Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-OCD-065

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les «â€‰blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de «â€‰blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant le décès d’une femme de 79 ans (la « plaignante »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 25 mars 2020, à 13 h 34, le Service de police de Barrie (SPB) a informé l’UES de ce qui suit.

Le 25 mars 2020, à 12 h 15, un médecin [le TC no 2] a communiqué avec le SPB car il était préoccupé par l’état d’une de ses patientes, la plaignante. Le TC no 2 avait eu une conversation téléphonique avec la plaignante et elle lui avait paru être en plein délire, comme si elle avait une crise de panique.

À 12 h 25, on a demandé à l’AT no 2 et à l’AT no 1 de se rendre au logement de la plaignante. À 12 h 39, les agents de police sont arrivés à l’immeuble et sont montés au 10e étage. À l’appartement, personne ne répondait à la porte; l’AT no 1 est retourné dans le hall d’entrée. Un résidant s’est alors approché de lui et lui a dit qu’il y avait une femme étendue devant l’immeuble.

Lorsqu’on a trouvé la plaignante, elle ne réagissait pas, et on a demandé à ce que les services médicaux d’urgence se rendent sur place. On a constaté le décès de la plaignante sur les lieux et on a informé le coroner.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs de l’UES se sont rendus aux appartements situés près du logement de la plaignante, au 10e étage [1].

Plaignant

Plaignante : Femme de 79 ans; décédée


Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 N’a pas participé à une entrevue, mais sa déclaration et ses notes ont été reçues et examinées


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident a eu lieu à l’arrière d’un immeuble sur la rue Kozlov. La plaignante se trouvait à 1,06 mètre (m) de l’immeuble et directement en dessous du balcon rattaché à son appartement.

La porte-fenêtre coulissante, dans le salon de l’appartement, donnait sur le balcon. Sur celui-ci, il n’y avait qu’un sac à ordures à demi rempli et une boîte en carton pour fruits et légumes, laquelle était appuyée contre le garde-corps en béton, d’une hauteur de 1,153 m. On a établi que la distance entre le dessus du garde-corps et le sol était de 25,03 m.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Sur demande, l’UES a obtenu les enregistrements des images captées par les caméras du système de télévision en circuit fermé de l’immeuble de la rue Kozlov où habitait la plaignante. 

Résumé de ce qu’ont capté les caméras installées dans le vestibule et le hall d’entrée de l’immeuble, de même que derrière celui-ci


À 12 h 38 min 56 s, le concierge de l’immeuble ouvre la porte; l’AT no 2 et l’AT no 1 entrent dans l’immeuble. L’AT no 2 fait savoir au concierge qu’ils doivent se rendre à un appartement occupé par une personne qui a des difficultés respiratoires, selon ce qui a été signalé, et qu’ils sont donc tenus de porter des masques.

À 12 h 39 min 22 s, l’AT no 2 et l’AT no 1 montent dans l’ascenseur.

À 12 h 43 min 7 s, une femme arrive dans le hall d’entrée en courant et dit au concierge qu’une personne vient de tomber d’un balcon. La femme, le concierge et un autre homme sortent alors en courant de l’immeuble, par la porte latérale qui donne sur l’arrière de celui ci.

À 12 h 45 min 40 s, le concierge et l’AT no 1 sortent de l’ascenseur, puis de l’immeuble, par la porte arrière.

À 12 h 48 min 35 s, l’AT no 2 sort de l’ascenseur à son tour, puis de l’immeuble, par la porte de devant.

À 13 h 0 min 34 s, le concierge entre dans l’immeuble par la porte de devant, suivi de trois agents du SPB.

Enregistrements de communications


Enregistrements des appels au 911


Le 25 mars 2020, à 12 h 13, le TC no 2 a appelé au 911 et a fait savoir ce qui suit :
  • Le 25 mars 2020, il a appelé la plaignante et, en lui parlant, est devenu inquiet. La plaignante tenait des propos incohérents, répétait qu’elle ne pouvait pas parler pour le moment et a indiqué qu’elle ne se sentait pas bien. Il a précisé qu’elle avait fait de l’hyperventilation.
  • Le TC no 2 a dit au téléphoniste que la plaignante avait quitté l’hôpital le 14 mars 2020, où on lui avait diagnostiqué un délirium attribuable à une hyponatrémie. Il a indiqué qu’au moment où elle avait reçu son congé, son état était redevenu normal et qu’elle se portait bien. Il a ajouté que la plaignante souffrait d’anxiété grave et qu’il était possible qu’elle soit en crise de panique.
  • Le TC no 2 a dit être demeuré au téléphone avec la plaignante pendant un bon moment, sans toutefois parvenir à la calmer.


Appel du SPB à la plaignante


  • Au nom du SPB, un téléphoniste du 911 a appelé la plaignante; il a dit à celle ci qu’il voulait s’informer de son état. La plaignante a indiqué qu’elle était [traduction] « OK ». Le téléphoniste a alors fait savoir à la plaignante qu’un agent de police se rendrait chez elle pour voir si elle se portait bien, puis lui a demandé si elle avait besoin d’une ambulance; elle a répondu que non.
  • Le téléphoniste du 911 a demandé à la plaignante si elle avait du mal à respirer; elle a répondu [traduction] « ça va aller. Merci ». Le téléphoniste a ensuite voulu savoir si elle souhaitait qu’un ambulancier paramédical l’examine, et elle lui a dit [traduction] « non merci ».
  • Le téléphoniste du 911 a alors demandé à la plaignante si elle se sentait bien, et celle ci a répondu [traduction] « ça va aller. Merci ». Il a voulu savoir s’il y avait quelqu’un avec elle; elle lui a dit qu’elle était seule.
  • Le téléphoniste du 911 a indiqué à la plaignante qu’un agent de police allait se rendre à son domicile pour parler avec elle. La plaignante a alors dit [traduction] « de quoi est-ce qu’il s’agit? ». Le téléphoniste lui a répété qu’elle était en ligne avec le Service de police de Barrie et qu’un agent allait se rendre chez elle pour lui parler et voir si elle avait besoin de quelque chose. La plaignante a répondu [traduction] « qui? », et le téléphoniste lui a dit qu’un policier allait venir la voir. La plaignante a alors dit [traduction] « s’il vous plaît, n’envoyez personne. Je vais bien ».
  • Le téléphoniste du 911 a demandé à la plaignante si son immeuble était muni d’un système de sonnette et s’il fallait un code d’accès pour y entrer; cependant, la plaignante a donné une réponse incohérente. À ce moment, on entend une sonnette en arrière-plan sur l’enregistrement. Le téléphoniste a alors dit à la plaignante de laisser les agents de police entrer si elle entendait la sonnette [2].


Enregistrements des communications radio


  • À 12 h 42 min 8 s, l’AT no 2 a fait savoir au répartiteur que la plaignante ne leur ouvrait pas la porte et lui a demandé d’appeler celle-ci pour lui dire d’ouvrir.
  • À 12 h 43 min 39 s, le répartiteur a indiqué que la plaignante ne répondait pas au téléphone.
  • De 12 h 45 min 53 s à 12 h 46 min 56 s, l’AT no 1 demande que l’on envoie une ambulance; il indique que la plaignante vient de se jeter depuis le balcon du 10e étage et qu’elle a bien un pouls faible, mais qu’elle ne respire pas.
  • À 12 h 48 min 26 s, le répartiteur fait savoir qu’une ambulance est en route.
  • À 12 h 52 min 26 s, on demande à un agent de police de se rendre à l’intérieur de l’appartement de la plaignante pour voir si elle y était bien seule.
  • À 12 h 57 min 28 s, l’AT no 1 fait savoir que la plaignante ne présente plus de signes vitaux.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les documents et éléments suivants de la part du SPB, et les a examinés :
  • rapport sur les détails de l’événement du système de répartition assistée par ordinateur;
  • coordonnées des témoins civils rencontrés sur les lieux;
  • notes des AT;
  • enregistrements des communications;
  • rapport de mort subite.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

Sur demande, l’UES a obtenu les éléments de preuve ci après, sous forme de vidéos, de la part du concierge de l’immeuble où habitait la plaignante :
  • enregistrements des images captées par les caméras du système de télévision en circuit fermé.

Description de l’incident

Il est possible d’établir clairement les principaux événements qui se sont produits au moyen des éléments de preuve recueillis par l’UES. L’AT no 1 et l’AT no 2 sont arrivés sur les lieux de l’incident à 12 h 39 environ, où ils avaient été envoyés pour vérifier comment se portait la plaignante, puisque le médecin de celle-ci avait appelé la police pour faire savoir qu’il s’inquiétait de la santé et de la sécurité de sa patiente. En effet, le médecin venait tout juste de parler à la plaignante au téléphone et celle-ci avait tenu des propos incohérents, en plus de donner l’impression qu’elle avait une crise de panique.

Les agents sont arrivés à la porte de l’appartement de la plaignante à 12 h 40 environ; ils ont cogné, ont fait savoir qu’ils étaient des agents de police et ont indiqué, à l’attention de la plaignante, qu’ils étaient là pour s’assurer qu’elle allait bien. Puisque les agents n’avaient eu aucune réponse après de multiples tentatives, l’AT no 1 est retourné au rez-de-chaussée afin de demander une clé du logement au concierge. Alors qu’il descendait de l’ascenseur, le concierge est venu à sa rencontre et lui a dit que le corps de la plaignante était sur le sol, derrière l’immeuble. Il était environ 12 h 43.

L’AT no 1 a entrepris de s’occuper de la plaignante, qui était au sol, la plaçant dans la position latérale de sécurité. Avec l’aide d’une infirmière en traumatologie, qui était sur place mais pas en service, on a commencé les manœuvres de réanimation cardiorespiratoire lorsqu’il est devenu impossible de détecter le pouls de la plaignante. Des ambulanciers paramédicaux et des pompiers sont ensuite arrivés et ont pris la relève. On a constaté le décès de la plaignante sur les lieux. 

Cause du décès


Le 26 mars 2020, à 10 h 30, on a entrepris une autopsie sur le corps de la plaignante. On a établi, comme cause préliminaire, que le décès était dû à un traumatisme contondant qui correspondait au résultat d’une chute de bonne hauteur.

Étant donné l’essoufflement qui avait été signalé chez la plaignante, on a réalisé un test de dépistage de la COVID-19, dont le résultat s’est révélé négatif [3].

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 du Code criminel -- Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. 
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Articles 220 du Code criminel -- Le fait de causer la mort par négligence criminelle

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

La plaignante est décédée des suites d’une chute depuis son balcon, situé au 10e étage de son immeuble, le 25 mars 2020. À peu près au même moment, deux agents du SPB, soit l’AT no 1 et l’AT no 2, étaient à la porte de son appartement, ayant été appelés sur les lieux pour vérifier si elle allait bien. Après avoir évalué les éléments de preuve fournis, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre de ces agents a commis une infraction criminelle en lien avec le décès de la plaignante.

L’infraction possible à l’étude est la négligence criminelle causant la mort, aux termes de l’article 220 du Code criminel. Pour qu’il y ait infraction criminelle, il faut que le comportement adopté constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans les circonstances. Rien dans les éléments de preuve recueillis ne montre que l’AT no 1 ou l’AT no 2 a enfreint les limites prescrites par le droit criminel. Les agents avaient des motifs légitimes de se trouver sur les lieux, soit à la porte de l’appartement de la plaignante, car ils agissaient conformément à leur devoir de common law de protéger la vie. De plus, même s’ils ont été présents à la porte du logement de la plaignante pendant quelques minutes, alors qu’ils tentaient d’attirer l’attention de celle ci et ayant bien pris soin de lui faire savoir qu’ils étaient là pour l’aider, tout indique, à la lumière des éléments de preuve, qu’il n’y a eu aucun contact entre ces personnes, quel qu’il soit. En effet, il convient de souligner que les agents ne se trouvaient pas à l’intérieur de son appartement lorsque la plaignante a chuté depuis son balcon.

Enfin, comme dernière analyse, j’estime que même s’il est possible que la plaignante, en proie à la paranoïa, ait pris une décision hâtive – et lourde de conséquences – lorsqu’elle a su que des policiers se trouvaient à la porte de son appartement, il n’y a aucun motif de croire que les agents ont fait preuve de négligence criminelle dans les minutes qui ont précédé la chute de la plaignante. De ce fait, il n’y a aucune raison de porter des accusations dans cette affaire et le dossier est clos.


Date : 4 mai 2020

Approuvé par voie électronique par


Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les enquêteurs ont ainsi pu apprendre que les résidants habitant près de la plaignante avaient entendu cogner à la porte de celles-ci dans l’après-midi, mais qu’ils ne savaient pas qu’il s’agissait du SPB. [Retour au texte]
  • 2) À partir de ce moment, la plaignante n’a plus donné de réponse; l’on n’entend plus quoi que ce soit pendant les 11 dernières secondes de l’appel. [Retour au texte]
  • 3) Au moment de la présentation de ce rapport, l’UES n’avait pas encore reçu le rapport du coroner. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.