Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 24-PCI-170

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
  • des renseignements sur le lieu de l’incident;
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, elle perd une partie du corps ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 25 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES[1]

À 10 h 13 le 18 avril 2024, la Police provinciale de l’Ontario a transmis les renseignements suivants à l’UES.

Le 17 avril 2024 en après-midi, le plaignant a été arrêté pour « possession en vue du trafic » en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS). Pendant l’arrestation, le plaignant a reçu un coup de poing au visage. Il a été transporté à un hôpital de London, où une fracture du nez a été diagnostiquée, puis il a été libéré et remis sous la garde de la police. Le plaignant a été emmené au poste du détachement de Lambton à Petrolia où il a été enregistré et placé dans une cellule. À 3 h 52 le 18 avril 2024, le plaignant est tombé du lit dans sa cellule. Un gardien civil et des agents de police lui sont venus en aide. Les agents de police ont administré du Narcan au plaignant, qui a ensuite été transporté à l’hôpital de Sarnia, où il a été admis à l’unité des soins intensifs. Un petit sac contenant ce que l’on soupçonnait être de la drogue a été trouvé dans la cellule. La cellule a été sécurisée et la drogue, rangée en lieu sûr.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : Le 18 avril 2024, à 10 h 31

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : Le 18 avril 2024, à 18 h 40

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 25 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés.

Le plaignant a été interrogé le 23 avril 2024.

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue.

TC no 2 A participé à une entrevue.

TC no 3 A participé à une entrevue.

Les témoins civils ont participé à une entrevue entre le 23 avril 2024 et le 6 mai 2024.

Agents impliqués

AI no 1 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AI no 2 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

Les agents impliqués ont participé à une entrevue entre le 21 mai 2024 et le 20 juin 2024.

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 2 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 3 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 4 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 5 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 6 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 7 A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 8 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire.

AT no 9 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire.

AT no 10 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire.

AT no 11 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire.

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 6 et le 7 mai 2024.

Témoin employé du service

TES A participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

Le témoin employé du service a participé à une entrevue le 7 mai 2024.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question sont survenus près d’un véhicule de police immobilisé sur l’accotement ouest de l’autoroute 401, à la borne 173, à l’ouest de London; à l’intérieur de ce même véhicule de police pendant le transport jusqu’au poste du détachement de Lambton de la Police provinciale, situé au 4224 Oil Heritage Road, à Petrolia; ainsi qu’à l’intérieur du bloc cellulaire du poste du détachement de Lambton de la Police provinciale.

Preuves concrètes

À 18 h 40 le 18 avril 2024, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu au poste du détachement de Lambton pour inspecter les lieux. La zone avait été sécurisée par la Police provinciale et des sceaux de preuve avaient été apposés sur la porte de la cellule. La salle principale du bloc cellulaire était équipée d’un moniteur permettant de voir les enregistrements des caméras de chaque cellule.

La cellule a été examinée. Dans la cellule se trouvaient une toilette, un lavabo et un lit en béton. La cellule mesurait 2,32 mètres sur 2,95 mètres. Dans un coin, il y avait une caméra qui donnait sur la cellule. La porte de la cellule était coulissante et constituée de barres d’acier.

À l’intérieur de la cellule, il y avait deux couvertures au sol qui n’avaient rien de particulier. Un contenant de boisson vide se trouvait sur le lit, alors qu’un sac de nourriture à emporter froissé gisait sur le sol. Par terre, à côté du lit, se trouvait également un petit sac en plastique gris qui semblait avoir été déchiré. Le sac était vide, mais contenait des résidus de poudre blanche. Il y avait deux vaporisateurs nasaux Narcan usagés au sol, près de la porte de la cellule.

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a examiné les vêtements du plaignant, qui avaient été placés dans des sacs de preuves. Il y avait un manteau d’hiver noir, une chemise rouge, une casquette de baseball, des bijoux, un jean noir, des chaussettes et des sous-vêtements. La poche avant droite du jean avait été coupée ou déchirée. La chemise présentait des taches rouges sur l’épaule gauche.

Un autre sac de preuves, contenant un petit sachet de poudre blanche trouvé sur le plaignant à l’hôpital, a été examiné. Le sachet de poudre n’a pas été ouvert en raison du danger que pouvait représenter son contenu, que l’on soupçonnait être de la drogue.

La cellule, les vêtements et le sachet de poudre blanche ont été photographiés, et tous les objets ont été confiés à la Police provinciale.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[2]

Enregistrements de caméra interne de véhicule

Les enregistrements provenaient des véhicules de police affectés à l’AT no 5 et à l’AI no 2, ainsi qu’à l’AT no 4.

À 15 h 1 min 59 s le 17 avril 2024, l’AT no 5 circulait en direction ouest sur l’autoroute 401. Un véhicule identifié de la Police provinciale de l’Ontario [conduit par l’AT no 4] l’a dépassé, avec ses feux d’urgence allumés. L’AT no 4 s’est garé devant un camion à plate-forme sur l’accotement de l’autoroute.

À 15 h 2 min 40 s, l’AT no 5 s’est garée derrière le camion à plate-forme. Une Dodge Charger était sur la plate-forme. L’AT no 5 est sortie de son véhicule et s’est approchée du côté passager du camion. L’AT no 5 était en uniforme. Un autre agent en uniforme [l’AT no 6] s’est approché du côté conducteur du camion. Un agent de police en civil [l’AI no 1], portant une veste avec l’inscription « Police », s’est approché du côté passager du camion. La vue sur l’AT no 5 et l’AI no 1 était obstruée par l’arrière du camion à plate-forme.

À 15 h 3 min 20 s, le camion à plate-forme a légèrement balancé d’un côté à l’autre. L’AT no 5 est entrée dans le champ de la caméra. Elle a menotté quelqu’un [le TC no 1] du côté passager du camion.

À 15 h 3 min 25 s, l’AT no 4, l’AI no 1 et l’AT no 6 sont entrés dans le champ de la caméra alors qu’ils tentaient de plaquer quelqu’un [le plaignant] au sol. Le plaignant a roulé en tombant sur le sol. L’AT no 4 a trébuché dans le fossé sur le côté de l’autoroute. L’AI no 1 et l’AT no 6 luttaient avec le plaignant, tandis que l’AT no 4 se tenait à proximité, du côté droit de la bagarre.

À 15 h 3 min 28 s, l’AI no 1 a donné un coup de poing vers le bas en direction du plaignant. L’AT no 6 semblait chevaucher le plaignant, tandis que l’AI no 1 se trouvait à sa gauche. La vidéo ne permet pas de déterminer où le plaignant a été frappé.

À 15 h 3 min 33 s, l’AI no 1 a donné deux coups au plaignant avec le genou droit. La vidéo n’a pas permis de déterminer où les coups ont atteint le plaignant.

À 15 h 4 min 13 s, l’AI no 1, l’AT no 6 et l’AT no 4 ont mis le plaignant debout. Ils l’ont conduit hors du champ de la caméra devant le camion à plate-forme.

À 15 h 4 min 33 s, le plaignant a dit : [Traduction] « Vous ne pouvez pas faire ça. C’est complètement illégal. J’ai des droits. »

À 15 h 4 min 37 s, l’AT no 5 a conduit le TC no 1 vers son véhicule de police.

À 15 h 5 min 38 s, le plaignant a été placé à l’arrière du véhicule de police de l’AT no 4. Il portait un pantalon, une chemise et un manteau noir, qui reposait sur ses épaules et pendait autour de ses bras. Il avait du sang autour de la bouche et sur le côté gauche du visage. Il était menotté, les mains derrière le dos. Dès qu’il s’est retrouvé seul dans le véhicule, il a tiré le côté gauche de son manteau, qui était derrière son dos, avec la main droite. Il a inséré les doigts de la main droite dans la poche de poitrine intérieure du côté gauche de son manteau.

À 15 h 7 min 46 s, le plaignant a sorti un petit sac de la poche. Il a déplacé le sac derrière son dos. Il s’est penché vers l’avant et sur le côté, et a semblé se soulever du siège.

À 15 h 9 min 46 s, un agent de police, l’AI no 1, a fait sortir le plaignant du véhicule de police et lui a dit : [Traduction] « Je vais vous fouiller à nouveau. » L’AI no 1 a posé la question suivante : [Traduction] « Avez-vous quelque chose dans vos poches? » Le plaignant a répondu par la négative. L’AI no 1 a fouillé le manteau du plaignant.

À 15 h 10 min 33 s, la fouille a pris fin et le plaignant a été placé dans le véhicule de police.

À 15 h 12 min 8 s, le plaignant a été informé qu’il était en état d’arrestation pour trafic de stupéfiants.

À 15 h 15 min 58 s, le plaignant a informé l’AT no 4 de ses problèmes médicaux et de ses antécédents, et a déclaré qu’il avait été battu.

À 15 h 17 min 34 s, le véhicule de police de l’AT no 4 a quitté les lieux. Il est arrivé au poste du détachement de Middlesex à 15 h 38 min 14 s. Le plaignant est resté conscient et lucide pendant toute la durée du transport.

À 23 h 13 min 27 s, le plaignant a été placé à l’arrière du véhicule de police de l’AI no 2 au London Health Sciences Centre (LHSC) de l’Hôpital Victoria. Il était menotté les mains devant lui. Il portait une chemise à manches longues et un pantalon. L’AI no 2 a informé le plaignant qu’il serait emmené à Petrolia, où il serait détenu jusqu’au matin.

À 23 h 26 min 52 s, le plaignant s’est allongé sur la banquette arrière en position fœtale, les yeux fermés.

À 23 h 33 min 19 s, le plaignant a déplacé les mains vers la région de l’aine de son pantalon. Il a inséré la main gauche dans son pantalon, à l’avant. Pendant plusieurs minutes, il s’est tâté la région de l’aine avec la main gauche.

À 23 h 37 min 21 s, le plaignant a retiré la main gauche de son pantalon. Il avait le poing gauche fermé. Il a rapproché les mains de sa poitrine.

À 23 h 40 min 43 s, le plaignant a de nouveau déplacé les mains vers la région de l’aine et les a laissées près de sa taille.

À 23 h 41 min 48 s, le plaignant a déplacé les mains entre ses jambes. Ses mains étaient à l’extérieur de son pantalon.

À 0 h 23 min 42 s le 18 avril 2024, l’AI no 2 et le plaignant sont arrivés au poste du détachement de Lambton à Petrolia. Le plaignant s’est assis en position verticale. Il a glissé la main droite sous ses jambes, puis entre ses jambes. Il est sorti du véhicule de police.

Enregistrements vidéo de détention de la Police provinciale

À 15 h 38 min 37 s le 17 avril 2024, le plaignant a été escorté dans la salle d’enregistrement par un agent de police en civil [l’AI no 1] et un agent de police en uniforme [l’AT no 4]. Le plaignant a été assis. Il avait les mains menottées derrière le dos et le visage taché de sang.

À 15 h 45 min 9 s, l’AI no 1 a enlevé le collier du plaignant. Il lui a également retiré ses chaussures. Il lui a enlevé son manteau et il en a fouillé les poches. Il semblerait ne rien avoir trouvé. L’AI no 1 a fouillé le côté droit du pantalon du plaignant avec les deux mains, puis le côté gauche. Du côté gauche, il a trouvé un objet qu’il a remis à l’AT no 4. L’AI no 1 a tâté le plaignant du côté droit du torse, puis du côté gauche. On lui a enlevé sa chemise. Le plaignant portait un gilet de corps en dessous de celle-ci. La poche de poitrine du gilet de corps a été fouillée. L’AI no 1 a tâté le côté gauche du torse du plaignant. Il a fouillé la ceinture et la poche avant droite du pantalon. Il ne s’est passé rien d’autre de particulier au poste du détachement de Middlesex.

À 0 h 23 min 26 s le 18 avril 2024, le plaignant et l’AI no 2 sont arrivés au poste du détachement de Lambton à Petrolia. Le plaignant est sorti seul du véhicule de police. Il était menotté les mains devant lui. Il a été escorté jusqu’à la salle d’enregistrement. Il s’est assis.

À 0 h 35 min 56 s, on lui a enlevé les menottes. Le plaignant a retourné les poches de son pantalon. Il s’est mis debout contre un mur avant de poser les mains sur celui-ci. L’AI no 2 a fouillé les chaussettes, les jambes du pantalon, la ceinture et les poches du pantalon du plaignant. Le plaignant a levé les bras au-dessus de la tête. L’AI no 2 lui a tâté le torse. Il semblerait ne rien avoir trouvé.

À 0 h 37 min 10 s, le plaignant a été escorté jusqu’à une cellule. Il s’est allongé sur la couchette, les mains entre les jambes. On lui a fourni des couvertures dans lesquelles il s’est enveloppé.

La cellule a été surveillée par diverses personnes tout au long de la nuit. La cellule a été vérifiée à 0 h 50 min 35 s par l’AI no 2, à 1 h 14 min 19 s par un gardien [le TES], à 1 h 15 min 24 s par un agent non identifié, à 1 h 27 min 26 s par l’AI no 2, à 1 h 46 min 38 s par le TES, à 2 h 1 min 40 s par le TES, à 2 h 18 min 33 s par le TES et à 2 h 31 min 2 s par le TES.

À 2 h 40 min 40 s, on a sorti le plaignant de la cellule. Il est retourné dans sa cellule à 3 h 0 min 31 s.

À 3 h 11 min 23 s, le plaignant s’est enveloppé dans les couvertures. Il était hors du champ de la caméra.

À 3 h 19 min 26 s, le plaignant a bu une boisson qu’on lui a donnée.

À 3 h 30 min 15 s, le TES a vérifié la cellule. À 3 h 44 min 3 s, il a procédé à une nouvelle vérification. Le plaignant est resté couvert par les couvertures.

À 3 h 55 min 25 s, le plaignant a eu des convulsions et est tombé de la couchette. Les convulsions ont continué sur le sol.

À 3 h 56 min 52 s, le TES a vérifié la cellule et est parti en courant.

À 3 h 57 min 20 s, deux agents de la Police provinciale [l’AT no 1 et l’AT no 2] sont entrés dans la cellule. Ils ont placé le plaignant en position de récupération, du côté gauche. L’AI no 1 a utilisé le téléphone dans la salle d’enregistrement.

À 4 h 4 min 12 s, l’AI no 1 a administré du Narcan au plaignant.

À 4 h 5 min 28 s, les services paramédicaux sont arrivés.

Documents obtenus du service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, à sa demande, la Police provinciale de l’Ontario entre le 22 avril 2024 et le 13 juin 2024 :

  • le rapport d’incident général (17 avril 2024);
  • les rapports du système de répartition assisté par ordinateur;
  • les enregistrements de la caméra interne des véhicules de police;
  • les enregistrements des communications;
  • le dossier de garde de personne en détention;
  • les enregistrements vidéo de la détention;
  • le plan opérationnel;
  • les notes des AT, des AI et du TES;
  • les registres de formation de l’AI no 1;
  • le rapport d’incident général (15 février 2024);
  • le Certificat d’analyste de Santé Canada.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les documents suivants d’autres sources entre le 27 avril 2024 et le 13 mai 2024 :

  • les dossiers médicaux des services paramédicaux de la région de MiddlesexLondon;
  • les dossiers médicaux du London Health Sciences Centre;
  • les dossiers médicaux des services médicaux d’urgence de Lambton;
  • les dossiers médicaux de Bluewater Health.

Description de l’incident

Le scénario qui suit ressort des éléments de preuve recueillis par l’UES, y compris les entrevues avec le plaignant et les deux agents impliqués, ainsi que les enregistrements vidéo ayant filmé le plaignant pendant la majeure partie de sa période de détention.

Dans l’après-midi du 17 avril 2024, le plaignant, accompagné de deux connaissances, roulait vers l’ouest sur l’autoroute 401 à bord d’une Dodge Charger lorsque le véhicule a eu une crevaison. Une entreprise de remorquage a été appelée et un conducteur de camion à plate-forme s’est rendu sur les lieux. La Dodge Charger a été placée sur la plate-forme, et le plaignant et l’une de ses connaissances étaient assis à l’avant avec le conducteur du camion quand ce dernier a été encerclé par des véhicules de police identifiés.

Le plaignant faisait l’objet d’une enquête sur les stupéfiants menée par des membres de l’Unité de lutte contre la criminalité de rue dans la collectivité (ULCRC) du détachement de Lambton de la Police provinciale, dont l’AI no 1. L’équipe, qui surveillait les déplacements du plaignant à son insu, a appris que celui-ci se trouvait en bordure de l’autoroute et qu’une remorqueuse était sur les lieux. Avec l’aide d’agents de police en uniforme du détachement de Middlesex, l’AI no 1 et d’autres membres de l’ULCRC se sont rendus sur les lieux, où des véhicules de police identifiés ont été utilisés pour encercler le camion.

L’AI no 1, habillé en civil, mais portant une veste avec l’inscription « Police », s’est dirigé vers le côté passager du camion et a ouvert la portière. La connaissance du plaignant a été sortie du camion sans incident, après quoi l’AI no 1 a empoigné le plaignant, qui était assis au centre. L’agent a sorti le plaignant du véhicule. Il s’est ensuivi une bagarre au cours de laquelle le plaignant a été plaqué au sol de force et a reçu un certain nombre de coups avant d’être menotté.

Le plaignant a été mis debout et escorté jusqu’au véhicule de police de l’AT no 4. Il a été fouillé par l’AI no 1, puis placé à l’arrière du véhicule. Même s’il était menotté, le plaignant a été en mesure de retirer une quantité de substances illicites de la poche intérieure gauche de son manteau et de l’insérer entre ses fesses. Le plaignant a été fouillé une seconde fois sur les lieux, puis conduit au poste du détachement de Middlesex de la Police provinciale.

Au poste du détachement, le plaignant a été fouillé de nouveau avant d’être placé dans une cellule. Le plaignant a informé les agents qu’il souffrait d’un problème de santé. Des dispositions ont été prises pour conduire le plaignant à l’hôpital. Il a été transporté à l’hôpital de London, où l’on a diagnostiqué une fracture du nez, mais aucun autre problème médical. L’analyse d’urine n’a révélé aucune trace de drogues dans son organisme.

L’AI no 2 est arrivé à l’hôpital, a mis le plaignant sous garde et l’a conduit au poste du détachement de Lambton de la Police provinciale. Ils sont arrivés vers 0 h 23 le 18 avril 2024. Le plaignant a été fouillé encore une fois au poste avant d’être placé dans une cellule.

Vers 3 h 55, le plaignant a eu des convulsions et est tombé de la couchette de sa cellule. Des agents sont entrés dans la cellule, ont placé le plaignant en position de récupération et lui ont administré du Narcan. Des ambulanciers paramédicaux ont été appelés, et le plaignant a été conduit à l’hôpital.

À l’hôpital, il a reçu un diagnostic d’arrêt cardiaque provoqué par la drogue.

Dispositions législatives pertinentes

Le paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

a) soit à titre de particulier;

b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;

c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;

d) soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

L’article 215 du Code criminel : Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :

(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,

(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :

b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Les articles 219 et 221, Code criminel – Négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

a) soit en faisant quelque chose;

b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui est coupable :

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans; b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a été grièvement blessé durant son arrestation par des agents de la Police provinciale de l’Ontario le 17 avril 2024. À la suite de son arrestation, alors qu’il était encore sous la garde de la Police provinciale, l’homme a éprouvé un malaise et a été transporté à l’hôpital. L’UES a été informée de l’incident et a ouvert une enquête. Les AI nos 1 et 2 ont été identifiés comme les agents impliqués. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués a commis une infraction criminelle dans cette affaire.

Premièrement, pour ce qui est de la fracture du nez du plaignant et des événements survenus sur les lieux de son arrestation, les agents de police ne peuvent être reconnus coupables d’avoir fait usage de la force dans l’exercice de leurs fonctions, à condition que cette force ne dépasse pas ce qui est raisonnablement nécessaire pour accomplir quelque chose que la loi les oblige ou les autorise à faire[3].

L’AI no 1 a décrit la nature de l’enquête sur les stupéfiants qu’il menait avec les membres de l’ULCRC, ainsi que les autorisations de perquisition judiciaire qui avaient été obtenues dans le cadre de cette enquête. Au vu de ce dossier, il semblerait que les agents ont agi de façon légitime en arrêtant le plaignant pour trafic de stupéfiants.

Les éléments de preuve sont contradictoires en ce qui concerne la nature et l’intensité de la force employée par la police au moment de l’arrestation du plaignant. Par exemple, selon certains éléments de preuve, le plaignant aurait reçu sans raison un coup de poing au visage de la part de l’AI no 1 avant d’être plaqué au sol, où plusieurs agents l’auraient frappé plus d’une douzaine de fois, même s’il ne montrait aucune résistance. D’après d’autres éléments de preuve, l’AI no 1 admet avoir donné un coup de poing au plaignant après l’avoir sorti de la remorqueuse, mais il affirme l’avoir fait parce que le plaignant s’était écarté de lui et résistait à son arrestation. L’agent, craignant une lutte prolongée en bordure d’une autoroute très fréquentée, a donné le coup de poing afin de maîtriser rapidement le plaignant. Selon les dires de l’AI no 1, cette tactique aurait échoué, c’est pourquoi le plaignant a été plaqué au sol avant que l’agent n’ait à nouveau l’occasion de lui donner un coup de poing et un coup de genou au torse. L’agent a affirmé que ces coups ont été portés dans le but de venir à bout de la résistance du plaignant au sol; plus précisément, selon l’AI no 1, le plaignant refusait de libérer ses bras pour être menotté. L’image de la force décrite par l’AI no 1 semblait proportionnelle aux impératifs de la situation. Comme il n’y a aucune raison de croire que les éléments de preuve incriminants sont plus près de la vérité que la version des faits de l’AI no 1 et d’autres agents, et comme il y a des raisons de mettre en doute la fiabilité des déclarations du plaignant[4], les éléments de preuve incriminants n’ont pas suffisamment de poids pour être soumis à un tribunal.

Deuxièmement, en ce qui concerne l’arrêt cardiaque qu’a subi le plaignant alors qu’il était dans une cellule au poste du détachement de Lambton de la Police provinciale, la question est de savoir si les agents qui ont eu affaire à lui ont fait preuve de négligence criminelle en ne détectant pas et en ne confisquant pas la drogue qu’il avait cachée sur lui. Plus précisément, les AI nos 1 et 2 en ont-ils fait assez pour trouver la drogue?

Les infractions à prendre en considération en l’espèce sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention des articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. Un simple manque de diligence ne suffit pas à engager la responsabilité pour ces deux infractions. Pour la première, la culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les mêmes circonstances. La deuxième correspond aux cas encore plus graves de conduite qui font preuve d’un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. Pour que cette infraction soit établie, il faut notamment que la négligence constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à une norme de diligence raisonnable. En l’espèce, il faut donc déterminer si les AI nos 1 et 2 ont fait preuve d’un manque de diligence qui a mis en danger la vie du plaignant ou a contribué à son arrêt cardiaque, et si ce manque était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Le plaignant a été soumis à de multiples fouilles par palpation avant d’être placé dans la cellule du poste du détachement de Lambton de la Police provinciale, où il aurait retiré la drogue de ses fesses pour l’ingérer. Lors de la fouille initiale du plaignant sur les lieux de l’arrestation, l’AI no 1 n’a pas réussi à trouver la drogue cachée dans une poche intérieure de son manteau. Il a décidé de procéder à une autre fouille, craignant d’avoir manqué quelque chose, mais à ce moment-là, le plaignant avait déjà caché la drogue entre ses fesses. Si la fouille initiale de l’agent n’était pas conforme aux normes, je ne peux pas conclure que la conduite de l’agent constituait un écart marqué par rapport à une norme de diligence raisonnable, en particulier dans le contexte de la fouille subséquente effectuée par l’AI no 1 à peine quelques minutes plus tard.

Une fois cachée entre les fesses du plaignant, la drogue n’aurait pu être détectée que par une fouille à nu. Toutefois, il n’appert pas, de prime abord, que l’un ou l’autre des AI nos 1 et 2 avait des motifs pour justifier une telle fouille. Dans R c. Golden, [2001] 3 RCS 679, la Cour suprême du Canada a établi qu’une telle fouille n’est justifiée que lorsqu’il y a des motifs raisonnables et probables de conclure que cette fouille est nécessaire pour découvrir des armes ou des éléments de preuve. L’AI no 1 avait fouillé le plaignant sur les lieux de l’arrestation, puis de nouveau quelques minutes plus tard, manquant de peu la drogue que le plaignant avait changée de place entre-temps. Quant à l’AI no 2, il venait de récupérer le plaignant à l’hôpital, qui, n’ayant qu’une fracture du nez, avait reçu son congé de l’hôpital. Dans ces circonstances, même s’il y avait ou non des raisons de procéder à une fouille à nu et que les agents auraient dû ou non procéder à une telle fouille, je suis convaincu que l’omission de le faire ne représente aucunement un non-respect des normes de diligence prescrites par le droit criminel.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a pas lieu de porter des accusations dans cette affaire.

Date : Le 15 août 2024

Approuvé par voie électronique

Joseph Martino

Directeur

Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les renseignements contenus dans cette section reflètent les informations reçues par l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les conclusions de fait de l’UES à la suite de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Les enregistrements contiennent des renseignements personnels confidentiels qui ne peuvent être divulgués, conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les renseignements utiles pour l’enquête sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
  • 3) Paragraphe 25(1) du Code criminel. [Retour au texte]
  • 4) Les enregistrements de la caméra interne des véhicules, ayant capté des images d’une partie de l’incident, montrent que le plaignant a reçu un petit nombre de coups, et non les « 15 » coups minimums allégués. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.