Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 24-OFD-072

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes;
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle;
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne;
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête;
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi;
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la Loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :

  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins;
  • des renseignements sur le lieu de l’incident;
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête;
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la mort d’un homme de 31 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES[1]

Le 19 février 2024, à 21 h 42, le service de police régional de Waterloo (SPRW) a informé l’UES que la police avait été impliquée dans une fusillade mortelle.

Le SPRW a indiqué que, vers 20 h 55, des agents donnaient suite à un appel concernant du tapage près de Brybeck Crescent et de la rue Karn, à Kitchener. Lorsque les agents sont arrivés sur les lieux, ils ont vu un homme armé d’une machette s’approcher d’eux dans la rue. Au cours de l’intervention policière, un agent a déchargé son arme à feu sur l’homme, le touchant à la poitrine. L’homme a été transporté d’urgence à l’Hôpital Grand River où il a succombé à ses blessures.

Le défunt a été identifié comme étant le plaignant, âgé de 31 ans.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : Le 19 février 2024 à 21 h 55

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : Le 19 février 2024 à 23 h 36

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 3

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 31 ans; décédé

Témoins civils

TC n° 1 A participé à une entrevue

TC n° 2 A participé à une entrevue

TC n° 3 A participé à une entrevue

TC n° 4 A participé à une entrevue

TC n° 5 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à une entrevue entre le 20 février et le 20 mars 2024.

Agent impliqué

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué; ses notes ont été reçues et examinées.

Agents témoins

AT n° 1 A participé à une entrevue

AT n° 2 A participé à une entrevue

AT n° 3 A participé à une entrevue

AT n° 4 A participé à une entrevue

AT n° 5 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue le 29 février 2024.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident a eu lieu dans un immeuble d’habitation situé près de Brybeck Crescent et de la rue Karn, à Kitchener. Une pelouse et un trottoir se trouvent entre l’immeuble et Brybeck Crescent. Au moment de l’incident, la pelouse était couverte de neige, mais le trottoir avait été déneigé, sauf sur un espace, car

’un objet était tombé sur la pelouse et avait déplacé la neige.

Un véhicule de police, dans lequel se trouvaient l’AI et l’AT n° 2 était garé devant l’immeuble. Un second véhicule de police, conduit par l’AT n° 1, était également garé devant l’immeuble. Les deux véhicules étaient équipés d’un système de caméra[2].

Les responsables de l’UES ont retrouvé deux douilles de pistolet, les chaussures du plaignant, des débris d’arme à impulsions (AI) et quelques pièces de monnaie sur la chaussée et le boulevard séparant les deux véhicules. Une machette a été trouvée coincée dans la barre de poussée avant du véhicule de police de l’AI et de l’AT n° 2. Une petite tache de sang était visible sur la chaussée, sous le pare-chocs avant du véhicule de police de l’AI et de l’AT n° 2.

Figure 1 - L’avant du véhicule de police de l’AI et de l’AT n° 2 avec une machette, encerclée en rouge, coincée dans la barre de poussée.

Figure 1 - L’avant du véhicule de police de l’AI et de l’AT n° 2 avec une machette, encerclée en rouge, coincée dans la barre de poussée.

Figure 2 - Machette retrouvée dans le pare-chocs de poussée.

Figure 2 - Machette retrouvée dans le pare-chocs de poussée.

Une gaine de machette a été trouvée dans le véhicule de police de l’AT n° 1. À l’aide d’une source lumineuse dont on se sert en sciences judiciaires, un certain nombre d’étiquettes d’identification anti-délinquance de l’arme à impulsions ont été trouvées dans la neige, entre les deux véhicules de police.

Le pistolet et le chargeur de l’AI ont été remis à l’UES. Le pistolet Glock de modèle 45 et de calibre 9 mm contenait une cartouche dans la culasse et 15 cartouches dans le chargeur. La capacité du chargeur de l’arme à feu de l’AI était de 17 cartouches.

Figure 3 Le pistolet Glock de modèle 45 de l’AI.

Figure 3 Le pistolet Glock de modèle 45 de l’AI.

Une vérification de la ceinture de service de l’AI a révélé que ce dernier était équipé de toutes les options habituelles de recours à la force, y compris un vaporisateur de poivre, une matraque extensible, des menottes, deux chargeurs de pistolet, son pistolet, une arme à impulsions et deux cartouches d’arme à impulsions.

L’UES a reçu les armes à impulsions portées par l’AI, l’AT n° 1 et l’AT n° 2 pour en télécharger les données.

L’UES a également récupéré une cartouche de l’arme à impulsions de l’AT n° 2.

À l’hôpital, l’UES a récupéré le manteau d’hiver gris du plaignant, dans lequel se trouvaient une fléchette d’arme à impulsions, un chandail, une chemise, deux pantalons, dans l’un desquels se trouvaient une fléchette d’arme à impulsions (jambe droite), ainsi que d’autres vêtements que le plaignant avait portés.

L’immeuble d’habitation était équipé d’une caméra de sécurité montée sur la façade et d’une caméra de sécurité dans le hall d’entrée. Le samedi 24 février 2024, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a pu accéder au système de caméras de sécurité de l’immeuble et copier les fichiers vidéo de trois caméras montrant le hall d’entrée et la porte de l’immeuble ainsi que la chaussée, de même qu’une vue éloignée des lieux de l’incident.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Éléments de preuve médicolégaux

Données relatives au déploiement des armes à impulsions

Les données téléchargées à partir des armes à impulsions portées par l’AI et l’AT n° 1 ont confirmé que ces armes n’avaient pas été déployées au cours de l’incident.

Le 19 février 2024, à 20 h 38 min 47 s, l’arme à impulsions de l’AT n° 2 a été armée.

À 20 h 38 min 48 s, la première cartouche de l’arme à impulsions a été déployée pendant une seconde.

À 20 h 38 min 52 s, l’arme à impulsions a été activée une seconde fois, pendant cinq secondes.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[3]

Enregistrements de la caméra d’intervention et de la caméra installée à bord d’un véhicule

Au moment de l’incident, seuls l’AI et l’AT n° 2 étaient sortis de leur véhicule sur Brybeck Crescent, devant l’immeuble d’habitation. L’AT n° 1 venait d’arriver devant l’immeuble et le système de caméra installé dans son véhicule a filmé l’incident. L’AT n° 2 ne portait pas de caméra d’intervention. Celle de l’AI a filmé ce qui suit :

À 20 h 36 min 54 s, l’enregistrement commence alors que l’AI et l’AT n° 2 roulent sur Brybeck Crescent. L’AI pointe du doigt l’immeuble d’habitation.

À 20 h 37 min 09 s, l’AI sort de son véhicule de police. Le plaignant se trouve devant l’immeuble et, à 20 h 37 min 17 s, il entre dans l’immeuble.

À 20 h 37 min 23 s, le plaignant sort de l’immeuble et l’AI active sa caméra d’intervention[4].

Figure 4 – Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant à l’extérieur de l’immeuble avec une machette à la main.

Figure 4 – Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant à l’extérieur de l’immeuble avec une machette à la main.

À 20 h 37 min 26 s, le plaignant commence à courir vers l’AT n° 2 et l’AI brandit son pistolet.

Figure 5 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant en train de courir vers l’AI avec une machette à la main.

Figure 5 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant en train de courir vers l’AI avec une machette à la main.

On voit les lasers de visée de l’arme à impulsions de l’AT n° 2 sur le manteau du plaignant et l’AT n° 2 qui déploie son arme à impulsions. Le plaignant tombe sur la pelouse enneigée, glisse et roule sur le trottoir. Les lasers de visée de l’arme à impulsions sont encore visibles sur son corps.

À 20 h 37 min 29 s, le plaignant est à plat ventre sur le trottoir et reste immobile pendant un très court instant. L’AI indique par radio : « Taser déployé » [traduction].

À 20 h 37 min 30 s, le plaignant commence à se relever. Figure 6 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant en train de se relever toujours muni de sa machette.

Figure 6 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant en train de se relever toujours muni de sa machette.

L’AT n° 2 indique qu’il redéploye son arme et on entend le bruit de l’arme à impulsions qui se remet en marche. Le plaignant se dirige vers l’AT n° 2 en s’accroupissant ou en tombant vers ce dernier. Il a une machette dans sa main droite. Le plaignant trébuche quelque peu et sa main gauche vient en contact avec le boulevard.

Figure 7 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant qui s’accroupit ou qui tombe vers l’avant, et trébuche, en direction de l’AT n° 2, la machette levée dans la main droite. Cette photo montre à peu près le moment où l’on a entendu un coup de feu.

Figure 7 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant qui s’accroupit ou qui tombe vers l’avant, et trébuche, en direction de l’AT n° 2, la machette levée dans la main droite. Cette photo montre à peu près le moment où l’on a entendu un coup de feu.

À 20 h 37 min 31 s, le premier coup de feu de l’AI retentit alors que le plaignant trébuche en direction de l’AT n° 2. L’AI fait feu une deuxième fois alors que le plaignant tombe sur la chaussée. On peut encore entendre l’arme à impulsions de l’AT n° 2 en train de s’activer.

Figure 8 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant tombant vers le sol à proximité de l’AT n° 2. On entend le deuxième coup de feu à peu près à ce moment-là.

Figure 8 - Capture d’écran de la caméra d’intervention montrant le plaignant tombant vers le sol à proximité de l’AT n° 2. On entend le deuxième coup de feu à peu près à ce moment-là.

À 20 h 37 min 36 s, l’arme à impulsions de l’AT n° 2 cesse de fonctionner et l’AI dit : « Coups de feu » [traduction].

Le plaignant bouge le bras droit, il gémit et il se trouve sur la chaussée sous le pare-chocs avant du véhicule de police de l’AI et de l’AT n° 2. Les agents de police lui demandent de rester au sol en criant et l’AI lui ordonne en criant : « Lâchez la machette ou vous allez recevoir une autre balle. » [traduction] L’AI respire très fort. Le plaignant bouge les jambes. Il a alors des convulsions et roule sur le côté.

À 20 h 38 min 26 s, l’AT n° 1 demande à l’AI combien de coups de feu ont été tirés et combien de coups ont été portés. L’AI répond : « Deux, je crois » [traduction].

À 20 h 39 min 41 s, les frères du plaignant sortent de l’immeuble et demandent pourquoi la police a tiré sur leur frère. L’AT n° 2 leur ordonne en criant de rester à l’écart.

À 20 h 40 min 38 s, l’AI range son pistolet dans son étui et se dirige vers la rue Karn, loin des lieux de l’incident.

À 20 h 42 min 44 s, l’AI fait un geste en direction des lieux et dit : « Il a continué à s’avancer. » [traduction]

À 20 h 43 min 28 s, l’agent de police qui réconfortait l’AI lui demande : « Il ne vous a pas vraiment frappé? Il ne s’est pas approché assez près? » [traduction] L’AI répond : « Non, non, il l’avait dans la main et il a continué à avancer. » [traduction]

L’AT n° 5 arrive après l’incident. Les images captées avec sa caméra d’intervention ont également été examinées.

À 20 h 43 min 35 s, l’AT n° 5 s’approche de l’AI et lui demande s’il va bien. L’agent qui réconfortait l’AI répond que l’AI va bien. L’agent demande ensuite à l’AI : « Vous êtes sûr qu’il ne vous a pas touché ou quoi que ce soit d’autre? » [traduction]. L’AI répond : « Non, il allait vers l’AT n° 2 » [traduction]. L’AI ajoute : « Non, il n’était pas près de moi, il se dirigeait vers l’AT n° 2, donc si quoi que ce soit... Mais elle était [il semblerait qu’il a dit « dans la gaine »] et il a continué à avancer après avoir reçu une décharge de Taser. » [traduction]

Le véhicule de l’AT n° 1 s’arrête sur Brybeck Crescent lorsque le plaignant court vers l’AT n° 2 et l’AI. Les images captées avec le système de caméra installé dans le véhicule de police correspondent aux événements filmés à l’aide de la caméra d’intervention de l’AI. Les images captées avec le système de caméra installé dans le véhicule de police montrent le plaignant titubant vers l’AT n° 2, la gaine dans sa main gauche et la machette levée dans sa main droite, lorsque l’AI tire son premier coup de feu. Le plaignant est dos à l’AI lorsque ce dernier tire les deux coups de feu.

Vidéo de l’immeuble d’habitation

Trois immeubles d’habitation situés le long de Brybeck Crescent étaient équipés de systèmes de caméras. Au moment de l’incident, les caméras de l’un des immeubles ne fonctionnaient pas.

L’une des caméras était trop éloignée pour que les images aient une valeur probante, mais elle a filmé l’arrivée de l’AI et de l’AT n° 2. Elle les a également filmés en train de crier des ordres avant que l’AI ne décharge son arme à feu.

L’UES a obtenu des images de deux caméras de l’immeuble d’habitation où l’incident s’est produit, une caméra montée à l’intérieur du hall d’entrée et une autre montée à l’extérieur, au-dessus de l’entrée principale. Les enregistrements captés par ces deux caméras ont permis de constater ce qui suit :

La caméra vidéo installée à l’extérieur de l’entrée montre l’allée qui longe la façade de l’immeuble en direction de la voie d’accès. Une petite cloison en briques sépare l’allée de la pelouse avant du bâtiment. La pelouse était recouverte de neige. Un trottoir déneigé séparait la pelouse du boulevard.

À 20 h 50 min 41 s[5], l’AT n° 2 roulait sur Brybeck Crescent au volant d’un véhicule du SPRW. Le plaignant se trouvait à l’extérieur de l’immeuble d’habitation. Il portait un manteau d’hiver dont le capuchon était relevé et un pantalon. Il regardait en direction du véhicule de police alors qu’il enjambait la cloison de briques et s’approchait de la porte d’entrée de l’immeuble.

À 20 h 50 min 45 s, le plaignant entre dans le hall d’entrée de l’immeuble, alors que le véhicule, dans lequel se trouvent l’AI et l’AT n° 2, s’arrête dans la rue devant l’immeuble. Le plaignant tient dans sa main gauche la machette qu’il a rengainée.

Le plaignant utilise le système d’interphone/accès de l’immeuble pour entrer à l’intérieur de celui-ci.

À 20 h 50 min 51 s, l’AT n° 2 sort du véhicule.

À 20 h 50 min 58 s, alors que l’AT n° 2 s’engage sur le trottoir devant l’immeuble, la porte d’entrée de l’immeuble s’ouvre et le plaignant sort de l’immeuble.

À 20 h 51, le plaignant monte sur la petite cloison à l’extérieur de l’entrée et fait passer la machette rengainée dans sa main gauche. L’AT n° 2 sort son arme à impulsions de son étui.

À 20 h 51 min 1 s, le plaignant marche sur la pelouse et sort la machette de sa gaine. Dès qu’il pose le pied sur la pelouse, il se met à courir en direction de l’AT n° 2. Quelqu’un crie : « Lâchez-la! » [traduction].

À 20 h 51 min 2 s, l’AT n° 2 déploie son AI et le plaignant tombe sur la pelouse et roule sur le trottoir. Les agents lui ordonnent en criant : « Couchez-vous, restez couché! » [traduction].

À 20 h 51 min 5 s, le plaignant se relève.

À 20 h 51 min 6 s, le plaignant est debout et commence à courir vers l’AT n° 2, qui lui dit en criant : « Je vais décharger mon arme de nouveau. » [traduction]

À 20 h 51 min 7 s, deux coups de feu sont tirés et le plaignant tombe sur la chaussée, sous le pare-chocs avant du véhicule de l’AT n° 2.

Images captées par des témoins civils

L’UES a obtenu des enregistrements vidéo d’un témoin civil, le TC n° 3, mais ces enregistrements, de mauvaises qualités, ont été filmés après l’incident. Ils montrent donc ce qui s’est passé dans la rue après l’incident et ne permettent pas de comprendre ce qui s’était passé avant.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a obtenu les documents suivants du SPRW entre le 20 février et le 4 mars 2024 :

  • Photographies des lieux
  • Empreintes digitales du plaignant relevées lors de deux incidents antérieurs
  • Enregistrements de communications téléphoniques
  • Enregistrements de communications radio
  • Images captées avec le système de vidéo installé dans un véhicule de police
  • Images captées par les caméras d’intervention de la police
  • Carnets de notes de tous les témoins officiels désignés
  • Notes de l’AI
  • Politique sur le recours à la force
  • Antécédents personnels du plaignant
  • Enregistrements de la répartition assistée par ordinateur (RAO)
  • Liste des agents impliqués et des véhicules qu’ils conduisaient
  • Dossiers de formation de l’AI
  • Rapports d’incidents et rapports généraux concernant les appréhensions antérieures du plaignant
  • Rapport d’incident et dossier de la RAO concernant un incident de tapage connexe qui s’est produit après la mort du plaignant.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

Le 24 février 2024, l’UES a obtenu des images de vidéosurveillance de deux immeubles d’habitation. Ces images ont été téléchargées par un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES qui s’est rendu dans le complexe immobilier.

Le TC n° 3 a fourni à l’UES des copies des vidéos qu’il a filmées à la suite de la décharge des coups de feu.

Description de l’incident

Le scénario suivant se dégage des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment les entrevues avec des témoins civils et policiers, ainsi que l’examen des vidéos montrant l’incident. Comme il en avait le droit, l’AI a refusé de s’entretenir avec l’UES. Il a cependant consenti à remettre ses notes.

Dans la soirée du 19 février 2024, l’AI et son partenaire, l’AT n° 2, effectuaient une patrouille à bord de leur véhicule lorsqu’ils ont reçu un appel radio concernant un incident de tapage survenu près de Brybeck Crescent et de la rue Karn, à Kitchener. Le TC n° 2 avait communiqué avec la police pour demander de l’aide concernant un membre de sa famille, le plaignant, qui aurait perdu la raison et serait en possession d’une machette. Les agents se sont donc dirigés vers l’immeuble et y sont arrivés vers 20 h 37. L’AT n° 2 s’est immobilisé devant l’immeuble du plaignant et les deux agents sont sortis de leur véhicule.

Le plaignant avait quitté les lieux et s’était aventuré à l’extérieur au moment où son frère a appelé la police. Il était en plein épisode psychotique. Le plaignant était brièvement rentré dans l’immeuble au moment où l’AI et l’AT n° 2 arrivaient, puis il est ressorti pour affronter les agents.

L’AI est sorti du véhicule et a marché devant le véhicule sur le trottoir est de Brybeck Crescent, dégainant son arme à feu et la pointant vers le plaignant. En sortant du véhicule, l’AT n° 2 s’est également placé devant le véhicule, l’AI se trouvant à sa droite à une courte distance. L’AI a ordonné au plaignant en criant de lâcher son arme alors que ce dernier escaladait un petit mur séparant l’entrée du bâtiment de la pelouse avant recouverte de neige et commençait à courir en direction des agents. Il tenait une machette dans sa main droite et la gaine de la machette dans sa main gauche. Le plaignant avait fait deux ou trois pas vers les agents lorsqu’il a reçu la décharge de l’arme à impulsions de l’AT n° 2. Il est tombé et a glissé sur le trottoir avant de se relever et d’avancer vers l’AT n° 2, la machette toujours dans sa main droite. L’AT n° 2 a de nouveau déchargé son arme à impulsions, mais le plaignant a continué d’avancer. Un peu plus tard, alors que le plaignant se trouvait sur la pelouse de l’autre côté du trottoir, l’AI a fait feu à deux reprises. Le plaignant est tombé par terre devant le véhicule et s’est retrouvé sur le dos, partiellement sous la barre de poussée du véhicule.

À distance, les agents ont ordonné au plaignant de lâcher la machette et de rouler sur le ventre. En fait, le plaignant ne tenait pas la machette; celle-ci s’était coincée dans la barre de poussée du véhicule lorsqu’il était tombé. Les agents ont confondu la gaine de la machette qui était restée dans la main gauche du plaignant avec la machette. D’autres agents sont arrivés sur les lieux et, à l’aide d’un bouclier, ils se sont approchés du plaignant environ quatre minutes après la décharge. Ils ont sorti le plaignant du dessous du véhicule et lui ont prodigué les premiers soins et pratiqué la réanimation cardio-pulmonaire (RCP).

Le médecin légiste qui a pratiqué l’autopsie a estimé, à titre préliminaire, que la mort du plaignant était attribuable à des blessures par balle au torse.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34, Code criminel - Défense - emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

(a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

(b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

(c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

(a) la nature de la force ou de la menace;

(b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

(c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

(d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

(e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

(f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

(f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

(g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

(h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

Article 215 du Code criminel - Défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

(c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :

(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,

(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :

b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Articles 219 et 220 du Code criminel - Négligence criminelle causant la mort

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

a) soit en faisant quelque chose;

b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;

b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est mort le 19 février 2024, à Kitchener, à la suite d’un incident au cours duquel des coups de feu ont été tirés par la police. L’UES a été informée de ce qui s’est passé et a ouvert une enquête, désignant l’AI comme étant l’agent impliqué. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation des preuves, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement à la mort du plaignant.

L’article 34 du Code criminel prévoit que la conduite, qui autrement constituerait une infraction, est légitimée si elle visait à déjouer une attaque raisonnablement appréhendée, qu’elle soit réelle ou une menace, et était elle-même raisonnable. Le caractère raisonnable de la conduite doit être évalué dans les circonstances, c’est-à-dire en fonction de facteurs tels que la nature de la force ou de la menace; la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel; si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme; et, la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force.

L’AI était dans l’exercice de ses fonctions légales tout au long des événements qui ont abouti à la décharge de son arme à feu. Ayant reçu un appel concernant une personne en possession d’une machette et souffrant de troubles mentaux, l’agent était en droit, lorsqu’il s’est rendu sur les lieux, de faire ce qu’il pouvait raisonnablement faire pour empêcher que cette personne ou le public ne subisse un préjudice.

Quant aux éléments de la défense, je suis convaincu que l’AI a utilisé son arme pour repousser ce qu’il a raisonnablement considéré comme une attaque contre son partenaire, l’AT n° 2. Bien que l’agent n’ait pas fourni cet élément de preuve de première main à l’UES lors de son entretien, comme il en avait légalement le droit, c’est ce qui ressort de ses notes et des déclarations qu’il a faites après l’incident à d’autres agents. De plus, il n’y a aucune raison de les mettre en doute compte tenu de la situation : le plaignant était en possession d’une machette, fonçait vers l’AT n° 2 et se trouvait à distance de tir de l’agent au moment où les coups de feu ont été tirés.

Je suis également convaincu que la décision de l’AI de décharger son arme à feu constituait une force raisonnable. Le plaignant était en possession d’une machette, soit une arme capable d’infliger des lésions corporelles graves, voire la mort, et avait donné aux agents tous les signes qu’il avait l’intention de s’en servir. Quelques instants après l’arrivée des agents sur les lieux, le plaignant est sorti de l’immeuble et a couru vers l’AI et l’AT n° 2, tenant la machette dans sa main droite. L’AT n° 2 a utilisé son arme à impulsions, mais celle-ci n’a été efficace qu’en partie. Le plaignant est tombé un instant avant de se relever rapidement et de continuer à avancer. L’AT n° 2 a déchargé une deuxième fois son arme à impulsions, mais cette démarche n’a pas empêché le plaignant d’avancer. Un instant plus tard, alors que le plaignant n’était plus qu’à un mètre de l’AT n° 2, la machette levée dans sa main droite, l’AI a tiré deux coups de feu en succession rapide. Compte tenu de ces éléments, il est évident que l’AI a agi dans les limites de ses droits lorsqu’il a choisi de répondre à une menace imminente d’atteinte grave à l’intégrité physique ou de mort de l’AT n° 2 en recourant lui-même à la force meurtrière. Il fallait à ce moment-là le pouvoir de neutralisation immédiate que procure une arme à feu : aucune autre intervention n’aurait suffi à contrer la menace.

Comme les agents présents sur les lieux ont attendu plusieurs minutes avant de s’approcher du plaignant après qu’il ait été touché pour lui porter secours, les infractions de manquement au devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence et de négligence criminelle causant la mort, contraires aux articles 215 et 220 du Code criminel ont également été prises en compte. Les deux articles exigent davantage qu’un simple manque de diligence pour donner lieu à une responsabilité. Le premier article est fondé, en partie, sur un comportement qui constitue un écart marqué par rapport au niveau de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. Le second est réservé aux cas plus graves de négligence qui démontrent une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. La responsabilité n’est établie que si la négligence constitue un écart marqué et important par rapport à une norme de diligence raisonnable. Dans le cas présent, la question est de savoir s’il y a eu un manque de diligence de la part des agents impliqués, suffisamment grave pour entraîner une sanction pénale, qui a mis en danger la vie du plaignant ou causé sa mort. À mon avis, il n’y en a pas eu.

Rétrospectivement, il est évident que le plaignant a été mortellement blessé par les balles que l’AI a tirées et qu’il avait besoin de soins médicaux immédiats, mais les agents ne pouvaient pas être certains de son état à ce moment-là ni savoir s’il représentait toujours une menace. Ils ne savaient pas très bien non plus si le plaignant était toujours en possession de la machette. En fait, il ne tenait plus la machette, mais il avait toujours sa gaine, qui a été confondue avec l’arme. Compte tenu des circonstances difficiles du moment, de la gaine de la machette que le plaignant tenait et de la machette à proximité, je reconnais qu’il était nécessaire d’agir de manière délibérée et prudente en s’approchant du plaignant. Dans ces circonstances, je ne suis pas en mesure de conclure raisonnablement qu’un délai de plusieurs minutes constituait un écart marqué par rapport à une norme de diligence raisonnable.

Par conséquent, il n’y a aucune raison de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Le dossier est clos.

Date : Le 18 juin 2024

Approuvé électroniquement par

Joseph Martino

Directeur

Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les renseignements contenus dans cette section correspondent à ceux dont disposait l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement la constatation des faits de l’UES à l’issue de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) L’AT n° 2 n’a pas activé l’équipement d’urgence ni le système de caméra de son véhicule, de sorte que l’incident n’a pas été filmé à partir de ce véhicule. [Retour au texte]
  • 3) Les éléments suivants contiennent des renseignements personnels délicats et ne sont pas divulgués en vertu du paragraphe 34(2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les éléments importants des enregistrements sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
  • 4) L’activation a permis à la caméra d’intervention de filmer les 30 secondes précédant les mouvements de l’AI. [Retour au texte]
  • 5) Ces heures ne concordent pas avec les heures obtenues à partir des vidéos captées avec les caméras d’intervention obtenues auprès du SPRW. Les horodatages sur les vidéos sont apparemment erronés mais servent à donner une indication de la durée des événements. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.