Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-PCD-230

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant le décès d’un homme de 24 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 19 septembre 2020, à 16 h 05, la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale) a communiqué avec l’UES pour signaler un décès. Le 12 septembre 2020, vers 13 h 55, la Police provinciale a été avisée par le service de police du Chemin de fer Canadien Pacifique (CFCP) qu’un véhicule se trouvait à côté de la voie ferrée dans le secteur du canton de Machin. La Police provinciale s’est rendue sur les lieux et a trouvé des notes manuscrites dans le véhicule. Les notes donnaient à penser que l’auteur souffrait peut-être de problèmes de santé mentale. La Police provinciale a commencé à chercher dans les environs. Elle a utilisé un passeport et les documents sur le propriétaire enregistré du véhicule afin d’établir l’identité de la personne [on sait maintenant qu’il s’agit du plaignant], qu’elle présumait être en détresse. La Police provinciale a effectué des recherches toute la semaine, tandis qu’en de nombreuses occasions, des résidents du secteur ont dit avoir vu la personne.

Le 19 septembre 2020, la Police provinciale a repéré une cabane qui avait déjà fait l’objet d’une fouille et dans laquelle quelqu’un s’était introduit par effraction. Le plaignant a été repéré un peu plus loin et il avait une arme à feu. Des agents de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) de la Police provinciale ont été autorisés à continuer de poursuivre le plaignant.

Vers 14 h (heure du Centre), les agents de l’EIU sont parvenus à cerner le plaignant dans un secteur où se trouvaient des buissons. Le plaignant a alors mis l’arme à feu dans sa bouche et s’est tiré une balle dans la tête. Les premiers soins ont été administrés au plaignant et il a été placé dans l’hélicoptère de la Police provinciale, qui avait participé aux recherches. Le plaignant, qui était dans un état critique, a été transporté au Centre régional de santé de Dryden. Le plaignant a par la suite été emmené à Thunder Bay en ambulance aérienne.

Plus tôt dans la semaine, la belle-mère [on sait maintenant qu’il s’agit de la TC no 1] et le père du plaignant s’étaient rendus dans le secteur car ils s’inquiétaient au sujet du plaignant.

Le 20 septembre 2020, à 13 h 13, le plaignant est décédé à l’hôpital.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Plaignant :

Homme de 24 ans; décédé



Témoins civils (TC)

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue – plus proche parent du plaignant
TC no 2 N’a pas participé à une entrevue – plus proche parent du plaignant

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue
AT no 6 A participé à une entrevue
AT no 7 A participé à une entrevue
AT no 8 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 9 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 10 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 11 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 12 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 13 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées



Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué. Ses notes ont été reçues et examinées


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit dans une clairière au sein d’une zone boisée, près du chemin Roussin dans le canton de Machin.

Éléments de preuve matériels

L’UES n’a pas examiné les lieux de l’incident, mais a recueilli les éléments suivants auprès de la Police provinciale de l’Ontario :
• un fusil à verrou Winchester Cooey, modèle 600 de calibre .22 S L et LR avec élingue;
• une douille de calibre .22 de marque Super-X;
• des pantalons longs brun clair avec une ceinture brune;
• 3 cartouches à balles chemisées en cuivre de calibre .22 de marque Super-X;
• une cartouche à balle à pointe creuse de calibre .22 de marque Super-X;
• des chaussures de sport lacées brunes et noires;
• des chaussettes grises délavées;
• un chandail à capuchon noir muni d’une poche manchon à l’avant;
• un couteau dans une gaine;
• des sous-vêtements noirs;
• un parka de style camouflage muni d’une doublure réversible orange;
• un tire-fond;
• un imperméable à capuchon de style camouflage;
• 5 cartouches de calibre 6,5 x 55 suédois RP;
• une boîte de cartouches de calibre .22 (20 cartouches de calibre .22 court et 22 cartouches de calibre .22 long);
• des pantalons de pluie de style camouflage;
• une casquette de baseball de style camouflage;
• deux échantillons de sang;
• un prélèvement d’ADN;
• un projectile (retiré du côté gauche du crâne);
• des morceaux de courroies de sac à dos de style camouflage;
• un t-shirt vert de style camouflage;
• un journal brun/brun clair contenant des notes manuscrites;
• des détritus médicaux.


Figure 1 – Le fusil Winchester Cooey, modèle 600.

Éléments de preuves médicolégaux

L’UES a soumis les éléments suivants au Centre des sciences judiciaires (CSJ) aux fins d’analyse :
• un fusil à verrou Winchester Cooey, modèle 600 de calibre .22 S L et LR avec élingue;
• des échantillons de sang du plaignant;
• 2 douilles;
• 18 balles.

Le CSJ a déterminé qu’il n’était pas possible d’exclure le plaignant en tant que source du profil d’ADN établi au moyen de l’ADN prélevé sur la poignée et à l’extrémité du fusil à verrou.

Enregistrements de communications

La Police provinciale a fourni une copie des enregistrements des communications radio de l’équipe tactique du 19 septembre 2020. L’enregistrement dure au total 18 minutes et 41 secondes. Le rapport du système de répartition assistée par ordinateur commence à 14 h 40 min 44 s (heure de l’Est). Les agents sont désignés par leur nom de famille dans les enregistrements. Les enregistrements n’étaient pas horodatés; les temps indiqués sont ceux du compteur.

À 2 min 25 s (temps du compteur), l’AI no 1 dit avoir vu un homme avec un sac à dos, mais qu’il est maintenant hors de vue. Le service de police du CFCP demande où le plaignant a été vu et, à 2 minutes 36 secondes, l’AI no 1 dit que les agents courent en direction de la route Roussin, à environ 400 à 500 mètres à l’est de celle-ci, précisant que c’est à cet endroit que le plaignant a été perdu de vue.

À 3 min 18 s, l’AI no 1 dit qu’ils ont établi un contact de vive voix et que l’homme est le plaignant.

À 3 min 26 s, le service de police du CFCP demande s’ils l’ont vu le plaignant.

À 3 min 31 s, un agent non désigné demande si le plaignant se trouve sur la voie ferrée.

À 3 min 37 s, l’AI no 2 demande qu’on veille à ce que l’hélicoptère ne s’approche pas du secteur. Il demande qu’on envoie quelques agents et fait savoir que des agents sur place parlent au plaignant à partir du côté de l’assiette des rails. L’agent indique qu’il y a une zone dégagée et que le plaignant ne peut pas s’échapper.

À 3 min 53 s, le service de police du CFCP mentionne que tout le monde est en route et demande à l’agent non désigné de voir à ce que l’hélicoptère reste à distance.

À 4 min, un agent indique qu’il quitte la route Schultz et s’engage sur la route Roussin.

À 4 min 7 s, l’AT no 3 indique que l’AT no 4 et lui se trouvent un peu au nord de la voie ferrée, tout juste à côté de la route Roussin.

À 4 min 12 s, un autre agent demande où se trouve l’AI no 1.

À 4 min 18 s, l’AI no 2 dit qu’ils se trouvent sur la voie ferrée et que le plaignant a un fusil dans les mains.

À 4 min 24 s, on peut entendre, en arrière-plan, l’AI no 1 qui demande « pourquoi avez-vous un fusil? »

À 4 min 30 s, le service de police du CFCP s’informe du type d’arme qu’a le plaignant.

À 4 min 31 s, l’AI no 2 dit qu’il s’agit d’une arme d’épaule.

À 4 min 32 s, le service de police du CFCP demande si les agents communiquent avec le plaignant.

À 4 min 35 s, l’AI no 2 confirme que oui.

À 4 min 37 s, le service de police du CFCP demande si le plaignant répond.

À 4 min 39 s, l’AI no 2 dit qu’il répond, mais qu’il semble vouloir s’éloigner des lieux.

À 4 min 45 s, le service de police du CFCP indique qu’il faut établir un périmètre de sécurité autour du plaignant.

À 4 min 56 s, l’AI no 2 dit que le plaignant marche derrière la lisière du boisé et que sa veste se trouve dans la camionnette. En arrière-plan, on entend l’AI no 1 qui dit « nous avons de l’eau pour vous ». L’AI no 2 indique que les agents offrent au plaignant de l’eau et d’autres choses, mais qu’il dit qu’il n’en veut pas, ajoutant qu’il est en voie de s’éloigner des agents en direction d’une zone dégagée.

À 5 min 24 s, l’AI no 2 dit que le plaignant marche dans des broussailles et qu’il n’y a pas de moyen pour les agents de le contourner pour se rendre derrière lui.

À 5 min 33 s, le service de police du CFCP dit que le plaignant représente désormais un danger pour le public et qu’il a donc amorcé une poursuite armée. Elle demande à l’AT no 2 s’il veut mener la poursuite.

À 5 min 42 s, l’AI no 2 dit qu’ils essaient de parler au plaignant, mais qu’il veut seulement marcher. On indique que le plaignant a dit que si les agents voulaient lui tirer dessus, ils devraient simplement le faire.

À 6 min 25 s, l’AT no 1 demande qu’on envoie sur place les services médicaux d’urgence, par mesure de précaution. En arrière-plan, on peut entendre un agent qui dit « nous sommes ici pour vous aider ». L’AT no 1 indique qu’ils parlent au plaignant et qu’ils se trouvent toujours dans la même zone.

À 6 min 53 s, l’AT no 1 fait savoir que l’AT no 2 a demandé à ce que l’AT no 11 se rende sur place avec un deuxième chien et deux laisses.

À 7 min 5 s, un agent dit que l’AI no 1 est en train de négocier avec le plaignant.

À 7 min 57 s, l’AT no 1 dit que le plaignant est au sol, s’étant infligé lui même une blessure par balle.

À 8 min, un agent dit « allez chercher les services médicaux tout de suite; l’homme s’est tiré une balle ».

Éléments obtenus auprès du Service de police

L’UES a obtenu les éléments suivants des détachements de Dryden et de Kenora de la Police provinciale de l’Ontario, et les a examinés :
• rapport sur les détails de l’événement du système de répartition assistée par ordinateur (2);
• enregistrements des communications;
• rapport d’incident général (2);
• notes des AI et des AT;
• liste des éléments de preuve de la Police provinciale;
• documents de recherche de la Police provinciale concernant le plaignant;
• rapport supplémentaire (11);
• traduction du journal;
• résumé des témoignages anticipés de 10 agents non désignés;
• photographies prises par la Police provinciale;
• vidéo des lieux de l’incident de la Police provinciale.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a également reçu les éléments suivants de sources autres que la police et les a examinés :
• le rapport d’autopsie, daté du 28 décembre 2020, du bureau du coroner;
• le rapport d’ADN, daté du 12 novembre 2020, du CSJ.

Description de l’incident

Il est possible d’établir clairement les principaux événements qui se sont produits au moyen des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec l’AI no 1 et avec plusieurs autres agents de la Police provinciale de l’Ontario qui ont été témoins de l’incident. L’AI no 2 n’a pas consenti à se soumettre à une entrevue avec l’UES; il a toutefois autorisé la divulgation de ses notes.

Le 12 septembre 2020, on a informé la Police provinciale de l’Ontario qu’un véhicule avait été abandonné près de la voie ferrée dans le secteur des routes Mason et Berglund, dans le canton de Machin. Les documents sur le propriétaire enregistré et un passeport, qui se trouvaient à l’intérieur du véhicule, indiquaient que ce dernier appartenait au plaignant. Des notes manuscrites exprimant des idées suicidaires et donnant à penser que le plaignant était en situation de détresse psychologique ont également été trouvées dans le véhicule. On a communiqué avec les parents du plaignant, qui ont confirmé qu’il souffrait de problèmes de santé mentale et qu’il avait parlé de suicide par le passé. Craignant pour la sécurité du plaignant, la Police provinciale a organisé une opération de recherche et sauvetage. L’objectif était de retrouver le plaignant le plus rapidement possible.

Sous la direction de l’AT no 8, les membres de l’EIU de la Police provinciale, y compris l’AI no 1 et l’AI no 2, se sont réunis dans le secteur afin de prendre part aux opérations de recherche de la police. L’équipe comptait aussi des maîtres-chiens de la police et leurs chiens policiers. Au cours des jours suivants, les agents ont patrouillé dans le secteur à la recherche de signes du plaignant, suivant parfois les signalements de personnes qui croyaient l’avoir aperçu. On a également eu recours à un hélicoptère équipé d’un système de recherche à infrarouge pour faciliter les recherches. Ces démarches se sont révélées infructueuses.

Le 17 septembre 2020, les agents sont arrivés sur les lieux d’une possible introduction par effraction dans une cabane de chasse sur la route Dymterkos, au nord de la route 17. Étant donné que les fenêtres étaient cassées, mais qu’aucun objet de valeur n’avait été volé, on soupçonnait que le plaignant avait peut-être utilisé l’installation pour se réfugier temporairement.

Le lendemain, un propriétaire du secteur a communiqué avec la police pour faire savoir qu’il avait trouvé un sac à dos et une veste de style camouflage sur son terrain, près de la cabane de chasse. Il a pris une photo des articles, l’a montrée à la police et est retourné sur les lieux avec les agents, constatant, une fois sur place, que les vêtements n’étaient plus là. La photo a été montrée aux propriétaires de la cabane et ils ont confirmé que les vêtements leur appartenaient.

Le 19 septembre 2020, alors qu’ils se dirigeaient vers l’est à bord de leur véhicule sur la route Roussin, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont repéré le plaignant. Il marchait sur une voie ferrée au sud de l’endroit où ils se trouvaient. L’AI no 1 a tourné dans une allée et s’est dirigé vers le sud, en direction de la voie ferrée, où il a arrêté son véhicule et en est descendu avec l’AI no 2. Ayant perdu le plaignant de vue, l’AI no 1 a lancé de vive voix un appel à son attention. Le plaignant s’est alors montré de nouveau, se tenant debout dans l’herbe haute, au fond du fossé menant à la voie ferrée.

L’AI no 1 et l’AI no 2 ont dit au plaignant qu’ils étaient là pour l’aider. Le plaignant a répondu qu’il n’avait pas besoin de leur aide. Les agents ont continué de parler au plaignant pendant les minutes qui ont suivi, lui offrant de la nourriture, de l’eau, des options d’hébergement et l’occasion de parler avec ses parents. Le plaignant a continué d’affirmer qu’on ne pouvait pas l’aider et il a refusé toutes leurs propositions. Alors que la conversation se poursuivait, l’AI no 1 a remarqué que le plaignant tenait un long objet dans sa main droite, contre le côté droit de son corps. À l’aide de ses jumelles, l’agent a confirmé qu’il s’agissait d’un fusil. Il s’agissait de la première fois, au cours de la semaine qu’ont duré les opérations de recherche, qu’il y avait une quelconque indication que le plaignant pouvait être armé. Les agents ont mentionné ce qu’ils ont vu par radio.

Après que l’information selon laquelle le plaignant avait un fusil eut été diffusée, on a entrepris de se concentrer, dans le cadre de l’opération policière, sur l’établissement d’un périmètre de sécurité. Une équipe composée d’autres agents de l’EIU s’est installée sur un pont au-dessus d’un ruisseau, à l’est du lieu où se trouvait le plaignant, afin d’éviter qu’il ne s’échappe dans cette direction. L’AI no 1 était retourné dans son véhicule pour récupérer une carabine C8. Le plaignant a demandé à l’agent pourquoi il avait une arme à feu et l’agent lui a répondu en lui posant la même question à propos de son fusil. Le plaignant a répondu que son fusil était pour la chasse. On a demandé à plusieurs reprises au plaignant de déposer son fusil, mais il a refusé. Il a plutôt commencé à se diriger vers l’est en direction d’un champ, qu’il a ensuite entrepris de traverser.

Ayant été rejoints par d’autres agents de l’EIU, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont commencé à suivre le plaignant, en gardant une certaine distance. Le plaignant a traversé la zone dégagée et s’est arrêté dans un secteur comportant des herbes hautes et de petits arbres. L’AI no 1, à environ 50 mètres de là, s’est rappelé que le plaignant avait tenu des propos favorables au sujet d’un médecin dans son journal; il a donc interpellé le plaignant en lui offrant des soins médicaux. Le plaignant a de nouveau répondu qu’il ne voulait pas parler à un médecin. Il a pointé sa tête et a demandé à l’AI no 1 [traduction] « pourquoi vous ne me tirez simplement pas dessus? » Lorsque l’agent a répondu qu’il n’avait aucune intention de faire cela, le plaignant a dit « et si je tire sur la police? » ou quelque chose du genre. L’AI no 1 lui a dit que la police ne voulait pas cela non plus. Peu de temps après, le plaignant a indiqué que c’était l’endroit et/ou le moment où il allait mourir; il a pointé le fusil sur le côté droit de sa tête, sa main gauche sur le canon et sa main droite sur la gâchette, puis a tiré. Quand le plaignant a levé et placé son arme à feu de la sorte, les agents lui ont crié de ne pas le faire, mais en vain. Le plaignant s’est effondré au sol.

Tous les agents de police se sont précipités vers le plaignant. Ils ont constaté qu’il avait une blessure provoquée par l’entrée de la balle sur le côté droit de la tête. Il n’y avait aucune blessure de sortie, mais une déformation était visible du côté gauche de la tête du plaignant. Un bandage compressif a été appliqué sur la blessure et le plaignant a été emmené à l’hélicoptère de recherche, qui avait atterri à proximité, afin d’être transporté à l’hôpital de Dryden.

Le plaignant a ensuite été transporté au Centre régional des sciences de la santé de Thunder Bay, où il est décédé le 20 septembre 2020.

Cause du décès

À la lumière de l’autopsie, le médecin légiste était d’avis que le décès du plaignant était attribuable à une blessure par balle à la tête. La blessure provoquée par l’entrée de la balle était située à la tempe droite et la trajectoire de la balle touchait les deux hémisphères cérébraux. Un projectile métallique a été récupéré du côté gauche de la tête du plaignant, sous le cuir chevelu intact.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 du Code criminel -- Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Articles 220 du Code criminel -- Négligence criminelle

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le 19 septembre 2020, le plaignant a subi une blessure par balle à la tête, qu’il s’est infligée lui-même, dans le canton de Machin, en Ontario, et a succombé à cette blessure le lendemain, à l’hôpital. Puisque des agents de police de la Police provinciale ont interagi avec le plaignant et se trouvaient dans les environs au moment du coup de feu, l’UES a été avisée de l’incident et a entrepris une enquête. Deux de ces agents, soit l’AI no 1 et l’AI no 2, ont été désignés comme étant les agents impliqués aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre de ces agents a commis une infraction criminelle relativement au décès du plaignant.

L’infraction possible à l’étude est la négligence criminelle causant la mort, laquelle se rapporte à l’article 220 du Code criminel. L’infraction vise une conduite qui révèle une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. La responsabilité est fondée, en partie, sur un comportement qui constitue un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Dans l’affaire qui nous concerne, la question est de savoir s’il y a eu, dans la façon dont l’AI no 1 et l’AI no 2 ont interagi avec le plaignant, un manque de diligence qui aurait causé le décès de ce dernier ou qui y aurait contribué. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Les deux agents ont pris part à une opération policière légitime qui a duré une semaine et dont l’objet était de retrouver le plaignant. Après avoir inspecté sa voiture abandonnée et discuté avec ses parents, la police avait de bonnes raisons de croire que le plaignant était en situation de détresse psychologique et qu’il représentait un danger pour lui-même et, peut-être, pour autrui. Le plus important devoir d’un agent de police est la protection et la préservation de la vie. La Police provinciale avait donc le devoir de chercher le plaignant.

L’opération de recherche et sauvetage a été menée, selon toute vraisemblance, de manière professionnelle. Des agents spécialement formés, membres de l’EIU, ont été dépêchés dans le secteur pour chercher le plaignant. Pendant plusieurs jours, des recherches ont été effectuées sur les divers terrains dans les environs du véhicule abandonné du plaignant et dans les secteurs où des personnes avaient rapporté avoir vu le plaignant. Dans le cadre de ces recherches, on a notamment eu recours à un hélicoptère et à des chiens policiers. De plus, on a consulté un psychiatre judiciaire, qui a fourni des conseils concernant les motivations et les déplacements possibles du plaignant. Même si le plaignant a été en mesure d’échapper à la police, parfois, il semblerait, en s’introduisant par effraction dans divers lieux du secteur pour trouver refuge et récupérer certains articles, je suis convaincu que la police a néanmoins déployé tout l’effort requis.

En outre, je suis convaincu que les agents concernés se sont comportés de manière raisonnable lorsqu’ils ont trouvé le plaignant et qu’ils se sont adressés à lui dans l’après midi du 19 septembre 2020. Ayant constaté que le plaignant souffrait de troubles mentaux, ils ont abordé la situation avec tact. L’AI no 1 semble avoir dirigé la discussion avec le plaignant. L’agent l’a rassuré que la police était là pour l’aider. On a offert au plaignant de la nourriture et des options d’hébergement, ainsi que l’occasion de parler à ses parents et de consulter un médecin. Afin de ne pas provoquer ou effrayer le plaignant, on a demandé à ce que l’hélicoptère qui participait aux démarches de recherche du haut des airs soit maintenu à distance. C’est seulement lorsqu’on a vu que le plaignant tenait un fusil du côté droit de son corps que l’AI no 1 s’est armé d’une carabine C8. Avant ce moment-là, les agents n’avaient aucune raison de croire que le plaignant était armé; mais, soudainement, il représentait un danger bien réel pour lui-même et autrui. Bien que le plaignant ait indiqué que l’arme à feu était destinée à la chasse, les agents avaient de bonnes raisons de s’inquiéter de la santé et de la sécurité de toutes les personnes sur place, étant donné l’état mental précaire du plaignant. Dans les circonstances, il semble que la police ait agi de manière raisonnable en plaçant des agents autour du plaignant dans l’intention de limiter ses déplacements et, ultimement, de procéder à son arrestation en vertu de l’article 17 de la Loi sur la santé mentale. Il est très regrettable que le plaignant ait choisi de se tirer dessus alors que les agents l’imploraient désespérément d’arrêter, mais, en dernière analyse, je suis d’avis qu’il a posé ce geste sans que la police ait commis de faute. En ce qui concerne le recours possible à des armes à létalité atténuée pour neutraliser le plaignant, il convient de noter que l’un des agents présents avait une arme antiémeute ENfield (ARWEN) en sa possession. Cependant, compte tenu de la distance entre l’agent et le plaignant à ce moment, rendue nécessaire par le fait que le plaignant tenait une arme à feu, il n’y a jamais eu d’occasion réaliste d’utiliser l’arme antiémeute. Enfin, après le coup de feu, les agents ont agi avec diligence en fournissant l’aide qu’ils pouvaient au plaignant et en faisant appel aux services de l’hélicoptère afin de transporter le plaignant à l’hôpital.

Par conséquent, comme je suis convaincu pour les raisons susmentionnées que l’AI no 1 et l’AI no 2 ont agi en toute légalité dans le cadre de leur intervention auprès du plaignant, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles à l’endroit de l’un ou l’autre des agents et le dossier est clos.


Date : 21 juin 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.