Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 24-OVI-262

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • des renseignements qui révèlent des
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
  • des renseignements sur le lieu de l’incident;
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet de la blessure grave subie par un homme de 46 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES[1]

Le 19 juin 2024, à 14 h 42, le plaignant a contacté l’UES pour signaler qu’il avait subi des blessures lors d’une collision impliquant le Service de police régional de Peel (SPRP).

D’après les renseignements fournis par le plaignant, dans l’après-midi du 11 juin 2024 [c’était en fait le 10 juin 2024], il conduisait la moto Suzuki GSX-R600 d’un ami sur Lakeshore Road. Alors qu’il se trouvait à proximité de Cawthra Road, à Mississauga, le plaignant a été impliqué dans une collision avec un véhicule du SPRP. Des ambulanciers paramédicaux se sont rendus sur les lieux, mais le plaignant a décliné les soins offerts. Un proche l’a amené à l’hôpital plus tard, où l’on a constaté que son omoplate était fracturée.

Le plaignant a été accusé de conduite dangereuse et a reçu deux avis d’infraction provinciale pour infractions au Code de la route.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 20 juin 2024 à 8 h 52

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 20 juin 2024 à 11 h 2

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 2

Nombre d’enquêteurs spécialistes des

sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Nombre de spécialistes de la reconstitution

des collisions de l’UES assignés : 1

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 46 ans, a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 21 juin 2024.

Témoin civil (TC)

TC A participé à une entrevue

Le témoin civil a participé à une entrevue le 29 juillet 2024.

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

AT no 3 N’a pas participé à une entrevue; notes examinées et entrevue jugée non nécessaire

AT no 4 N’a pas participé à une entrevue; entrevue jugée non nécessaire

Les agents témoins ont participé à des entrevues le 9 juillet 2024.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont déroulés sur les voies de circulation en direction ouest de Lakeshore Road East, à Mississauga, juste à l’est de l’intersection de cette route avec la rue Lagoon et Hampton Crescent.

Éléments de preuve matériels

L’UES ne s’est pas rendue sur les lieux de l’incident, puisqu’on ne l’a pas avisée initialement de l’incident.

Toutefois, les séquences filmées par les caméras des agents et les photos prises par les AT n° 2 et n° 1 témoignent des lieux de l’incident. Le plaignant a également fourni des photos qu’il a prises lorsqu’il quittait les lieux.

L’incident s’est produit dans le secteur du centre commercial Cavenshore, un centre commercial situé sur le côté nord de Lakeshore Road East. À l’extrémité ouest du centre commercial, une sortie, la rue Lagoon, donnait accès à Lakeshore Road East.

Au sud de l’intersection avec la rue Lagoon, Hampton Crescent s’étendait vers le nord et le sud de Lakeshore Road East. Des feux de circulation contrôlaient l’intersection.

Lakeshore Road était une route plane dotée d’une bonne visibilité dans le secteur en question.

Le plaignant a déclaré à l’UES qu’il avait quitté le centre d’entraînement physique de Port Credit Athletic juste avant la collision. Ce centre d’entraînement se trouvait à l’arrière du centre commercial, à l’extrémité ouest.

Un restaurant McDonald’s se trouvait dans le centre commercial Cavenshore, au 601 Lakeshore Road East. Du côté sud de Lakeshore Road, au 600 Lakeshore Road East, en face du restaurant McDonald’s, il y avait un restaurant Osmow’s Shawarma.

Les photos reçues par l’UES montrent une moto Suzuki GSX-R600 bleue et blanche reposant sur son côté droit sur le trottoir du côté nord de Lakeshore Road East, près d’un abribus situé à l’est de l’intersection avec la rue Lagoon. Une camionnette de l’Unité de la sécurité nautique du SPRP est arrêtée face au nord-est dans la voie de circulation en direction ouest de Lakeshore Road East. Lors de l’inspection réalisée par l’UES le 24 juin 2024, l’UES n’a relevé aucune trace de contact sur la camionnette de l’Unité de la sécurité nautique du SPRP.

La moto Suzuki GSX-R600 présentait des éraflures sur les parties inférieures du côté droit. Le rétroviseur gauche de la moto affichait également des éraflures, tout comme diverses surfaces sur le côté gauche de la moto. Les éraflures observées sur le côté gauche du capot avant et sur l’intérieur du rétroviseur gauche correspondent au fait que le rétroviseur a été replié et est entré en contact avec le capot.

Preuve d’expert

Reconstitution de l’UES — Rapport d’analyse du freinage

Pour reconstituer les déplacements du véhicule de police et de la moto, l’UES devait déterminer la vitesse à laquelle se déplaçaient les deux véhicules. L’UES a recouru à des images vidéo captées au 550 Lakeshore Road East (Rincon de Espana) à cette fin. Dans la vidéo, on voit les deux véhicules s’approcher l’un de l’autre. Le véhicule de police tourne d’abord à droite, depuis Hampton Crescent, pour s’engager dans la voie de dépassement en direction est de Lakeshore Road East, tandis que la moto roule dans la voie de circulation en direction ouest du boulevard Lakeshore. L’UES s’est fondée sur certains points de référence (poteaux électriques en béton) au premier plan et à l’arrière-plan pour estimer la position des deux véhicules à des moments précis. La distance parcourue par chaque véhicule entre ces moments a permis de calculer leur vitesse approximative.

Les calculs démontrent que la camionnette de police roulait à un peu plus de 30 km/h en direction est après avoir tourné à droite. Les gyrophares ont été activés à la fin du virage à droite. Alors que la camionnette de police se trouvait à environ 25 mètres à l’est de l’intersection avec Hampton Crescent (environ deux secondes après avoir activé ses gyrophares), le conducteur de la camionnette a brusquement tourné à gauche. La camionnette de police a traversé en diagonale les voies de circulation en direction ouest et s’est arrêtée en travers de la voie de bordure en direction ouest et de la voie de dépassement.

Pendant ce temps, la moto roulait en direction ouest. La moto a accéléré jusqu’à un peu plus de 50 km/h lorsqu’elle a passé devant la camionnette de police. Un peu moins d’une seconde après avoir dépassé la camionnette de police, la moto s’est renversée et est tombée sur le côté droit, glissant le long du trottoir.

Le tableau suivant indique la position du véhicule de police et de la moto à différents moments.

Moment Position du véhicule de police Position de la moto
m = 0 s La camionnette de police se trouve à la hauteur de la ligne d’arrêt du côté est de Hampton Crescent. La moto se trouve à environ 90 mètres de l’intersection. Elle roule en direction ouest et accélère.
m = 2,0 s La camionnette se déplace d’environ 18 mètres vers l’est et le conducteur commence à tourner à gauche. La moto se trouve à environ 75 mètres de l’intersection et à environ 50 mètres de la camionnette. Elle accélère.
m = 3,0 s La camionnette commence à franchir la ligne médiane et à s’engager dans les voies de circulation en direction ouest. La moto se trouve à 30 mètres de la camionnette. Elle accélère encore et roule à environ 40 km/h.
m = 4,0 s La camionnette se trouve complètement dans les voies de circulation en direction ouest, en travers des voies. La moto se trouve à environ 12 mètres de la camionnette et roule à 50 km/h.
m = 5,0 s La camionnette est arrêtée en travers des voies de circulation en direction ouest. La moto passe devant la camionnette et est sur le point de se renverser.

L’analyse s’est aussi attardée sur un scénario hypothétique où le motocycliste aurait tenté de freiner plutôt que de contourner la camionnette.

L’agent amorce un virage vers la gauche juste devant la moto, qui se trouve à environ cinquante mètres. Ce manœuvre débute environ trois secondes avant que les deux véhicules ne se croisent. Le coin avant gauche de la camionnette franchit la ligne médiane environ 0,5 seconde plus tard, alors que les véhicules sont distants d’environ 40 mètres. Lorsqu’il devient clair que la camionnette est en train de tourner à gauche, on peut s’attendre à ce qu’un conducteur qui se trouve dans la position du plaignant prenne une décision d’évitement.

Le conducteur a besoin d’un certain temps pour décider de la manœuvre d’évitement indiquée. On appelle généralement ce temps le délai de perception-réaction du conducteur. Selon les études, la plupart des conducteurs qui réalisent qu’un danger potentiel se présente commencent à réagir environ une seconde après en avoir pris conscience. Si l’on part du principe que le virage à gauche du véhicule de police est le point de départ du danger, on pourrait s’attendre à ce que le plaignant commence à freiner environ une seconde après qu’il ait aperçu la camionnette en train de tourner à gauche. Cela signifie que les véhicules se trouvaient à environ 40 mètres l’un de l’autre lorsque la camionnette tournant à gauche est devenue visible et que le motocycliste a pris conscience du danger. Les véhicules se trouvaient à environ 20 mètres l’un de l’autre à la fin du délai de perception-réaction du motocycliste, soit le moment auquel le motocycliste aurait pu commencer à freiner.

Un conducteur de moto expérimenté peut freiner en toute sécurité selon un taux de décélération de 0,6 g. À une vitesse se situant entre 40 et 50 km/h, le véhicule a besoin d’environ 11 à 16 mètres pour s’arrêter complètement. Comme le plaignant disposait de 20 mètres pour freiner, il avait amplement d’espace pour ralentir graduellement et éviter une collision avec la camionnette de police.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[2]

Enregistrement vidéo — 550 Lakeshore Road

La caméra se trouvait au 550, Lakeshore Road Est, au coin sud-ouest de l’intersection avec Hampton Crescent.

D’après l’heure et la date indiquées dans l’enregistrement, la séquence vidéo a été filmée le 10 juin 2024 et débute à 15 h 43 min 27 s. Dans les images, on voit une moto roulant en direction est sur Lakeshore Road East, à l’est de l’intersection. À ce stade, aucune camionnette de l’Unité de la sécurité nautique du SPRP n’est visible sur les images. La moto poursuit sa route en direction est dans la voie de bordure, mais un panneau d’affichage bloque brièvement la vue de la moto.

Après trois secondes, la camionnette de l’Unité de la sécurité nautique du SPRP apparaît sur les images. Elle roule en direction nord sur Hampton Crescent. La camionnette tourne à droite sur Lakeshore Road en direction est.

Après sept secondes, le motocycliste fait demi-tour.

Après neuf secondes, les gyrophares du véhicule du SPRP s’allument. À ce moment-là, la moto roule en direction ouest dans la voie de bordure en direction ouest. La moto se trouve derrière une minifourgonnette foncée, qui roule également en direction ouest dans la voie de bordure. Le motocycliste s’approche du trottoir.

Après 12 secondes, alors que la fourgonnette roulant vers l’ouest passe devant la camionnette du SPRP, la camionnette du SPRP tourne à gauche et se dirige vers la moto selon un angle nord-est. Un lampadaire et la fourgonnette de couleur foncée bloquent la vue sur la moto alors qu’elle passe devant la camionnette et empêche donc de voir si le véhicule du SPRP a heurté la moto.

Après 13 secondes, la moto apparait sur le côté passager de la fourgonnette roulant vers l’ouest, près de la bordure du trottoir. La moto reste brièvement à la verticale, puis se renverse sur le côté droit et glisse le long du trottoir.

Après 17 secondes, les agents du SPRP se trouvant à bord de la camionnette sortent du véhicule et s’approchent du motocycliste (le plaignant).

Enregistrements provenant des caméras d’intervention du SPRP

Les caméras d’intervention de l’AT no 1 et de l’AI, soit les agents impliqués dans l’incident, sont activées à 15 h 45. Le plaignant est allongé sur le trottoir et est recouvert d’une couverture. Les caméras d’intervention n’ont pas filmé l’incident. Cependant, les caméras d’intervention ont enregistré plusieurs propos dignes d’intérêt.

À 15 h 48, alors que le plaignant est allongé sur le trottoir, l’AI lui demande pourquoi il a franchi le feu rouge. Le plaignant demande : [Traduction[3]] « Quel feu rouge? » et l’AI répond : « Celui juste là ». Le plaignant nie avoir franchi un feu rouge. L’AT no 1 répond : « Au coin de Hampton. Vous l’avez traversé sous nos yeux. L’AI rajoute : « Vous avez traversé le feu rouge, puis vous avez fait demi-tour juste devant nous. » L’AT no 1 poursuit ensuite : « Et vous avez heurté cette bordure. On peut voir exactement l’endroit où vous avez dérapé en heurtant le trottoir. »

À 15 h 49, une témoin, la TC, s’approche de l’AT no 1 et déclare : « Je l’ai vu perdre le contrôle de sa moto. Il roulait et soudain, boum, il a heurté la bordure. Je ne vous avais pas vus, je l’ai juste vu frapper la bordure et je me suis dit : “Oh la la, 911”. » L’AT 1 répond : « Effectivement, nous l’avons aussi vu. »

À 15 h 52, le plaignant, qui regardait en direction de la camionnette de l’Unité de la sécurité nautique, demande à l’AI : « Pourquoi il m’a frappé celui-là? » L’AI répond que personne ne l’a percuté. L’AI dit : « Vous êtes tombé parce que je pense que vous essayiez de vous enfuir de nous ». Le plaignant répond : « Vraiment? Pas mal stupide, hein? »

À 15 h 54, l’AI s’approche de l’AT no 2 et lui dit : « Il a passé, il était là, au feu rouge, il a dépassé toutes les voitures rouges, s’est arrêté, puis a franchi le feu rouge et s’est dirigé dans cette direction [vers l’est] et nous allions l’arrêter, puis il a fait demi-tour, nous a vus, a accéléré, a heurté la bordure du trottoir, puis ouf. »

À 16 h 9, une fois que l’AT no 1 a officiellement placé le plaignant en état d’arrestation et lui a lu ses droits à l’assistance d’un avocat, l’AT no 1 demande au plaignant s’il a des questions. Celui-ci répond : « Je n’ai pas de questions. Je suis un idiot, vous savez? Comme, franchement, vous m’avez coupé, frappé, c’est ce que c’est. » L’AT no 1 répond : « Eh bien, nous n’avons jamais rien fait de tel. » Le plaignant répond : « Peu importe. »

À 16 h 11, alors qu’un autre agent, l’agent du SPRP no 1, se tient à côté du plaignant et que l’AT no 2 se rend au McDonald’s non loin de là pour y chercher de l’eau pour le plaignant, le plaignant téléphone à sa femme et lui dit : « Salut, je viens de me faire frapper sur ma moto. » Il ajoute : « Par les flics. » Il poursuit : « Ouais, je viens de me faire frapper par un flic sur ma moto. Le gars ne s’est pas arrêté. » L’agent du SPRP no 1 avertit le plaignant à maintes reprises que ses déclarations sont enregistrées et peuvent être versées à la preuve.

À 16 h 19, le plaignant dit à l’agent du SPRP no 1 : « Si j’avais pu m’enfuir, je l’aurais fait. » Il ajoute : « Si j’avais pu prendre la fuite, je l’aurais fait. J’allais le faire. Tout le monde le sait. »

À 16 h 26, un passant que le plaignant reconnaît s’approche et le plaignant lui dit, en s’adressant à lui par son nom : « J’ai essayé de fuir, puis ils, ils m’ont frappé. »

À 16 h 27, l’agent du SPRP no 1 commente que le plaignant allait raconter cette histoire pendant bien des années. Le plaignant rétorque : « Vous savez quoi? C’est la première fois que je me fais prendre. Et ce type [en pointant du doigt la camionnette de l’Unité de la sécurité nautique] n’avait pas froid aux yeux. Il est allé un peu loin en me frappant, mais peu importe. »

À 16 h 32, le plaignant déclare à l’AI : « Ça fait six ans que je roule en faisant à ma tête. » L’AI lui demande ce qu’il veut dire et le plaignant répond : « Pas de permis, pas de permis de moto. »

Le plaignant poursuit en disant : « J’ai été arrêté seulement deux fois. C’est la troisième fois. Après trois fois, c’est fini. »

Vidéo Service au volant du restaurant McDonald’s

Le 10 juin 2024, à 15 h 38 min 27 s, la caméra du service au volant du restaurant McDonald’s situé au 601 Lakeshore Road East a filmé un motocycliste se dirigeant vers l’est et faisant un demi-tour, devant le restaurant Osmow’s Shawarma situé de l’autre côté de la rue, au 600 Lakeshore Road East. Le motocycliste porte un casque foncé, un chandail blanc et un pantalon foncé. Cela correspond à ce que portait le plaignant au moment de l’incident. Le motocycliste est ensuite sorti du champ de la caméra en roulant vers l’ouest.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les éléments suivants auprès du SPRP entre le 21 juin 2024 et le 8 juillet 2024 :

  • Enregistrements de communications de la police
  • Photos des lieux prises par l’AT 1
  • Photos des lieux prises par l’AT 2
  • Enregistrement provenant de la caméra d’intervention de l’agent du SPRP 2
  • Enregistrement provenant de la caméra d’intervention de l’agent du SPRP 1
  • Enregistrement provenant de la caméra d’intervention de l’AT 2
  • Enregistrement provenant de la caméra d’intervention de l’AT 1
  • Enregistrement provenant de la caméra d’intervention de l’AI
  • Rapport sur les détails de l’incident
  • Rapport sur l’historique de l’incident
  • Rapport d’incident
  • Rapport — renseignements sur la personne
  • Notes de l’AT 1, de l’AT 2 et de l’AT 3

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les éléments suivants auprès d’autres sources entre le 10 juin 2024 et le 3 juillet 2024 :

  • Dossier médical fourni par le plaignant
  • Photos des lieux prises par le plaignant
  • Photos prises par le plaignant pendant son hospitalisation
  • Photos des contraventions données au plaignant pour infractions au Code de la route
  • Copie de la promesse de comparaître délivrée au plaignant
  • Captures d’écran de deux historiques d’appels pour des appels reçus par le plaignant de la part de l’AI, le 10 juin 2024
  • Images captées par une caméra du service au volant du restaurant McDonald’s situé au 601 Lakeshore Road East, à Mississauga
  • Images vidéo fournies par un commerce situé au 550 Lakeshore Road East
  • Dossier médical fourni par l’Hôpital de Mississauga

Description de l’incident

La preuve recueillie par l’UES, laquelle comprend des entrevues avec le plaignant, des témoins de la police et des témoins civils, ainsi que des enregistrements vidéo montrant différentes parties de l’incident, dresse le portrait suivant des événements. Comme la loi l’y autorise, l’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni à lui communiquer ses notes.

Dans l’après-midi du 10 juin 2024, le plaignant conduisait une motocyclette sans permis. Il a tourné à gauche sur Lakeshore Road East depuis la rue Lagoon et a roulé vers l’est sur une courte distance avant de faire demi-tour pour se diriger vers l’ouest. Quelques secondes plus tard, alors qu’une camionnette traversait les voies de circulation en direction ouest devant lui, le plaignant a tenté de la contourner. Alors qu’il passait devant le véhicule, la motocyclette du plaignant s’est renversée, éjectant ce dernier de la moto.

L’AI était au volant de la camionnette, qui était un véhicule de police. L’AT no 1 se trouvait sur le siège passager avant. Alors qu’ils étaient arrêtés face au nord sur Hampton Crescent, au sud de Lakeshore Road East, ils ont vu le plaignant tourner à gauche en traversant un feu rouge. Ils ont décidé de l’arrêter pour lui remettre une contravention. L’AI a donc tourné à droite sur Lakeshore Road East, a parcouru une courte distance vers l’est, puis a tourné vers le nord-est en traversant les voies de circulation en direction ouest, devant le plaignant.

Le plaignant a été arrêté sur les lieux pour conduite dangereuse. Il a reçu deux contraventions et a été libéré. Plus tard ce jour-là, il s’est rendu à l’hôpital et on lui a diagnostiqué une fracture de la partie supérieure et du corps de l’omoplate droite.

Dispositions législatives pertinentes

Article 320.13 du Code criminel — Conduite dangereuse causant des lésions corporelles

320.13 (1) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances.

(2) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne.

Analyse et décision du directeur

Le 10 juin 2024, le plaignant a été grièvement blessé lors d’un incident impliquant un véhicule du SPRP. L’UES a été avisée de l’incident et a ouvert une enquête dans laquelle le conducteur du véhicule de police — l’AI — a été désigné comme étant l’agent impliqué. L’enquête est maintenant terminée. Après examen de la preuve, je n’ai aucun motif raisonnable de conclure que l’AI a commis une infraction criminelle en lien avec la blessure subie par le plaignant.

Dans cette affaire, l’infraction sur laquelle il faut se pencher est la conduite dangereuse causant des lésions corporelles, en contravention du paragraphe 320.13 (2) du Code criminel. Comme il s’agit d’une infraction de négligence criminelle, un simple manque de diligence n’est pas suffisant pour engager la responsabilité. L’infraction repose plutôt, en partie, sur une conduite constituant un écart marqué par rapport au degré de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. En l’espèce, la question est de savoir si l’AI a conduit son véhicule de façon imprudente et s’il a causé l’accident de moto ou y a contribué, et si ce manque de diligence, le cas échéant, est suffisamment grave pour justifier l’imposition d’une sanction criminelle. À mon avis, cela n’est pas le cas.

Je suis convaincu que l’AI avait les motifs requis, au sens de la loi, pour arrêter le plaignant pour avoir traversé un feu rouge. La preuve établit qu’il a tourné à gauche sur Lakeshore Road East alors que le feu était rouge.

Je suis également convaincu que l’AI n’a pas transgressé les limites de la prudence prescrites par le droit criminel tout au long de la série d’événements qui a mené à l’accident de moto. Pour déterminer si la conduite de l’AI représentait un écart marqué par rapport au degré de diligence dont aurait fait preuve une personne raisonnable, il faut répondre à deux questions : l’AI a-t-il intentionnellement heurté la moto pour l’arrêter? Si ce n’est pas le cas, l’agent a-t-il laissé au plaignant suffisamment de temps et d’espace pour éviter une collision après avoir tourné dans les voies de circulation en direction ouest? En se fondant sur la preuve, on doit répondre par la négative à la première question. Selon le plaignant, l’AI a intentionnellement percuté sa moto avec la camionnette. Toutefois, les témoignages de la témoin civile et de l’AT no 1 vont dans un sens contraire. Bien que les éléments de preuve vidéo et médico-légaux ne soient pas concluants, ils semblent indiquer que la camionnette était déjà arrêtée avant tout contact avec la moto. Quant à la deuxième question, la reconstitution de l’incident semble indiquer que le plaignant a eu une possibilité raisonnable d’arrêter sa moto en toute sécurité devant la camionnette lorsque celle-ci a commencé à tourner dans les voies de circulation en direction ouest. Par conséquent, même si on peut remettre en question la pertinence de la manœuvre effectuée par l’AI, notamment dans le cas d’un motocycliste, les éléments de preuve ne permettent pas d’établir raisonnablement que l’agent a fait preuve d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable en entreprenant d’exécuter cette manœuvre.

Pour les motifs qui précèdent, j’en conclus qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.

Date : 17 octobre 2024

Approuvé électroniquement par

Joseph Martino

Directeur

Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) À moins d’indication contraire, les renseignements fournis dans cette section reflètent les renseignements fournis à l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les faits constatés par l’UES dans le cadre de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Les documents suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués, comme le prévoit le paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les principaux éléments des documents sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
  • 3) NdT: Tous les dialogues sont des traductions. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.