Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 22-OFD-164

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 21 ans (le plaignant no 1) et sur la blessure grave subie par une femme de 19 ans (la plaignante no 2).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 27 juin 2022, à 23 h 10, le Service de police d’Ottawa (SPO) a informé l’UES d’un décès par balle.

Selon le SPO, le 27 juin 2022, vers 22 h 25, le service a reçu un appel signalant qu’un homme était en train de poignarder une femme près d’une maison de la rue Anoka, à Ottawa. Trois agents du SPO sont arrivés sur les lieux et ont fait feu pour empêcher l’homme de continuer de poignarder la femme. L’homme a été atteint à la tête et est décédé. La femme que l’homme attaquait a reçu une balle au mollet.

Le SPO a identifié les trois agents impliqués (AI no 1, AI no 2 et AI no 3).

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 27 juin 2022 à 23 h 55

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 28 juin 2022 à 3 h 13

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Trois enquêteurs de l’UES, dont un spécialiste des sciences judiciaires (SSJ), ont été immédiatement envoyés sur les lieux. Un deuxième (SSJ) a été ajouté à l’équipe d’enquêteurs plus tard dans la matinée du 28 juin 2022.

Il a été convenu avec les SSJ du SPO qu’il y avait deux scènes : la scène 1 impliquant la mère et la sœur de la plaignante no 2, en haut de l’allée de leur maison, et la scène 2 impliquant le plaignant no 1 et la plaignante no 2. L’UES a traité la scène 2, tandis que le SPO a traité la scène 1 et l’intérieur de la maison de la plaignante no 2.

Personnes concernées (les « plaignants ») :

Plaignant no 1 Homme de 21 ans, décédé
Plaignante no 2 Femme de 19 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

La plaignante no 2 a participé à une entrevue le 28 juin 2022.

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à une entrevue entre le 28 juin et le 6 juillet 2022.

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué; ses notes ont été reçues et examinées
AI no 3 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué; ses notes ont été reçues et examinées

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.
AT no 5 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.
AT no 6 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.

Les agents témoins ont participé à une entrevue le 29 juin 2022. Les notes et les rapports d’incidents des agents témoins ont été examinés. Il a été décidé de mener une entrevue avec l’AT no 1 et l’AT no 3, car ils semblaient détenir des renseignements susceptibles d’aider l’UES dans son enquête.

Éléments de preuve

Les lieux


Il y avait trois véhicules du SPO sur le lieu de l’incident.

Les dépouilles de la mère et de la sœur de la plaignante no 2 étaient devant le garage de leur maison, rue Anoka, à Ottawa. Elles avaient été poignardées à plusieurs reprises et avaient des blessures incisées (coupures); à leur arrivée, les ambulanciers paramédicaux les avaient trouvées sans vie.

La dépouille du plaignant no 1 était au pied de l’entrée d’une autre maison, sous un lampadaire. Il y avait deux couteaux à proximité immédiate : un petit couteau suisse (qui appartenait à la plaignante no 2) et un couteau noir Ka-Bar TDI.

Un projectile et neuf douilles ont été récupérés sur les lieux.

Le téléphone cellulaire de la plaignante no 2 trouvé sur les lieux a été récupéré par le SPO et remis à cette dernière.

Une trainée de sang était visible au milieu de la rue, résultant vraisemblablement du fait qu’on avait tiré la plaignante no 2 pour l’éloigner du plaignant no 1. La plaignante no 2 avait été conduite à l’hôpital.

L’UES et le SPO ont discuté de la collecte d’éléments de preuve et il a été convenu que le SPO récupérerait les deux couteaux trouvés sur les lieux, et que l’UES récupérerait les douilles et le projectile.

Les uniformes portés par les agents impliqués et leur équipement de recours à la force ont été remis à l’UES sur les lieux. L’UES a photographié les uniformes et l’équipement de recours à la force, et les a rendus au SPO le 30 juin 2022, à l’exception des armes à feu. L’UES a conservé les armes à feu et les chargeurs de rechange des agents impliqués.

Éléments de preuve matériels

Les armes à feu suivantes ont été récupérées du ceinturon de service des agents impliqués :
  • AI no 1 – un pistolet Glock 17 de 9 mm. Le pistolet était équipé d’une lampe d’arme Surefire. Une cartouche a été récupérée de la culasse de l’arme à feu. Le chargeur de rechange de l’AI no 1 contenait 11 cartouches. Le chargeur de ce pistolet contenait 17 cartouches, ce qui montrait qu’il avait été rechargé durant l’incident.
  • AI no 2 – un pistolet Glock 22 de calibre .40. Ce pistolet était équipé d’une lampe d’arme. Une cartouche a été récupérée de la culasse de l’arme à feu. Le chargeur de rechange de l’AI 2 contenait 11 cartouches. Le chargeur de ce pistolet contenait 15 cartouches, ce qui montrait qu’il avait aussi été rechargé durant l’incident.
  • AI no 3 – un pistolet Glock 22 de calibre .40. Une cartouche a été récupérée de la culasse de l’arme à feu. Le chargeur de ce pistolet contenait 11 cartouches, avec une capacité maximale de 15 cartouches.
Sur la base du nombre de cartouches de l’arme à feu et des chargeurs de chacun des agents impliqués, il est possible que l’AI no 1 ait tiré jusqu’à six fois avec son arme de poing, l’AI no 2 jusqu’à quatre fois et l’AI no 3 jusqu’à quatre fois. Ces estimations dépendent de la façon dont les trois agents impliqués chargeaient leurs pistolets, et l’UES n’a pas eu la possibilité de parler aux agents à ce sujet. Les estimations indiquent un maximum possible de 14 coups de feu. On n’a récupéré que neuf douilles de cartouche sur les lieux. Étant donné le nombre de véhicules et de personnes qui ont circulé sur les lieux après l’incident, il est tout à fait possible que des éléments de preuve aient été perdus avant l’arrivée de l’UES.


Figure 1 – Couteau du plaignant no 1*

*La photographie du couteau du plaignant no 1, qui figurait à l’origine dans la version anglaise en ligne du rapport du directeur publiée pour la première fois le 25 octobre 2022, a été expurgée le 27 octobre 2022, conformément au paragraphe 34(2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales, car la protection de la vie privée de la plaignante no 2 obtenue grâce à la non-publication de la photo l’emporte sur l’intérêt public à sa publication.

Figure 2 – Police Glock 22 pistol in .40 calibre
Figure 2 - Pistolet Glock 22 de calibre .40 de la police

Éléments de preuves médicolégaux

Le 13 juillet 2022, l’UES a soumis au Centre des sciences judiciaires (CFS) les neuf douilles récupérées sur les lieux, les vêtements de dessus portés par le plaignant no 1, les trois pistolets et les chargeurs des trois agents impliqués ainsi que les photographies prises durant l’autopsie du plaignant no 1.

Au moment de la rédaction du présent rapport, l’UES n’avait pas encore reçu le rapport du CSJ.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Les enquêteurs ont fait le tour du secteur à la recherche de caméras de surveillance qui auraient pu enregistrer l’incident, mais n’ont rien trouvé. Le TC no 5 avait une caméra sur la façade de sa maison, mais il a dit à l’UES que les images de la caméra n’étaient pas enregistrées.

Transmissions radio

Le 27 juin 2022, à 22 h 25, la plaignant no 2 appelle le 9-1-1. L’appel crée une ligne ouverte avec le centre de communications du SPO. Dans l’enregistrement initial du 9-1-1, on peut entendre une alarme en arrière-plan, connue pour être une alarme de panique à la résidence. On peut aussi entendre une voix masculine, connue pour être celle du TC no 2, signaler à la police qu’un homme est en train de poignarder une femme.

À 3 min 46 s du début de l’enregistrement, on peut entendre un agent de police crier à trois reprises de lâcher le couteau. Quatre secondes plus tard, on peut entendre trois coups de feu. À 3 h 56 minutes, un agent ordonne de nouveau de lâcher le couteau. Un agent crie à trois reprises à la plaignante no 2 [traduction] : « Viens ici », tandis que cette dernière répète à plusieurs reprises : « Holy Fuck! »

Un agent ordonne : [traduction] « Montre-moi tes mains » et « Lâche le couteau », puis on peut entendre un certain nombre de coups de feu supplémentaires.

Des agents continuent d’ordonner de lâcher le couteau. Un agent commence aussi à crier : [traduction] « Lâche le couteau, laisse-nous t’aider, lâche le couteau. »

Un agent annonce par radio que des coups de feu ont été tirés. L’agent dit que l’homme est à terre et qu’il respire, mais qu’ils ne pouvaient pas l’approcher tant qu’il tenait le couteau.

D’autres transmissions radio parlent du besoin d’ambulanciers paramédicaux et de la nécessité d’établir un périmètre.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPO a remis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 28 juin et le 16 août 2022 :
  • Enregistrements de transmissions par radio;
  • Rapport du système de répartition assistée par ordinateur;
  • Résumé détaillé de l’appel;
  • Copies de photographies des lieux;
  • Rapports de mesures d’enquête et notes de l’AT no 1;
  • Rapports de mesures d’enquête et notes de l’AT no 2;
  • Rapports de mesures d’enquête et notes de l’AT no 5;
  • Rapports de mesures d’enquête et notes de l’AT no 3;
  • Rapports de mesures d’enquête et notes de l’AT no 4;
  • Rapports de mesures d’enquête et notes de l’AI no 3;
  • Rapports de mesures d’enquête et notes de l’AI no 2;
  • Notes de l’AT no 6;
  • Déclaration écrite de témoin civil – TC no 3;
  • Déclaration écrite de témoin civil – TC no 1;
  • Déclaration écrite de témoin civil – TC no 2;
  • Déclaration écrite de témoin civil – TC no 4;
  • Enregistrement audio de l’entretien avec la plaignante no 2;
  • Enregistrement audio de l’entretien avec le TC no 5;
  • Enregistrement audio de l’entretien avec le TC no 3;
  • Vidéo de l’entrevue avec le TC no 2 et un résumé de cette entrevue;
  • Vidéo de l’entrevue avec le TC no 6 et un résumé de cette entrevue;
  • Vidéo de l’entrevue avec le TC no 9 et un résumé de cette entrevue;
  • Vidéos d’entrevues avec d’autres témoins civils/résumés d’entrevues;
  • Liste des pièces obtenues par le SPO;
  • Interrogation des dossiers concernant le plaignant no 1;
  • Liste des témoins civils;
  • Liste des agents concernés;
  • Liste des véhicules de police utilisés le 27 juin 2022;
  • Liste des pièces sécurisées par le SPO;
  • Rapport d’un agent concernant un incident au cours duquel la sœur de la plaignante no 2 avait été harcelée alors qu’elle se trouvait dans un parc (coupable non identifié);
  • Dossier de formation sur le recours à la force de l’AI no 3;
  • Dossier de formation sur le recours à la force de l’AI no 1;
  • Dossier de formation sur le recours à la force de l’AI no 2;
  • Rapports préliminaires sur la cause des décès de la mère et de la sœur de la plaignante no 2.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Du Service paramédic d’Ottawa :o Rapport d’appel d’ambulance pour la plaignante no 2;
  • Rapport d’appel d’ambulance pour le plaignant no 1;
  • Rapports d’incidents paramédicaux.
  • De l’Hôpital d’Ottawa (campus Civic) :
  • Dossiers médicaux de la plaignante no 2.
  • Du TC no 5, une déclaration aux médias concernant l’incident.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante se dégage du poids des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec la plaignante no 2 et avec plusieurs témoins civils. Comme c’était leur droit, aucun des agents impliqués n’a accepté de s’entretenir avec l’UES. L’AI no 3 et l’AI no 2 ont toutefois autorisé la communication de leurs notes sur l’incident.

Le 27 juin 2022, vers 22 h 25, des agents ont été envoyés à une résidence de la rue Anoka, à Ottawa, à la suite d’appels à la police signalant que plusieurs femmes criaient à l’extérieur et qu’un homme était en train de poignarder une femme. L’homme en question était le plaignant no 1.
 
L’AI no 3 était un des premiers agents (sinon le premier) arrivés sur les lieux. Alors qu’il se dirigeait vers l’ouest sur la rue Anoka dans son véhicule de police, il a vu une femme – la plaignante no 2 – pliée en deux en avant, au bout de l’allée de sa résidence. L’agent a immobilisé son véhicule de police non loin de là et, alors qu’il en sortait, il a vu un homme – le plaignant no 1 – courir vers la plaignante no 2 avec un couteau dans la main droite. Le plaignant no 1 a sauté sur la plaignante no 2 – allongée par terre – et l’a frappée avec le couteau. La plaignante no 2 faisait son possible pour se protéger, en donnant des coups de pied et en se débattant. L’AI no 3 a dégainé son arme à feu – un Glock de calibre .40 – et l’a pointée sur le plaignant no 1, en lui ordonnant de lâcher le couteau. Le plaignant no 1 a continué d’attaquer la plaignante no 2. L’agent a fait feu sur lui à plusieurs reprises. L’une des balles a atteint la plaignante no 2 au bas de la jambe gauche.
 
L’AI no 2 et l’AI no 1 se rendaient aussi sur les lieux, roulant vers l’est sur la rue Anoka dans des véhicules de police distincts, et sont arrivés quelques secondes après les coups de feu tirés par l’AI no 3. Le plaignant no 1 avait été frappé par les coups de feu et était allongé sur le dos sur la chaussée, le couteau toujours dans la main droite. La plaignante no 2 était à moins de deux mètres de lui. L’AI no 2 et, probablement, l’AI no 1 ont dégainé leurs armes à feu et ordonné à plusieurs reprises au plaignant no 1 de lâcher le couteau. Le plaignant no 1, le couteau toujours en main, s’est assis et a commencé à agiter le couteau en direction des agents. L’AI no 2 et l’AI no 1 ont tous les deux tiré plusieurs fois sur le plaignant no 1 avec leurs armes respectives, un Glock de calibre .40 et un Glock 9 mm. [2]
 
Le plaignant no 1 est tombé à la renverse après la deuxième volée de coups pendant que l’AI no 3 traînait la plaignante no 2 pour l’éloigner. Après avoir hésité à s’approcher du plaignant no 1 au sol parce qu’il tenait toujours le couteau, l’AI no 2 et l’AI no 1 l’ont fait peu après quand il a semblé perdre connaissance. L’AI no 2 a mis un pied sur le bras droit du plaignant no 1 et l’AI no 1 a donné un coup de pied sur le couteau, après quoi les agents lui ont prodigué les premiers soins, y compris la RCR.

Des ambulanciers paramédicaux sont arrivés sur les lieux et ont conduit la plaignante no 2 à l’hôpital. Elle avait des coupures au front et à la main gauche, et une fracture à jambe gauche, cette dernière blessure causée par une balle tirée par l’AI no 3.

La mère et la sœur de la plaignante no 2, ainsi que le plaignant no 1, sont tous décédés sur les lieux.
 

Cause du décès

Le pathologiste chargé de l’autopsie était d’avis préliminaire que le décès du plaignant était attribuable à de multiples coups de feu au torse.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances
(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime  

(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant no 1 est mort par suite de coups de feu tirés par des agents du SPO le 27 juin 2022. La plaignante no 2 a également été grièvement blessée à la suite de cette fusillade. Les trois agents qui ont fait feu ont été désignés en tant qu’agents impliqués dans l’enquête de l’UES qui a suivi. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués aient commis une infraction criminelle en lien avec la décharge de leurs armes à feu.

L’article 34 stipule qu’une conduite qui constituerait autrement une infraction est légalement justifiée si elle visait à dissuader une agression raisonnablement appréhendée ou réelle, ou une menace d’agression, et si elle était elle-même raisonnable. Le caractère raisonnable de la force doit être évalué en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et d’autres moyens étaient disponibles pour faire face à l’emploi possible de la force, le fait qu’une partie à l’incident utilisait ou menaçait d’utiliser une arme, ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction à l’emploi ou la menace d’emploi de la force. En l’espèce, il faut déterminer si les agents impliqués ont dépassé les limites de la force légalement justifiable en faisant feu. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Leur présence était légale tout au long de leur interaction avec le plaignant no 1. Le premier devoir d’un agent de police est la protection et la préservation de la vie. Mis au courant de l’attaque au couteau du plaignant no 1 contre la plaignante no 2, puis voyant cette attaque de leurs propres yeux, les agents étaient tenus d’intervenir et de faire tout leur possible pour protéger la plaignante no 2 et placer le plaignant no 1 sous garde.

Je suis convaincu que confrontés à un individu armé d’un couteau avec lequel il infligeait des blessures graves à la plaignante no 2, les agents ont fait feu en croyant raisonnablement que c’était nécessaire pour se protéger et, plus encore, pour protéger la plaignante no 2 contre la menace posée par le plaignant no 1. Bien qu’aucun des agents impliqués n’ait consenti à une entrevue avec l’UES (comme c’était leur droit légal), c’est ce qui ressortait des notes et des déclarations écrites fournies par les AI no 3 et AI no 2, et aucun élément de preuve ne jette de doute sur leurs affirmations à cet égard. L’AI no 1 n’a pas fourni de déclaration ni de notes, mais on peut considérer en toute confiance qu’il était dans le même état d’esprit que ses collègues, compte tenu des circonstances qui prévalaient et du fait qu’il se trouvait dans la même situation que l’AI no 2 au même moment.
 
Je suis également convaincu que compte tenu des exigences de la situation, l’utilisation de leurs pistolets par les agents impliqués constituait une force raisonnable. Au moment où l’AI no 3 a tiré pour la première fois, le plaignant no 1 avait reçu l’ordre de laisser tomber le couteau. Au lieu d’obéir, il a continué d’agresser la plaignante no 2 avec le couteau au milieu de la chaussée. Si l’AI no 3 n’avait pas tiré à ce moment-là, le plaignant no 1 risquait de blesser davantage la plaignante no 2, ou même de la tuer. Heureusement, la volée de coups de feu de l’agent a réussi à faire tomber le plaignant no 1 sur le dos et à l’éloigner un peu de la plaignante no 2. À mon avis, le fait qu’une de ses balles ait frappé la jambe gauche de la plaignante no 2 n’enlève rien au caractère raisonnable de la conduite de l’agent. L’AI no 3 était confronté à un choix difficile et disposait d’une fraction de seconde à peine pour prendre une décision : tirer sur le plaignant no 1 pour mettre fin à l’agression, mais risquer de toucher la plaignante no 2, ou, ne pas tirer et risquer que le plaignant no 1 continue d’infliger des lésions corporelles à la plaignante no 2, ou puisse même la tuer. Il semble que l’agent ait pris la bonne décision. En arrivant à cette conclusion, je note que l’utilisation de son arme était le seul moyen réaliste à la disposition de l’AI no 3 étant donné le besoin immédiat de neutraliser le plaignant no 1 à distance.
 
L’AI no 2 et l’AI no 3 n’avaient pas vraiment non plus d’autre choix que de recourir à leurs armes à feu. Même si le plaignant no 1 était temporairement neutralisé par les coups de feu tirés par l’AI no 3, il tenait toujours le couteau, se trouvait à distance de frappe de la plaignante no 2 et avait recommencé à se ressaisir, agitant le couteau en direction des agents quand ils ont commencé à s’approcher de lui pour protéger la plaignante no 2 contre d’autres attaques. À mon avis, le plaignant no 1 continuait de poser un risque de lésions corporelles graves ou de mort pour les agents compte tenu de leur proximité. Rétrospectivement, l’AI no 2 et l’AI no 1 auraient peut-être pu s’éloigner du plaignant no 1 et se mettre à l’abri plutôt que de recourir à la force létale, mais la situation était extrêmement dynamique et je ne peux pas conclure que les agents aient agi précipitamment lorsque, dans le feu de l’action, ils ont réagi à une menace raisonnablement appréhendée de force létale en recourant eux-mêmes à la force létale.
 
Quant au nombre de coups de feu, les agents les ont tirés en succession rapide et, en ce qui concerne l’AI no 2 et l’AI no 1, simultanément, de sorte que le niveau de menace perçu par les agents n’aurait pas vraiment changé entre le premier et le dernier coup de feu.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que les agents impliqués se soient comportés autrement que dans les limites autorisées par le droit criminel. Il n’y a donc aucune raison de porter des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.

Date : 25 octobre 2022


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumées ci-après. [Retour au texte]
  • 2) D’après le nombre de cartouches restantes dans leurs armes au moment où elles ont été récupérées par l’UES, et selon les pratiques de chargement des agents impliqués, l’AI no 1, l’AI no 2 et l’AI no 3 ont, vraisemblablement, fait feu cinq ou six fois, trois ou quatre fois, et trois ou quatre fois, respectivement. [Retour au texte]
  • 3) Selon les éléments de preuve recueillis par l’UES, le plaignant no 1 était responsable du décès de la mère et de la sœur du plaignant no 2, mais ces décès ne relèvaient pas du mandat d’enquête de l’UES parce qu’ils ne mettaient en cause aucun agent. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.