Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 19-OCI-071
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Contenus:
Mandat de l’UES
L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.
Restrictions concernant la divulgation de renseignements
Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)
En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :- de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
- de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.
En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
- le nom de tout agent impliqué;
- le nom de tout agent témoin;
- le nom de tout témoin civil;
- les renseignements sur le lieu de l’incident;
- les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
- d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête
Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)
En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables.Autres instances, processus et enquêtes
Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.Exercice du mandat
La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).
On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par un homme de 55 ans (le « plaignant »).
On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.
Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures subies par un homme de 55 ans (le « plaignant »).
L’enquête
Notification de l’UES
Le 8 avril 2019, à 21 h 05, le Service de police de Hamilton (SPH) a avisé l’UES de la blessure du plaignant et donné le rapport qui suit.Le 8 avril 2019, vers 14 heures, des agents en uniforme se sont rendus au domicile du plaignant pour l’arrêter pour plusieurs infractions de vol. Les agents ont parlé au plaignant qui était à l’intérieur de sa résidence, mais refusait d’en sortir. Les agents ont avisé le plaignant qu’ils allaient demander un mandat Feeney [1] qui leur permettrait d’entrer chez lui. Le plaignant a alors disparu de la vue des agents. Un des agents est allé à l’arrière de la résidence où il a vu le plaignant tenter de s’enfuir. Le plaignant a ensuite été plaqué à terre et placé sous garde. Les services médicaux d’urgence (SMU) ont été appelés car le plaignant avait une entaille à la tête. Il a été emmené à l’Hôpital général de Hamilton (HGH) où il a été soigné. À l’hôpital, le plaignant a également reçu un diagnostic de deux côtes fracturées.
L’équipe
Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1
Plaignants
Plaignant : Homme de 55 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinésAgents impliqués
AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été examinéesAI no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été examinées
Éléments de preuve
Les lieux
La résidence du plaignant, sur l’avenue Charlton Ouest, est une maison individuelle de deux étages. Une allée piétonnière mène au porche et à la porte d’entrée. Cette allée conduit aussi vers une porte d’entrée sur le côté ouest de la maison. Au sud de cette porte, l’allée se prolonge jusqu’à une entrée fermée par un portail menant à la cour arrière de la maison. Le portail, qui s’ouvre vers la rue, était ouvert. L’allée se prolonge dans la cour arrière, qui est clôturée.Le côté arrière (sud) de la clôture mène au stationnement, auquel on accède par une petite ruelle. La clôture en bois est partiellement effondrée. Une porte d’entrée à l’angle sud-ouest de la maison est partiellement ouverte. Il y a devant cette porte un petit porche en bois surélevé avec deux marches menant à un patio en béton.
Le patio en béton est très encombré, notamment par des meubles de patio, un barbecue, des coussins, des matériaux de construction et une tondeuse à gazon.
Le barbecue est renversé. Au nord du barbecue – à 3,6 mètres au sud de la porte sud-ouest et 1,8 mètre à l’est de la clôture ouest – il y a deux coussins empilés. Le coussin supérieur est fortement maculé de sang. Il y a un pansement et un bandage de tension tachés de sang à l’ouest du coussin. Il y a un briquet Bic sur le patio en béton, dans une traînée de sang au sud-ouest des coussins.
Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies
Résumé des séquences vidéo de la station-service illustrant des vols
Dans un autre incident, le même véhicule Jeep, avec la même plaque d’immatriculation, s’arrête à la même pompe à essence. Le plaignant sort du véhicule et fait le plein. Il remonte ensuite dans le véhicule et s’en va sans qu’on le voit payer.
Enregistrements des communications de la police
Résumé de l’enregistrement des communications
L’AI no 1 dit [traduction] : « Un 10-92, demander SMU. » Le répartiteur demande dans quel état est le blessé. L’AI no 1 répond [traduction] : « Respire, mais a une blessure. Une coupure à la tête, je ne sais pas encore si c’est grave. »
L’AI no 2 demande au répartiteur d’envoyer immédiatement les SMU parce que le plaignant « saigne assez fort de la tête ». L’AI no 2 demande au répartiteur de dire au SMU qu’ils sont dans la cour. On peut entendre des gémissements en arrière-plan.
Éléments obtenus auprès du service de police
Sur demande, l’UES a obtenu les documents et éléments suivants du SPH, qu’elle a examinés :- Chronologie de l’incident;
- Enregistrements des communications;
- Rapports généraux sur certains vols d’essence;
- Photo du plaignant associée à un vol d’essence;
- Politiques du service de police : recours à la force et procédures d’arrestation;
- Dates de renouvellement de la certification de formation sur le recours à la force;
- Vidéo - vol d’essence - 15 janvier 2019 et 18 mars 2019;
- Transmissions radio.
Éléments btenus auprès d’autres sources :
Outre les documents que lui a remis le SPH, l’UES a obtenu auprès d’autres sources les documents suivants qu’elle a examinés :- Rapport d’appel d’ambulance des SMU de Hamilton;
- Dossiers médicaux du plaignant - HGH;
- Enregistrements vidéo de vols d’essence les 15 janvier 2019 et 18 mars 2019.
Description de l’incident
La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec le plaignant, l’AI no 1 et l’AI no 2. Le 8 avril 2019, vers 13 h 30, l’AI no 1 et l’AI no 2 sont arrivés au domicile du plaignant, avenue Charlton Ouest, dans l’intention de l’arrêter pour une série de vols d’essence. Les agents avaient examiné des séquences vidéo des stations-service où les vols avaient été commis et étaient convaincus que le plaignant en était l’auteur. Aucun d’eux n’avait de mandat pour l’arrestation du plaignant.
Le plaignant a ouvert la porte d’entrée et nié avoir fait quoi que ce soit de mal. Une conversation s’est ensuivie sur le seuil de la porte au cours de laquelle les AI no 1 et AI no 2 ont dit clairement qu’ils n’avaient pas l’intention de débattre du bien-fondé de la culpabilité ou de l’innocence du plaignant. Le plaignant a demandé aux agents s’ils avaient un mandat pour l’arrêter. Les agents lui ont répondu par la négative, expliquant qu’ils pouvaient en obtenir un pour l’arrêter à son domicile, mais qu’ils préféreraient qu’il se rende de son plein gré. Finalement, après avoir d’abord semblé sur le point de se rendre, le plaignant a clairement indiqué qu’il n’avait pas l’intention de coopérer. Le plaignant a dit aux agents qu’ils n’étaient pas les bienvenus et a refermé la porte.
L’AI no 1 a surveillé les lieux pendant que l’AI no 2 faisait les démarches nécessaires pour obtenir un mandat Feeney. Pendant ce temps, le plaignant est sorti de chez lui par une porte donnant sur la cour arrière. Craignant que le plaignant ait l’intention de s’échapper par une ruelle qui traversait l’arrière de la propriété, l’AI no 1 est entré dans la cour par un portail en bois et a confronté le plaignant. Une lutte physique s’est ensuivie, à laquelle l’AI no 2 s’est rapidement joint et qui s’est conclue par l’arrestation du plaignant.
Le plaignant a ouvert la porte d’entrée et nié avoir fait quoi que ce soit de mal. Une conversation s’est ensuivie sur le seuil de la porte au cours de laquelle les AI no 1 et AI no 2 ont dit clairement qu’ils n’avaient pas l’intention de débattre du bien-fondé de la culpabilité ou de l’innocence du plaignant. Le plaignant a demandé aux agents s’ils avaient un mandat pour l’arrêter. Les agents lui ont répondu par la négative, expliquant qu’ils pouvaient en obtenir un pour l’arrêter à son domicile, mais qu’ils préféreraient qu’il se rende de son plein gré. Finalement, après avoir d’abord semblé sur le point de se rendre, le plaignant a clairement indiqué qu’il n’avait pas l’intention de coopérer. Le plaignant a dit aux agents qu’ils n’étaient pas les bienvenus et a refermé la porte.
L’AI no 1 a surveillé les lieux pendant que l’AI no 2 faisait les démarches nécessaires pour obtenir un mandat Feeney. Pendant ce temps, le plaignant est sorti de chez lui par une porte donnant sur la cour arrière. Craignant que le plaignant ait l’intention de s’échapper par une ruelle qui traversait l’arrière de la propriété, l’AI no 1 est entré dans la cour par un portail en bois et a confronté le plaignant. Une lutte physique s’est ensuivie, à laquelle l’AI no 2 s’est rapidement joint et qui s’est conclue par l’arrestation du plaignant.
Dispositions législatives pertinentes
Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées
25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.
Analyse et décision du directeur
Dans l’après-midi du 8 avril 2019, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont arrêté le plaignant dans l’arrière-cour de sa maison, avenue Charlton Ouest. De là, le plaignant a été conduit directement à l’hôpital, où il a reçu un diagnostic de fracture de côtes, qui résultait de la force utilisée lors de son arrestation. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre des agents ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et les blessures du plaignant.
En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. Tout d’abord, j’accepte volontiers, d’après les éléments de preuve, que l’AI no 1 et l’AI no 2 avaient des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant pour vols d’essence, en se fondant sur leur enquête, qui comprenait un examen des séquences vidéo des vols dans les stations-service. Néanmoins, au-delà de cela, cette affaire soulève un certain nombre de questions de droit et de fait difficiles qui ont per se une incidence sur la légalité de l’arrestation du plaignant.
Dans l’arrêt R. c. Feeney, [1997] 2 RCS 13, la Cour suprême du Canada a statué que les policiers ne peuvent pas entrer légalement dans une maison d’habitation sans permission ou sans qu’il y ait une situation d’urgence pour exécuter une arrestation en l’absence d’une autorisation judiciaire préalable. Même si, selon la prépondérance des éléments de preuve fiables, le plaignant n’a pas été arrêté à l’intérieur de son domicile, selon une certaine jurisprudence, on pourrait considérer qu’une terrasse attachée à l’extérieur d’une résidence fait partie de la maison d’habitation [2], et il existe des éléments de preuve indiquant que le plaignant a été arrêté sur la terrasse arrière.
Si l’élément de preuve mentionné ci-dessus était accepté, on pourrait alors faire valoir que l’arrestation du plaignant était illégale, et l’AI no 1 et l’AI no 2 pourraient alors être accusés de voies de fait. Je ne suis cependant pas prêt à accepter cet élément de preuve, car il n’est pas suffisamment fiable pour justifier le dépôt d’accusations criminelles. La source de l’affirmation selon laquelle l’arrestation a eu lieu à cet endroit n’est pas fiable. Compte tenu de cette question, ainsi que du caractère chaotique de l’arrestation, je ne peux conclure avec suffisamment de certitude que l’arrestation a commencé sur la terrasse arrière du domicile du plaignant.
Avant la décision R. c. Le, 2019 CSC 34, la question de savoir si la cour arrière clôturée d’une résidence privée faisait partie d’une maison d’habitation aux fins des protections énoncées dans l’arrêt Feeney précité, était une question ouverte. Bien que la décision de la Cour suprême du Canada n’ait pas directement abordé la question, elle a suggéré une réponse affirmative dans la mesure où elle critiquait le fait que les agents soient entrés dans une cour clôturée sans mandat. L’arrêt Le a toutefois été publié en mai 2019, soit plus d’un mois après l’arrestation du plaignant. Dans les circonstances, même si l’arrestation a eu lieu dans la cour arrière de la propriété du plaignant, je ne suis pas convaincu qu’elle était illégale au motif qu’il s’agissait d’une arrestation sans mandat dans une maison d’habitation, étant donné l’état de la jurisprudence le jour en question.
Enfin, mise à part la question de savoir si l’arrestation a eu lieu dans une maison d’habitation ou non, il faut aussi se demander si les agents étaient des intrus dans la cour arrière du plaignant au moment de l’incident et quel en est l’impact sur la légalité de l’arrestation. Dans ce cas aussi, les questions factuelles et juridiques sont si équivoques que je ne parviens à aucune conclusion ferme. L’AI no 1, qui était le premier à entrer dans la cour, est d’avis qu’il avait le pouvoir de le faire sans la permission du plaignant conformément à la doctrine de la prise en chasse. L’AI no 1 a clairement commis une erreur en supposant cela. La doctrine juridique, qui autorise un policier à entrer dans un logement dans le cadre de la prise en chasse d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, ne s’appliquait pas en l’espèce : voir R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802. L’AI no 1 était-il donc un intrus? Peut-être, si ce n’est pour l’élément de preuve que le plaignant a ouvert la porte de sa cour arrière, même si c’était sous la contrainte, pour laisser entrer l’AI no 1. Pour ajouter à la complexité de l’affaire, il n’est pas certain que le fait que l’AI no 1 soit ou non un intrus ait une incidence sur la légalité d’une arrestation par ailleurs justifiée par la conviction, fondée sur des motifs raisonnables et probables, de la culpabilité du plaignant pour les vols d’essence : Le (2019), supra, au par. 128.
En attirant l’attention sur les difficultés susmentionnées, je sais que les autorités chargées de la mise en accusation doivent limiter leurs délibérations à des considérations liminaires afin de ne pas usurper le rôle du tribunal en tant qu’arbitre ultime des questions juridiques et factuelles. Cela dit, je ne suis tout simplement pas convaincu qu’il existe des motifs suffisants suggérant que l’arrestation du plaignant était illégale pour justifier de mettre cette question à l’épreuve devant un tribunal. Je continue donc en présumant que l’AI no 1 et l’AI no 2 procédaient à l’arrestation légitime du plaignant lorsqu’ils l’ont confronté dans sa cour arrière.
L’analyse porte alors sur la pertinence de la force employée par les agents. Selon tous les témoignages, l’AI no 1, dans un premier temps, et l’AI no 2 peu après, ont agrippé et frappé le plaignant plusieurs fois après que le plaignant a été mis à terre. Selon l’AI no 1 et l’AI no 2, ils l’ont fait pour surmonter la résistance vigoureuse que le plaignant leur opposait pour les empêcher de le menotter. Certains éléments de preuve, en revanche, indiquent que le plaignant a été battu par les policiers sans raison. Cependant, face à la preuve contraire présentée par les agents, je trouve la preuve en faveur de la passivité présumée du plaignant peu convaincante en raison de son état d’ébriété au moment de l’incident. Par conséquent, je me retrouve avec un scénario dans lequel l’AI no 1 et l’AI no 2 ont employé la force pour contrecarrer la force que leur opposait le plaignant. Compte tenu de ce qui précède, les éléments de preuve ne suffisent pas pour démontrer que l’AI no 1 et l’AI no 2 ont eu recours à plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant et le placer sous garde.
En dernière analyse, même si j’accepte que le plaignant ait subi des fractures de côtes aux mains de l’un ou des deux agents impliqués lors de son arrestation, je ne suis pas convaincu, pour des motifs raisonnables, que les agents ont agi illégalement dans leurs rapports avec le plaignant. En conséquence, il n’y a pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.
Date : 13 juillet 2020
Approuvé par voie électronique par
Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales
En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement de ce qu’il leur est enjoint ou permis de faire en vertu de la loi. Tout d’abord, j’accepte volontiers, d’après les éléments de preuve, que l’AI no 1 et l’AI no 2 avaient des motifs raisonnables d’arrêter le plaignant pour vols d’essence, en se fondant sur leur enquête, qui comprenait un examen des séquences vidéo des vols dans les stations-service. Néanmoins, au-delà de cela, cette affaire soulève un certain nombre de questions de droit et de fait difficiles qui ont per se une incidence sur la légalité de l’arrestation du plaignant.
Dans l’arrêt R. c. Feeney, [1997] 2 RCS 13, la Cour suprême du Canada a statué que les policiers ne peuvent pas entrer légalement dans une maison d’habitation sans permission ou sans qu’il y ait une situation d’urgence pour exécuter une arrestation en l’absence d’une autorisation judiciaire préalable. Même si, selon la prépondérance des éléments de preuve fiables, le plaignant n’a pas été arrêté à l’intérieur de son domicile, selon une certaine jurisprudence, on pourrait considérer qu’une terrasse attachée à l’extérieur d’une résidence fait partie de la maison d’habitation [2], et il existe des éléments de preuve indiquant que le plaignant a été arrêté sur la terrasse arrière.
Si l’élément de preuve mentionné ci-dessus était accepté, on pourrait alors faire valoir que l’arrestation du plaignant était illégale, et l’AI no 1 et l’AI no 2 pourraient alors être accusés de voies de fait. Je ne suis cependant pas prêt à accepter cet élément de preuve, car il n’est pas suffisamment fiable pour justifier le dépôt d’accusations criminelles. La source de l’affirmation selon laquelle l’arrestation a eu lieu à cet endroit n’est pas fiable. Compte tenu de cette question, ainsi que du caractère chaotique de l’arrestation, je ne peux conclure avec suffisamment de certitude que l’arrestation a commencé sur la terrasse arrière du domicile du plaignant.
Avant la décision R. c. Le, 2019 CSC 34, la question de savoir si la cour arrière clôturée d’une résidence privée faisait partie d’une maison d’habitation aux fins des protections énoncées dans l’arrêt Feeney précité, était une question ouverte. Bien que la décision de la Cour suprême du Canada n’ait pas directement abordé la question, elle a suggéré une réponse affirmative dans la mesure où elle critiquait le fait que les agents soient entrés dans une cour clôturée sans mandat. L’arrêt Le a toutefois été publié en mai 2019, soit plus d’un mois après l’arrestation du plaignant. Dans les circonstances, même si l’arrestation a eu lieu dans la cour arrière de la propriété du plaignant, je ne suis pas convaincu qu’elle était illégale au motif qu’il s’agissait d’une arrestation sans mandat dans une maison d’habitation, étant donné l’état de la jurisprudence le jour en question.
Enfin, mise à part la question de savoir si l’arrestation a eu lieu dans une maison d’habitation ou non, il faut aussi se demander si les agents étaient des intrus dans la cour arrière du plaignant au moment de l’incident et quel en est l’impact sur la légalité de l’arrestation. Dans ce cas aussi, les questions factuelles et juridiques sont si équivoques que je ne parviens à aucune conclusion ferme. L’AI no 1, qui était le premier à entrer dans la cour, est d’avis qu’il avait le pouvoir de le faire sans la permission du plaignant conformément à la doctrine de la prise en chasse. L’AI no 1 a clairement commis une erreur en supposant cela. La doctrine juridique, qui autorise un policier à entrer dans un logement dans le cadre de la prise en chasse d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, ne s’appliquait pas en l’espèce : voir R. c. Macooh, [1993] 2 R.C.S. 802. L’AI no 1 était-il donc un intrus? Peut-être, si ce n’est pour l’élément de preuve que le plaignant a ouvert la porte de sa cour arrière, même si c’était sous la contrainte, pour laisser entrer l’AI no 1. Pour ajouter à la complexité de l’affaire, il n’est pas certain que le fait que l’AI no 1 soit ou non un intrus ait une incidence sur la légalité d’une arrestation par ailleurs justifiée par la conviction, fondée sur des motifs raisonnables et probables, de la culpabilité du plaignant pour les vols d’essence : Le (2019), supra, au par. 128.
En attirant l’attention sur les difficultés susmentionnées, je sais que les autorités chargées de la mise en accusation doivent limiter leurs délibérations à des considérations liminaires afin de ne pas usurper le rôle du tribunal en tant qu’arbitre ultime des questions juridiques et factuelles. Cela dit, je ne suis tout simplement pas convaincu qu’il existe des motifs suffisants suggérant que l’arrestation du plaignant était illégale pour justifier de mettre cette question à l’épreuve devant un tribunal. Je continue donc en présumant que l’AI no 1 et l’AI no 2 procédaient à l’arrestation légitime du plaignant lorsqu’ils l’ont confronté dans sa cour arrière.
L’analyse porte alors sur la pertinence de la force employée par les agents. Selon tous les témoignages, l’AI no 1, dans un premier temps, et l’AI no 2 peu après, ont agrippé et frappé le plaignant plusieurs fois après que le plaignant a été mis à terre. Selon l’AI no 1 et l’AI no 2, ils l’ont fait pour surmonter la résistance vigoureuse que le plaignant leur opposait pour les empêcher de le menotter. Certains éléments de preuve, en revanche, indiquent que le plaignant a été battu par les policiers sans raison. Cependant, face à la preuve contraire présentée par les agents, je trouve la preuve en faveur de la passivité présumée du plaignant peu convaincante en raison de son état d’ébriété au moment de l’incident. Par conséquent, je me retrouve avec un scénario dans lequel l’AI no 1 et l’AI no 2 ont employé la force pour contrecarrer la force que leur opposait le plaignant. Compte tenu de ce qui précède, les éléments de preuve ne suffisent pas pour démontrer que l’AI no 1 et l’AI no 2 ont eu recours à plus de force que nécessaire pour maîtriser le plaignant et le placer sous garde.
En dernière analyse, même si j’accepte que le plaignant ait subi des fractures de côtes aux mains de l’un ou des deux agents impliqués lors de son arrestation, je ne suis pas convaincu, pour des motifs raisonnables, que les agents ont agi illégalement dans leurs rapports avec le plaignant. En conséquence, il n’y a pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.
Date : 13 juillet 2020
Approuvé par voie électronique par
Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales
Notes
- 1) Nommé d'après la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Feeney, [1997] 2 RCS 13, un mandat Feeney, obtenu en vertu de l'article 529.1 du Code criminel, autorise l'entrée de force dans une habitation pour procéder à une arrestation. [Retour au texte]
- 2) R v Le (TD), 2011 MBCA 83, par. 88, 275 CCC (3d) 427, autorisation d'interjeter appel à la CSC refusée, 34562 (29 mars 2012). Cette affaire citait la décision R v Tesfai (E) (1995), 148 NSR (2d) 93 (SC), où un patio fixé à une maison avait été considéré comme faisant partie d’une « maison d’habitation ». [Retour au texte]
Note:
La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.