé de s’enlever la vie.

Pour les raisons qui précèdent, il n’existe pas de motifs de porter des accusations dans cette affaire, et le dossier est donc clos.

Date : Le 21 février 2025

Approuvé par voie électronique

Joseph Martino

Directeur

Unité des enquêtes spéciales

Notes

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