Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCI-178

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant les blessures graves subies par une femme de 48 ans (la « plaignante »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 20 juillet 2020, le Service de police de Kingston (SPK) a avisé l’UES des blessures subies par la plaignante.

Selon ce qu’a rapporté le SPK, le 19 juillet 2020, la plaignante a volé un véhicule appartenant à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada dans le secteur de la marina de Collins Bay, à Kingston. Elle a conduit le véhicule jusqu’à un restaurant Tim Hortons du secteur, où elle l’a abandonné, puis elle a volé un autre véhicule, celui-ci appartenant à une femme enceinte. La plaignante est retournée à la marina dans cet autre véhicule volé, l’a abandonné et est montée dans un canot. Elle a ramé le long de la rive jusqu’à Picton, où elle a été arrêtée par la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale).

La Police provinciale a ramené la plaignante à Kingston et l’a confiée au SPK à 9 h 25. La plaignante a été mise en détention aux fins de l’enquête sur le cautionnement; elle faisait face à de multiples accusations. Vers 19 h 50, la plaignante a dit au personnel de garde qu’elle ne se sentait pas bien. Elle a admis avoir consommé de la drogue, qu’elle avait cachée dans son vagin. Les services médicaux d’urgence se sont présentés sur les lieux et ont transporté la plaignante à l’Hôpital général de Kingston, où elle a été admise et placée aux soins intensifs, puisque son état était critique. Plus précisément, la plaignante a été intubée et mise sous assistance respiratoire. L’Hôpital n’a pas divulgué au SPK quelle drogue se trouvait dans l’organisme de la plaignante.

Le service des sciences judiciaires du SPK a photographié la cellule de la plaignante; de même, la vidéo de la période de détention a été transmise à l’UES

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
 

Plaignante :

Femme de 48 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue


Témoin employé de la police (TEP)

TEP no 1 A participé à une entrevue
TEP no 2 A participé à une entrevue

De plus, les notes d’un autre témoin employé de la police ont été reçues et examinées.


Agent impliqué (AI)

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué


En vertu du Règlement de l’Ontario 267/10, pris en vertu de la Loi sur les services policiers, les agents impliqués sont invités à participer à une entrevue avec l’UES, mais n’y sont pas légalement obligés, et ils ne sont pas tenus non plus de remettre une copie de leurs notes à l’UES.]

Éléments de preuve

Les lieux

La plaignante a versé le contenu d’un sachet dans sa bouche tandis qu’elle était détenue dans une cellule au quartier général du SPK.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques


Vidéo captée par le système de télévision en circuit fermé du bloc cellulaire

À 11 h 38 min 29 s, la plaignante est placée dans une cellule par une agente de police. Elle porte une salopette courte grise et, sur le haut du corps, un vêtement sans manches noir. La plaignante s’assoit sur le lit de la cellule et la porte se ferme. Elle passe la majeure partie de l’après-midi assise sur le lit ou à marcher dans la cellule. Elle se lève périodiquement pour se rendre à la porte de la cellule et regarder par la fenêtre d’inspection de celle-ci.

À 13 h 18 min 2 s, la plaignante donne des coups de pied contre la porte de la cellule et frappe celle-ci avec ses deux mains. Elle crie, mais ce qu’elle dit est inaudible. On voit une ombre à l’extérieur de la fenêtre d’inspection de la porte de la cellule, et la plaignante semble parler à quelqu’un. Elle s’assoit sur le lit et crie des jurons de temps à autre. Elle marche jusqu’à la porte de la cellule, puis demeure debout face au coin du montant de la porte. Ses deux mains sont devant son corps, à la hauteur de sa taille. Ensuite, sa main droite semble bouger près de son entrejambe. Elle s’assoit sur le lit et pleure. La plaignante parle à un homme (qu’on ne voit pas) qui se trouve à l’extérieur de la cellule, puis elle s’assoit de nouveau sur le lit. Un agent lui tend des papiers-mouchoirs par une fente dans la porte de la cellule. Elle place les papiers-mouchoirs sur ses épaules et ses jambes nues, comme si elle avait froid.

À 16 h 5 min 30 s, la plaignante se lève du lit et cogne à la porte de la cellule. Elle parle (ce qu’elle dit est inaudible) avec une femme (qu’on ne voit pas) qui se trouve à l’extérieur de la cellule. Elle s’assoit ensuite sur le plancher, derrière la porte de la cellule. On lui donne, par une ouverture dans la porte de la cellule, une combinaison de protection blanche. La plaignante met la combinaison et se rassoit sur le plancher, et elle semble s’endormir.

À 17 h 37 min, on donne de la nourriture (un hamburger) à la plaignante par l’ouverture dans la porte de la cellule. Elle s’assoit sur le lit et prend une bouchée du hamburger. Ensuite, la plaignante se rend devant la porte et crie (ce qu’elle dit est inaudible). Elle retourne sur le lit, mange un peu du hamburger, puis s’assoit sur la toilette.

À 18 h 18 min 55 s, la plaignante prend le reste du hamburger, qui se trouve sur le lit, et s’assoit sur le plancher, à côté de la porte de la cellule. Elle mange un peu encore. Elle se rend à l’évier pour boire de l’eau. Par la suite, elle reste penchée au-dessus de la cuvette pendant un certain temps, puis tire la chasse. Elle retourne ensuite s’asseoir sur le plancher près de la porte, puis prend d’autres bouchées du hamburger. Elle se lève et parle à une femme (que l’on ne voit pas) qui se trouve à l’extérieur de la cellule. Elle s’assoit ensuite sur la toilette, puis se relève et retourne s’asseoir sur le plancher près de la porte.

À 18 h 49 min 2 s, la plaignante retourne vers le lit, prend une bouchée du hamburger et se couche sur le lit, sur son côté droit. Elle est couchée sur son côté droit, faisant dos à la caméra, et son bras droit est sorti de la manche de la combinaison. Sa main gauche descend vers son entrejambe. Les boutons à l’avant de sa salopette semblent détachés. Sa main gauche bouge beaucoup, et on entend un son ressemblant à du plastique qu’on froisse.

À 18 h 59 min 22 s, la plaignante porte sa main gauche à sa bouche et lève la tête. Elle se tourne vers la caméra et on voit qu’elle a un objet blanc entre ses lèvres. Elle se lève du lit, marche jusqu’à la porte et regarde par la fenêtre d’inspection. Elle verse du contenu de l’objet blanc (un sachet) dans sa bouche à deux reprises. Elle jette le sachet dans la toilette et boit de l’eau à l’évier. Elle marche jusqu’à la porte de la cellule et regarde par la fenêtre d’inspection. Elle revient tirer la chasse. Elle marche dans la cellule, s’assoit sur le lit et replace ses vêtements sous la combinaison.

À 19 h 1 min 54 s, une femme parle à la plaignante à travers la porte de la cellule. Le comportement de la plaignante semble normal, et après la conversation, elle se rend jusqu’au lit; à ce moment, elle respire fort. Elle s’assoit et fouille dans les poches de sa salopette. Elle se balance vers l’avant et vers l’arrière sur le lit.

À 19 h 11 min 58 s, la plaignante se couche sur le lit. Environ deux minutes plus tard, elle s’assoit et se touche le cou et le front. Elle se lève du lit et enlève la combinaison. Elle utilise la toilette, se lave les mains et se rassoit sur le lit.

À 19 h 17 min 8 s, la plaignante se lève du lit et s’appuie sur le mur de la cellule avec sa main gauche, car elle semble étourdie. Elle boit de l’eau à l’évier, puis s’agenouille sur le plancher, les coudes et le haut du corps appuyés sur le lit. On l’entend marmonner, mais on ne distingue pas ses mots. Elle se couche sur le dos, sur le plancher de la cellule, et pointe la caméra se trouvant au plafond; elle semble être sous l’effet d’une drogue.

À 19 h 18 min 58 s, la plaignante se rend à la porte de la cellule et dit quelque chose à plusieurs reprises. Elle semble avoir une conversation avec une autre personne détenue et lui demande son nom. Elle prend encore une fois de l’eau à l’évier et s’agenouille de nouveau sur le plancher, le haut du corps appuyé sur le lit. Elle s’assoit ensuite au sol, le dos contre le mur.

À 19 h 22 min 10 s, la plaignante se rend à la porte de la cellule, cogne sur celle-ci et appelle quelqu’un. Elle parle avec un agent, qui lui demande d’attendre. Elle marche dans la cellule et semble avoir de la difficulté à garder son équilibre. Elle se rend plusieurs fois à l’évier pour boire. Elle marche dans la cellule et semble être sous l’effet de ce qu’elle a ingéré. Elle se parle constamment et agit de manière étrange.

À 19 h 29 min 9 s, la plaignante s’approche de la porte et parle en criant avec d’autres personnes détenues. Elle reste à côté de la porte de la cellule et son comportement change; elle devient très agitée et ses mains tremblent.

À 19 h 34 min 5 s, un agent parle avec la plaignante depuis l’extérieur de la cellule. On entend l’agent lui demander si elle va bien. La plaignante hoche la tête, et l’agent s’en va. La plaignante demeure près de la porte et continue de se parler et de crier contre d’autres personnes détenues. Ses mains et ses jambes tremblent, et elle semble très désorientée. Elle se parle continuellement.

À 19 h 38 min 40 s, la plaignante se lève du lit, se place face au mur avec les deux mains sur celui-ci et agit de façon étrange. Elle s’approche de la porte et se parle à voix haute. Elle agite la main en direction de la caméra pour attirer l’attention.

À 19 h 41 min 14 s, une femme parle à la plaignante par la fenêtre d’inspection de la porte de la cellule. La plaignante a les bras croisés tandis qu’elle parle avec celle-ci. La femme demande à la plaignante si elle va bien, et cette dernière répond que non. La femme lui demande ce qui ne va pas, mais la réponse est inaudible. En répondant, la plaignante agite sa main vers sa bouche. À 19 h 42 min 9 s, la femme s’éloigne de la porte de la cellule. La plaignante parle ensuite avec une autre personne détenue, en criant.

À 19 h 44 min 45 s, un agent parle à la plaignante à travers la porte de la cellule. Il lui demande si elle a pris quelque chose, et elle répond que oui. Il lui demande ce qu’elle a pris, mais sa réponse est inaudible. Elle montre à l’agent que ses deux mains tremblent. À 19 h 45 min 34 s, l’agent s’éloigne de la porte de la cellule.

À 19 h 51 min 18 s, un agent ouvre la porte de la cellule et dit à la plaignante que des ambulanciers paramédicaux vont l’examiner. Elle quitte la cellule avec l’agent. Elle est escortée à l’aire de mise en détention par deux agents en uniforme. La plaignante est chancelante et passe près de tomber lorsque les agents l’assoient sur un banc.

À 19 h 54 min 26 s, des ambulanciers paramédicaux arrivent dans l’aire de mise en détention, placent la plaignante sur une civière, puis la sortent de l’endroit.

Éléments obtenus auprès du Service de police

L’UES a obtenu les éléments suivants de la part du SPK, et les a examinés :
  • dossier d’information sur la mise en détention;
  • ordre général – garde et contrôle des prisonniers;
  • rapport quotidien du SPK rédigé par l’AT no 1;
  • ordre de remise en liberté – la plaignante;
  • notes des TEP, de l’AT no 2 et d’un employé de la police non désigné;
  • rapport d’incident;
  • rapport d’incident – situation d’ordre médical dans les cellules;
  • vidéo captée par le système de télévision en circuit fermé du bloc cellulaire du SPK.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

Les enquêteurs ont obtenu les éléments suivants auprès de sources autres que la police, et les ont examinés :
  • dossiers médicaux de l’Hôpital général de Kingston.

Description de l’incident

Il est possible d’établir clairement les principaux événements qui se sont déroulés au moyen des éléments de preuve recueillis et des déclarations fournies par la plaignante, l’AT et d’autres agents qui étaient responsables de la santé et de la sécurité de la plaignante pendant qu’elle était sous garde. Dans le cadre de l’enquête, on a également bénéficié d’un enregistrement vidéo qui montre la plaignante pendant toute la période qu’elle a passée dans la cellule du quartier général du SPK.

Vers 11 h 38 le 19 juillet 2020, la plaignante a été placée dans une cellule du quartier général du SPK. Elle avait été arrêtée plus tôt par des agents de la Police provinciale à Picton pour son implication dans un vol de voiture et un vol de canot à Kingston ce matin-là. Les agents de la Police provinciale ont remis la plaignante à la garde d’agents du SPK, et ces derniers ont ramené la plaignante à Kingston.

Le temps passé par la plaignante dans la cellule se passait, dans l’ensemble, sans incident. Cela a changé vers 18 h 49, lorsque la plaignante a retiré un sachet de drogue de son vagin. À compter de 19 h environ, la plaignante a commencé à consommer de la drogue. Les premiers signes des effets de la drogue sur la santé de la plaignante sont apparus vers 19 h 17; elle semblait alors instable sur ses pieds, et elle a commencé à marmonner. À 19 h 29, les mains de la plaignante ont commencé à trembler, et elle est devenue très agitée. À 19 h 41, lorsqu’une surveillante du bloc cellulaire lui a demandé si elle allait bien, la plaignante a répondu que non. Peu après, la plaignante a répondu par l’affirmative lorsqu’on lui a demandé si elle avait pris quelque chose.

On a demandé la présence d’une ambulance au commissariat, et la plaignante a été escortée hors de la cellule, jusque dans l’aire de mise en détention. Les ambulanciers paramédicaux sont arrivés vers 19 h 54. La plaignante a été placée sur une civière et emmenée à l’hôpital.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 221, Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. 
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui est coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.


Article 215, Code criminel – Défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Analyse et décision du directeur

La plaignante a consommé des drogues illicites à 19 h environ le 19 juillet 2020. Elle a commencé à présenter des symptômes de surdose dans l’heure qui a suivi, et elle a été emmenée à l’hôpital. Après avoir passé un certain temps aux soins intensifs, où elle a été intubée, la plaignante s’est rétablie et a reçu son congé de l’hôpital le 28 juillet 2020. Puisque la plaignante était sous la garde de la police au moment où elle a consommé la drogue, l’UES a été avisée de la situation et a entrepris une enquête. L’agent responsable de s’occuper des détenus au moment où la plaignante a consommé la drogue – l’AI – a été désigné en tant qu’agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. À la lumière des conclusions de l’enquête, je suis d’avis qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement au temps passé sous garde par la plaignante.

Puisqu’il est évident que l’état de la plaignante était dû au fait qu’elle avait consommé de la drogue, la seule question à examiner est celle de savoir si les agents chargés de sa garde ont contribué aux difficultés vécues par la plaignante en faisant preuve d’un manque de diligence suffisant pour que l’on porte des accusations criminelles. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Il y a deux infractions possibles qu’il faut prendre en compte : le non-respect du devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, aux termes des articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. La première infraction est fondée, en partie, sur une conduite qui constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation. Il est donc question d’une conduite plus grave qu’un simple manque de diligence. La négligence criminelle, quant à elle, s’entend d’un comportement qui est encore plus éloigné de la diligence attendue. La conduite adoptée doit constituer un écart marqué et substantiel par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans des circonstances similaires.

Je ne suis pas en mesure de conclure, sur la base d’un jugement raisonnable, que l’AI ou tout autre membre du SPK ayant interagi avec la plaignante pendant qu’elle était dans la cellule a transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel. Je reconnais d’ailleurs que la plaignante se trouvait sous la garde de la police en toute légalité. Il était présumé qu’elle avait participé à un vol de voiture à Kingston plus tôt le matin de l’incident, puis qu’elle avait volé un canot à bord duquel elle s’était rendue à Picton avant d’être arrêtée par des agents de la Police provinciale.

Je suis également convaincu que la plaignante a été surveillée adéquatement pendant qu’elle était sous garde par les personnes qui avaient la responsabilité de garder un œil sur elle et de répondre à ses besoins. Les surveillants du bloc cellulaire qui étaient en poste pendant cette période n’ont rien remarqué d’inhabituel chez la plaignante avant 19 h 45 environ. L’enregistrement vidéo du système de télévision en circuit fermé du bloc cellulaire semble le confirmer, puisqu’on n’y voit rien qui soit hors de l’ordinaire avant 18 h 50 approximativement, soit lorsque la plaignante a pris un sachet de drogue qu’elle avait sur elle; elle a entrepris de consommer cette drogue peu de temps après. De même, il semble que la TEP no 2 a agi rapidement en alertant ses superviseurs, vers 19 h 45, de l’état de santé de la plaignante qui se détériorait, soit pas plus 30 minutes après que la plaignante eut commencé à présenter des symptômes; on a ensuite demandé de l’aide médicale sans tarder.

Une question mérite d’être posée, à savoir si l’on aurait dû fouiller la plaignante plus attentivement pour voir si elle avait de la drogue sur elle avant de la placer dans la cellule. Après tout, au moment où elle a été mise en détention, la plaignante a admis avoir consommé de la cocaïne et de la méthamphétamine. Notons que la plaignante a bien fait l’objet d’une fouille par palpation avant d’être placée dans une cellule. Il n’est toutefois pas surprenant que la drogue n’ait pas été découverte pendant cette fouille, puisque la plaignante avait caché le sachet dans son vagin. Ainsi, on ne peut pas savoir si une fouille à nu aurait permis de découvrir la drogue. De même, il aurait fallu qu’il y ait des motifs de procéder à une fouille à nu; je ne suis pas certain que c’était le cas. Conformément à ce que prévoit le droit tel qu’énoncé dans R. c. Golden, [2001] 3 RCS 679, en plus de motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation même, la police doit établir qu’il y a des motifs raisonnables et probables de conclure qu’une fouille à nu est nécessaire dans les circonstances de l’arrestation en question. Même si elle a admis avoir consommé de la drogue, la plaignante semblait en bonne santé au moment de sa mise en détention et pendant la majeure partie du temps qu’elle a passé sous garde. Dans ces circonstances, je ne peux pas reprocher aux agents d’avoir évité de soumettre la plaignante à une fouille à nu. D’ailleurs, je ne suis pas convaincu du tout qu’un examen des cavités corporelles, qui aurait probablement été la seule façon de trouver le sachet et qui doit être justifié dans une mesure plus grande encore qu’une fouille à nu, était une option viable, ni que l’omission des agents de procéder à un tel examen est suffisante pour que soient portées des accusations criminelles.

En conclusion, je suis convaincu, à la lumière de ce qui précède, que l’attention qui a été accordée à la plaignante respectait les limites définies par le droit criminel, même si la plaignante a pu accéder à de la drogue et la consommer pendant qu’elle était sous garde. Donc, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 25 janvier 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.