Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-PCI-123

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur une blessure subie par un homme de 39 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 26 mai 2020, à 17 h 05, la Police provinciale de l’Ontario a avisé l’UES de la blessure du plaignant et donné le rapport qui suit. Ce jour-là, vers 14 h 45, des agents du détachement de Peterborough, accompagnés d’une équipe d’intervention d’urgence (EIU) et d’une unité communautaire de lutte contre les crimes de rue (UCCR), se sont rendus à une résidence du canton de Selwyn pour exécuter un mandat de perquisition dans le cadre d’une enquête sur des biens volés. À leur arrivée sur les lieux, deux hommes ont pris la fuite dans un véhicule. Le véhicule a été suivi jusqu’à County Road 4, près de Television Road, où il a été intercepté; les deux hommes ont été arrêtés.

Une fois menotté, un des hommes – le plaignant – s’est enfui au moment où on l’escortait jusqu’à un véhicule de police. Il a été poursuivi et plaqué à terre. Après son arrestation, il a été emmené au Centre régional de santé de Peterborough (CRCP) où on lui a diagnostiqué deux côtes fracturées sur le côté gauche.

L’autre occupant du véhicule – le témoin civil (TC) no 1 – a été arrêté sans incident.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés :
 

Plaignant :

Homme de 39 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue 

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées



Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit dans la voie, l’accotement et le fossé de Television Road en direction sud, au sud de County 4, dans le comté de Peterborough.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais n’ont rien trouvé.

Enregistrements des communications de la police

Le fichier des communications radio fourni à l’UES est l’enregistrement des discussions entre le Centre de communication de la police (CCP) et des membres de la Police provinciale de l’Ontario. L’enregistrement commence à 13 h 29 et dure 34 secondes.

L’AT no 1 avise le CCP qu’il a le plaignant sous garde et qu’il se rend au détachement. Il indique que son kilométrage de départ est 24 395 et demande l’assistance d’un gardien de bloc cellulaire à son arrivée.

L’AT no 1 reconnaît qu’il y a eu une altercation et demande l’aide d’un sergent à son arrivée.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, sur demande, la Police provinciale :
  • Rapport d’arrestation;
  • Registre de divulgation avec vidéo de la cellule;
  • Rapport général d’incident;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Feuille de contrôle médical par le gardien;
  • Contrôle de sécurité et rapport de garde de détenu;
  • Vidéo de la cellule;
  • Données de porte du système de positionnement global; et
  • Enregistrements des communications.

Éléments obtenus auprès d’autres sources :

L’UES a également obtenu les documents suivants de sources autres que la police :
  • Dossiers médicaux du Centre régional de santé de Peterborough.

Description de l’incident

Le scénario suivant découle du poids des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des déclarations du plaignant, de deux témoins oculaires civils et de trois agents témoins (dont deux ont participé à l’arrestation du plaignant). L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de ses notes, comme il en avait le droit.

Le 26 mai 2020, vers 13 h 15, l’AT no 2 et l’AT no 1, dans des véhicules de police distincts, ont tenté d’intercepter une Chevrolet Silverado dans la voie sud de Television Road, au sud de County Road 4. Le plaignant était au volant de la camionnette Silverado et le TC no 1 était son passager avant. Selon les renseignements fournis par d’autres agents qui enquêtaient sur le plaignant pour le vol d’échafaudages, les AT no 2 et AT no 1 avaient l’intention de l’arrêter.

Quand le plaignant a immobilisé la Silverado, l’AT no 2 a placé son véhicule directement derrière tandis que l’AT no 1 a placé le sien en biais devant la Silverado. L’AT no 1 est sorti de son véhicule et s’est approché du plaignant pour lui dire qu’il faisait l’objet d’une enquête pour vol. Quand le plaignant est sorti de la camionnette, l’AT no 1 lui a dit qu’il le plaçait en état d’arrestation et a essayé de le menotter. Le plaignant a résisté en tirant en arrière pour s’éloigner. Avec l’aide de l’AT no 2, l’AT 1 a mis le plaignant à terre sur la chaussée où les deux agents l’ont menotté relativement rapidement.

Les agents ont ensuite aidé le plaignant à se relever et l’ont escorté jusqu’au véhicule de l’AT no 1. Le plaignant s’est alors libéré de l’emprise de l’AT no 1 et s’est précipité vers le côté ouest de la route, en sautant le fossé. L’AT no 1 s’est lancé à la poursuite du plaignant, l’a saisi à deux mains par-derrière et l’a plaqué au sol. Le plaignant s’est débattu brièvement, mais a finalement été maîtrisé avec l’aide de l’AT no 2 et de l’AI, ce dernier étant arrivé en renfort sur les lieux.

Le plaignant a été emmené à l’hôpital quand il s’est plaint de douleurs aux côtes. À l’hôpital, on lui a diagnostiqué deux fractures avec déplacement minimal sur le côté gauche.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 26 mai 2020, le plaignant a subi des blessures graves lors de son arrestation par des agents de la Police provinciale. Parmi les agents qui ont procédé à l’arrestation, l’AI a été identifié comme le plus susceptible d’avoir causé les blessures. Il a donc été désigné comme agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a pas de motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et les blessures du plaignant.

Le dossier de preuve contient des récits contradictoires sur la nature et l’intensité de la force utilisée contre le plaignant après qu’il a été menotté. Selon une version des événements, après que l’AT no 1 a plaqué le plaignant au sol, l’AI est arrivé, lui a reproché en criant une agression qu’il aurait perpétrée dix ans auparavant et a commencé à lui sauter sur le dos, lui fracturant ainsi des côtes.

En revanche, l’AT no 2 a dit que quand il s’est approché du fossé herbeux, le plaignant était à plat ventre par terre avec l’AT no 1 agenouillé à sa gauche et l’AI à sa droite. Ce dernier avait un genou appuyé sur le dos du plaignant qui se débattait avant de finir par dire qu’il renonçait. De même, l’AT no 1 a dit que lorsque l’AI est arrivé, il avait déjà mis le plaignant à terre; l’AI l’a alors aidé à maîtriser le plaignant en appuyant un genou sur son dos.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les policiers sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. Je suis d’avis que l’arrestation du plaignant était légalement justifiée dans le cadre d’une enquête sur un vol. Plus tôt dans la journée, les agents qui surveillaient le domicile du plaignant avaient repéré les objets volés – des échafaudages – contre le mur latéral de la résidence. Il s’agit donc d’évaluer la force utilisée par les agents.

Selon une version de l’arrestation, si elle correspond à la réalité, le plaignant aurait été soumis à une force excessive. Dans cette version, l’AI est arrivé peu après le placage au sol du plaignant et a commencé à lui sauter sur le dos en le frappant d’un genou et en l’injuriant à propos de sa participation présumée à une agression survenue des années auparavant. Comme le plaignant était menotté, on pourrait déduire de cette version des faits que le recours à la force de l’AI était motivé par une animosité personnelle et non par le besoin de surmonter la résistance du plaignant.

Je constate cependant que cette version des événements comporte plusieurs lacunes sérieuses. Avant tout, cette version minimise la résistance du plaignant à son arrestation. En effet, ce récit suggère que le plaignant a commencé à s’enfuir pour échapper à l’AT no 1 au moment où il est sorti de sa camionnette, mais ne mentionne pas ce qui ressort du poids de la preuve, à savoir qu’il a résisté à l’AT no 1 et l’AT no 2 avant de courir vers le fossé herbeux et d’être plaqué à terre. Dans la même veine, ce récit semble confondre les deux placages à terre. Par exemple, il affirme qu’il n’y avait que deux agents initialement quand il était dans le fossé et que l’AI est arrivé en troisième. L’AT no 2 était en fait le deuxième agent qui a participé à son arrestation, mais c’était lorsque le plaignant a été plaqué à terre la première fois. Quant à l’incident dans le fossé, il semble que l’AI était déjà là au moment où l’AT no 2 est arrivé.

Je n’ignore pas que les autorités chargées de porter des accusations doivent limiter leur évaluation du poids des éléments de preuve contradictoires à des considérations préliminaires. Néanmoins, je ne suis pas convaincu, compte tenu des difficultés susmentionnées, que la version incriminante des faits est suffisamment convaincante pour justifier d’être mise à l’épreuve devant un juge des faits. Cette analyse pourrait être différente s’il y avait des éléments de preuve suffisants pour corroborer ce récit. Cependant, les blessures du plaignant sont, à mon avis, tout aussi susceptibles d’avoir résulté de la force décrite par les agents témoins. De plus, il avait d’autres témoignages incompatibles avec cette version incriminante des événements.

Je me retrouve donc avec la situation suivante : l’AT no 1 a plaqué le plaignant à terre; ensuite, comme le plaignant se débattait, l’AI a appuyé de son genou le dos du plaignant pendant un certain temps pour le maintenir, puis, une fois le plaignant maîtrisé, les agents l’ont aidé à se relever. Il me semble que le plaquage à terre était une tactique raisonnable dont l’AT no 1 disposait dans les circonstances. Le plaignant avait déjà clairement indiqué son intention de résister à son arrestation par la police et s’était enfui pour tenter d’y échapper.

La décision de l’AI d’appuyer avec force son genou sur le dos du plaignant (ce qui, j’en suis convaincu, était une application continue et ininterrompue de la force) est plus difficile à justifier, d’autant plus que l’agent pouvait voir clairement que le plaignant était déjà menotté dans le dos. Cela dit, j’accepte que le plaignant se débattait vigoureusement quand il était à plat ventre sur le sol malgré les menottes, et que les agents étaient en droit de réagir en ayant recours à la force nécessaire pour le maîtriser rapidement. Dans ce contexte, même si ce recours à la force frôlait peut-être la limite supérieure de ce qui était approprié, je suis convaincu, pour des motifs raisonnables, que la conduite de l’AI est restée dans les limites de ce qui était raisonnablement nécessaire dans les circonstances.

En conséquence, même si je conviens que le plaignant a subi ses fractures aux côtes lorsque l’AT no 1 l’a plaqué à terre ou que l’AI a pressé son dos du genou, il n’y a pas de motif raisonnable, à mon avis, de croire que les agents ont agi autrement que légalement tout au long de l’interaction. Il n’y a pas donc lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 8 février 2021


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales


Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.