Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCD-256

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 23 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES
 

Le 7 octobre 2020, à 9 h 34, le Service de police d’Ottawa (SPO) a avisé l’UES du décès du plaignant. Selon le SPO, le 7 octobre 2020, vers 9 h, des agents du SPO se sont rendus au 2020 Jasmine Crescent, à Ottawa, pour exécuter un mandat de perquisition. Pendant qu’ils étaient sur place, le plaignant a sauté du balcon. Le décès du plaignant a été prononcé sur les lieux.

L’équipe
 

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés :     4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés :     1

Les enquêteurs de l’UES ont interrogé des témoins civils et de la police et ont fait le tour du secteur à la recherche d’autres témoins. Ils ont demandé et obtenu des enregistrements de caméras de surveillance de l’intérieur et de l’extérieur de l’immeuble en question. Les entrevues avec les agents impliqués et les agents témoins ont été retardées en raison de la pandémie de coronavirus 19 (COVID-19) et des protocoles d’emploi qui en ont découlé au cours de cette enquête.

Un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a pris des photographiques numériques de l’intérieur et de l’extérieur de l’appartement, recueilli des pièces à conviction et fait un enregistrement photographique numérique de l’autopsie du plaignant effectuée le 8 octobre 2021.

Les enquêteurs de l’UES ont examiné les données obtenues sur demande auprès du fabricant de l’appareil de suivi GPS attaché à la cheville du plaignant.

Plaignant :


Homme de 23 ans, décédé



Témoins civils
 

TC no 1     N’a pas participé à une entrevue (plus proche parent)

TC no 2     A participé à une entrevue

TC no 3     A participé à une entrevue

TC no 4     A participé à une entrevue

TC no 5     A participé à une entrevue

TC no 6     A participé à une entrevue

TC no 7     A participé à une entrevue

Agents témoins
 

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 A participé à une entrevue

AT no 7 A participé à une entrevue

AT no 8 A participé à une entrevue

AT no 9 A participé à une entrevue



Agents impliqués
 

AI no 1     N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué. Ses notes ont été reçues et examinées.

AI no 2     A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AI no 3     A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées



Éléments de preuve

Les lieux
 

Scène primaire 

Figure one

Figure 1 - 2020 Jasmine Crescent, Ottawa.
Quand l’UES est arrivée sur les lieux, il faisait jour, le temps était couvert et il faisait chaud et humide, car il avait plu abondamment peu de temps auparavant.

Deux agents de police du SPO se trouvaient à l’arrière, sur le côté est de l’immeuble d’appartements de 14 étages, où une tente de protection était érigée au-dessus d’une couverture qui recouvrait la dépouille du plaignant. Le coroner local était également présent et avait déjà examiné le corps, l’avait marqué pour identification et préparait les documents pour le transfert du corps à l’unité de médecine légale de l’Est de l’Ontario (UMLESO).
Le corps du plaignant était vêtu d’un T-shirt bleu et d’un short noir. Il était sur un panneau médical avec un appareil de compression thoracique en place, recouvert d’un drap blanc et d’une couverture jaune. Sa jambe gauche et sa cheville étaient déformées et semblaient cassés. Un bracelet de cheville « de suivi » (maintenant connu pour être le dispositif de surveillance GPS de Recovery Science Corporation (RSC)) était près du corps et il y avait une empreinte dans la pelouse, avec un trou à proximité.

Figure two
Figure 2 - Le bracelet GPS de RSC.
Les deux agents de police du SPO ont mentionné qu’il y avait un grand sac en plastique contenant ce qui semblait être des pilules, sur une branche d’une grande épinette, presque directement au-dessus du creux dans le sol. Le sac se trouvait à 7,1 mètres du sol et à 5,1 mètres du mur de l’immeuble. Le creux dans le sol était à 4,9 mètres du mur de l’immeuble, directement sous une fenêtre du 12e étage dont la moustiquaire était déchirée.

Figure three
Figure 3 - Le sac sur la branche de l’épinette.
Le rebord de la fenêtre de la chambre du 12e étage était à une hauteur d’environ 41 mètres, soit environ 134,5 pieds.

À 14 h 26, après que l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a scellé le sac mortuaire, des employés d’un service local d’enlèvement des dépouilles ont transporté le corps du plaignant à l’UMLESO.

Des membres du service des incendies d’Ottawa et un agent de police du SPO ont récupéré le sac dans l’arbre.

Scène secondaire

L’extérieur de la porte métallique de l’appartement en question était enfoncé, côté corridor. Un dispositif de distraction était par terre, dans le corridor, juste devant la porte de l’appartement.

Figure four

Figure 4 - Le dispositif de distraction.
La porte ouvre sur une entrée menant à un salon en face, une cuisine à gauche et un couloir à droite. Ce couloir mène à une salle de bain à droite, à une chambre en face et à un autre couloir à gauche donnant sur une chambre à droite et une autre chambre en face (maintenant connue pour être la chambre du plaignant).

La fenêtre coulissante de la chambre du plaignant était ouverte. Elle est à 1,46 mètre du plancher et au même niveau que le matelas d’un lit superposé qui y est adossé. L’ouverture de la fenêtre mesure 0,39 mètre de largeur sur 0,91 mètre de hauteur; la moustiquaire était en grande partie déchirée.

La distance pour se rendre de la porte d’entrée, en passant par le hall et les couloirs, jusqu’à la fenêtre ouverte de la dernière chambre est de 14,50 mètres.

Les différentes parties de l’appartement, y compris la chambre à coucher et la fenêtre en question, ont été photographiées et mesurées.

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a récupéré le dispositif de distraction comme élément de preuve.

Schéma des lieux

Scene diagram

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies


Données de caméra de vidéosurveillance – 2020 Jasmine Crescent

Selon l’horodateur de la caméra de vidéosurveillance de l’extérieur de l’immeuble, le plaignant a touché le sol le 7 octobre 2020 à 8 h 57 min 7 s. On peut voir sur la vidéo le bracelet GPS de surveillance se détacher de la cheville gauche du plaignant au moment de l’impact. Lorsque le corps du plaignant rebondit, le bracelet GPS rebondit aussi jusqu’à la pelouse qui borde l’allée pavée, immédiatement au sud de l’immeuble. On peut alors voir des agents de police du SPO se précipiter pour venir en aide au plaignant qui est immobile après avoir rebondi une fois. Il reste allongé, avec la tête en direction du sud-ouest. La vidéo n’a pas de fonction audio.

Données de caméra de vidéosurveillance – Appartement

Sur la vidéo d’un système de vidéosurveillance à domicile utilisant la technologie Internet WIFI, on peut voir l’entrée dynamique des membres de l’équipe tactique du SPO, y compris l’ouverture forcée de la porte, le déploiement et la détonation du dispositif de distraction et l’entrée des agents dans l’appartement.

La vidéo n’a pas d’horodateur. La composante audio commence par le son d’une émission de télévision qui est interrompue par des coups sur une porte au moment où la police l’enfonce avec un bélier et quelqu’un [vraisemblablement un agent de police] qui crie [traduction] : « Police, personne ne bouge! ». La porte d’entrée s’ouvre complètement sous l’impact du bélier et frappe le mur, du côté des charnières. Pour empêcher le ferme-porte de refermer la porte, quelque chose ou quelqu’un dans le corridor extérieur ouvre suffisamment la porte pour permettre de jeter le dispositif de distraction dans l’appartement.

L’appareil détonne et l’entrée se remplit de fumée grise éclairée par les lampes de poche fixées aux armes portées par les deux agents qui entrent en premier dans l’appartement. On entend un agent crier deux fois [traduction] : « Police. Personne ne bouge! », puis un autre agent qui crie [traduction] : « Montrez-moi vos mains ! » suivi d’un autre ordre « Police, personne ne bouge! », puis un autre agent qui crie [traduction] : « Sur le balcon, sur le balcon ! »

L’enregistrement audio de la vidéo se termine par la voix d’un agent qui crie [traduction] « Police d’Ottawa ! » Il y a un délai d’environ 0,50 seconde dans l’enregistrement audio entre les actions visibles décrites ici en raison des capacités limitées des composants audio de la caméra de surveillance.

Enregistrements des communications
 

Enregistrements sonores des communications du SPO – primaires

Le 7 octobre 2020, les communications radio de répartition de l’équipe d’intervention tactique commencent à 8 h 24. À 29 minutes et 39 secondes du début de l’enregistrement, soit vers 8 h 53 min 39 s, l’AT no 7 annonce : [traduction] « Sur le côté sud du bâtiment, a jeté quelque chose ». Cette transmission se termine environ deux secondes plus tard, soit vers 8 h 53 min 41 s. Environ dix secondes plus tard, soit vers 8 h 53 min 51 s, le même agent dit [traduction] : « Il a sauté, il a sauté de l’immeuble. » Ces enregistrements sonores sont immédiatement suivis de messages concernant le déploiement des services médicaux d’urgence au sud-est de l’immeuble.

Enregistrements sonores des communications du SPO – secondaires

Le 7 octobre 2020, à 9 h 08 min, un agent du centre de surveillance chargé du suivi du bracelet GPS attaché à la cheville gauche du plaignant téléphone au SPO pour signaler la réception d’un signal de « sabotage de l’appareil » pour le dispositif attaché au plaignant.

Enregistrements sonores des communications du SPO – tertiaires

Le 7 octobre 2020, à 9 h 10 min 27 s, l’AT no 7 téléphone au SPO pour demander qu’on envoie quatre agents de police au 2020 Jasmine Crescent dès que possible pour l’exécution du mandat de perquisition de l’unité antidrogue.

Le 7 octobre 2020, à 9 h 10 min 27 s, un agent de RSC téléphone au SPO pour signaler une [traduction] « violation de la libération sous caution » d’un client (maintenant connu pour être le plaignant), « qui vient de désactiver son bracelet GPS. »

Les autres communications portent sur le déploiement de la police et des services d’urgence après la chute du plaignant et l’administration des premiers soins par des agents de police sur les lieux.

Éléments obtenus auprès du service de police
 

L’UES examiné les dossiers suivants que lui a remis le SPO :


• Rapports du système de répartition assistée par ordinateur (x3);
• Enregistrements des communications;
• Demande de la CBC signifiée au SPO;
• Empreintes digitales;
• Déclarations écrites des AIs, des ATs nos 1 à 7 et de l’AT no 9;
• Notes des AIs et des ATs;
• Liste de témoins civils du SPO;
• Plan d’opérations et d’incident de l’unité antidrogue du SPO concernant le mandat de perquisition;
• Plan d’intervention en cas d’incident du SPO ;
• Liste des témoins de la police du SPO;
• Rapport préliminaire de pathologie; et
• Documents du mandat de perquisition.

Éléments obtenus auprès d’autres sources :


Sur demande, l’UES a obtenu les éléments et documents suivants d’autres sources, qu’elle a examinés :


• Rapports d’appel et d’incident d’ambulance;
• Documents judiciaires de la CBC utilisés dans la demande de divulgation d’information;
• Vidéos de caméras de surveillance de l’intérieur et de l’extérieur de l’appartement;
• Plan d’étage – 2020 Jasmine Crescent;
• Note tapée par le TC no 3, datée du 15 octobre 2020;
• Résultats préliminaires de l’autopsie de l’unité de médecine légale de l’Ontario;
• Rapport d’autopsie, daté du 31 décembre 2020, de l’unité de médecine légale de l’Ontario;
• Données de RSC pour le bracelet GPS.

Description de l’incident

Le scénario suivant ressort des éléments de preuve recueillis par l’UES, y compris des déclarations de deux des trois agents impliqués – l’AI no 2 et l’AI no 3 – et des membres de la famille du plaignant qui étaient dans l’appartement au moment des événements en question. L’UES a également été aidée dans son enquête par des vidéos enregistrées par des caméras à l’intérieur de l’appartement et depuis la façade de l’immeuble qui ont capturé certaines parties de l’incident. Comme c’était son droit légal, l’autre agent impliqué – l’AI no 1 – n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES. Il a toutefois fourni une copie de ses notes.

Vers 9 h du matin, le 7 octobre 2020, des agents d’intervention tactique du SPO ont enfoncé la porte d’un appartement du 2020 Jasmine Crescent. Ils étaient là pour exécuter un mandat autorisant la perquisition de l’appartement à la recherche d’armes à feu, de drogues illicites et d’accessoires liés à la drogue. Une fois la porte ouverte, un dispositif de distraction a été déployé dans l’appartement, produisant une forte détonation et un éclair de lumière, et dégageant un nuage de fumée. Les agents sont entrés rapidement dans l’appartement en criant leur présence – « Police » – et en ordonnant aux personnes présentes dans l’appartement de ne pas bouger.

Le plaignant était dans l’appartement à ce moment-là. Suite à l’entrée bruyante et tumultueuse des agents de police, le plaignant est passé par la fenêtre de sa chambre et a sauté. Quelques secondes avant sa chute, il avait jeté un sac par la même fenêtre. Le sac a ensuite été saisi par la police qui a constaté qu’il contenait du Fentanyl.

Le mandat de perquisition avait été obtenu par des agents de l’unité antidrogue du SPO, qui avaient appris auprès de sources confidentielles que le plaignant avait repris ses activités de trafic de drogue depuis sa mise en liberté en mars 2020. Le plaignant avait été arrêté en janvier 2020 pour possession de drogues illégales et d’une arme de poing chargée. Les conditions de sa libération lui interdisaient de sortir de chez lui et l’obligeaient à porter un bracelet GPS à sa cheville pour surveiller ses mouvements. Les agents de l’unité antidrogue avaient également des raisons de croire que le plaignant était de nouveau en possession d’armes à feu.

L’AI no 2 et l’AI no 3 ont utilisé ensemble un bélier pour forcer la porte de l’appartement. L’AI no 1 a déployé le dispositif de distraction. L’AT no 2, l’AT no 3, l’AT no 4, l’AT no 5 et le chef d’équipe – l’AT no 9 – faisaient également partie de l’équipe ce jour-là.

Les agents sont entrés dans l’appartement et sont rapidement allés d’une pièce à l’autre. Le beau-père du plaignant, le TC no 4, était sur le balcon lorsque l’équipe est entrée. Les agents l’ont placé sous garde et escorté jusqu’au salon. La TC no 5 (la petite amie du plaignant) était dans la salle de bain; un agent d’intervention tactique – l’AI no 1 – l’a localisée et escortée jusqu’au salon. Le frère et la sœur plus jeunes du plaignant – le TC no 2 et le TC no 3 – vivaient dans l’appartement et ont été réveillés par la descente de police. Enfin, la grand-mère du plaignant était dans son lit, dans une des chambres.

Quelques secondes après l’entrée des agents dans l’appartement, l’AT no 7, qui était posté à l’extérieur, au coin sud-est de l’immeuble et avec vue sur l’appartement, a signalé par radio avoir vu quelque chose jeté depuis l’appartement, quelques secondes après avoir entendu la détonation du dispositif de distraction. Environ dix secondes plus tard, l’AT no 7 a signalé par radio que quelqu’un – le plaignant – avait sauté de l’appartement.

Le premier agent à entrer dans la chambre du plaignant était l’AT no 5. À ce moment-là, les transmissions radio de l’AT no 7 avaient déjà été diffusées et la seule personne dans la chambre était le TC no 2.

L’AT no 7 a couru jusqu’à l’endroit où le plaignant avait atterri et a vu des agents de l’unité antidrogue à côté du corps. Un ambulancier paramédical, qui s’était rendu sur les lieux avec les agents d’intervention tactique et attendait à l’extérieur du bâtiment, s’est rapidement approché et a commencé à prodiguer les premiers soins. Son partenaire l’a rejoint peu après.

Le plaignant n’avait plus de signes vitaux et il n’a pas été possible de le réanimer. Son décès a été prononcé sur les lieux.

Des quantités d’héroïne et de Fentanyl ont été saisies lors de la perquisition de l’appartement, ainsi qu’une carabine « BB » Voodoo de style AR15. Aucune arme de poing n’a été trouvée.

Cause du décès

Le pathologiste chargé de l’autopsie a attribué le décès du plaignant à de « multiples lésions ». Dans le rapport d’autopsie, le pathologiste a noté : [traduction]

L’emplacement des lésions était compatible avec une chute de hauteur mortelle, avec atterrissage sur un sol meuble. Les lésions aux organes internes étaient dues à la fois à un impact contondant avec le sol et à des forces de décélération aiguës.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle causant la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.


(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.                  


220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Dans la matinée du 7 octobre 2020, le plaignant a fait une chute depuis son appartement du 12e étage et a subi des blessures mortelles. Comme des agents du SPO étaient présents dans l’appartement à ce moment-là, l’UES a été avisée de l’incident par le service de police et a ouvert une enquête. Trois agents de police ont été identifiés comme agents impliqués : l’AI no 1, l’AI no 2 et l’AI no 3. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que ces agents impliqués aient commis une infraction criminelle en lien le décès du plaignant.

Au début de l’analyse de responsabilité, il convient de noter qu’il n’y a aucune preuve qu’une force physique directe ait été exercée par l’un des agents d’intervention tactique contre le plaignant. Je n’ai aucune raison d’écarter les témoignages des agents qui étaient dans l’appartement, étayés par les observations et les propos de l’AT no 7 capturés sur l’enregistrement des communications de la police, selon lesquels le plaignant est sorti de l’appartement par la fenêtre d’une chambre quelques secondes après l’entrée des agents dans l’appartement et avant que l’un d’eux n’ait atteint sa chambre, qui, de fait, était la plus éloignée de la porte d’entrée.

À mon avis, l’infraction à prendre en considération en l’espèce est la négligence criminelle causant la mort, une infraction visée par l’article 220 du Code criminel. Cette infraction correspond aux cas graves de comportement négligent, à savoir les cas de mépris déréglé ou téméraire pour la vie ou la sécurité d’autrui. La simple négligence n’est pas suffisante pour établir qu’il y a eu négligence criminelle. Ce qui est nécessaire, entre autres, est une conduite qui constitue un écart marqué et important par rapport à la diligence dont aurait fait preuve une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. En l’espèce, il s’agit de déterminer s’il y a eu, dans la façon dont l’opération policière a été conçue et exécutée, un manque de diligence qui a contribué au décès du plaignant et qui est suffisamment grave pour justifier une sanction criminelle. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Je suis convaincu que les agents d’intervention tactique avaient des motifs légitimes d’entrer et de fouiller l’appartement. La veille, le 6 octobre 2020, l’unité antidrogue avait obtenu un mandat autorisant une perquisition de l’appartement à la recherche d’armes à feu, de drogue et d’accessoires liés à la drogue. Le mandat était en vigueur au moment des événements en question.

Même s’il est légitime de le remettre en question, je suis en outre convaincu que le plan élaboré pour entrer dans l’appartement et la manière dont il a été exécuté n’ont pas transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel. Le matin de la descente de police, les agents d’intervention tactique ont été informés du mandat de perquisition en vigueur et des objectifs de l’opération par l’unité antidrogue. On leur a aussi dit que le plaignant avait été arrêté en janvier 2020 pour des accusations de drogue et de possession d’armes, que des informations avaient été recueillies selon lesquelles le plaignant continuait de faire du trafic de drogue et était en possession d’une arme de poing, et qu’il fallait l’arrêter dans l’appartement. Différentes options avaient été envisagées pour entrer dans l’appartement. Une de ces options était une « entrée en force et appel » : la porte d’entrée serait forcée et les agents appelleraient les occupants un par un depuis une position de sécurité. L’autre option était une « entrée dynamique » : les agents entreraient en force dans l’appartement et utiliseraient l’élément de surprise et une démonstration de force écrasante pour désorienter les occupants et neutraliser toute menace possible avant qu’elle ne se matérialise. C’est cette deuxième solution que le commandant sur le lieu de l’incident – l’AT no 8 – a choisi pour diverses raisons, notamment la présence de tiers locataires à l’étage et le risque de victimes ou de barricade si une personne dans l’appartement décidait de s’armer dans le cas où le scénario « d’entrée en force et appel » était retenu. À mon avis, les deux approches présentaient des risques inhérents, d’autant plus que le plaignant faisait l’objet d’accusations liées aux armes à feu et que la police avait des raisons de croire qu’il était toujours armé. Je ne peux donc pas raisonnablement conclure que le choix d’une entrée dynamique était sans mérite.

En parvenant à cette conclusion, je suis conscient que les entrées dynamiques ont fait l’objet de critiques de la part du public et de censure judiciaire. Dans l’arrêt R. v. Bahlawan, 2020 ONSC 952, par exemple, le tribunal a réprouvé le choix des agents d’intervention tactique du SPO d’exécuter un mandat de perquisition au moyen d’une entrée dynamique dans l’affaire en question. Le tribunal a noté qu’en règle générale, la police doit frapper et annoncer sa présence avant d’entrer dans une maison avec un mandat de perquisition. Une dérogation à cette règle ne serait acceptable que si des circonstances exceptionnelles le justifient, par exemple dans les cas où il existe des motifs raisonnables de craindre qu’il y ait un risque pour la sécurité des agents ou des occupants ou que des éléments de preuve puissent être détruits. Dans l’affaire Bahlawan mentionnée ci-dessus, les agents d’intervention tactique avaient procédé à une entrée dynamique sans se demander pourquoi l’approche consistant à frapper à la porte et annoncer la présence de la police était inappropriée et, ce faisant, avaient violé le droit de l’accusé de ne pas être soumis à des fouilles, perquisitions et saisies abusives.

On ne peut pas en dire autant de l’entrée dynamique dans l’affaire qui nous concerne. Les agents ont très expressément envisagé d’utiliser un autre mode d’entrée, à savoir une entrée en force et un appel, et ont décidé, à tort ou à raison, qu’une entrée dynamique était la meilleure option. De plus, contrairement aux circonstances de l’affaire Bahlawan mentionnée ci-dessus, la police avait des raisons concrètes de craindre la présence possible d’armes à feu dans l’appartement. Comme je l’ai déjà mentionné, le plaignant faisait alors face à des accusations liées aux armes à feu, et la police avait des informations selon lesquelles il était présentement en possession d’une arme de poing.

Il est préoccupant que les agents d’intervention tactique n’aient pas semblé suffisamment attentifs à la possibilité que la personne visée par le mandat de perquisition – le plaignant – puisse tenter de fuir son appréhension en descendant du bâtiment. Pourtant, j’en suis convaincu, c’est précisément ce qui s’est passé [1]. Plusieurs agents ont mentionné avoir estimé que la probabilité que le plaignant agisse ainsi était faible compte tenu de la hauteur de l’appartement en question – au 12e étage. Cependant, des cas très médiatisés et d’autres moins médiatisés sur lesquels l’UES a enquêté récemment montrent que ceci arrive de temps à autre dans ce genre d’opérations policières. À mon avis, les agents auraient dû prêter attention à cette éventualité et prendre les précautions nécessaires pour y faire face [2]. Il aurait peut-être été prudent, par exemple, d’établir une présence policière très visible à l’extérieur, sous l’appartement du 12e étage, pour dissuader le plaignant de toute action téméraire motivée par le souhait de s’évader. Cela dit, il faut reconnaître que l’un des avantages d’une entrée dynamique est la rapidité avec laquelle les agents sont en mesure de contrôler les lieux, empêchant vraisemblablement, tout au moins dans certains cas, un comportement comme celui qui s’est produit dans cette affaire.

En conséquence, bien que j’accepte que l’élément déclencheur de la décision du plaignant de sauter de sa fenêtre était le désir d’échapper à son appréhension par les agents qui entraient dans son appartement, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que les agents en cause, y compris les trois agents impliqués, aient contribué au décès du plaignant par négligence criminelle. Même si l’opération policière présentait certaines faiblesses en ce qui concerne la décision d’entrer dans l’appartement du plaignant par une entrée dynamique, ces insuffisances n’étaient pas telles que la conduite des agents présenterait un écart marqué et important par rapport à un niveau de diligence raisonnable. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 30 août 2021


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) J'arrive à cette conclusion compte tenu du sac contenant du Fentanyl que le plaignant a été vu jeter par la fenêtre de sa chambre juste avant de sauter. [Retour au texte]
  • 2) Même si, selon certains éléments de preuve, le plaignant souffrait d'une maladie mentale, ce qui aurait pu susciter une inquiétude accrue quant la possibilité d'une conduite imprudente de sa part, la police n'était pas au courant de ces conditions au moment de l'opération et il n'y avait aucun avertissement à ce sujet dans les dossiers de police à l'époque. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.