Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 24-TFI-160

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • des renseignements qui révèlent des
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
  • des renseignements sur le lieu de l’incident;
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant la blessure grave subie par un homme de 28 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES[1]

Le 12 avril 2024, à 14 h 47, le Service de police de Toronto (SPT) a communiqué avec l’UES pour lui transmettre l’information suivante.

À 13 h 35, l’AI et l’AT no 1 ont été dépêchés à une résidence sur l’avenue Nairn, à Toronto, en raison d’un problème inconnu. Après avoir pris connaissance de la situation, les agents de police ont repéré le plaignant, qui se trouvait à un restaurant Tim Hortons, au 1269, rue College. Les agents se sont adressés au plaignant, à l’extérieur du restaurant, à propos d’un mandat d’arrestation non exécuté qui le visait. Le plaignant s’est enfui, mais a été rattrapé par les agents; les trois hommes se sont alors retrouvés au sol. Au cours de la lutte qui a suivi, le plaignant a poignardé l’AI. À ce moment, les agents ont cessé de lutter avec le plaignant et se sont éloignés de lui. L’AI no 1 a utilisé son arme à impulsions à deux reprises, tandis que l’AI a tiré avec son pistolet de service. Les services médicaux d’urgence ont transporté l’AI et le plaignant à l’Hôpital St. Michael.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 2024/04/12, à 15 h 3

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 2024/04/12, à 16 h 26

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 28 ans; a participé à une entrevue[2]

Le plaignant a participé à une entrevue le 14 avril 2024.

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 7 A participé à une entrevue

TC no 8 A participé à une entrevue

TC no 9 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à des entrevues entre le 12 et le 22 avril 2024.

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 5 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Les agents témoins ont participé à des entrevues les 15 et 16 avril 2024.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont déroulés dans un stationnement près des portes de devant d’un restaurant Tim Hortons, au 1269, rue College, à Toronto.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve matériels

Le 12 avril 2024, à 17 h 37, deux enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES sont arrivés sur les lieux du centre commercial linéaire situé à l’angle sud?est de la rue College et de l’avenue Lansdowne. Ce centre commercial abritait plusieurs commerces, dont un restaurant Papa John’s Pizza, un magasin S?Market et un restaurant Tim Hortons. De même, sur place, il y avait un stationnement pavé, où sept voitures étaient garées. Un couteau de chasse se trouvait sous une Toyota Prius grise garée juste devant le Tim Hortons.

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont photographié les lieux et les ont numérisés avec un numériseur Leica

L’UES a recueilli les vêtements que portait le plaignant, ainsi que l’uniforme complet aux couleurs du SPT, le ceinturon de service et tout l’équipement de recours à la force de l’AI. L’UES a aussi récupéré un pistolet Glock modèle 22 du SPT, avec 13 balles. Selon la politique du SPT, le chargeur doit contenir 14 balles. Les enquêteurs de l’UES ont trouvé une douille de cartouche sur le sol, à l’extérieur du Tim Hortons, ce qui confirme qu’une seule balle a été tirée.

Figure 1 – L’arme à feu de l’AI, avec 13 balles

Figure 1 – L’arme à feu de l’AI, avec 13 balles

Voici une photo du couteau trouvé sur les lieux.

Figure 2 – Couteau de chasse trouvé sur les lieux

Figure 2 – Couteau de chasse trouvé sur les lieux

Éléments de preuves médicolégaux

Données sur le déploiement de l’arme à impulsions

À 13 h 32, le 12 avril 2024, l’AT no 1 a armé son arme à impulsions en désactivant le dispositif de sécurité. Deux secondes plus tard, l’AT no 1 a appuyé sur la détente et une cartouche Bay 1 a été déployée, provoquant, depuis l’arme à impulsions, une décharge électrique qui a duré environ 1,3 seconde. Une seconde plus tard, l’AT no 1 a appuyé sur la détente une deuxième fois et la cartouche Bay 2 a été déployée, provoquant, depuis l’arme, une décharge qui a duré 1,6 seconde environ.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[3]

Enregistrements des communications de la police

Le 12 avril 2024, à 11 h 54 environ, un répartiteur du SPT demande à ce qu’une unité de patrouille disponible se rende à une résidence située sur l’avenue Nairn en raison d’un problème inconnu. L’AI se porte volontaire et il est donc dépêché sur les lieux, en compagnie de l’AT no 1.

À 13 h environ, l’AT no 1 informe le répartiteur qu’on s’inquiète de la sécurité du plaignant et il demande à ce qu’on procède à un essai d’envoi de signaux vers le téléphone de celui?ci; la démarche se révèle infructueuse.

À 13 h 14 environ, l’AT no 1 fait savoir par radio que le plaignant est recherché en vertu d’un mandat d’arrestation non exécuté et qu’il se trouve au restaurant Tim Hortons situé au 1269, rue College. Vu l’emplacement du restaurant, l’AT no 1 demande à ce qu’une unité de patrouille de la 11e division se rende sur place pour apporter son aide.

À 13 h 32 environ, on peut entendre les bruits d’une lutte par l’intermédiaire d’un micro ouvert. Ensuite, l’AI dit par radio que des coups de feu ont été tirés. L’AT no 1 informe le répartiteur que l’AI a été poignardé. On peut entendre le plaignant qui s’excuse à l’AI pour l’avoir poignardé. L’AI fait savoir qu’un coup de feu a été tiré.

À 13 h 33 environ, l’AT no 1 indique que l’AI a perdu beaucoup de sang et qu’on se sert d’une ceinture pour lui faire un garrot à la jambe. L’AI a du mal à demeurer conscient.

À 13 h 34 environ, l’AT no 1 fait savoir que le plaignant a été blessé par balle.

Enregistrements vidéo captés par la caméra d’intervention – AT no 1

Le 12 avril 2024, vers 13 h 30, on voit l’AT no 1 qui marche dans un stationnement en direction des portes de devant du restaurant Tim Hortons situé au 1269, rue College.

À 13 h 31 environ, l’AI rejoint l’AT no 1. Ayant franchi les portes extérieures, les agents de police s’arrêtent dans l’entrée et voient le plaignant et le TC no 6 qui se dirigent vers les portes intérieures. Entre les portes intérieures et extérieures, les agents s’adressent au plaignant et lui demandent s’il s’appelle « [le prénom du plaignant] ». Le plaignant nie s’appeler ainsi. Le TC no 6 et le plaignant passent à côté l’AT no 1 pour se diriger vers le stationnement. Cependant, l’AI arrête le plaignant entre les portes intérieures et extérieures. L’AT no 1 se tient derrière le plaignant. L’AI dit au plaignant qu’il doit rester sur place et qu’il ressemble à « [le plaignant] », qui est recherché en vertu d’un mandat d’arrestation non exécuté. L’AT no 1 tend la main droite et agrippe le coude gauche du plaignant. Le plaignant continue de marcher.

Le plaignant, l’AT no 1 et l’AI se trouvent alors à l’extérieur du Tim Hortons, sur le trottoir. Le plaignant nie de nouveau être [le plaignant]. Il dit qu’il n’a pas de pièce d’identité, que toutes ses pièces d’identité sont expirées. L’AI tient le plaignant par le poignet gauche, tandis que l’AT no 1 se trouve à la droite du plaignant. L’AI dit au plaignant qu’il sera menotté et placé en détention aux fins d’enquête. Il ajoute que la police veut s’assurer qu’il va bien. Le plaignant pousse alors l’AI et celui?ci trébuche. Ensuite, le plaignant s’enfuit en passant entre deux voitures garées. L’AI saisit le plaignant par?derrière avec sa main droite et les deux hommes tombent au sol. L’AI se place alors derrière l’AI pour l’aider. L’AI retient le plaignant par sa veste. Les deux hommes luttent, puis l’AI pousse un cri de douleur.

Les deux agents de police relâchent leur emprise sur le plaignant, qui se remet debout et fait face aux agents, un couteau ensanglanté dans la main droite. L’AT no 1 dégaine son pistolet de service de la main gauche; de la main droite, il tient son arme à impulsions, qu’il pointe vers le plaignant. L’AI dégaine son pistolet de service de la main droite et le pointe sur le plaignant. Du sang coule de la main droite de l’AI, à la hauteur de la poignée du pistolet. Les deux agents de police pointent leur arme à feu vers le plaignant, qui tient le couteau ensanglanté. L’AT no 1 lui ordonne de lâcher le couteau; le plaignant lui répond en criant « tirez sur moi ». Le plaignant se trouve à environ trois mètres de l’AT no 1. Dans sa radio portative, l’AI dit « agent blessé, agent blessé »[4]. Le TC no 6 se trouve à cinq mètres environ de l’AT no 1 et crie à l’attention des agents de police. Le plaignant fait toujours face aux deux agents de police et crie « tirez sur moi, tirez sur moi ». Il retire sa veste et la tient dans sa main droite. Le couteau est maintenant caché par la veste. L’AT no 1 utilise son arme à impulsions à l’endroit du plaignant. Le plaignant lève le bras droit et la décharge touche la veste, n’ayant donc aucun effet sur lui. Le plaignant se retourne vers les portes d’entrée du Tim Hortons. Avec son arme à feu, l’AI tire dans le dos du plaignant. Au même moment, l’AT no 1 utilise de nouveau son arme à impulsions. Cette fois, les mesures prises ont un effet sur le plaignant, qui tombe au sol.

Le plaignant tombe sur le dos. Le TC no 6 pousse un cri, tandis que l’AI dit « agent blessé » dans sa radio portative. L’AT no 1 avertit l’AI que le plaignant a son couteau, et l’AI est en mesure de garder son pistolet de service pointé vers le plaignant. L’AT no 1 demande qu’on envoie de l’aide. L’AI, qui saigne abondamment, tombe au sol. L’AT no 1 exerce une pression sur la jambe gauche blessée de l’AI. Le TC no 5 s’approche, retire sa ceinture et s’en sert pour faire un garrot improvisé.

Dans le reste des enregistrements vidéo captés par la caméra d’intervention, on voit ce qui s’est déroulé après l’incident, y compris les mesures de contrôle des lieux.

Enregistrements vidéo captés par la caméra d’intervention – AI

Les enregistrements captés par cette caméra sont similaires à ceux captés par la caméra de l’AT no 1, car les deux caméras ont enregistré le même événement et les agents se tenaient près l’un de l’autre. Il convient néanmoins de noter qu’après que le plaignant fut tombé au sol, l’AI a crié « j’ai été poignardé », puis « je vais te tirer dessus »[5].

L’AI se tenait à la droite de l’AT no 1, et la façade extérieure du restaurant était derrière le plaignant.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a reçu les documents suivants de la part du SPT entre le 13 et le 25 avril 2024 :

  • mandat d’arrestation à l’endroit du plaignant;
  • rapport d’incident général;
  • liste des agents concernés;
  • rapport du système de répartition assistée par ordinateur;
  • sommaire de la poursuite;
  • enregistrements des communications;
  • données sur le déploiement de l’arme à impulsions – AT no 1
  • images captées par la caméra à bord du véhicule de police;
  • notes – AT no 1;
  • notes – AT no 2;
  • notes – AT no 3;
  • notes – AT no 4;
  • notes – AT no 5;
  • enregistrements vidéo captés par les caméras d’intervention de tous les agents concernés.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les éléments suivants auprès d’autres sources les 13 et 14 avril 2024 :

  • enregistrements vidéo – ;
  • enregistrements vidéo – restaurant Tim Hortons;
  • enregistrements vidéo – 1269, rue College;
  • enregistrements vidéo – ;
  • enregistrements captés au moyen d’un téléphone cellulaire – TC no 7;
  • enregistrements captés au moyen d’un téléphone cellulaire – TC no 8;
  • images numériques fixes – TC no 6.

Description de l’incident

Les éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment les entrevues menées auprès des témoins oculaires civils et de la police ainsi que les enregistrements vidéo qui montrent les événements en question, permettent d’établir le scénario suivant. Comme la loi l’y autorise, l’AI a choisi de ne pas participer à une entrevue avec l’UES et de refuser que l’on communique ses notes concernant l’incident.

Dans l’après?midi du 12 avril 2024, l’AI et l’AT no 1 sont arrivés au restaurant Tim Hortons situé au 1269, rue College, à Toronto. Ils avaient appris que le plaignant se trouvait dans l’établissement et ils avaient l’intention de le mettre en état d’arrestation en vertu d’un mandat d’arrestation non exécuté. De même, les agents avaient parlé avec le père du plaignant plus tôt dans la journée et s’inquiétaient de la santé mentale de ce dernier.

Le plaignant se trouvait dans le Tim Hortons en compagnie du TC no 6. Depuis la table qu’ils occupaient, le plaignant et le TC no 6 se sont levés et ont entrepris de se diriger vers la sortie. Ils ont croisé les agents de police dans l’espace entre les portes intérieures et extérieures. Les agents ont demandé au plaignant s’il était « [le plaignant] ». Le plaignant a nié s’appeler ainsi et a poursuivi son chemin.

L’AT no 1 a indiqué au plaignant qu’il ressemblait au [plaignant]. Les agents ont agrippé le plaignant tout en franchissant les portes extérieures. Le plaignant a continué de nier son identité, a fait savoir qu’il n’avait pas de pièce d’identité sur lui et a demandé pourquoi on l’arrêtait. Les agents lui ont expliqué qu’il allait être placé en détention parce qu’il était soupçonné d’être la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrestation. Le plaignant a posé au sol le sac qu’il portait et, soudainement, a tenté d’échapper aux agents. Les agents l’ont immédiatement porté au sol, entre deux véhicules garés, tout juste à l’ouest des portes de devant. Les trois hommes ont lutté au sol pendant environ cinq secondes avant que le plaignant ne parvienne à sortir un couteau de sa poche et à l’utiliser pour poignarder l’AI à la jambe gauche. Plusieurs secondes se sont alors écoulées, puis l’agent, ayant constaté qu’il avait été poignardé, s’est mis à crier qu’il allait tirer sur le plaignant. L’AI et l’AT no 1 se sont remis sur leurs pieds et ont reculé quelque peu; l’AI pointait vers le plaignant son pistolet semi?automatique, qu’il tenait dans sa main droite.

Le couteau dans la main droite, le plaignant, qui s’était lui aussi remis sur ses pieds, se tenait debout face au nord, en direction des agents, entre les deux véhicules garés. Le plaignant s’est vu dire à plusieurs reprises de lâcher le couteau, mais il ne l’a pas fait. Au lieu de cela, il a regardé les agents de police et leur a crié qu’il voulait qu’ils lui tirent dessus. Le plaignant a retiré sa veste et a entrepris de se tourner quelque peu vers la droite; il a alors été atteint par une décharge d’arme à impulsions de la part de l’AT no 1 et par une balle d’arme à feu de la part de l’AI, les deux agents ayant tiré à peu près au même moment. Le plaignant a continué de se tourner vers la droite et a fait un pas vers les portes du Tim Hortons lorsqu’il a été atteint de nouveau par une décharge d’armes à impulsions de la part de l’AT no 1. Cette fois, les mesures prises ont eu un effet sur le plaignant, qui est tombé au sol, vers l’avant, devant le Tim Hortons. Il était alors 13 h 32.

Le plaignant a été mis en état d’arrestation et emmené à l’hôpital. Il avait été touché par la balle dans le haut du dos, du côté gauche.

L’AI a subi une grave lacération à l’arrière de la jambe gauche et a également été transporté à l’hôpital.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34, Code criminel – Défense de la personne – emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger – ou de défendre ou de protéger une autre personne – contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

a) la nature de la force ou de la menace;

b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a été blessé par balle par un agent du SPT le 12 avril 2024. L’UES a été avisée de l’incident et a entrepris une enquête, désignant l’AI à titre d’agent impliqué. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement à l’incident.

Aux termes de l’article 34 du Code criminel, une conduite qui constituerait autrement une infraction est justifiée aux yeux de la loi si cette conduite a pour objet de dissuader une personne de poser un geste qui représente une agression réelle ou une menace d’agression, raisonnablement appréhendée, et que la conduite est elle?même raisonnable. En ce qui concerne le caractère raisonnable de la conduite, il faut l’évaluer en fonction des facteurs pertinents, notamment en ce qui a trait à des considérations telles que la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel, la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force.

L’AI s’est placé et a agi conformément à la loi en vue de l’exécution de ses fonctions tout au long de la série d’événements ayant abouti à l’utilisation de son arme à feu. Il y avait un mandat d’arrestation à l’endroit du plaignant et l’agent a agi de manière légitime en s’employant à placer celui?ci en garde à vue sur la base de ce mandat.

En ce qui concerne l’état d’esprit de l’AI au moment où il a employé son arme à feu, même s’il n’a pas donné de témoignage direct à l’UES à ce sujet (comme la loi l’y autorise), je suis convaincu qu’il a agi pour se protéger et protéger les autres personnes se trouvant à proximité contre une agression raisonnablement appréhendée de la part du plaignant. Il s’agit là d’une déduction naturelle et raisonnable vu les circonstances. Le plaignant, qui venait d’infliger des lésions corporelles graves à l’AI et qui était toujours en possession du couteau, se trouvait à quelques mètres des agents et des clients à l’intérieur du Tim Hortons, et il se tournait justement dans cette direction lorsque l’AI a tiré. L’agent avait alors des raisons de croire que son partenaire, les personnes se trouvant dans le restaurant et lui?même étaient en présence d’une menace de blessure ou de mort.

Je suis également convaincu que la force utilisée par l’agent – un seul coup de feu – était raisonnable. Le plaignant tenait un couteau qu’il venait d’utiliser pour blesser l’AI gravement. Il refusait de le lâcher, même si les agents lui ont ordonné de le faire à de multiples reprises; au lieu de cela, il a crié qu’il voulait qu’on lui tire dessus. Il n’était pas envisageable de battre en retraite, compte tenu de la nécessité de protéger les personnes se trouvant dans le secteur et de la rapidité avec laquelle les événements se déroulaient. Dans ces circonstances, que l’AI ait cru que l’AT no 1 ou lui?même était exposé à un risque imminent d’attaque au couteau, ou que les clients à l’intérieur du Tim Hortons étaient en danger – deux préoccupations raisonnables vu l’endroit où se trouvait le plaignant, près des agents et du restaurant, ainsi que son comportement –, il était impératif que le plaignant soit maîtrisé le plus rapidement possible. L’utilisation d’une arme à feu était une tactique légitime dans les circonstances, car c’était la force requise pour arrêter le plaignant à ce moment?là[6]. Il convient de noter, à cet égard, que le recours à une arme à impulsions par l’AT no 1 à peu près au même moment n’a pas permis de neutraliser le plaignant, qui s’est alors dirigé vers les portes du Tim Hortons. Le coup de feu n’a pas non plus permis d’arrêter le plaignant (il a été neutralisé par la deuxième décharge d’arme à impulsions de la part de l’AT no 1), mais il s’agit plus d’un hasard que d’autre chose et cela n’enlève rien au caractère raisonnable de la décision d’employer l’arme.

Pour les raisons qui précèdent, j’estime qu’il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Le dossier est clos.

Date : 8 août 2024

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino

Directeur

Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Sauf en cas d’indication contraire, les renseignements contenus dans cette section correspondent à ceux reçus par l’UES au moment où elle a été notifiée et ne correspondent pas nécessairement aux conclusions de l’UES à l’issue de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Au cours de l’entretien, le plaignant a refusé de fournir des informations sur l’incident. [Retour au texte]
  • 3) Les enregistrements en question contiennent des renseignements personnels de nature délicate et ne sont donc pas divulgués, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces enregistrements sont résumées ci‑dessous. [Retour au texte]
  • 4) Il n’est pas certain que ce message ait effectivement été transmis, car il ne figure pas dans les enregistrements des communications. [Retour au texte]
  • 5) Ces paroles n’étaient pas claires dans les enregistrements captés par la caméra d’intervention de l’AT no 1. [Retour au texte]
  • 6) L’AI a crié à plusieurs reprises au plaignant, immédiatement après avoir été poignardé, qu’il allait lui tirer dessus. Soit l’AI avertissait le plaignant qu’il allait tirer en sa direction s’il omettait de lâcher le couteau et d’arrêter de se comporter comme il le faisait – une directive tout à fait compréhensible –, ou alors il exprimait une intention impulsive de représailles. À cet égard, je suis convaincu que l’agent n’a pas donné suite à cette impulsion. Environ 20 secondes se sont écoulées entre le moment où il l’a exprimée pour la dernière fois et celui où il a tiré, et à ce moment‑là, pour les raisons susmentionnées, les circonstances justifiaient un tel geste. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.