Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-PVI-256

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Ce rapport a trait à l’enquête de l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 78 ans le 6 octobre 2016 lors d’une collision impliquant une voiture de patrouille de la police.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 6 octobre 2016, à 17 h 25, la Police provinciale de l’Ontario (PPO) a avisé l’UES qu’à 14 h 37, à la même date, le plaignant avait subi une blessure à la suite d’une collision de véhicules à moteur dans laquelle était impliqué un véhicule de la PPO sur l’autoroute 401 à l’ouest de l’autoroute 32 près de Gananoque. Le plaignant a été transporté à l’hôpital, où il a été examiné et où on a constaté qu’il n’avait pas de blessure grave, mais où on l’a gardé pour observation. Il a été convenu, à la lumière de l’information disponible à ce moment-là, que des enquêteurs techniques des accidents de la circulation (ETAC) de la PPO examineraient les lieux de l’accident pour accélérer la réouverture de l’autoroute.

À 20 h 30, le même jour, la PPO a signalé à l’UES que le plaignant avait été examiné davantage par le personnel de l’hôpital, qui a découvert qu’il avait subi une fissure dorsale et une fracture mineure à une côte. Le 7 octobre 2016, des enquêteurs de l’UES et un spécialiste en reconstitution des collisions de l’UES ont été envoyés pour enquêter sur cet incident.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Nombre de spécialistes en reconstitution des collisions de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Entretien avec l’homme âgé de 78 ans, obtention et examen des dossiers médicaux

Témoins civils (TC)

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

TC no 3  A participé à une entrevue

TC no 4  A participé à une entrevue

Employés témoins de la police

ETP A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1  A participé à une entrevue

AT no 2  A participé à une entrevue

AT no 3  A participé à une entrevue

AT no 4  A participé à une entrevue

AT no 5  A participé à une entrevue

AT no 6  A participé à une entrevue

AT no 7  A participé à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas participé à une entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Éléments de preuve

Les lieux de l’incident

Du personnel de l’UES n’a pas examiné les lieux ni procédé à l’obtention des éléments de preuve, puisque les enquêteurs de l’UES n’ont été envoyés sur place qu’au lendemain de la collision. Ce sont des enquêteurs techniques des accidents de la circulation (ETAC) de la PPO qui se sont chargés d’examiner les lieux de l’accident, le jour de la collision, et de recueillir les éléments de preuve. La PPO a dégagé les lieux, et tous les véhicules ont été remorqués ailleurs.

L’autoroute 401 est une route est-ouest à deux voies vers l’est et deux voies vers l’ouest. Il s’agit d’une chaussée asphaltée et les conditions routières étaient bonnes au moment de cette collision. À l’endroit où est survenue la collision, il y a un accotement pavé muni d’une bande rugueuse et d’un muret de sécurité séparant les voies vers l’est des voies vers l’ouest. Les deux voies vers l’est sont séparées par une ligne blanche intermittente. La chaussée est de niveau et les lignes de visibilité sont bonnes. La région environnante se compose principalement de terres boisées.

La limite de vitesse affichée sur l’autoroute 401 est de 100 km/h; toutefois, dans le secteur de la collision, il y avait une signalisation ample et appropriée la fixant à 80 km/h pour la circulation se dirigeant vers l’est, en raison de travaux de construction de la route. Il y avait aussi une signalisation ample et appropriée indiquant la fermeture d’une voie et la fusion des voies en raison des mêmes travaux.

Au moment de cette collision, les routes étaient sèches, il y avait des nuages dispersés, la visibilité ainsi que les lignes de visibilité étaient bonnes et rien ne les entravait.

Schéma des lieux de l’accident

La PPO a créé le schéma suivant :

Schéma des lieux de l’accident.

Témoignage d’expert

L’UES a reçu le rapport de reconstitution de la collision de la PPO, daté du 26 février 2017, le 16 mars 2017.

Résumé des conclusions de la reconstitution de la collision de l’UES

Un spécialiste en reconstitution de l’UES a téléchargé et examiné les données des différents véhicules impliqués après la date de la collision. Un spécialiste en reconstitution de l’UES a examiné et photographié le véhicule de police que conduisant l’AI et a constaté que le véhicule n’avait pas subi de dommages autres que ceux causés à l’avant de celui-ci durant la collision.

Le spécialiste en reconstitution de l’UES, au moment de la rédaction de son rapport et lors de l’interprétation des données téléchargées des véhicules, a également examiné et utilisé des photographies prises par le personnel de la PPO et par le personnel d’une entreprise tierce sur place, les notes/croquis des ETAC de la PPO et les notes d’examen des véhicules prises sur place par la PPO.

Le spécialiste en reconstitution de l’UES a déterminé que l’avant de la Dodge Charger de la PPO est entré en collision avec l’arrière de la Hyundai dans la voie de dépassement est de l’autoroute 401. Puis, le coin avant droit de la Hyundai a heurté le coin arrière gauche de la Jeep Cherokee, lorsque la Hyundai a été poussée vers l’avant par l’impact avec la Dodge Charger de la PPO. La Hyundai s’est ensuite séparée de la Jeep Cherokee et de la Dodge Charger, et a entamé une rotation en sens antihoraire, pour ensuite heurter une barrière de béton séparant les voies est et ouest de l’autoroute.

Les données du module de contrôle des coussins gonflables (ACM) montrent que la Dodge Charger de la PPO se déplaçait à environ 75 km/h au moment de l’impact avec l’arrière de la Hyundai, que la vitesse de la Hyundai au moment de l’impact était d’environ 12 km/h et que la vitesse de la Jeep Cherokee était d’environ 9 km/h au moment de l’impact.

Les données de l’ACM révèlent que la vitesse de la Dodge Charger de la PPO était initialement de 108 km/h et que les freins ont été appliqués 0,9 seconde avant l’impact avec la Hyundai et que la direction de la Dodge Charger de la PPO n’avait pas bougé ou très peu avant la collision.

Les données de l’ACM montraient qu’au moment de la collision, les conducteurs des trois véhicules portaient leur ceinture de sécurité.

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a examiné le secteur pour trouver d’éventuels enregistrements vidéo ou audio et des preuves photographiques. Des photographies ont été fournies par le TC no 3 et le TC no 4, ainsi que par du personnel d’une tierce compagnie qui était présente sur les lieux.

Voici une photographe de la Hyundai blanche du plaignant :

Hyundai blanche.

Voici une photographie de la voiture de patrouille Dodge Charger de l’AI :

Voiture de patrouille Dodge Charger.

Enregistrements des communications

Communications de la PPO

Le 6 octobre 2016, à 14 h 8, l’AI a signalé au Centre de communication de la Police provinciale (CCPP) à Smiths Falls, qu’elle avait été impliquée dans une collision avec un véhicule à moteur sur l’autoroute 401, direction est, légèrement à l’ouest de la borne kilométrique 643, et qu’il y avait un blessé.

Elle a signalé qu’un véhicule utilitaire sport noir (VUS), peut-être une Chevrolet Tahoe, muni d’une plaque d’immatriculation du Québec qu’elle n’avait pas réussi à prendre en note, avait viré devant elle et lui avait coupé le chemin. Elle a dit que le conducteur avait la tête penchée vers le bas, portait une casquette et recevait et envoyait peut-être des messages textes.

À 14 h 18, elle a précisé qu’il n’y avait eu aucun contact entre le VUS inconnu et son véhicule. À 14 h 20, elle a déclaré qu’il y avait « peut-être » eu un contant entre le véhicule utilitaire sport inconnu et son véhicule et qu’il se « pourrait » qu’il y ait des dommages sur le panneau latéral arrière du côté du conducteur.

La PPO a fait une recherche dans le secteur, mais n’a pas trouvé de VUS.

Preuve médico-légale

Examen du téléphone cellulaire de l’AI utilisée pour le travail

Le téléphone cellulaire de l’AI a été saisi sur les lieux par l’AT no 2. Sur demande, l’appareil a été remis à l’UES. Un examen de l’historique de l’utilisation de ce téléphone cellulaire n’a révélé aucun message texte ni aucun appel qui aurait été reçu ou envoyé au moment de cette collision.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les données et documents suivants des services de police de la PPO concernés et puis les a examinés : Détachement de Brockville (comté de Leeds); Détachement d’Ottawa; Centre de communication de la Police provinciale (Smiths Falls); Détachement de Quinte West :

  • calculs moyens - système de freins antiblocage activé et désactivé
  • définitions des codes d’état de la police
  • transcription des communications
  • rapport de reconstitution de la collision de la PPO
  • photographies des lieux de l’accident
  • notes techniques sur les collisions– AT no 6
  • rapport d’entrevue – TC no 1
  • rapport d’entrevue – plaignant
  • registre d’entretien de la voiture de patrouille de l’AI
  • rapport sur la collision de véhicules à moteur
  • notes des AT nos 1, 2, 3, 4, 5 et 6
  • réçu de biens
  • rapport sur les biens (clés et documents du véhicule de la PPO)
  • déclaration du TC no 2
  • rapport sur les dommages aux véhicules
  • notes de l’examen du véhicule sur place – Dodge Charger
  • notes de l’examen du véhicule sur place – Hyundai
  • notes de l’examen du véhicule sur place – Jeep Cherokee
  • registre du véhicule de l’AI; et
  • Registre d’entretien du véhicule

Description de l’incident

Peu après 14 h, le 6 octobre 2016, le plaignant et le TC no 1 se trouvaient à bord de leur Hyundai qui se dirigeait vers l’ouest sur l’autoroute 401 et était proche de la borne kilométrique 643, à deux kilomètres à l’ouest de l’autoroute 32, près de Gananoque. Le TC no 2 conduisait sa Jeep Cherokee directement devant le Hyundai. Il y avait des travaux de construction plus loin, et le TC no 2 s’était presque entièrement arrêté, tandis que le plaignant ralentissait dans l’intention de s’arrêter.

Soudainement, la voiture du plaignant a été heurtée par derrière par la Dodge Charger de la PPO conduite par l’AI. Au moment de l’impact, le plaignant voyageait à 12 km/h et la Jeep Cherokee, à 9 km/h. La voiture de patrouille de la PPO, cependant, roulait à 75 km/h, et ainsi a poussé la Tahoe vers l’avant à une vitesse de 53 km/h, ce qui a causé sa collision avec la Jeep Cherokee. Des dommages importants ont été causés à l’arrière de la Hyundai et à l’avant de la Dodge Charger.

Le plaignant a été transporté à l’hôpital par ambulance, où il a été déterminé qu’il avait subi une fracture à une vertèbre thoracique et plusieurs fractures aux côtes.

Lois pertinentes

Article 249(1), Code criminel - Conduite dangereuse de véhicules automobiles, de navires et d’aéronefs

249 (1) Commet une infraction quiconque conduit :

  1. un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu […]

Paragraphe 249(3), Code criminel - Conduite dangereuse causant des lésions corporelles

249 (3) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

Paragraphe 219 (1), Code criminel - Négligence criminelle

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui

Article 221, Code criminel - Causer des lésions corporelles

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui

Article 130, Loi sur la sécurité routière – Conduite imprudente

130 Quiconque conduit un véhicule ou un tramway sur une voie publique sans faire preuve de la prudence et de l’attention nécessaires ou sans tenir compte raisonnablement des autres personnes qui circulent sur la voie publique est coupable de conduite imprudente et passible, sur déclaration de culpabilité, d’une amende d’au moins 400 $ et d’au plus 2 000 $ et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou d’une seule de ces peines. En outre, son permis de conduire ou son certificat d’immatriculation peuvent être suspendus pour une période maximale de deux ans.

Analyse et décision du directeur

Le 6 octobre 2016, à environ 14 h 08, trois véhicules ont été impliqués dans une collision sur l’autoroute 401 près de la borne kilométrique 643, à deux kilomètres à l’ouest de l’autoroute 32 près de Gananoque et à l’est de Kingston, en Ontario. Ces trois véhicules étaient conduits par les personnes suivantes : en premier, une Jeep Cherokee, conduite par le TC no 2; puis le deuxième véhicule, une Hyundai, conduite par le plaignant; et finalement le troisième véhicule dans la file était la voiture de patrouille identifiée de la PPO, conduite par l’AI. À la suite du contact entre le véhicule conduit par l’AI et celui conduit par le plaignant, ce dernier a subi une fracture à une vertèbre thoracique et plusieurs fractures aux côtes.

Le plaignant a informé la PPO qu’il conduisait sa Hyundai dans la direction est sur l’autoroute 401, dans la voie de dépassement, quand il a vu les feux de freinage des véhicules devant lui s’allumer et a constaté que ces véhicules commençaient à ralentir. Il a donc commencé à ralentir lui-même. Il a indiqué qu’il avait ralenti jusqu’à environ 90 km/h, lorsqu’il a été soudainement percuté par derrière, ce qui a eu pour effet de pousser son véhicule contre l’obstacle de béton au centre de l’autoroute, puis contre un autre véhicule. Le plaignant a indiqué qu’une fois arrêté, il est sorti du côté passager, parce que la porte du conducteur était coincée.

Au cours de cette enquête, cinq témoins civils, dont le plaignant, et sept agents témoins et un membre du personnel des services de police ont été interrogés par les enquêteurs. L’AI a refusé de participer à une entrevue, comme l’y autorise la loi et elle n’a pas fourni ses notes aux fins d’examen. De plus, les enquêteurs ont passé en revue les notes de tous les agents témoins, les enregistrements des communications et le registre, les données téléchargées de chaque véhicule à moteur et le Rapport de reconstitution de l’accident.

L’enregistrement des communications révèle que l’AI a appelé à 14 h 08 m 49 s pour signaler qu’elle venait d’avoir été impliquée dans une collision de multiples véhicules et qu’elle avait besoin d’une ambulance pour une autre personne, pas pour elle-même. À 14 h 20 m 07 s, l’AI a signalé qu’un véhicule utilitaire sport (VUS) de couleur noire, peut‐être une Chevrolet Tahoe ayant une plaque d’immatriculation du Québec, qu’elle n’avait pas réussi à prendre en note, avait bifurqué devant elle. Elle a décrit le conducteur de ce véhicule à moteur comme ayant la tête vers le bas, portant une casquette et envoyant peut-être des messages textes; elle a dit que ce véhicule lui avait « coupé le chemin ».

À 14 h 16 m 29 s, le répartiteur a demandé à l’AI de confirmer que trois véhicules avaient été impliqués dans la collision et qu’un des véhicules n’était pas resté sur les lieux; l’AI n’a pas répondu.

Il y a eu différentes transmissions additionnelles de la part de l’AI, donnant des versions contradictoires de la présence de ce « VUS noir » à divers moments :

[Traduction]

  • « Un VUS noir, je n’ai pas inscrit sa plaque, je pense que c’est un véhicule immatriculé au Québec, vient tout juste de me couper le chemin »
  • « Je ne sais pas s’il y quelqu’un plus loin en avant de moi. Si vous pouvez essayer de repérer ce gars, je ne peux pas vous donner de détails, un VUS noir, plaque d’immatriculation du Québec, a viré directement devant moi, je pense qu’il envoyait des messages textes ou quelque chose du genre, je l’ai vu la tête baissée. Son véhicule s’est probablement retrouvé dans ma voie »
  • « Construction dans la voie plus loin, la circulation ralentit. Je ne sais pas, mais j’ai peut-être été impliqué dans ce qui me précédait. C’était peut-être un véhicule immatriculé au Québec, je n’ai pas pu le voir à temps, car les sacs gonflables se sont déclenchés et recouvraient mon visage »
  • En réponse à une question visant à déterminer s’il y avait des dommages au « VUS noir », l’AI a répondu : « Il ne devrait pas y avoir des dommages, aucun lien »
  • Mais quand un autre agent lui a demandé de donner la description du véhicule, elle a indiqué ceci : « Une Chevrolet, plaque d’immatriculation du Québec, conducteur de sexe masculin avec la tête penchée vers le bas, m’est entrée dedans pour ensuite s’éloigner et c’est cela qui s’est produit »

L’agent répond : « Donc, il y aura des dommages à ce véhicule, est-ce exact? » et l’AI rétorque : « Je ne le crois pas, je ne le crois pas.Je ne sais pas s’il y a eu un contact ».

Qu’il y ait eu ou non un VUS noir immatriculé au Québec, qui soit a coupé le chemin à l’AI, soit lui est « entré dedans », puis « s’est éloigné » ou « a viré » dans sa voie, la présence de ce véhicule n’explique aucunement la collision du véhicule de l’AI et du véhicule directement devant elle.

La seule façon dont ce véhicule inconnu aurait logiquement pu causer la collision impliquant l’AI est si cette dernière voyageait dans la voie en bordure de l’autoroute à une vitesse supérieure à celle de la circulation, qui s’était déjà placée dans la voie de dépassement puisque la voie en bordure était fermée à la circulation plus loin et que ce VUS noir aurait également viré dans la voie en bordure pour éviter la circulation plus lente dans la voie de dépassement, forçant ainsi l’AI de changer de voie afin d’éviter d’entrer en collision avec le VUS noir. Si cela s’était produit, on se demande bien sûr pourquoi l’AI n’avait pas placé son véhicule sur l’accotement pavé, plutôt que dans la voie où la circulation avançait plus lentement, ce qui avait causé la collision ultime. Le rapport de reconstitution de l’accident rend toutefois ce scénario impossible, car il a été établi à partir des données téléchargées depuis la voiture de l’AI, qu’elle voyageait dans la voie de dépassement avant la collision et qu’elle n’avait pas changé de voie.

Le seul scénario qui demeure, alors, s’il y avait un VUS noir, est que l’AI se déplaçait dans le voie de dépassement et que le VUS noir lui a coupé le chemin et a ensuite quitté cette voie, et que le véhicule de l’AI est entrée en collision avec les véhicules se trouvant devant elle. Selon ce scénario, l’AI aurait heurté les véhicules devant elle, peu importe si ce VUS noir était entré momentanément dans sa voie et l’avait quitté ensuite.

Malgré le fait que de nombreux véhicules de police étaient à l’affût de ce VUS noir, aucun n’a jamais été localisé, et aucun des autres conducteurs n’a aperçu un tel véhicule dans les environs avant la collision.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de déterminer s’il y avait effectivement un VUS noir, puisque son absence ou sa présence n’est pas un facteur pertinent aidant à expliquer la cause de cette collision.

Selon le rapport de reconstitution de l’accident, la Dodge Charger de la PPO, que conduisait l’AI, est entrée en collision avec l’arrière de la Hyundai dans la voie de dépassement. Puis, le coin avant droit de la Hyundai a percuté le coin arrière gauche de la Jeep Cherokee, après avoir été poussée par le véhicule de la PPO. Au moment de l’impact, selon les données de l’ACM, la PPO roulait à une vitesse de 75 km/h, la Hyundai, à 12 km/h, et la Jeep Cherokee, à 9 km/h. Avant la collision, la voiture de patrouille de la PPO se déplaçait à 108 km/h et les freins ont seulement été appliqués pendant 0,9 seconde avant l’impact; la conductrice de la Dodge Charger de la PPO n’a pas modifié ou très peu modifié la direction du véhicule avant la collision, ce qui révèle qu’elle n’a pas changé de voie.

L’examen des lieux a confirmé qu’il y avait une signalisation adéquate avant le point d’impact, avertissant les automobilistes des travaux de construction plus loin et de la limite de vitesse réduite, comme suit :

On a constaté que 15 mètres avant le point d’impact, il y avait un panneau qui annonçait le début de la zone où la limite de vitesse était de 80 km/h;

  • 240 mètres avant le panneau susmentionné, il y avait un autre panneau indiquant qu’il fallait réduire sa vitesse à 80 km/h plus loin; et
  • avant ce signe indiquant qu’il fallait réduire sa vitesse à 80 km/h plus loin, il y avait un grand panneau électronique sur l’accotement droit, affichant des messages selon lesquelles la voie de droite était fermée plus loin et qu’il fallait réduire sa vitesse en conséquence. Avant le panneau électronique, il y avait un panneau qui annonçait le début de la zone de construction et qui précisait que les amendes pour excès de vitesse seraient doublées.

On n’a découvert aucune défaillance mécanique dans les trois véhicules qui auraient pu contribuer à la collision.

Les données précédant la collision téléchargées depuis la voiture de patrouille de la PPO ont révélé qu’à cinq secondes avant l’impact, le véhicule de l’AI voyageait à une vitesse de 108 km/h et avait ralenti jusqu’à 100 km/h une seconde avant la collision. Au cours de cette période de décélération de quatre secondes, la conductrice n’appuyait pas sur l’accélérateur, mais elle n’appuyait pas sur la pédale de frein non plus et la direction était demeurée dans une position constante, ce qui indique que le véhicule n’avait pas changé de voie. À 0,9 seconde avant le point d’impact, la pédale de frein a été enfoncée pour la première fois et le véhicule a commencé à ralentir. À 0,1 seconde avant la collision, le véhicule a décéléré à 78 km/h, puis au moment de la collision, sa vitesse est soudainement tombée à 59 km/h en raison de son contact avec la Hyundai, qui se déplaçait moins vite, ce qui a causé le ralentissement rapide de la voiture de patrouille jusqu’à son arrêt.

Les données précédant la collision obtenue de la Hyundai indiquent qu’à cinq secondes avant l’impact, la Hyundai se déplaçait à 39 km/h, la pédale de frein a été enfoncée et le véhicule a ralenti à 12 km/h. Au moment de l’impact, la vitesse de la Hyundai a soudainement augmenté jusqu’à 53 km/h, car la voiture de patrouille se déplaçait à une vitesse supérieure à elle et l’a poussée vers l’avant. Au cours de la période de cinq secondes précédant l’impact, l’accélérateur de la Hyundai n’était pas enfoncé.

Les données précédant la collision obtenues de la Jeep Cherokee indiquent qu’à cinq secondes de l’impact, la Jeep se déplaçait à 14 km/h et a ralenti 9 km/h, 0,5 seconde avant l’impact. La pédale de frein de la Jeep avait été enfoncée cinq secondes avant l’impact.

Le rapport de reconstitution des accidents a confirmé que les trois véhicules voyaient dans la voie de dépassement pendant l’entière période des cinq secondes avant l’impact et a conclu que la voiture de patrouille de la PPO voyageait à une vitesse beaucoup plus grande que la Hyundai et la Jeep qui la précédaient et que l’AI a seulement freiné durant la dernière seconde avant la collision.

Une enquête plus poussée a révélé qu’il n’y avait pas de tablette de poste de travail mobile (MWS) dans la station d’accueil de la voiture de patrouille de la PPO, et que le téléphone cellulaire de l’AI n’avait envoyé ni reçu des appels ou messages textes durant la période qui a précédé la collision.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il ne fait aucun doute que l’AI était en faute et a causé la collision entre la voiture de patrouille et la Hyundai conduite par le plaignant, qui a ensuite été poussée en avant et a percuté la Jeep Cherokee conduite par le TC no 2. La seule question qui reste à trancher est de savoir si la conduite de l’AI était grave au point de satisfaire aux motifs raisonnables permettant de croire qu’un acte criminel a été commis ou s’il y a seulement des motifs suffisants permettant de croire qu’une ou plusieurs infractions en contravention de la Loi sur la sécurité routière ont été commises.

Je dois donc établir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle, plus particulièrement si sa conduite était dangereuse et donc en contravention du paragraphe 249(1) du Code criminel et qu’elle a ainsi causé des lésions corporelles en contravention du paragraphe 249(3) ou si elle équivalait à une négligence criminelle contraire à l’art. 221 du Code criminel et a ainsi causé des lésions corporelles.

Selon la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, pour que l’article 249 s’applique, il faut établir que la personne conduisait « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu »; de plus, la conduite doit être telle qu’elle équivaut « à un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé ». De plus, pour que l’art. 221 s’applique, il faut qu’il y ait un [traduction] « écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait un conducteur raisonnable dans les circonstances » où l’accusé [traduction] « a manifesté un mépris téméraire pour la vie et la sécurité d’autrui » (R. v. Sharp (1984), 12 CCC (3d) 426 (Cour d’appel de l’Ont.)).

Après examen de l’ensemble de la preuve, il est clair que l’AI, pour une raison quelconque, était totalement inconsciente du fait qu’il y avait des travaux de construction plus loin, que la limite de vitesse dans le secteur avait été réduite en raison de cette construction, qu’une voie était fermée plus loin et que la circulation qui la précédait avait considérablement ralenti du fait que la voie était fermée. Au moment de la collision, les routes étaient sèches, la visibilité ainsi que les lignes de visibilité étaient bonnes et rien ne les entravait. Il y avait des panneaux de signalisation amplement suffisants avertissant les automobilistes des travaux de construction plus loin et de la limite de vitesse réduite. Apparemment, l’attention de l’AI n’était pas détournée ni par sa station mobile ni par son téléphone cellulaire. Selon la preuve fournie à la PPO par le conducteur de la Jeep, le TC no 2, il a vu les panneaux concernant les travaux de construction et a constaté que la voiture devant lui s’était arrêtée et il était en train de le faire également lorsqu’il a été heurté par derrière.

Dans ce dossier, il est clair que l’AI, pour quelque raison que ce soit, était inattentive au fait que la circulation ralentissait et s’arrêtait, n’a pas ajusté sa vitesse en conséquence et a causé la collision entre son véhicule et les véhicules qui circulaient à des vitesses bien moindres devant elle sur la route. La loi est claire, toutefois, qu’un accident à lui seul ne suffise pas pour satisfaire aux éléments de l’art 249 ou de l’art 221 du Code criminel; il doit y avoir une certaine preuve que la conduite avant la collision équivalait soit à « un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé », soit à [traduction] « un écart marqué et considérable de la norme à laquelle se conforme un conducteur raisonnable dans les circonstances » où l’accusé [traduction] « a manifesté un mépris téméraire pour la vie et la sécurité d’autrui ».

Je conclus toutefois qu’en l’absence de tout élément de preuve quant à la conduite de l’AI avant la collision, il n’y a pas suffisamment de preuve pour conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise ici. Il n’y a aucune preuve d’autres automobilistes concernant la conduite de l’AI avant la collision; les données précédant la collision indiquent seulement qu’elle conduisait à une vitesse supérieure à celle observée par les autres automobilistes devant elle et qu’elle n’a pas réussi à ajuster sa vitesse pour tenir compte des autres conducteurs sur l’autoroute. Ainsi, il y a manifestement de motifs évidents de croire que l’AI conduisait son véhicule automobile d’une manière négligente sans faire preuve de la prudence et de l’attention requises, en contravention de l’art. 130 de la Loi sur la sécurité routière, mais la preuve n’est pas suffisante pour conclure que sa conduite correspondait au degré de gravité requis en vertu du Code criminel. En raison de cela, il n’y a pas de motifs de porter des accusations au criminel.

Date : 3 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

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