Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OCI-235

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 41 ans lors de son arrestation, le 14 septembre 2016, pour avoir omis de comparaître devant le tribunal.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 septembre 2016, à 3 h 55 du matin, le Service de police de Hamilton (SPH) a avisé l’UES de la blessure sous garde subie par le plaignant. Le SPH a donné le rapport suivant : à 0 h 11, des agents du SPH a répondu à un appel relatif à un incident conjugal entre le plaignant et sa conjointe (la TC no 1), à leur domicile.

À leur arrivée, les agents ont eu de la difficulté à entrer dans la résidence parce que les occupants refusaient de coopérer. Une fois à l’intérieur, ils ont reconnu le plaignant comme étant possiblement recherché en vertu de plusieurs mandats pour avoir omis de comparaître. Le plaignant s’est enfui à pied et les policiers l’ont poursuivi. Le plaignant a franchi des cours, des allées, ainsi que des toits de garage. Les agents l’ont rattrapé.

L’agent impliqué (AI) no 1 a déchargé deux fois une arme à impulsions dans le but de maîtriser le plaignant, possiblement pendant que ce dernier se trouvait sur le toit d’un garage, causant la chute du plaignant. L’AI no 3, l’agent témoin (AT) no 4, l’AT no 2 et l’AI no 2 ont procédé à son arrestation. Le plaignant a été conduit à l’hôpital où il a été constaté qu’il avait une fracture à une côte.

Le 18 octobre 2016, le directeur de l’UES a décidé de fermer ce dossier sans déposer d’accusation parce que le plaignant avait indiqué qu’il s’était fait cette fracture à la côte en sautant du toit.

À 10 h 06, ce jour-là, l’UES a avisé le plaignant de cette décision. Le plaignant a alors déclaré qu’à la suite de cet incident, il était confronté à deux chefs d’accusation de voies de fait contre un policier et qu’il était maintenant prêt à dire la vérité à l’UES. Il a dit qu’il n’était pas un « mouchard », mais que comme le policier essayait de détruire sa vie, il pensait qu’il devait expliquer ce qui s’était réellement passé. Le plaignant a déclaré que sa côte cassée avait été causée par un agent qui l’avait frappé dans les côtes du côté gauche, et non par sa chute du toit.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre de spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident par des notes et des photographies.

Plaignant

Homme de 41 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été reçus et examinés.

Témoins civils

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

AT no 1  A participé à une entrevue

AT no 2  A participé à une entrevue

AT no 3  A participé à une entrevue

AT no 4  A participé à une entrevue

AT no 5  A participé à une entrevue

AT no 5  N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinés.

En outre, l’UES a reçu et examiné les sommaires de la déposition et les notes de deux autres agents non désignés.

Agents impliqués

AI no 1  A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 2  N’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 3  A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit dans un quartier résidentiel de Hamilton. L’appartement du plaignant était sur deux étages d’une maison reliée à un ensemble de bâtiments comprenant, au rez-de-chaussée, des magasins donnant sur une rue principale. Certains bâtiments de cet îlot sont à faible distance les uns des autres, et la hauteur des toits varie. Le plaignant a été arrêté dans le stationnement à revêtement de ciment d’une maison, qui comporte un petit gazon.

Éléments de preuve matériels

Registres des armes à impulsions

L’examen des données téléchargées des armes à impulsions de l’AI no 1, l’AI no 2, l’AI no 3, l’AT no 1, l’AT no 2, l’AT no 3, l’AT no 4 et l’AT no 6 a permis de conclure que seul l’AI no 1 a déployé son arme à impulsions au moment de l’incident.

Le 14 septembre 2016, à 0 h 38 min 58 s, l’arme à impulsions de l’AI no 1 a enregistré une décharge de trois secondes, puis de cinq secondes à 0 h 39 min 28 s. Lorsque l’UES a téléchargé les données de cette arme à impulsions le 14 septembre 2016, à 10 h 18, il a été constaté que l’horloge interne de cette arme à impulsions était en avance d’environ trois minutes par rapport à l’heure réelle.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais n’ont rien trouvé.

Documents obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPH, qu’elle a obtenus et examinés :

  • enregistrements des communications et répartition,
  • données téléchargées des armes à impulsions des agents impliqués no 1, no 2 et no 3 et des agents témoins no 1, no 2, no 3, no 4, et no 6
  • chronologie des événements,
  • explication du registre de l’événement,
  • rapport général d’incident,
  • notes des agents témoins no 1, no 2, no 3, no 4, no 5 et no 6,
  • sommaires des dépositions des agents témoins no 1, no 2, no 3 et no 6,
  • notes et sommaires des dépositions de 2 agents non désignés,
  • incident - Implications,
  • politique relative aux armes à impulsions, et
  • liste de témoins.

Description de l’incident

Le 14 septembre 2016, le 9-1-1 a reçu un appel signalant un incident conjugal entre le plaignant et la TC no 1. En réponse à cet appel, l’AI no 2 et l’AT no 2 se sont rendus à la résidence, où ils sont arrivés vers minuit et demi (0 h 30).

Les agents ont trouvé le plaignant dans sa cour arrière. En voyant la police, le plaignant a pris la fuite par sa maison, dont il est ressorti par une fenêtre du deuxième étage, poursuivant sa fuite sur les toits voisins. L’AI no 1 est arrivé sur les lieux et a repéré le plaignant sur un toit. Comme le plaignant se précipitait vers lui, l’AI no 1 a déployé son arme à impulsions. L’une des sondes a atteint l’épaule du plaignant, mais ne semble avoir eu aucun effet. Le plaignant s’est précipité sur l’AI no 1, puis a couru d’un toit à l’autre pour échapper à son arrestation, jusqu’à ce qu’il tombe sur le sol.

Une fois à terre, le plaignant s’est précipité vers l’AI no 2. L’AI no 1 a de nouveau déchargé son arme à impulsions en direction du plaignant, mais il était trop loin à ce moment-là pour que la sonde l’atteigne. Le plaignant et l’AI no 2 se sont cognés l’un contre l’autre, et l’AI no 3 est venu à l’aide de l’AI no 2. Les deux agents sont tombés au sol avec le plaignant. L’AI no 1 a également aidé à maîtriser le plaignant.

Le plaignant a été menotté, et une ambulance a été appelée pour qu’on lui retire la sonde de l’épaule et qu’on soigne une blessure apparente à son côté gauche. Une radiographie a révélé que le plaignant avait subi une fracture d’une côte gauche.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 145 (2), Code criminel3 - Omission de comparaître

(2) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de deux ans, ou d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, quiconque :

  1. soit, étant en liberté sur sa promesse remise à un juge de paix ou un juge ou son engagement contracté devant lui, omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, d’être présent au tribunal en conformité avec cette promesse ou cet engagement;
  2. soit, ayant déjà comparu devant un tribunal, un juge de paix ou un juge, omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, d’être présent au tribunal comme l’exige le tribunal, le juge de paix ou le juge,

ou de se livrer en conformité avec une ordonnance du tribunal, du juge de paix ou du juge, selon le cas.

Paragraphe 25 (1), Code criminel3 – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 14 septembre 2016, à 0 h 8 min 37 s, le SPH a reçu un appel au 9-1-1 d’une personne qui signalait que les deux locataires d’une résidence, dans la ville de Hamilton, se bagarraient et qu’on pouvait entendre la femme crier « Don’t hit me! » (Ne me frappe pas). En réponse à cet appel, l’AI no 2 et l’AT no 2 ont été envoyés sur les lieux. À son arrivée, l’AI no 2 a tenté de parler avec le locataire, le plaignant, qui s’est alors précipité dans la maison et en est ressorti par une fenêtre du deuxième étage pour s’enfuir par les toits d’autres bâtiments. Le plaignant a été appréhendé puis transporté à l’hôpital où il a été constaté qu’il avait une fracture à une côte.

Lors d’une première entrevue avec les enquêteurs de l’UES, le 14 septembre 2016, le plaignant n’a pas allégué que l’agent l’avait frappé ou que ses blessures à la côte gauche et à la tête résultaient de quoi que ce soit d’autre que sa chute du toit sur un tuyau.

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires ont repéré l’endroit où le plaignant croyait avoir été blessé et ont confirmé qu’il y avait une conduite de gaz horizontale et une marche surélevée sur le toit-terrasse d’un deuxième étage à l’arrière de la résidence, comme l’avait décrit le plaignant dans sa déclaration. Il y avait une différence de hauteur de 3,6 mètres entre ce toit-terrasse et toit voisin à l’est, depuis lequel le plaignant aurait sauté.

Comme l’a affirmé le plaignant, les données des armes à impulsions des agents qui ont répondu à l’appel pour arrêter le plaignant confirment qu’un seul policier a déployé son arme à impulsions, une première fois à 0 h 35 min 58 s pendant trois secondes puis, de nouveau, à 0 h 36 min 28 s (en tenant compte de l’avance de 3 minutes de l’horloge interne de l’arme à impulsions) pendant cinq secondes. En outre, une seule sonde était enfoncée dans le triceps gauche du plaignant.

Les circonstances de la blessure, telles que le plaignant les a décrites aux ambulanciers, au personnel de l’hôpital ainsi qu’au personnel médical du Centre de détention Hamilton-Wentworth (CDHW), corroborent sa déclaration initiale aux enquêteurs de l’UES. Les ambulanciers paramédicaux qui sont intervenus auprès du plaignant en ont fait le résumé suivant :

Patient conscient, alerte et orienté x3; se plaint de douleurs aux côtes du côté gauche, indiquant qu’il est tombé d’un toit et a atterri sur une balustrade.

Une fois au CDHW, selon ses dossiers médicaux, le plaignant a confirmé s’être blessé comme suit :

Le détenu se plaignait de douleurs; il a déclaré s’être fracturé des côtes du côté gauche, s’être cogné la tête et s’être meurtri la fesse gauche en tombant d’un toit avant son arrivée ici.

Et par la suite :

  • sautait de toit en toit
  • était pourchassé
  • est tombé/a sauté
    • ne pouvait pas voir où il allait atterrir
    • a heurté un poteau
    • s’est cogné aux côtes, à la tête
    • a atterri sur un toit-terrasse plus bas
    • différence entre les deux, environ 20 pieds
  • a fait un bruit assez bizarre
  • j’ai cru mourir
    • Vous étiez « shooté »? Oui

Les dossiers médicaux de l’hôpital de même que, par la suite, ceux du CDHW, contiennent des constatations compatibles avec la façon dont le plaignant a décrit qu’il s’était blessé, indiquant qu’il avait une main gauche enflée, une grande ecchymose sur la fesse gauche, une marque rouge à l’arrière de la tête et des ecchymoses du côté gauche de la cage thoracique.

L’enregistrement des communications a également confirmé la déclaration du plaignant au sujet du nombre de policiers présents au moment de son arrestation. Cet enregistrement a révélé qu’en plus des deux policiers qui sont arrivés sur les lieux en premier, lorsque le plaignant a commencé à courir sur les toits, sept autres unités sont arrivées en renfort ou étaient en route pour aider à poursuivre le plaignant. Il y avait un seul policier dans chacun des véhicules de police qui sont intervenus, à l’exception d’un des véhicules où il y en avait deux, pour un total de dix agents. L’enregistrement des communications confirme en outre qu’un agent a appelé à 0 h 37 min 26 s pour signaler qu’il avait déchargé son arme à impulsions.

Compte tenu des renseignements ci-dessus, le plaignant a été avisé, le 18 octobre 2016, que le dossier avait été clos puisque, comme le plaignant l’avait indiqué lui-même, il s’était blessé en tombant du toit, sans aucune intervention de la police. À ce moment-là, le plaignant a déclaré qu’il avait été accusé de deux chefs de voies de fait contre des policiers et qu’il souhaitait maintenant changer sa déclaration et dire la vérité. En conséquence, l’enquête a été rouverte et le plaignant a fait une deuxième déclaration le 20 octobre 2016.

Dans sa deuxième déclaration, le plaignant a donné une version complètement différente des événements. Il a décrit différemment ses propres actes et le nombre d’agents qui ont déchargé une arme à impulsions sur lui, a augmenté de façon exponentielle le nombre d’agents qui l’ont encerclé juste avant son arrestation et allégué qu’il avait été menacé et frappé dans ses côtes gauches par un policier dont il ignorait l’identité.

Comme indiqué ci-dessus, les éléments de preuve matériels, qui avaient été confirmés par le récit initial du plaignant dans sa première déclaration, contredisaient la description des faits donnée par le plaignant dans sa deuxième déclaration.

D’après l’enregistrement des communications, neuf agents ont été identifiés comme ayant été présents lors de la poursuite du plaignant, comme le confirment les notes écrites de ces agents et leurs déclarations aux enquêteurs de l’UES. Certains d’entre eux n’étaient toutefois pas physiquement présents au moment où le plaignant a été arrêté. Voici un résumé de l’implication des agents sur les lieux, d’après ces éléments de preuve :

L’AI no 2 et l’AT no 2 étaient les premiers agents envoyés sur les lieux en réponse à l’appel au 9-1-1 et, selon l’enregistrement des communications, sont arrivés à la résidence à 0 h 27. À leur arrivée, le plaignant était dans la cour arrière de la maison. L’AT no 2 l’a appelé. Le plaignant s’est retourné et l’AT no 2 a vu qu’il était en sueur, agité, et qu’il regardait nerveusement autour de lui. L’AT no 2 a également remarqué qu’il tenait une cisaille et des pinces. L’AT no 2 lui a ordonné de lâcher ces objets. Le plaignant a obéi, puis a immédiatement couru dans la maison en fermant la porte derrière lui. Soucieux de leur propre sécurité, l’AI no 2 et l’AT no 2 n’ont pas suivi le plaignant à l’intérieur, mais ont appelé le centre de répartition pour demander du renfort. L’AT no 2 est allé à l’arrière de la maison et l’AI no 2 couvrait le devant de la maison lorsqu’elle a vu le plaignant sortir par une fenêtre à l’étage et s’engager sur le toit. Elle a crié pour alerter l’AT no 2.

L’AI no 1 et l’AT no 4 ont tous deux répondu à l’appel à renfort et ont grimpé les escaliers jusqu’au toit-terrasse de la résidence où, à l’aide de lampes de poche, ils ont recherché le plaignant. L’AI no 1 a aperçu quelqu’un qui se cachait derrière un climatiseur et a entendu des bruits de cliquetis. Craignant que le plaignant soit en possession d’une arme, il a sorti son arme à impulsions et l’a pointée en direction du plaignant. L’AI no 1 a ordonné à plusieurs reprises au plaignant de sortir et de montrer ses mains, sur quoi le plaignant a soudainement jeté un coup d’œil et s’est dirigé en courant et de façon menaçante vers l’AI no 1. L’AI no 1 a alors déchargé son arme à impulsions, mais le plaignant a continué de courir et une fois arrivé à la hauteur de l’AI no 1, l’a cogné de son corps sur la poitrine, le projetant sur le côté. L’AI no 1 a alors vu le plaignant sauter du toit-terrasse au toit en pente très raide d’un garage et, jugeant qu’il serait trop risqué de le suivre, il a rechargé son arme à impulsions et l’a rengainée. L’AI no 1 a précisé qu’il ne voulait pas déployer son arme à impulsions à ce moment-là, de crainte que le plaignant ne tombe du toit. Le plaignant a glissé du toit et a atterri les pieds en premier à environ 3 mètres plus bas, se pliant en deux sous le choc, et se cognant la poitrine avec les genoux en touchant terre. Le plaignant s’est relevé et s’est précipité vers l’AI no 2. L’AI no 1 a ressorti son arme à impulsions et l’a déchargée une deuxième fois depuis le toit en visant le dos du plaignant, qui se trouvait à environ 4,5 mètres de là. Selon l’AI no 1, il était un peu trop loin pour que les sondes atteignent le plaignant. L’AI no 1 a alors vu le plaignant heurter, de son torse, le torse de l’AI no 2, et les deux se sont retrouvés contre le mur du garage.

L’AI no 3 a vu le plaignant pousser de tout son poids l’AI no 2, puis se précipiter en courant vers l’AI no 3. L’AI no 3 a ordonné au plaignant de s’arrêter, puis s’est préparé à résister à l’impact avec le plaignant, qui courait vers lui, puis a rebondi contre lui. Selon l’AI no 3, le plaignant le repoussait et ignorait ses ordres de cesser de résister, de montrer ses mains et de se mettre à terre. L’AI no 3 a alors utilisé sa main droite ouverte pour distraire le plaignant en lui donnant des coups à main ouverte au visage pour le forcer à obéir et à présenter ses mains, mais cette technique a échoué. Le plaignant a alors été mis à terre par une manœuvre non contrôlée; il est tombé en arrière et a atterri sur le côté gauche. L’AI no 3 est également tombé avec le plaignant et lui a donné un nouveau coup à main ouverte sur le visage, après quoi le plaignant a immédiatement mis un bras derrière le dos et l’AI l’a saisi. En quelques secondes, d’autres agents sont apparus et l’un d’entre eux a saisi l’autre bras du plaignant.

D’après les déclarations de tous les agents présents, à l’exception de l’AI no 2 qui n’a pas consenti à participer à une entrevue, les agents qui sont intervenus dans la lutte une fois le plaignant à terre étaient l’AI no 2, l’AI no 3 et l’AI no 1. L’AT no 2 est arrivé au moment du menottage et a aidé ses collègues en tenant les jambes du plaignant pendant que l’AI no 1 le menottait. Aucun autre agent n’a pris part à la lutte ou au menottage subséquent du plaignant.

L’AI 3 a indiqué dans sa déclaration que le plaignant lui avait dit à ce moment-là qu’il pensait s’être fracturé des côtes en sautant du toit. L’AI no 3 a également remarqué que le plaignant avait une sonde de l’arme à impulsions plantée dans son épaule gauche. Il a donc a appelé les services médicaux d’urgence pour retirer cette sonde et examiner la question de la possible fracture aux côtes.

Selon tous les agents présents, aucun d’entre eux n’a frappé ou donné des coups de poing ou de pied au plaignant, mis à part l’AI no 3 qui a admis avoir donné un certain nombre de coups à main ouverte au plaignant pour le forcer à obéir. L’AI no 3 a indiqué qu’il n’avait, à aucun moment, donné des coups de poing au plaignant ou tendu son poing d’une manière menaçante dans sa direction.[1]

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel3, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Tout d’abord, en ce qui concerne la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement de l’appel au 9-1-1 que les agents enquêtaient sur une allégation d’incident possible de violence familiale et qu’en outre, on leur avait confirmé que le plaignant faisait l’objet d’un mandat d’arrestation pour avoir omis de comparaître au tribunal. La poursuite et l’arrestation du plaignant étaient donc légalement justifiées dans les circonstances.

Après avoir examiné tous les éléments de preuve, j’accepte la déclaration initiale du plaignant, confirmée par les preuves matérielles, l’enregistrement des communications, les données de l’arme à impulsions ainsi que par les déclarations du plaignant aux policiers, aux ambulanciers paramédicaux et au personnel médical de l’hôpital et du CDHW. Je rejette la deuxième déclaration du plaignant, car tous les éléments décrits ci-dessus qui confirment la première déclaration contredisent la seconde. De plus, la deuxième déclaration du plaignant est également contredite par la TC no 1. De ce fait, je conclus qu’au moment de sa deuxième déclaration, la crédibilité et la fiabilité du plaignant étaient presque totalement compromises et que cette deuxième déclaration ne peut être invoquée pour former des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise.

En ce qui concerne la force utilisée par les agents dans leurs tentatives d’appréhender le plaignant puis de le maitriser, je conclus que leurs actes étaient justifiés dans les circonstances et qu’ils n’ont pas utilisé plus de force que nécessaire pour appréhender un homme qui tentait de leur échapper en courant sur les toits et les garages des voisins, puis pour l’arrêter. De plus, lorsqu’il tentait d’échapper à la police, le plaignant a, à divers moments, agressé l’AI no 1, l’AI no 2 et l’AI no 3, et il est apparu qu’il était certainement capable d’agresser ou de blesser d’autres personnes s’il n’était pas maîtrisé.

Je constate également, au vu de tous les éléments de preuve, y compris la déclaration initiale fournie par le plaignant et les preuves matérielles qui l’ont confirmée, qu’il est presque certain que le plaignant s’est blessé en tombant du toit. Néanmoins, même si cette blessure a été causée par les efforts déployés par les agents pour maîtriser le plaignant, je ne trouve pas que cela constitue un usage excessif de la force. Dans cette affaire, il ressort clairement que l’AI no 1, en déchargeant son arme à impulsions, ainsi que l’AI no 2, l’AI no 3 et l’AI no 1 dans leur lutte pour maîtriser le plaignant, ont augmenté de façon mesurée et proportionnée la force qu’ils ont utilisée pour surmonter la résistance que leur opposait le plaignant, sa combativité et sa volonté inébranlable de fuir la police, et que cette force est restée dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances pour procéder à sa mise sous garde légitime. En parvenant à cette conclusion, j’ai tenu compte de l’état du droit, tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, à savoir :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 1981 CanLII 339 (BC CA), 60 C.C.C. (2 d) 211 (C.A.C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218].

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs exposés ci-dessus, que l’appréhension du plaignant et la manière dont elle a été exécutée étaient licites, malgré la blessure que ce dernier a subie, même si je devais conclure que les agents ont causé cette blessure, ce que je ne suis pas enclin à faire. Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables d’être convaincu que les actes des agents sont restés dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a donc pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.

Date : 7 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Comme le plaignant a affirmé qu’un policier inconnu l’avait fait. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.