Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TFD-157

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête, et
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’ UES sur le décès de John Doe, survenu à la suite de multiples blessures par balle subies lors d’une interaction avec des agents du Service de police de Toronto le 17 juin 2016.

L’enquête

Notification de l’UES

L’ UES a été avisée de l’incident par le Service de police de Toronto (SPT) le 17 juin 2016 à 9 h 20 du matin. Le SPT a indiqué qu’il y avait eu un tir de police dans le secteur de Weston Road et de Starview Lane. Des agents de l’Unité des crimes sexuels et de l’Équipe d’intervention d’urgence (ÉIU) s’étaient rendus à cet endroit pour procéder à une arrestation. Le SPT a indiqué qu’au moment de cette notification, des ambulanciers prodiguaient des soins à un homme.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’ UES assignés : 9

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’ UES assignés : 4

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’ UES se sont rendus sur les lieux et ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident par des notes, des photographies, des enregistrements vidéo, des croquis et des mesures. Ils ont assisté à l’autopsie et l’ont enregistrée, et ont aidé à présenter des demandes au Centre des sciences judiciaires.

Plaignant

John Doe, âge inconnu

(Malgré ses efforts, l’ UES n’est pas parvenue à établir l’identité réelle de l’homme.)

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

Les deux témoins civils faisaient partie des Services de police du Canadien Pacifique.

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 A participé à une entrevue

AT no 7 A participé à une entrevue

AT no 8 A participé à une entrevue

AT no 9 A participé à une entrevue

AT no 10 A participé à une entrevue

En outre, l’ UES a reçu et examiné les notes de cinq autres agents.

Agent impliqué

L’agent impliqué a participé à une entrevue; ses notes ont été reçues et examinées.

Éléments de preuve

Schéma des lieux

L’incident s’est produit à côté des voies ferrées de CP, dans un quartier résidentiel de North York. Il y avait un abri temporaire et un feu de camp entre un mur de soutènement et la voie ferrée, là où les agents de l’ÉIU ont rencontré le plaignant.

Propriété de Chemin de fer Canadien Pacifique derrière Saint Basil the Great School

Éléments de preuve matériels

Arme à feu de l’agent impliqué

L’ UES a examiné le pistolet Glock 9 mm utilisé par l’agent impliqué durant l’incident. Il y avait 17 cartouches dans chacun des deux chargeurs de rechange. Il y avait une cartouche dans la culasse et dix cartouches dans le chargeur du pistolet, soit un maximum de six cartouches tirées. L’ UES a trouvé une cartouche de 9 mm perdue dans le gilet pare-balle de l’agent impliqué. Cinq douilles vides ont été trouvées sur les lieux. Par conséquent, d’après les éléments de preuve, l’agent impliqué a vraisemblablement tiré cinq coups de feu.

Arme à impulsions de l’agent impliqué

Aucune décharge de l’arme à impulsions de l’agent impliqué durant l’incident n’a été notée.

Arme à impulsions de l’agent témoin n° 1

Une décharge de l’arme à impulsions de l’agent témoin no 1 durant l’incident a été notée.

Couteau

Un gros couteau de cuisine, avec une lame d’environ 18 centimètres (environ 30 centimètres de longueur totale), a été trouvé par terre sur le lieu de l’incident, en partie sous la main gauche du plaignant.

Voir une photo du couteau (avertissement : contenu graphique)

Preuves médicolégales

Le 18 juin 2016, le médecin légiste a procédé à une autopsie du plaignant. La cause du décès a été déterminée comme étant des blessures par balle. Le plaignant avait été touché au côté gauche du visage et la balle avait traversé sa mandibule et ses vertèbres cervicales, perforant l’arrière de son cou et provoquant une blessure médicalement importante, et possiblement mortelle. Le plaignant avait été touché par un deuxième coup de feu au centre de la poitrine, et cette balle avait pénétré jusqu’au côté droit de son dos et provoqué une blessure mortelle au cœur. En outre, il avait deux blessures par balle à l’humérus gauche, ainsi que des blessures provoquées par un retour des balles ayant pénétré sa poitrine droite et endommagé ses poumons gauche et droit. Une sonde d’arme à impulsions, avec le fil attaché, a été trouvée sur le t-shirt du plaignant, mais aucune blessure correspondante n’a été constatée.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’ UES ont fait le tour du secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo ou de photographies, mais n’ont rien trouvé.

Éléments obtenus auprès du SPT

L’ UES a demandé les documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :

  • fiche d’information
  • avis en vertu de la Loi sur la preuve au Canada
  • chaîne de continuité
  • Notification de l’obligation de s’inscrire (registre des délinquants sexuels)
  • sommaire des enregistrements audio des communications
  • feuilles de contact
  • rapports d’incident général
  • ICAD
  • liste d’affectation d’armes à impulsions et de cartouches pour les agents de l’ÉIU
  • notes des agents témoins
  • recherche de personne - plaignant
  • formulaire 104 de la Loi sur les infractions provinciales - assignation au défendeur
  • politiques du SPT
  • rapport sur la propriété - plaignant
  • qualifications en matière d’usage de la force - agent impliqué
  • qualifications en matière d’usage de la force - agent témoin no 1
  • sommaire de l’inscription - plaignant, et
  • photographies du plaignant datant d’incidents antérieurs.

Description de l’incident

Le 17 juin 2016, l’Équipe d’intervention d’urgence (ÉIU) du Service de police de Toronto (SPT) et l’Unité des crimes sexuels (UCS) du SPT, avec l’aide des Services de police du Canadien Pacifique (SPCP), ont mené une opération conjointe afin d’appréhender le plaignant. Le but de l’opération était de signifier un avis officiel au plaignant car il avait omis de s’inscrire au registre provincial des délinquants sexuels. De plus, les SPCP voulaient arrêter le plaignant pour intrusion, parce qu’il continuait d’ériger des abris de fortune sur un terrain appartenant à la compagnie de chemin de fer.

Les membres de l’ÉIU, les membres de l’UCS et les agents des SPCP avaient participé à une réunion au sujet du plaignant le matin du 17 juin 2016. Cette séance préparatoire visait à mettre au point une stratégie afin de s’approcher discrètement de l’endroit où se trouvait le plaignant, de l’arrêter sans incident et de le placer sous la garde des agents de l’UCS. Au cours de cette séance, le dossier du SPT concernant les antécédents violents du plaignant avait été examiné, notamment :

  • Janvier 2012 : Au cours d’une interaction avec la police, un policier avait tiré plusieurs coups de feu sur le plaignant qui s’avançait en direction de l’agent impliqué en brandissant un grand couteau de cuisine, ignorant les ordres répétés du policier de lâcher le couteau. L’ UES avait mené une enquête sur cet incident et conclu que l’agent impliqué n’avait commis aucune infraction criminelle. [Voir le communiqué de presse de l’ UES : https://www.siu.on.ca/fr/news_template.php?nrid=1136].
  • Mars 2015 : Des membres de l’UCS se sont rendus sur le terrain de CP afin de signifier un avis légal au plaignant. Une fois en présence du plaignant, celui-ci les aurait menacés avec un bâton de baseball. Il portait aussi un étui contenant un couteau, dans le dos, au-dessus de la taille. On avait alors demandé à l’ÉIU d’intervenir et d’arrêter le plaignant.

Craignant que le plaignant ait des troubles mentaux, les policiers avaient contacté un psychiatre du Service de police de Toronto afin de déterminer la meilleure façon d’aborder le plaignant.

Arrivés sur les lieux vers 8 h 35, les agents de l’ÉIU se sont mis en position. Trois agents ont été chargés de s’approcher du plaignant : l’agent témoin n° 8 à l’avant, suivi de l’agent impliqué puis de l’agent témoin n° 1. Les agents ont avancé en file indienne, le long d’un accotement de gravier, entre deux voies ferrées immédiatement sur leur droite et des broussailles sur leur gauche. Il y avait un grand mur de soutènement sur le côté ouest de la zone broussailleuse. Alors qu’ils progressaient vers le nord le long de l’accotement de gravier, les agents ont été informés par radio que quelqu’un avait vu le plaignant en train de manger près du mur de soutènement.

Les agents ont alors pénétré dans la zone broussailleuse, à l’ouest de l’accotement de gravier. La densité du feuillage compliquait leurs mouvements. Alors qu’ils avançaient dans la zone broussailleuse, les agents sont parvenus à un endroit où la végétation formait une voute au-dessus d’un sentier vers une clairière très fréquentée. Alors que l’agent témoin no 8 avançait dans cette voie dégagée, il a glissé sur le terrain instable. Tout en tombant, il a crié : “It’s the Toronto Police Emergency Task Force.” [« C’est l’équipe d’intervention d’urgence de la police de Toronto].

Le plaignant, à environ 3,5 mètres de l’agent impliqué, a soudainement bondi des buissons et s’est élancé en direction de l’agent impliqué, brandissant un grand couteau dans la main gauche. L’agent impliqué a crié « knife » [couteau], mais n’a pas eu le temps d’émettre des ordres du fait de la rapidité à laquelle le plaignant se précipitait vers lui. Comme le plaignant s’approchait rapidement, l’agent impliqué a laissé tomber son arme à impulsions et son bouclier et a dégainé son arme à feu. Lorsque le plaignant a levé le couteau au-dessus de sa tête, l’agent a pointé son arme à feu dans sa direction et a tiré à quatre reprises. Comme le plaignant continuait d’avancer, l’agent impliqué a tiré une dernière fois. À un moment donné, l’agent témoin n° 1 a également déployé son arme à impulsions. Le plaignant est tombé à terre.

Un ambulancier paramédical d’intervention tactique qui se trouvait sur les lieux a administré les premiers soins au plaignant. Le décès du plaignant a été déclaré peu après.

Dispositions législatives pertinentes

Défense - emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne;

b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;

c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

Facteurs

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

a) la nature de la force ou de la menace;

b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;

c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;

d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme;

e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;

f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;

f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;

g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force;

h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

Analyse et décision du directeur

Il ne fait aucun doute que l’agent impliqué a agi dans l’exercice légitime de ses fonctions lorsqu’il s’est rendu sur les lieux dans le cadre d’un plan visant à arrêter le plaignant. La seule question que je dois considérer est celle de savoir si son tir était justifié. Je n’ai aucun doute que c’était le cas. La disposition pertinente du Code criminel est le paragraphe 34(1) qui fournit la justification légale du recours à la force en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers.

Le plaignant a bondi soudainement d’un sous-bois dense devant les trois agents de l’ÉIU, sans signe avant-coureur et armé d’un grand couteau. Il s’est précipité vers l’agent impliqué et n’a montré aucune intention de s’arrêter. L’agent impliqué a rapidement écarté la possibilité de recourir à une force non létale et a dégainé son arme à feu. Il avait de bonnes raisons de le faire. Il ne croyait pas que son arme à impulsions serait suffisante pour parer à la menace imminente de lésions corporelles ou de décès que le plaignant représentait.

L’agent était confronté à une situation dangereuse et évolutive qui s’est déroulée rapidement, en l’espace de quelques secondes. Deux ou trois secondes à peine se sont écoulées entre le moment où l’agent témoin a crié et celui où l’agent impliqué a tiré. Celui-ci craignait raisonnablement pour sa propre sécurité, ainsi que pour celle de ses collègues, et il a agi pour parer à une menace de blessures ou de mort imminente. Sa décision de tirer était raisonnable.

J’ajouterai également qu’à mon avis, le plan d’approche de l’ÉIU était bien conçu, avec pour objectif d’éviter tout acte de violence. Déjouant ce plan réfléchi, le plaignant s’est engagé dans une embuscade inattendue et violente.

L’ensemble des éléments de preuve satisfait aux trois exigences de l’article 34 du Code criminel. Il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’agent impliqué a excédé les limites de la force justifiable dans les circonstances et aucune accusation ne sera donc déposée. »

Date : 8 juin 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.