Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-PCD-113

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant le décès d’un homme de 77 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 20 mai 2020, à 19 h 29, la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale) a avisé l’UES du décès du plaignant.

La Police provinciale a indiqué avoir reçu un appel téléphonique de la part du plaignant à 18 h 19, pendant lequel il a parlé de son épouse et a dit qu’il n’en pouvait plus. Pendant plusieurs minutes, le plaignant, qu’on pouvait entendre respirer, n’a pas répondu aux questions du téléphoniste du 9 1 1; ensuite, le plaignant a mis fin à l’appel, abruptement.

L’AI no 2, l’AI no 1 et l’AT no 2 ont été dépêchés pour aller voir comment se portait le plaignant. Un pompier volontaire, le TC no 9, s’est également rendu sur les lieux. À leur arrivée à la résidence du plaignant, les agents ont cogné à la porte de devant, mais personne n’a ouvert. Ils se sont rendus à la porte arrière et ont cogné encore une fois. Le TC no 9 s’est dirigé vers le garage, situé à l’arrière de la propriété, et a vu un homme [on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant] assis sur une chaise, le dos tourné vers lui. Le plaignant tenait un gros revolver de style antique dans sa main droite. Le TC no 9 est immédiatement allé informer les agents de ce qu’il avait vu.

Les agents ont pris les boucliers balistiques qui se trouvaient dans leurs véhicules et, tandis qu’ils entraient dans la zone où le plaignant, toujours assis, se trouvait, ce dernier a tiré un coup de feu sur le côté droit de sa tête.

Les agents ont immédiatement entrepris de donner les premiers soins en appliquant un bandage sur la tête du plaignant; de même, lorsque le plaignant a cessé de respirer, ils ont effectué des manœuvres de réanimation cardiorespiratoire. On a poursuivi ces manœuvres pendant le transport du plaignant vers l’Hôpital général de la baie Georgienne, où son décès a été constaté.

Dans son avis, la Police provinciale a notamment donné des renseignements concernant un témoin qui avait parlé au plaignant avant le 20 mai 2020, ainsi que de l’information selon laquelle le plaignant parlait de dépression et de suicide depuis quelque temps.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2 
 
Les enquêteurs de l’UES ont réalisé des entrevues auprès de témoins civils et de la police et ont examiné les éléments divulgués par la police, comme des enregistrements de l’appel au 9 1 1 et des autres communications, en plus de ratisser le secteur et d’obtenir des images numériques relatives à l’incident de la part d’un témoin civil. Pour leur part, les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont fait un relevé photographique numérique des lieux de l’incident, ont préparé un diagramme à l’échelle des lieux et ont recueilli des éléments de preuve liés à l’incident.

L’AT no 4 n’a pas participé à une entrevue. L’examen des notes de service de l’AT no 4 n’a pas révélé d’information dont on n’avait pas déjà pris connaissance auprès des agents impliqués ou des témoins civils ou de la police, ou encore dans les données obtenues de la police pendant l’enquête.

Sur demande, l’UES a obtenu une vidéo et des images en lien avec l’incident provenant du téléphone cellulaire du TC no 8, et les a examinées.

Plaignant :

Homme de 77 ans, décédé


Témoins civils (TC)

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue (plus proche parent du plaignant)
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 1 N’a pas participé à une entrevue (pas d’information)
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue;ses notes ont été reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 3 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AT no 4 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire


Agent impliqué (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées
AI no 2 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit à l’arrière d’une résidence de Victoria Harbour, dans le canton de Tay.

Une voie d’accès pour autos menait de la route jusqu’à l’arrière de la propriété, là où le plaignant était assis sur une chaise de jardin lorsqu’il a tiré avec son revolver. Une chaise de jardin était debout près de l’un des coins du garage; il y avait du sang sur le siège de la chaise et sous celle-ci. Il y avait un téléphone cellulaire sur le barbecue, près du garage, et une paire de lunettes brisée se trouvait sur le sol.

Il y avait un revolver sur le sol près de l’un des coins du garage, à côté de deux bacs de recyclage. Le revolver se trouvait à environ 5 mètres de la chaise. Le chien du revolver était baissé. Le canon était pointé vers la porte du garage. De petites taches rouges, que l’on présumait être du sang et des tissus, étaient visibles sur différentes parties de l’arme.

Un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a été avisé sur place, par l’AT no 1, qu’un membre de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) de la Police provinciale s’était présenté sur les lieux plus tôt pour s’assurer que l’arme était sécuritaire. Selon ce qui a alors été rapporté, l’agent avait eu de la difficulté à effectuer cette tâche; l’arme a été placée près des bacs de recyclage dans l’état où elle a été trouvée et décrite par l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES.

Une cartouche vide de calibre .45 se trouvait toujours dans le barillet du revolver; il semble que le barillet ait tourné dans le sens horaire pendant que le membre de l’EIU tentait de rendre l’arme sécuritaire et que cette cartouche se soit ainsi retrouvée à une chambre de distance du chien et du percuteur.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

L’UES a ratissé le secteur à la recherche d’éléments de preuve sous forme d’enregistrements vidéo ou audio ou de photographies et a trouvé ce qui suit :
  • vidéo et photos tirées du téléphone cellulaire du TC no 8.


Vidéo et photos tirées du téléphone cellulaire du TC no 8


La vidéo enregistrée et les photos prises par le TC no 8 n’avaient aucune valeur probante pour ce qui est d’établir ce qui s’était passé dans la cour avant que le plaignant ne s’enlève la vie.

Enregistrements de communications


Enregistrement de l’appel au 9 1 1


L’UES a obtenu une copie de l’enregistrement de l’appel du plaignant, par l’intermédiaire du 9 1 1, à la Police provinciale.

L’enregistrement est d’une durée de 17 minutes et 26 secondes. Pendant les 50 premières secondes, on entend un appel non lié à l’affaire; l’enregistrement continue, par la suite, jusqu’à ce que quelqu’un se trouvant sur les lieux mette fin à l’appel depuis le téléphone cellulaire.

Au début de l’enregistrement audio, l’horodatage montre la date du 20 mai 2020, à 18 h 17 min 39 s.

On a acheminé l’appel à la téléphoniste, en expliquant qu’un homme appelait de Victoria Harbour et qu’il était difficile d’entendre s’il avait besoin d’une ambulance.

La téléphoniste a demandé à l’homme [on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant] s’il avait besoin de la police ou d’une ambulance. Le plaignant a répondu [TRADUCTION] « la police, ma chère ». D’une voix très basse et, par moments, inaudible, le plaignant, lorsque la téléphoniste lui a demandé s’il allait bien, a répondu qu’il n’allait pas bien, mentionnant ensuite quelque chose à propos de son épouse. Il a dit qu’il était chez lui, à une résidence située à Victoria Harbour, et qu’il n’en pouvait plus.

Le plaignant n’a plus prononcé un seul mot de tout l’appel. La téléphoniste a dit au plaignant [TRADUCTION] « je veux que vous restiez avec moi ». Elle a ensuite dit « allo », ce qu’elle a répété environ 26 fois; elle a aussi dit « êtes vous là? » à quelques reprises pour tenter de faire parler le plaignant.

Environ 5 minutes après le début de l’appel, la téléphoniste a commencé à appeler le plaignant par son prénom. Environ 21 fois, elle s’est adressée au plaignant en disant [TRADUCTION] « êtes vous là? », « m’entendez vous? » ou simplement « allo ». Vers la 9e ou la 10e minute de l’appel, la téléphoniste s’est mise à dire « si vous m’entendez, ça va bien aller », puis, un court moment après, « si vous m’entendez, nous sommes là pour vous aider », « si vous m’entendez, s’il vous plaît, laissez nous vous aider », « s’il vous plaît, lâchez le pour qu’ils puissent vous aider » et « êtes vous là? ».

Environ 11 minutes et demie après le début de l’appel, la téléphoniste s’est présentée et a dit au plaignant [TRADUCTION] « je sais que vous avez appelé pour obtenir de l’aide. S’il vous plaît, laissez nous vous aider. »

La téléphoniste a dit au plaignant qu’il y avait beaucoup de mesures de soutien pour l’aider, ajoutant qu’elle savait qu’il était près du téléphone parce qu’elle l’entendait. En effet, sur l’enregistrement, on peut entendre, par moments, un bruit pouvant être un faible gémissement ou le vent, voire les deux.

La téléphoniste tentait de convaincre le plaignant de lui parler, et elle lui a dit qu’il n’était pas seul. À une occasion, elle l’appelle [TRADUCTION] « mon ami ».

Ensuite, on entend quelqu’un qui demande au plaignant, en l’appelant par son prénom, [TRADUCTION] « est ce vous? »; de même, en arrière plan, on entend un homme qui dit « monsieur, m’entendez vous? ».

Environ 15 minutes et 40 secondes après le début l’appel, la téléphoniste a dit « Oh, oh. Allo? ». On n’entend pas le coup de feu sur l’enregistrement. Encore une fois, on entend quelqu’un dire « monsieur? », puis ce qui semble être une respiration stertoreuse. La téléphoniste a de nouveau dit « allo », mais on a alors mis fin à l’appel téléphonique.

Enregistrements audio des communications de la police


Il s’agit d’enregistrements d’appels téléphoniques entre le Centre de communication de la Police provinciale (CCPP) et l’Hôpital général de la baie Georgienne, d’appels internes de la Police provinciale pour déployer des ressources policières et transmettre des mises à jour sur l’incident de même que sur la gestion et le contrôle des lieux en attendant l’arrivée des agents, en plus d’appels qui se rapportaient à l’administration de la police et qui avaient peu d’importance dans le contexte de l’incident tandis que celui ci se déroulait. De même, sur les enregistrements, on peut entendre que des démarches avaient été entreprises afin d’envoyer un négociateur et un commandant des opérations sur les lieux de l’incident; cependant, le plaignant s’est enlevé la vie avant que ces ressources et les mesures de soutien connexes puissent être déployées.

Voici un résumé de ces appels.

Enregistrement audio en lien avec les services médicaux d’urgence et le service d’incendie
L’horodatage de ce fichier audio montre la date du 20 mai 2020, à 18 h 20 min 37 s :
  • La Police provinciale téléphone aux services médicaux d’urgence et demande leur aide pour trouver une adresse à l’aide de l’information sur la provenance de l’appel au 9 1 1.
  • Le téléphoniste dit au représentant de la Police provinciale que c’est le service d’incendie de Victoria Harbour qui est situé à l’adresse associée à l’appel du plaignant, dans le canton de Tay.
  • Le représentant de la Police provinciale demande si quelqu’un se trouve aux installations du service d’incendie; le téléphoniste lui dit que les services médicaux d’urgence ne le savent pas.
  • Les détails de l’appel du plaignant au 9 1 1 sont fournis.
  • Il est décidé que les services médicaux d’urgence se rendront sur les lieux et que la Police provinciale communiquera avec le service d’incendie de Victoria Harbour.
  • À 1 min 57 s sur l’enregistrement, la Police provinciale communique avec le service d’incendie de Victoria Harbour.
  • La Police provinciale explique qu’il a été déterminé que l’appel provenait des installations du service d’incendie.
  • On confirme que personne ne se trouve aux installations du service d’incendie.
  • On informe le service d’incendie de Victoria Harbour qu’il y a eu un appel au 9 1 1 et qu’on n’est pas certain de la nature de l’urgence.
  • Les détails de l’appel au 9 1 1 sont fournis.
  • On indique que le service d’incendie de Victoria Harbour se rendra sur les lieux.


Enregistrement audio en lien avec les services médicaux d’urgence – 2
L’horodatage montre la date du 20 mai 2020, à 18 h 27 min 22 s :
  • Les services médicaux d’urgence appellent la Police provinciale pour lui demander si elle compte examiner les lieux, puisque peu de détails ont été reçus.
  • On demande aux services médicaux d’urgence de se rendre dans le secteur de l’adresse en question.


Enregistrement audio en lien avec les services médicaux d’urgence – 3
L’horodatage montre la date du 20 mai 2020, à 18 h 41 min 46 s :
  • Les services médicaux d’urgence rappellent pour discuter du déploiement à l’adresse en question.
  • On dit aux services médicaux d’urgence qu’ils seront escortés sous peu.


Enregistrement audio des appels téléphoniques en lien avec les agents déployés – 4
L’horodatage montre la date du 20 mai 2020, à 18 h 46 min 56 s :
  • La Police provinciale téléphone à l’Hôpital général de la baie Georgienne pour s’assurer que le personnel sait qu’on y transporte un homme s’étant infligé une blessure par balle.
  • Il y a ensuite des appels téléphoniques relatifs à l’enquête de l’UES.
  • À 1 min 46 s sur l’enregistrement, l’AT no 4 appelle au CCPP.
  • L’AT no 4 indique notamment que seulement trois agents de la Police provinciale se trouvaient à la résidence lorsque l’incident s’est produit. L’AT no 4 attend des directives concernant l’UES, qui pouvait déclarer que le tout relève de sa compétence, avant d’appeler les enquêteurs de la Police provinciale qui se chargeront de cette affaire de suicide.

Enregistrement audio des appels téléphoniques en lien avec les agents déployés – 7
L’horodatage montre la date du 20 mai 2020, à 18 h 19 min 26 s [1] :
  • À 18 h 19, l’AI no 1 est déployé pour répondre à un appel de service à l’adresse du plaignant parce que quelqu’un a déclaré avoir besoin de la police. L’AI no 1 demande quelle est la raison de l’intervention, et on lui répond que l’on n’a pas encore de détails.
  • L’AT no 2 affirme qu’elle répondra également à l’appel et se rendra sur place.
  • Le répartiteur fait savoir qu’un homme âgé [on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant] est toujours sur la ligne. Il précise que l’homme a dit que quelque chose s’était produit, qu’il a mentionné son épouse et qu’il a dit aussi qu’il n’en pouvait plus.
  • L’AI no 1 répond qu’il a bien reçu l’information et demande aux services médicaux d’urgence de se rendre sur les lieux.
  • L’AI no 2 indique qu’il est en route vers un autre emplacement pour une recherche d’éléments de preuve, mais qu’il ira aussi à l’adresse en question.
  • Le répartiteur indique qu’il y a toujours un appel téléphonique en cours, mais que l’on n’entend rien sur la ligne.
  • L’AI no 2 demande l’adresse, car son terminal de données mobile ne fonctionne pas.
  • À 18 h 22, le répartiteur explique que l’on ne trouve rien pour l’adresse fournie par le plaignant, mais qu’une recherche du numéro de téléphone dans le système Niche montre un lien avec une adresse située dans les environs.
  • Le répartiteur fait savoir que les services médicaux d’urgence sont en route et que la ligne téléphonique est toujours ouverte. On n’entend rien en arrière plan.
  • À 18 h 27, l’AI no 1 affirme qu’il arrivera sur les lieux dans moins d’une minute.
  • L’AI no 1 demande qu’on lui fasse part des commentaires du plaignant. On lui dit que ce dernier a mentionné son épouse et qu’il a dit aussi qu’il n’en pouvait plus.
  • L’AI no 1 confirme ensuite qu’il y a une ligne ouverte.
  • L’AI no 1 signale son arrivée à l’adresse du plaignant.
  • L’AI no 2 fait savoir que l’AT no 2 et lui arrivent sur la rue du plaignant.
  • À 18 h 30, le répartiteur demande des nouvelles, et l’AI no 1 dit que la porte arrière n’est pas verrouillée, mais que personne ne répond.
  • L’AT no 2 signale que l’AI no 2 et elle sont arrivés à l’adresse du plaignant.
  • Le répartiteur confirme avoir reçu l’information et dit que la ligne est toujours ouverte.
  • Environ 15 secondes plus tard, l’AI no 1 fait savoir que l’homme (le plaignant) se trouve à l’arrière et tient une arme à feu contre sa tête.
  • Le répartiteur confirme avoir reçu l’information, et quelques unités disent être en chemin.
  • L’AI no 2 indique que le plaignant se trouve dans l’arrière cour, qu’il tient une arme à feu contre sa tête et qu’il menace de se suicider.
  • À 18 h 31, l’AI no 2 signale que les agents sont en voie d’établir un grand périmètre, et que l’arme à feu semble en être une de grande puissance.
  • L’AI no 1 demande de l’aide supplémentaire pour fermer la route, puisqu’il y a beaucoup de circulation.
  • On apprend que l’AT no 1 et un autre agent sont en voie de se rendre sur place.
  • L’AI no 2 fait savoir que la route est fermée et que les agents ont établi un périmètre permettant tout de même une certaine circulation.
  • Un agent non désigné rappelle aux agents de mettre leurs gilets pare balles rigides, qui se trouvent dans le coffre de leurs véhicules respectifs.
  • Le répartiteur indique que la ligne est toujours ouverte.
  • À 18 h 34, l’AI no 1 signale que le plaignant se trouve toujours dans l’arrière cour, assis sur une chaise près du garage. Il précise qu’il tient un gros pistolet de style revolver contre sa tête.
  • On signale qu’un négociateur en situation de crise et l’EIU sont en route.
  • Le sergent du CCPP fait savoir qu’il surveille la situation.
  • Le répartiteur demande à l’AI no 1 si le plaignant a un téléphone dans la main.
  • On apprend qu’un agent non désigné et l’AT no 3 se trouvent, en voiture, sur la rue du plaignant.
  • À 18 h 37, l’AI no 1 signale qu’un coup de feu a été tiré et que l’on croit que le plaignant est blessé.
  • L’AI no 1 déclare que le plaignant a tiré une fois.
  • L’AI no 1 fait savoir qu’il croit que leurs appareils portatifs ne fonctionnent pas correctement. Il affirme ensuite que le [TRADUCTION] « suspect » a tiré un seul coup de feu, sur sa propre personne.
  • À 18 h 38, l’AI no 2 signale que le plaignant s’est infligé lui même sa blessure, que les agents n’obtiennent aucune réponse de son épouse depuis l’intérieur de la résidence et qu’ils s’apprêtent donc à entrer dans la résidence.
  • À 18 h 40, l’AT no 2 demande aux services médicaux d’urgence de se rendre dans l’arrière cour.
  • À 18 h 41, l’AT no 3 signale que les agents ont l’arme à feu et qu’ils tentent de donner les premiers soins.
  • À 18 h 42, l’AI no 2 déclare que personne ne se trouve dans la résidence.
  • Un agent non désigné indique que les services médicaux d’urgence sont sur les lieux;
  • À 18 h 46, les services médicaux d’urgence sont en voie d’être escortés à l’Hôpital général de la baie Georgienne.

Sur le reste de l’enregistrement, on parle de l’évacuation des lieux, du décès récent de l’épouse du plaignant et de questions relatives au protocole de la Police provinciale. La dernière marque d’horodatage montre la date du 20 mai 2020, à 20 h 28 min 52 s.

Éléments de preuves médicolégaux


Rapport sur l’arme à feu du Centre des sciences judiciaires


Un rapport sur l’arme à feu, daté du 4 août 2020, a été transmis par le Centre des sciences judiciaires. Dans ce rapport, on indique qu’on ne peut confirmer que le fragment de plomb qui a été trouvé sur le plaignant avait été tiré depuis le revolver du plaignant, mais qu’on ne peut non plus éliminer cette possibilité.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents et éléments suivants de la Police provinciale, et les a examinés :
  • rapport sur les détails de l’événement du système de répartition assistée par ordinateur;
  • enregistrements des communications;
  • registre de continuité de la scène de crime;
  • notes de l’AT no 3;
  • notes de l’AT no 2;
  • notes de l’AT no 4;
  • notes de l’AT no 1;
  • notes de l’AI no 1;
  • notes de l’AI no 2;
  • propriété – armes à feu;
  • rapports supplémentaires;
  • dossier de formation de l’AI no 1;
  • dossier de formation de l’AI no 2.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les éléments suivants auprès de sources autres que la police, et les a examinés :
  • rapport d’autopsie, daté du 14 septembre 2020 et reçu par l’UES de la part du bureau du coroner le 2 octobre 2020;
  • rapport sur l’arme à feu du Centre des sciences judiciaires daté du 4 août 2020;
  • vidéo captée et photos prises par le TC no 8 au moyen de son téléphone cellulaire.

Description de l’incident

Le scénario qui suit est fondé sur les éléments de preuve recueillis par l’UES pendant son enquête, qui comprennent des entrevues avec les deux agents impliqués, un agent témoin qui se trouvait sur les lieux et plusieurs témoins civils qui ont vu différentes parties de l’incident.

Le plaignant avait eu des problèmes de santé mentale et physique pendant les dernières années de sa vie. Vers 18 h 20 le 20 mai 2020, il a effectué un mystérieux appel au 9 1 1, dans lequel il a mentionné son épouse, puis a dit qu’il n’en pouvait plus. Des agents ont été dépêchés sur les lieux pour voir ce qui se passait.

Vers 18 h 30, l’AI no 1 est arrivé à l’adresse du plaignant, à Victoria Harbour; il était le premier agent de police sur les lieux. Un pompier volontaire du service d’incendie de Victoria Harbour, le TC no 9, est arrivé à peu près au même moment. Les deux hommes ont cogné à la porte de devant, n’ont eu aucune réponse et se sont donc rendus derrière la maison unifamiliale à un étage. L’AI no 1 est monté sur le patio pour se rendre à la porte arrière, qui était déverrouillée, est entré dans la maison et a appelé le plaignant de vive voix. Il n’y avait pas de réponse et l’agent ne voyait personne dans la maison. Le TC no 9, qui était encore dehors, avait entrepris de se rendre du côté nord de l’arrière cour; il a soudainement remarqué un homme assis sur une chaise de jardin. Il s’agissait du plaignant; il avait dans la main droite un revolver [2] argenté, qu’il maintenait appuyé contre sa tempe droite. Il bougeait la tête de haut en bas, comme s’il luttait pour rester éveillé. Le TC no 9 s’est placé derrière l’un des deux bâtiments se trouvant dans l’arrière cour. Le TC no 9 a alors appelé l’AI no 1 de vive voix et pointé dans la direction du plaignant. L’agent a crié au plaignant de ne pas [TRADUCTION] « faire ça », puis il s’est rendu devant la maison.

L’AI no 2 et l’AT no 2 se sont aussi rendus à la résidence et y sont arrivés à peu près au moment où l’AI no 1 revenait de l’arrière cour. L’AI no 1 leur a fait part de ce qu’il avait vu et a pris sa carabine C8 dans son véhicule de police. L’AI no 2 s’est muni d’une arme à feu non létale. Ensemble, les agents ont marché le long de l’entrée du côté sud de la maison pour se rendre dans l’arrière cour. L’AT no 2 a mis une veste de protection supplémentaire et a suivi les deux autres agents, demeurant à une certaine distance derrière eux.

Une fois derrière la maison, les agents se sont placés à une distance de six à neuf mètres derrière le plaignant. Le plaignant était toujours assis sur la même chaise, dos aux agents, le revolver pointé vers sa tête. L’AI no 2 et l’AI no 1 avaient prévu établir d’abord un périmètre de sécurité autour du plaignant, avant de tenter de négocier avec lui. Tandis que l’AI no 1 se préparait à s’approcher du plaignant, on a entendu un coup de feu.

Le plaignant avait appuyé sur la gâchette du revolver. Le coup s’est traduit par une plaie perforante à la tête; le projectile est entré du côté droit de la tête du plaignant et en est ressorti par le dessus.

Les agents se sont rapidement rendus à leurs véhicules pour y prendre leurs armes d’épaule, puis sont retournés dans l’arrière cour pour s’occuper du plaignant. Le plaignant bougeait toujours et tentait de parler, mais il était gravement blessé et n’y arrivait pas. Lorsque d’autres agents sont arrivés avec des fournitures de premiers soins, l’AI no 1 a fait de son mieux pour appliquer des bandages sur les blessures du plaignant.

Des ambulanciers paramédicaux sont arrivés sur les lieux, prenant la relève quant aux soins donnés au plaignant. Ils ont placé celui ci dans l’ambulance et ont rapidement entrepris de le transporter à l’hôpital. Malgré d’autres tentatives de réanimation, le décès du plaignant a été constaté à l’hôpital, à 19 h 17.

Cause du décès


Le médecin légiste a conclu que la cause directe du décès n’était pas liée à des antécédents et qu’il s’agissait d’une [TRADUCTION] « plaie de contact perforante à la tête causée par une balle d’arme à feu ».

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 220, Code criminel -- Négligence criminelle causant la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. 
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé dans la soirée du 20 mai 2020 des suites d’un coup de feu à la tête. Puisque des agents de la Police provinciale s’étaient rendus à sa résidence et étaient présents au moment du coup de feu, l’UES a été avisée et a lancé une enquête. Deux de ces agents, l’AI no 1 et l’AI no 2, ont été désignés comme étant les agents impliqués pour les besoins de l’enquête de l’UES. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués a commis une infraction criminelle au décès du plaignant.

Puisqu’il est évident que le plaignant a lui même tiré le coup de feu qui a causé son décès, la seule question qui est soulevée, en ce qui a trait à la responsabilité criminelle potentielle de l’un ou l’autre des agents, consiste à savoir si l’AI no 1 ou l’AI no 2 a contribué au décès par tout manque de diligence. Autrement dit, y a t il une raison de croire que l’un ou l’autre des agents ou que les deux agents ont fait preuve de négligence criminelle quant au décès du plaignant? À mon avis, il n’y en a aucune.

La simple négligence n’est pas suffisante pour établir qu’il y a eu négligence criminelle. Cette infraction est plutôt fondée, en partie, sur une conduite qui constitue un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans des circonstances similaires. Les circonstances de l’intervention des agents impliqués dans cette affaire ne permettent pas d’établir qu’il y a eu une telle conduite.

Il est évident que l’AI no 1 et l’AI no 2 exerçaient leurs fonctions légitimes, plus précisément, qu’ils assumaient leur responsabilité première, soit de préserver et de protéger la vie, lorsqu’ils se sont présentés à la résidence du plaignant pour vérifier si les occupants se portaient bien, puis lorsqu’ils ont tenté d’intervenir auprès du plaignant même, qui était armé d’une arme à feu et qui menaçait de se faire du mal avec celle ci. Lorsque son attention a été portée vers le plaignant, l’AI no 1 a été pris par surprise, ce qui est bien compréhensible. S’il soupçonnait qu’il pouvait s’agir d’une querelle conjugale entre un homme et son épouse [3], l’agent n’avait aucune raison de s’attendre à ce que le plaignant soit armé et sur le point de s’enlever la vie. Dans ces circonstances, l’AI no 1 a agi de manière raisonnable en veillant d’abord à la sécurité des civils qui se trouvaient dans les environs; il a ainsi demandé au TC no 9 de s’éloigner des lieux et a dit à plusieurs voisins de retourner dans leur résidence. De plus, on ne peut pas reprocher à l’AI no 1 d’être d’abord retourné à son véhicule de police pour prendre sa carabine C8 avant de tenter une intervention auprès du plaignant. Puisque le plaignant était en possession d’une arme à feu, l’agent était en droit de prendre des mesures raisonnables pour voir à sa propre sécurité avant de se placer dans une situation risquée. Enfin, même si les événements se sont déroulés rapidement, il semble que l’AI no 1 et l’AI no 2, tous deux membres de l’EIU, avaient convenu d’un plan pour intervenir auprès du plaignant : ils tenteraient de limiter la menace posée par cette personne armée avant d’essayer de lui parler, depuis un endroit sécuritaire; à mon avis, il s’agissait là d’une façon de faire raisonnable. Malheureusement, tout juste au moment où l’AI no 1 s’apprêtait à entreprendre les négociations, le plaignant a appuyé sur la gâchette.

Selon le consensus qui se dégage des déclarations de plusieurs amis et voisins du plaignant, ce dernier se serait enlevé la vie puisque sa santé avait commencé à se détériorer et qu’il ne souhaitait ni souffrir ni être un fardeau pour qui que ce soit. L’un de ces témoins croyait que le plaignant avait orchestré les derniers moments de sa vie de manière à ce que la police soit sur les lieux, pour ainsi éviter que des membres de sa famille le trouvent sans vie. Quoi qu’il en soit, il est évident, à la lumière de ce qui précède, que l’AI no 1 et l’AI no 2 se sont comportés de manière raisonnable tout au long des événements en question et que le plaignant est le seul responsable de sa mort. Par conséquent, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles contre l’un ou l’autre des agents impliqués, et ce dossier est clos.


Date : 8 février 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Il n’y a pas d’autres données d’horodatage dans cet enregistrement; les heures indiquées proviennent du rapport du système de répartition assistée par ordinateur. [Retour au texte]
  • 2) Un revolver de calibre .45 à simple action et à six balles. [Retour au texte]
  • 3) À ce moment là, l’AI no 1 ne savait pas que l’épouse du plaignant était décédée. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.