Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 18-OCI-124

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 23 ans (le plaignant) à la suite de son arrestation, le 21 avril 2018.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 22 avril 2018, vers 14 h 20, le Service communautaire de la police de Cornwall (SCPC) a informé l’UES de la blessure subie par le plaignant lors de sa mise sous garde.

Le SCPC a signalé que le 21 avril 2018, à 23 h 15, les agents témoins nos 1 et 2 ont arrêté le plaignant pour un incident de violence familiale. Le plaignant a résisté à l’arrestation et a été maîtrisé sur les lieux par deux policiers. Il s’est plaint d’une douleur à la mâchoire et a été emmené au poste de police. Une fois rendu au poste, il a refusé de sortir de la voiture de police et a été emmené dans l’aire d’admission, où il n’a toujours pas coopéré. L’agent impliqué est intervenu et le plaignant a été placé dans une cellule. Le SCPC a signalé que, selon certaines indications, le sergent chargé de l’admission aurait peut-être frappé le plaignant au visage. Le plaignant a été transporté à l’hôpital et, à 1 h 30, le SCPC a appris que le plaignant avait le nez cassé.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant :

Homme de 23 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils (TC)

Aucun témoin civil n’a été identifié et aucun ne s’est présenté pour fournir des renseignements aux enquêteurs de l’UES.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 4 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 5 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées


Agent impliqué (AI)

AI A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées



Description de l’incident

Le 21 avril 2018, vers 23 h 15, le service 911 a reçu un appel d’une personne indiquant que le plaignant, qui était l’ex-mari d’une occupante de la maison, frappait à la porte-fenêtre; l’homme aurait quitté le secteur de la résidence 10 minutes plus tard.

Environ 15 minutes plus tard, la même personne a composé de nouveau le 911 pour signaler que le plaignant était retourné à la résidence, qu’il avait encore frappé à la porte, qu’il lui avait crié après et qu’il avait ensuite endommagé des biens à l’extérieur de la résidence, après quoi il avait de nouveau quitté le secteur.

L’AT no 1 a été dépêché sur les lieux et a repéré le plaignant qui traversait l’avenue Brookdale, juste au sud du chemin Cornwall Centre, dans la ville de Cornwall. L’AT no 1 a arrêté le plaignant et l’a transporté au poste du SCPC.

À son arrivée au poste, le plaignant a refusé de sortir de la voiture de police; après avoir répété plusieurs fois au plaignant de sortir, en vain, l’AT no 1 l’a physiquement retiré du véhicule et l’a emmené à l’intérieur pour son admission.

Au cours du processus d’admission, devant l’AI, qui était le sergent responsable de l’admission, le plaignant est devenu très agité et a refusé de répondre à toute question. Les menottes du plaignant ont ensuite été enlevées, et l’AT no 1 est brièvement sorti de la salle d’admission. Les images captées par les caméras du système de télévision en circuit fermé (TVCF) montrent le plaignant levant les deux bras vers l’AI, après quoi ce dernier lui fait une prise de tête et les deux hommes tombent sur le sol. Une fois au sol, l’AI semble donner un ou plusieurs coups au plaignant.

Lorsque l’AT no 1 a entendu des voix fortes et le bruit d’une bagarre, il est retourné dans la salle d’admission pour prêter main-forte à l’AI, et le plaignant a de nouveau été menotté et placé dans une cellule. Les images filmées par le système de TVCF montrent le plaignant se cognant ensuite la tête contre le mur de béton de sa cellule.

Le plaignant a par la suite été transporté à l’hôpital.

Nature des blessures/traitement

Un balayage crânien (tomodensitogramme de la tête) a été effectué sur le plaignant, ce qui a permis de conclure que ce dernier avait subi une [traduction] « fracture du côté gauche de l’os nasal sans déplacement important. De minuscules fragments d’os provenant de l’épine nasale y sont associés. Aucune autre fracture n’a été détectée. » Le plaignant a reçu son congé de l’hôpital sans qu’aucun traitement ne soit nécessaire, car on s’attendait à ce que la fracture guérisse sans intervention médicale.

Éléments de preuve

Les lieux

L’altercation entre le plaignant et l’AI est survenue dans la salle d’admission, adjacente à la salle extérieure, au poste du SCPC. Un escalier menait de la salle extérieure au sous-sol, où se trouvait la cellule. Il y avait des traces de ce qui semblait être des taches de sang situées sur les murs et le lit de la cellule.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve médicolégaux

Aucun élément de preuve médicolégal n’a été présenté au Centre des sciences judiciaires.

Témoignage d’expert

Le 22 avril 2018, le plaignant a été examiné à l’hôpital. Une radiographie et un balayage crânien des os de son visage ont été effectués et on lui a diagnostiqué une fracture de l’épine nasale, avec plusieurs fragments osseux qui se sont délogés.

Le médecin de service à l’urgence a donné son opinion sur la cause possible de la blessure, indiquant que les fractures nasales peuvent résulter d’un coup au nez et peuvent être causées par divers mouvements, chacun d’eux étant défini comme un traumatisme contondant. Le médecin était d’avis que plusieurs mécanismes auraient pu être à l’origine d’une telle blessure, notamment : se faire écraser le visage sur un objet dur (p. ex. le capot d’un véhicule), recevoir des coups de poing fermé au visage, ou se cogner soi-même le visage contre un mur ou une surface dure.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Plusieurs vidéos filmées à l’intérieur du poste de police ont été fournies par le SCPC; elles sont résumées ci dessous.


Caméra située dans le garage (entrée des véhicules)

L’AT no 1 conduit le véhicule dans le garage et l’AT no 2 suit à pied. L’AT no 1 ouvre la porte arrière du côté passager et parle avec le plaignant, qui n’est pas visible à l’intérieur de la voiture. Le plaignant est emmené à pied du garage jusqu’à l’aire d’admission, escorté par l’AT no 1; l’AT no 2 et l’AI sont présents.


Caméra située du côté est

L’AT no 1 et l’AI remettent le plaignant debout, puis le retournent et l’immobilisent contre le mur gauche. L’AI effectue une fouille du plaignant et lui enlève son manteau. L’AT no 1 quitte la salle, puis revient avec une bouteille et applique le produit qu’elle contient sur la main du plaignant, après quoi il enlève une bague au plaignant et la dépose sur le bureau. L’AT no 1 sort à nouveau de la salle. L’AI tient le plaignant par les épaules contre le mur. Le plaignant lève les deux bras entre les bras de l’AI. L’AI déplace le plaignant vers la droite et lui fait une prise de tête, puis les deux hommes tournent vers la droite et tombent sur le sol. L’AT no 1 revient dans la salle et se dirige à la droite de l’AI pour l’aider. L’AI effectue trois mouvements successifs du bras droit en direction de la tête du plaignant, mais la vidéo ne permet pas de déterminer avec précision l’endroit où le plaignant est atteint par les coups qui lui sont assénés. Le plaignant est ensuite menotté puis escorté à l’extérieur de la salle.


Caméra située du côté ouest

Le plaignant se tourne pour faire face à l’AI. L’AI tient le plaignant par le bras droit et l’épaule gauche. Le plaignant lève ses bras entre les bras de l’AI. Ce dernier fait tourner le plaignant vers la droite, en lui faisant une prise de tête, et ils tombent tous deux au sol. L’AI place sa main droite sur le visage du plaignant et lui donne des coups de poing ou d’avant bras au visage. L’AT no 1 tient le bras gauche du plaignant. Ensemble, l’AI et l’AT no 1 retournent le plaignant pour qu’il soit face contre terre. L’AI passe les menottes au plaignant, après quoi celui ci est soulevé et remis debout par les deux agents. Le plaignant est emmené à l’extérieur de la salle d’admission.


Camera située à l’extérieur de la cellule no 1

L’AT no 1 a le contrôle sur le plaignant lorsqu’ils arrivent à la cellule. Il y a une marque rouge bien visible sur la joue droite du plaignant et du sang près du coin droit de sa bouche. Il est placé dans la cellule par l’AT no 1 et oppose une brève résistance. L’AT no 1 pousse le plaignant sur le lit de béton et le tient face contre terre. L’AT no 2 se trouve également dans la cellule et discute avec le plaignant, tandis que l’AT no 1 continue de le maîtriser. L’AT no 1 se lève et relâche sa pression sur le plaignant. Tous les policiers sortent de la cellule. Le plaignant est toujours menotté, les mains derrière le dos, assis sur le lit. L’AI verrouille la porte de la cellule. Le plaignant se déplace latéralement vers sa droite et se frappe soudainement la tête contre le mur en blocs de béton, percutant la partie supérieure droite de sa tête.

Enregistrements de communications

La personne qui a composé le 911 a signalé que le plaignant essayait d’entrer dans la maison et qu’il avait cassé des meubles de jardin. Des unités ont été dépêchées sur les lieux, et on a demandé à la personne qui appelait de rester en ligne. La personne a signalé que le plaignant avait quitté précipitamment les lieux dès l’arrivée de l’agent de police.

Un répartiteur a communiqué de l’information aux agents de police au sujet des conditions de mise en liberté sous caution du plaignant. La grand-mère du plaignant a fourni la description et l’emplacement actuel de celui-ci aux policiers. L’AT no 1 a signalé qu’il avait arrêté le plaignant et l’avait transporté au poste de police.

L’AI a dit au répartiteur qu’il allait [traduction] « garder ces deux-là en bas, parce qu’il était violent et agressif ».

Éléments obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé au SCPC les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • rapport d’arrestation;
  • chronologie de l’événement;
  • enregistrements des appels au 911;
  • enregistrements des communications par radio de la police;
  • images captées par les caméras du système de TVCF (garage/entrée des véhicules, hall d’admission, secteur des cellules);
  • formulaire d’admission;
  • rapport sur la gestion des risques de violence familiale;
  • registre de service;
  • rapport détaillé de l’événement;
  • rapport général;
  • historique des incidents dans lesquels le plaignant a été impliqué;
  • rapport sur les incidents;
  • notes des AT nos 1 à 5;
  • registre de prisonniers;
  • procédure : fouille de personnes;
  • procédure : arrestation;
  • procédure : usage de la force;
  • reconnaissance de cautionnement du plaignant;
  • dossiers de formation de l’AI et des AT nos 1 et 2;
  • déclarations écrites des AT nos 1 et 2.


L’UES a obtenu les documents et éléments suivants d’autres sources, et les a examinés :

  • Les dossiers médicaux du plaignant relatifs à l’incident faisant l’objet de l’enquête, avec son consentement.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 21 avril 2018, à 23 h 15 min 44 s, le SCPC a reçu un appel au 911 d’une femme signalant qu’un homme brisait des objets derrière la maison d’où elle appelait. Elle a également indiqué qu’il détruisait sa voiture dans l’allée, qu’il essayait de faire irruption dans la maison en cassant la porte fenêtre avec des meubles de jardin et qu’il frappait maintenant dans la porte; la femme a identifié le plaignant comme étant l’homme qui commettait ces méfaits. Elle a indiqué qu’elle appelait de la résidence de l’ex-petite amie du plaignant. En vertu des conditions de sa mise en liberté sous caution ordonnées par la cour, le plaignant ne pouvait pas à ce moment là entrer en contact avec son ex-petite amie ou se trouver à moins de 150 mètres de la résidence de celle ci. La police a été dépêchée en réponse à l’appel, mais à 23 h 21 min 33 s, avant l’arrivée de la police, la femme a signalé que le plaignant s’était enfui par la cour arrière.

À 23 h 29, le plaignant a été repéré dans le secteur de l’avenue Brookdale et du chemin Cornwall Centre dans la ville de Cornwall, où il a été arrêté par l’AT no 1 pour avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution, puis transporté jusqu’au poste de police.

Au cours de son incarcération, le plaignant a subi une blessure et a été transporté à l’hôpital, où l’on a découvert qu’il avait subi une fracture de l’épine nasale.

Étant donné que le plaignant semble avoir été blessé pendant qu’il était sous garde policière, que ce soit sur le bord de la route ou à l’intérieur du poste de police et loin des regards du public, aucun témoin civil n’a assisté à l’incident; le plaignant est le seul civil qui a participé à une entrevue. Toutefois, en plus du plaignant, cinq agents témoins ainsi que l’agent impliqué ont participé à une entrevue, et tous ont fourni leurs notes de service aux enquêteurs de l’UES à des fins d’examen.

De plus, et heureusement, l’intérieur du poste du SCPC était sous surveillance vidéo constante, et presque chaque seconde du temps passé par le plaignant en détention au poste a été enregistrée par les caméras du système de TVCF (les images ont été fournies aux enquêteurs de l’UES). Bien que, dans sa déclaration, le plaignant ait omis de mentionner à la fois son comportement d’obstruction et sa résistance physique, qui sont clairement visibles sur les images de la vidéo de surveillance (ce qui m’amène à aborder avec prudence la fiabilité de son compte rendu de ses interactions avec les policiers), le fait demeure qu’il a été blessé pendant son interaction avec les policiers le 21 avril 2018 et qu’il est nécessaire de déterminer si la blessure est attribuable ou non à un usage excessif de la force par un agent ayant été en contact avec lui. La description qui suit est établie à partir des images filmées par les caméras du système de TVCF ainsi que des preuves fiables fournies par des témoins oculaires.

Dans sa déclaration à l’UES, le plaignant a raconté qu’il marchait sur l’avenue Brookdale vers minuit le 21 avril 2018 lorsqu’il a vu un véhicule de patrouille identifié qui roulait parallèlement à lui, mais il a continué à marcher. Le plaignant a mentionné qu’il avait consommé un certain nombre de boissons alcoolisées et a estimé que, sur une échelle d’un à dix où dix était un état d’ébriété très avancé, il se situait à cinq ou six. Le plaignant n’a aucunement mentionné être allé à la résidence de son ex-petite amie plus tôt au cours de la soirée.

Le plaignant allègue que, pendant qu’il marchait, l’AT no 1 l’a attrapé par-derrière, l’a retourné vigoureusement et lui a collé la tête contre le capot du véhicule de police. Le plaignant a ensuite été informé qu’on l’accusait d’avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté sous caution, et il a été menotté les mains derrière le dos et poussé sur le siège arrière du véhicule de police, sur le ventre; on lui a dit de rester là et de se taire. Le plaignant allègue qu’il a dit à plusieurs reprises aux policiers qu’il souhaitait parler à son avocat et qu’il avait besoin de soins médicaux, car sa mâchoire lui faisait mal après avoir frappé le capot du véhicule de police.

L’AT no 1, suivi de l’AT no 2 dans une autre voiture de police, a ensuite transporté le plaignant jusqu’au poste de police. Une fois dans le garage du poste de police, les AT nos 1 et 2 ont emmené le plaignant dans l’aire d’admission, où se trouvait l’AI. Le plaignant s’est rappelé qu’il avait de nouveau demandé à parler à son avocat et à obtenir des soins médicaux, mais que l’AI lui avait dit de se calmer et qu’il avait donc cessé de parler. Le plaignant allègue également qu’à ce moment là, l’AI lui a dit que ses actions (celles du plaignant) lui donnaient à penser qu’il ne souhaitait plus parler à un avocat. L’AI a ensuite demandé aux deux policiers en uniforme d’enlever les menottes dans le dos du plaignant et de le menotter de nouveau, mais à l’avant du corps, afin qu’il puisse être fouillé.

Selon le plaignant, l’AI lui a ensuite tenu le visage contre un mur de ciment pour fouiller ses poches et ses vêtements, en présence de trois ou quatre autres policiers. Le plaignant a convenu qu’il était agité à ce moment-là et qu’il criait qu’il voulait parler à un avocat. À un moment donné, le plaignant a été en mesure de se retourner pour faire face à l’AI et lui a crié qu’il avait droit à l’assistance d’un avocat.

Dans sa déclaration, le plaignant a indiqué que l’AI l’avait alors pris par le bras droit et l’arrière de la tête et l’avait tiré avec force sur le sol, où il a atterri sur son côté droit, puis s’est retourné sur son dos. L’AI a ensuite frappé le plaignant au visage avec son poing gauche, à trois reprises, lui causant une douleur intense à la joue droite, au nez et aux lèvres; il saignait également du nez et de la bouche.

D’autres policiers ont ensuite traîné le plaignant dans une cellule et l’ont placé face contre terre sur le lit de béton. Le plaignant a craché du sang sur le mur de la cellule et a vomi dans la toilette. Deux des policiers, dont l’un était l’AT no 2, sont restés près de sa cellule jusqu’à ce qu’il se calme, après quoi l’AT no 2 lui a retiré les menottes et lui a dit qu’elle prendrait des dispositions pour lui permettre d’appeler son avocat. Après que le plaignant eut parlé à son avocat, les policiers ont appelé une ambulance et le plaignant a été transporté à l’hôpital, où on lui a diagnostiqué une fracture du nez.

Il n’y a pas beaucoup de divergences entre le témoignage du plaignant et ceux des agents de police, y compris l’AI, quant aux actions de la police à l’intérieur du poste de police, et le fait que l’AI a frappé le plaignant est incontesté; les divergences entre le témoignage du plaignant et celui de l’AI sont plutôt liées à la raison pour laquelle l’AI a frappé le plaignant et aux actions du plaignant pendant sa détention.

Le témoignage de l’AT no 1 diffère de celui du plaignant en ce sens que, bien qu’il convienne qu’il s’est approché du plaignant et est sorti de son véhicule de police pour aborder celui ci sur l’avenue Brookdale (après avoir conduit à côté de lui et l’avoir vu faire abstraction de sa présence et de celle du véhicule de police), il soutient s’être approché du plaignant et l’avoir immédiatement maîtrisé en tenant son bras gauche et en appuyant sur l’arrière de son épaule, ce qui l’a fait tourner légèrement et se pencher sur le capot de son véhicule de police. L’AT no 1 a décrit avoir utilisé son avant bras droit pour exercer une pression suffisante sur le dos du plaignant afin de le maintenir en place, tout en lui tenant les mains ensemble avec sa main gauche; l’AT no 1 a ensuite informé le plaignant qu’il était en état d’arrestation pour violation des conditions de sa mise en liberté sous caution.

L’AT no 1 a déclaré que le plaignant s’était défendu en disant qu’il n’avait fait que marcher dans la rue et qu’à au moins deux reprises, il avait essayé de se lever, mais il (l’AT no 1) avait réussi à le tenir en place au dessus du capot de la voiture de police. Lorsque l’AT no 2 est arrivée, le plaignant a été menotté les mains dans le dos et l’AT no 1 lui a de nouveau expliqué la raison de son arrestation et lui a lu son droit à un avocat (conformément à l’article 10 de la Charte canadienne des droits et libertés). En outre, l’AT no 1 a raconté que le plaignant avait fait fi de lui, en refusant de reconnaître qu’on l’avait informé de son droit à un avocat et d’indiquer s’il voulait ou non exercer son droit à un avocat, en parlant continuellement par dessus lui et en demandant des soins médicaux pour sa douleur à la mâchoire.

À l’exception de son affirmation voulant que le plaignant ait refusé d’indiquer s’il souhaitait ou non communiquer avec un avocat, l’AT no 1 a fourni un témoignage essentiellement conforme à celui de l’AT no 2, qui a indiqué dans sa déclaration qu’à son arrivée, elle avait observé l’AT no 1 qui maintenait le plaignant penché vers l’avant sur le capot du véhicule de police. L’AT no 2 s’est ensuite approchée et a menotté le plaignant, les mains derrière le dos. Elle a déclaré que le plaignant était très agité, criait haut et fort que la police n’avait aucune raison de l’arrêter, et exigeait de parler à un avocat.

Ni l’AT no 1 ni l’AT no 2 n’a indiqué avoir utilisé la force ou observé la force être utilisée contre le plaignant en bordure de la route.

L’AT no 1 a déclaré que, quand les agents sont arrivés au poste de police en compagnie du plaignant, celui-ci a refusé de sortir du véhicule de police de son propre chef, se couchant plutôt sur le siège arrière, forçant l’AT no 1 à le saisir par la ceinture de son pantalon pour le tirer hors de la voiture. Une fois le plaignant debout à l’extérieur de la voiture, il n’a pas voulu entrer et il a dû être aidé par les AT nos 1 et 2. Une fois à l’intérieur de la salle d’admission, le plaignant a été assis sur un tabouret à côté de la table où l’AI, le sergent responsable de l’admission, a suivi les procédures à cet égard.

Ce témoignage correspond à celui de l’AT no 2, qui a également indiqué que lorsqu’elle est arrivée dans l’entrée des véhicules, elle a vu le plaignant allongé sur le siège arrière, face contre terre, refusant de sortir de la voiture de police, et forçant l’AT no 1 à le saisir par la ceinture du pantalon pour le tirer hors du véhicule. L’AT no 2 a déclaré que, par la suite, le plaignant n’avait pas voulu entrer dans le hall d’admission, et qu’elle et l’AT no 1 avaient dû l’aider (un agent de chaque côté).

Même si le plaignant n’a pas mentionné son comportement d’obstruction dans l’entrée des véhicules et son refus de sortir de la voiture de police, les images filmées par la caméra du système de TVCF située dans le garage (entrée des véhicules), bien que sans son, semblent confirmer que les choses se sont déroulées de la façon suivante : l’AT no 1 ouvre la porte arrière pour permettre au plaignant de sortir du véhicule, puis reste debout et lui parle pendant quelques instants; ensuite, l’AT no 2 arrive et regarde sur le siège arrière et, enfin, après 91 secondes de discussion, l’AT no 1 tire le plaignant hors du véhicule de police. Par la suite, le plaignant semble se tenir debout à un endroit, se balançant d’avant en arrière, pendant que l’AT no 1 passe son bras sous le sien, puis le conduit à l’intérieur du poste.

Dans sa déclaration, l’AT no 2 a expliqué qu’une fois assis sur un tabouret dans le hall d’admission en face de l’AI, le plaignant a refusé de répondre à toute question ou de reconnaître qu’il entendait les questions que lui posait l’AI, et qu’il a plutôt protesté bruyamment et de façon continue au sujet de ses droits, de son désir de parler à un avocat et de son besoin d’obtenir des soins médicaux pour sa douleur à la mâchoire.

Ce témoignage est conforme à celui de l’AT no 1, qui a également ajouté que lorsqu’on lui a demandé le nom de son avocat, le plaignant a refusé de le fournir.

Puisque la vidéo de la salle d’admission n’a pas de son, je ne suis pas en mesure de déterminer, à partir des images filmées par le système de TVCF, ce qui s’est dit exactement dans la salle d’admission à ce moment là. En revanche, comme le témoignage des trois policiers présents est conforme à cet égard, et étant donné que (comme l’AI l’a indiqué lors de son entrevue) le dossier d’admission du plaignant porte simplement la mention [traduction] « refusé », je conclus que le plaignant a bel et bien refusé de répondre à toute question que lui a posée l’AI.

L’AT no 1 a également indiqué qu’afin de faciliter une fouille du plaignant, avant que celui ci soit placé en cellule, l’AI et lui ont mis le plaignant debout et l’ont tenu face à un mur en blocs de béton; ils lui ont alors retiré les menottes afin de pouvoir lui enlever son manteau d’hiver.

À cet égard, la déclaration de l’AT no 2, qui se trouvait à proximité et qui observait pendant que l’AT no 1 s’occupait du plaignant, est également conforme au témoignage de l’AT no 1 de même qu’aux images filmées par le système de TVCF. Même si, dans sa déclaration, le plaignant allègue que l’AI a tenu son visage contre un mur de blocs de béton afin de le fouiller, je signale que la vidéo, même si elle montre que le plaignant s’appuie sur le mur et semble avoir le front accoté contre celui ci, révèle également que personne ne presse le visage du plaignant contre un mur de blocs de béton; en fait, le plaignant semble être appuyé sur une sorte de tableau blanc sur le mur, et c’est l’AT no 1 qui le tient par le bras droit, pendant que l’AI effectue la fouille.

L’AT no 1 a ensuite quitté la salle d’admission. Une fois l’AT no 1 sorti de la salle d’admission, l’AT no 2 a vu le plaignant agiter ses bras et l’AI réagir en essayant de le plaquer au sol. L’AT no 2 a expliqué que l’AI a fait une prise de tête au plaignant, après quoi un bref affrontement a eu lieu et les deux hommes sont tombés au sol, le plaignant sur le dos. L’AT no 2 s’est alors déplacée vers les jambes du plaignant afin de prêter main forte à l’AI, qui utilisait son poids pour maîtriser le plaignant; l’AT no 1 est alors aussi revenu pour aider ses collègues.

L’AT no 2 a ensuite vu l’AI asséner plusieurs coups au plaignant avec son bras droit, mais elle n’a pas pu voir l’endroit où le plaignant a été atteint.

De même, l’AT no 1 a décrit avoir entendu des voix élevées et des bruits de bagarre, ce qui l’a incité à retourner à la salle d’admission, où il a vu que l’AI faisait une sorte de prise de tête au plaignant et essayait de le retourner, lorsque les deux hommes sont tombés au sol, le plaignant atterrissant du côté droit, le visage vers le haut, et roulant sur son dos. L’AI a ensuite chevauché le plaignant, tandis que l’AT no 1 s’est rendu près de la tête du plaignant dans le but d’aider son collègue. L’AT no 1 se souvient d’avoir alors vu l’AI faire plusieurs mouvements de bras, qui pouvaient être des coups de poing, mais il n’a pas non plus été en mesure de voir, en raison de la position de l’AI et du plaignant sur le plancher, si les coups ont touché le plaignant et, le cas échéant, où ils ont atteint ce dernier.

Cependant, lorsque j’ai visionné la vidéo au ralenti, j’ai remarqué ce qui suit :

À 23 h 51 min 40 s
L’AT no 1 quitte la salle après avoir enlevé la bague de la main du plaignant. Le plaignant, qui faisait face au mur, est ensuite tourné vers l’avant par l’AI, qui maintient sa prise sur le bras gauche du plaignant. Le plaignant se dégage alors le bras gauche et l’AI place ensuite sa main droite sur l’épaule gauche du plaignant et sa main gauche sur le côté droit de celui ci, comme pour le calmer. Le plaignant lève ensuite les deux mains pour repousser les bras de l’AI, puis il lève la main et le bras gauche sur le visage de l’AI.

À 23 h 51 min 46 s
L’AI pousse immédiatement le plaignant latéralement et place son avant-bras à l’arrière de la région de la tête et du cou du plaignant. Lorsque le plaignant continue de se débattre, l’AI place son avant bras autour du cou du plaignant, lui fait une prise de tête et le tire vers le sol.

À 23 h 51 min 48 s
Pendant que les deux hommes tombent, le plaignant lutte encore violemment; ils atterrissent ensuite au sol, le plaignant sur le dos.

À 23 h 51 min 59 s
Les trois agents sont maintenant au dessus du plaignant, essayant de le contrôler (l’AT no 2 retient les jambes du plaignant, l’AT no 1 immobilise le haut du corps du plaignant avec le haut de son propre corps et l’AI est par-dessus le plaignant, le maintenant par terre).

De 23 h 52 min 1 s à 23 h 52 min 24 s
Tout le mouvement cesse et les agents continuent de maîtriser le plaignant, comme s’ils attendaient qu’il se calme.

À 23 h 52 min 34 s
L’AI se lève. L’AT no 2 remet les menottes à l’AI et le plaignant est menotté. L’AT no 1 continue d’immobiliser le plaignant au sol à l’aide du haut de son propre corps.

Les AT nos 2 et 1 ont tous deux indiqué que le plaignant a ensuite été retourné sur le ventre et menotté, les mains derrière le dos, après quoi on l’a aidé à se relever debout. À ce moment-là, l’AT no 1 a constaté une abrasion dans la région de la joue droite du plaignant, avec du sang visible sur son visage, tandis que l’AT no 2 a décrit avoir vu une petite quantité de sang sur le plancher (elle a compris que le sang provenait du visage du plaignant). Encore une fois, cela est confirmé par les images de TVCF.

Le plaignant a ensuite été escorté jusqu’à sa cellule par les AT nos 1 et 2, et ceux ci ont tenté de le placer sur le ventre sur le lit de béton. L’AT no 1 a déclaré que le plaignant était toujours activement hostile et qu’il s’est tortillé, ce qui a fait trébucher l’AT no 1 et le plaignant; l’AT no 1 est alors tombé par dessus le plaignant sur le lit de béton, où le plaignant a été laissé menottes aux mains jusqu’à ce qu’il se calme. L’AT no 2 a déclaré qu’une fois dans la cellule, le plaignant n’était toujours pas coopératif, et qu’il crachait du sang sur le lit et le mur. Une fois que le plaignant s’est calmé, la porte de la cellule a été verrouillée et les AT nos 2 et 3 sont restés pour surveiller le plaignant dans sa cellule; l’AT no 1 a quitté le secteur. L’AT no 2 a raconté avoir alors entendu un bruit sourd et avoir vu le plaignant se frapper la tête contre le mur de la cellule.

Le témoignage de l’AT no 2 est conforme à celui de l’AT no 3, qui a vu le plaignant se projeter vers l’avant et se cogner la tête contre le mur de béton à l’intérieur de la cellule. L’AT no 3 a indiqué qu’il croyait que le front du plaignant était entré en contact avec le mur, après quoi le plaignant s’était assis par terre.

À 0 h 7 min 9 s, la vidéo montre le plaignant face à la porte de sa cellule, lorsqu’il fait un pas vers la droite et se cogne la tête contre le mur, touchant la partie supérieure de sa tête, mais non son visage.

Selon l’AT no 5, qui a accompagné le plaignant à l’hôpital dans l’ambulance, le plaignant lui a dit qu’il avait été [traduction] « malmené » par un gros policier chauve et tatoué (bien que l’AT no 1 soit un homme chauve au physique imposant, je fais remarquer qu’il ne porte pas de tatouages et que seul l’AI est à la fois chauve et tatoué, même s’il est moins imposant que l’AI no 1; par conséquent, je ne peux établir avec certitude à qui le plaignant faisait référence), et qu’il avait été frappé quand il était menotté.

Si, dans ses propos à l’AT no 5, le plaignant faisait référence à l’AT no 1 comme étant celui qui l’avait [traduction] « malmené », je signale que la seule allégation faite par le plaignant à l’endroit de l’AT no 1 est que celui-ci lui aurait frappé durement la tête contre le véhicule de police (causant sa douleur à la mâchoire); l’AT no 1, quant à lui, dit avoir simplement appuyé le plaignant sur le capot du véhicule de police en exerçant une pression dans son dos, pour le retenir dans cette position. Donc, si ces propos se rapportent aux actions de l’AT no 1, malgré les plaintes répétées du plaignant selon lesquelles sa mâchoire avait été blessée, je constate que l’évaluation ultérieure à l’hôpital, le balayage crânien (tomodensitogramme de la tête) et les radiographies ont clairement indiqué que ce n’était pas le cas et que, quel qu’ait été le geste posé par l’AT no 1, celui ci n’a causé aucune blessure (grave ou non) au plaignant.

Si le plaignant fait référence à l’AI comme étant l’agent qui l’a [traduction] « malmené », il n’est pas contesté que l’AI a porté trois coups au plaignant dans le hall d’admission. Je signale toutefois que la vidéo montre clairement que le plaignant n’était pas menotté à ce moment-là, ce qui contredit l’allégation qu’il a faite à l’AT no 5. Dans la vidéo, on voit le plaignant lever les bras, ce qui amène l’AI à lui faire une prise de tête et à le faire tomber sur le sol; on voit alors l’AI bouger son bras trois fois (il semble asséner des coups au plaignant) pendant que le plaignant lutte vigoureusement avec lui. Ce n’est qu’à la fin de la lutte que les menottes sont appliquées de nouveau au plaignant.

De plus, étant donné que l’on a remarqué pour la première fois que le plaignant était blessé ou saignait du visage qu’après son interaction avec l’AI, lorsqu’il est sur le plancher dans la salle d’admission, je conclus qu’il ne peut être contesté que la blessure grave subie par le plaignant, à savoir la fracture de l’épine nasale, est survenue quand il était au plancher avec l’AI. Je conclus toutefois qu’en regardant attentivement la vidéo, il semble que l’abrasion au visage du plaignant soit déjà visible dès que celui ci et l’AI tombent au sol, et avant le mouvement qui semble être celui de l’AI ramenant son coude comme pour frapper le plaignant. Bien que je ne puisse déterminer de façon définitive à quel moment le plaignant s’est cassé le nez, il semble probable que cela se soit produit lorsque les deux hommes sont tombés par terre; il est toutefois possible que cela se soit produit lorsque l’AI a frappé le plaignant.

Bien qu’il y ait peu de divergences entre le témoignage du plaignant et ceux des trois agents de police quant à ce qui s’est passé avant que le plaignant ne soit blessé, je signale que le plaignant a spécifiquement omis de mentionner certains aspects de son propre comportement, ce qui me fait douter de sa crédibilité et de sa fiabilité. Voici un échantillon de ces omissions :

  • le fait que le plaignant n’a pas mentionné les gestes qu’il a posés au domicile de son ex-petite amie (qui ont mené à son arrestation) et qu’il a plutôt insisté pour dire que, lorsqu’il a été arrêté et appréhendé par l’AT no 1, il ne faisait que marcher et n’avait rien fait de mal;
  • le fait que le plaignant n’a pas mentionné à la fois son refus de sortir du véhicule de police, forçant ainsi l’AT no 1 à l’en tirer physiquement, et sa résistance à se rendre par lui même à l’intérieur du poste de police;
  • le fait que le plaignant n’a pas mentionné son comportement d’obstruction devant l’AI, y compris son refus de répondre aux questions, sa façon de parler par-dessus l’AI et de faire fi de celui ci, et son refus, malgré ses déclarations continues et fortes sur son désir de parler à un avocat, de fournir le nom de cet avocat (dans sa déclaration, le plaignant a plutôt affirmé avoir simplement attendu en silence après s’être fait dire de se calmer par l’AI);
  • le fait que le plaignant n’a pas mentionné qu’il a levé les bras à deux reprises en se débattant avec l’AI, ce qui est clairement visible sur les images captées par les caméras du système de TVCF (il a plutôt indiqué qu’il avait seulement réussi à se retourner et à crier après l’AI);
  • l’affirmation claire du plaignant selon laquelle il était menotté au moment de l’incident avec l’AI, lorsque la vidéo confirme le témoignage de tous les agents présents, à savoir que le plaignant n’était en fait pas menotté à ce moment-là, ce qui lui a permis de lever les bras pour contrer l’AI et de se débattre vigoureusement; et, surtout 
  • le fait que le plaignant n’a pas mentionné qu’il s’était cogné délibérément et intentionnellement la tête contre le mur de béton de sa cellule.

En raison de ces actions d’obstruction spécifiques du plaignant, qu’il a omis de mentionner dans sa déclaration à l’UES, soit parce qu’il ne s’en souvenait pas en raison de son état d’ébriété, soit parce qu’il les a volontairement omises afin de se faire voir sous un angle meilleur, ou pour toute autre raison non déterminée, je conclus que je ne peux accorder la moindre crédibilité au témoignage du plaignant, sauf lorsque ses affirmations sont corroborées par un autre témoignage. Pour en arriver à ma conclusion en ce qui concerne les faits dans cette affaire, je conclus que la preuve vidéo appuie les témoignages des divers agents de police à tous égards et, à ce titre, j’ai tiré mes conclusions de fait en me fondant principalement sur cette preuve, mais aussi sur les témoignages des agents témoins, puisque leur version des événements est confirmée par la preuve vidéo.

Toutefois, cela ne met pas fin à l’affaire. Étant donné qu’il n’est pas contesté que le plaignant a subi une blessure grave au cours de son interaction avec l’AI, une évaluation est toujours nécessaire pour déterminer si les mesures prises par l’AI pour maîtriser le plaignant ont constitué un usage excessif de la force dans les circonstances, viciant ainsi sa protection contre des poursuites en vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel.

Par conséquent, la question à trancher consiste à déterminer si le fait de faire tomber le plaignant au sol, à la suite de ses tentatives de repousser l’AI, puis de lui asséner un certain nombre de coups quand il a continué de se débattre, était justifié dans les circonstances ou constituait un usage excessif de la force.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, un agent de la paix est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à employer la force nécessaire dans l’exercice de ses fonctions légitimes. Ainsi, pour que l’AI soit admissible à la protection contre les poursuites prévue à l’article 25, il doit être établi qu’il exerçait ses fonctions légitimes, qu’il agissait en se fondant sur des motifs raisonnables et qu’il n’a pas employé une force supérieure à celle requise.

En ce qui concerne d’abord la légalité de l’arrestation du plaignant, il ressort clairement de l’information contenue dans les appels au service 911 que le plaignant a non seulement dérangé et effrayé les occupants de la résidence depuis laquelle la personne a appelé, mais qu’il a également manqué aux conditions de sa mise en liberté sous caution, en vertu desquelles il ne devait pas se trouver à moins de 150 mètres de cette résidence (la résidence de son ex-petite amie). Ainsi, la police agissait dans l’exécution d’une fonction légitime lorsqu’elle a arrêté le plaignant pour avoir enfreint les conditions de sa mise en liberté, en violation du paragraphe 145(3) du Code criminel. Par conséquent, tant que les agents n’ont pas employé plus de force qu’il n’était nécessaire et raisonnable dans les circonstances, leurs actes sont protégés contre toute poursuite en vertu de l’article 25.

Il ressort clairement de tous les éléments de preuve (et comme on peut le voir sur les séquences vidéo filmées par les caméras du système de TVCF) que le plaignant a eu une attitude hostile et a résisté physiquement à l’AI, ce qui a immédiatement amené celui ci à réagir pour le faire tomber au sol et le maîtriser de nouveau. Pendant que le plaignant se battait activement contre l’AI, les deux hommes sont tombés par terre, ce qui pourrait avoir causé la blessure au visage du plaignant. Tandis que la vidéo montre le plaignant en train de continuer à lutter et à se battre activement, on voit l’AI ramener son bras vers l’arrière et frapper le plaignant; l’AI a indiqué qu’il avait utilisé son poing droit pour frapper le plaignant au visage une fois, près de la bouche, et qu’il avait ensuite porté deux autres coups avec son avant bras droit pour le frapper au visage avec la partie externe du bras. Dans la description qu’il a fournie à l’UES, l’AI a mentionné qu’il s’agissait davantage d’une [traduction] « poussée sur le visage » que d’un coup. Les images de TVCF semblent tout à fait conformes à cette description des événements et confirment le témoignage de l’AI. Sur cette base, je conclus que les gestes posés par l’AI (que ce soit en faisant tomber le plaignant au sol en lui faisant une prise de tête ou en lui assénant les trois coups à la tête), même une fois que les trois policiers retenaient le plaignant au sol, étaient à la fois raisonnables et justifiés dans les circonstances, plaçant l’AI sous la protection de l’article 25.

En concluant que les gestes posés par l’AI ne constituent pas un recours inutile ou excessif à la force, je tiens compte de la décision de la Cour suprême du Canada énoncée dans R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. : 
 
Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.-B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

En outre, j’ai tenu compte de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C. A. de l’Ont.), à savoir que l’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

D’après l’ensemble de la preuve, il est clair que si le plaignant n’avait pas résisté et n’avait pas été combatif avec l’AI, aucune force n’aurait été nécessaire pour le fouiller et le placer ensuite dans une cellule [1]. Par conséquent, même si je conclus que le plaignant a subi une blessure grave au cours de sa lutte avec l’AI et à la suite des efforts de celui ci pour le maîtriser, la preuve ne me convainc pas qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’AI, ou tout agent qui est intervenu auprès du plaignant, a enfreint les dispositions du Code criminel. De ce fait, comme je n’ai pas les motifs nécessaires pour porter des accusations criminelles, aucune ne sera déposée.


Date : 28 janvier 2019

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) En fait, la vidéo de l’admission montre clairement que jusqu’à ce que le plaignant dégage son bras gauche (que l’AI avait saisi) et agite ses deux bras devant le visage de l’AI, aucune force n’est utilisée pendant la procédure de fouille. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.