Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-PCD-121

Attention :

Cette page affiche un contenu graphique pouvant choquer, offenser et déranger.

Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le suicide commis par un homme de 31 ans le 13 mai 2016.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 13 mai 2016, à 12 h 59, la Police provinciale de l’Ontario a informé l’UES que, vers 6 h 40 du matin, une femme avait appelé la police pour signaler qu’à la suite d’une rupture du mariage, son mari était allé dans la garage. Elle était inquiète parce qu’il avait des armes à feu.

À 7 heures du matin, des policiers sont arrivés à la résidence du couple, dans la municipalité de La Nation, aux environs de Hawkesbury. À 9 h, l’Unité tactique est arrivée sur les lieux et a essayé de communiquer avec le plaignant qui était encore à l’intérieur du garage. Après avoir utilisé un robot pour briser la porte, les policiers ont trouvé le plaignant pendu à une poutre dans le garage.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre de spécialistes des sciences judiciaires de l’UES : 2

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur place et ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident par des notes, des photographies, des croquis et des mesures. Ils ont également assisté à l’autopsie et l’ont enregistrée.

Plaignant

Homme de 41 ans, décédé

Témoins civils

TC A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 A participé à une entrevue

AT no 7 A participé à une entrevue

AT no 8 A participé à une entrevue

AT no 9 A participé à une entrevue

En outre, l’UES a reçu et examiné les notes de neuf autres agents. Après avoir examiné ces notes, il était évident que ces neuf autres agents avaient seulement participé à la mise en place du périmètre de sécurité autour des lieux ou qu’ils n’étaient pas directement impliqués dans les tentatives de communication avec le plaignant ou d’ouverture en force de la porte du garage. L’UES ne les a donc pas interrogés.

Agents impliqués

AI no 1 N’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 2 N’a pas consenti à participer à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Éléments de preuve

Les lieux

Cet incident s’est déroulé dans une propriété résidentielle située sur une route rurale, à environ 34 kilomètres au sud-ouest de Hawkesbury et six kilomètres au nord-est de Saint-Isidore, en Ontario.

Il y a sur cette propriété une résidence de deux étages, à environ 170 pieds au sud de la route, ainsi que quelques autres bâtiments, dont le plus grand est un garage, à environ 90 pieds au sud de la maison.

Le garage est un bâtiment d’un seul étage d’environ 19 pieds sur 30 pieds. Il est équipé d’une porte rétractable et d’une fenêtre sur le côté est, ainsi que d’une porte pleine pour piéton en aluminium, sans fenêtre, sur le côté nord. Cette porte fait face à la maison. Il y a aussi une fenêtre sur le côté ouest. Les deux fenêtres du garage étaient recouvertes d’un textile d’aménagement paysager en feutre noir.

Le véhicule de secours blindé utilisé par l’équipe de l’Unité tactique et de secours (UTS) de la Police provinciale pour s’approcher du plaignant était sur les lieux, dans sa position d’immobilisation finale. Deux dispositifs de distraction déclenchés étaient par terre, du côté conducteur du véhicule blindé. Le véhicule commandé à distance qui avait servi à inspecter l’intérieur du garage était dans sa position finale, sur le sol, à côté du plaignant. La scène a été photographiée et un schéma des lieux a été dessiné.

Après l’examen du plaignant par le coroner, l’UES a recueilli la corde utilisée par le plaignant, et plus précisément le nœud, pour la présenter au pathologiste à l’autopsie. En fouillant le garage, les enquêteurs ont trouvé sur une table une note de cinq pages, rédigée en français.

Ils ont aussi trouvé une carabine à verrou de calibre 30,06 sur une étagère du garage. L’arme était dans un boîtier en plastique dur noir et était munie d’un verrou de détente. Il n’y avait pas de munitions 30.06 dans le garage.

Rapport d’autopsie

Le samedi 14 mai 2016, à 9 h 15, les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont assisté à l’autopsie du plaignant.

Le 2 novembre 2016, l’UES a reçu une copie du rapport d’autopsie, qui donne un résumé et un avis selon lequel le plaignant était mort par pendaison. Le rapport indiquait également qu’il y avait une marque de ligature dans le cou, précisant que le point de suspension se trouvait sur la gauche de la nuque. Ces caractéristiques sont celles d’un suicide par pendaison. Hormis la marque de la ligature, il n’y avait que des blessures mineures aux jambes.

Documents obtenus auprès du Service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui ont remis, à sa demande, le détachement de Hawkesbury, le détachement du comté de Lanark, le détachement Loyalist (Odessa) et le détachement de Rockland (comté de Russell) de la Police provinciale :

  • Rapport sur les détails de l’événement,
  • Liste des agents concernés,
  • Notes des agents témoins nos 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9,
  • Notes de neuf autres agents,
  • Certificat émis par Transports Canada pour le drone.

Description de l’incident

Le 13 mai 2016, au petit matin, la TC s’est réveillée et a découvert que le plaignant était dans le garage détaché de leur maison, dont les fenêtres avaient été voilées. Lorsqu’elle s’est rendu compte que le plaignant avait une arme à feu, elle est partie de chez elle avec ses enfants et a appelé le 9-1-1, en indiquant que le plaignant s’était enfermé dans le garage et qu’il avait une carabine. Peu après, le plaignant a envoyé à la TC un message, par l’entremise d’une amie commune, disant qu’elle pouvait entrer dans le garage, mais sans les enfants.

Des agents de la Police provinciale de l’Ontario ont répondu à l’appel et ont lancé une opération avec la participation de l’Équipe d’intervention en cas d’urgence (EIU) de la région de l’est et de l’Unité tactique et de secours (UTS) provinciale. L’AI n° 1 et l’AI n° 2 ont pris le commandement du lieu de l’incident. On a tenté à maintes reprises de communiquer avec le plaignant qui était dans le garage, tant directement sur place que par téléphone et par messages textes, mais sans obtenir de réponse.

Finalement, on a enfoncé la porte du garage et découvert le plaignant pendu à l’intérieur. Il était déjà décédé. On a également trouvé dans le garage une note de cinq pages adressée à la TC et à leurs enfants.

Dispositions législatives pertinentes

Article 219, Code criminel – Négligence criminelle

(1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

a) soit en faisant quelque chose;

b) soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir,

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Article 220, Code criminel3 – Le fait de causer la mort par négligence criminelle

Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :

  • a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
  • b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le 13 mai 2016, vers 4 heures du matin, le plaignant est sorti de chez lui et allé dans son garage. À 6 heures du matin, la TC est sortie de la maison et a remarqué que le plaignant avait voilé les fenêtres du garage. La TC lui a demandé ce qu’il faisait et il a répondu qu’il réfléchissait. La TC est retournée dans la maison et a constaté qu’une carabine, qui était normalement dans la chambre à coucher, n’y était plus. La TC a alors décidé de partir de chez elle avec ses enfants. Vers 6 h 38, la TC a appelé le 9-1-1 pour signaler qu’elle croyait que son mari était en difficulté et qu’il s’était enfermé dans le garage avec une arme à feu. À 12 h 32, des agents de la Police provinciale de l’Ontario sont entrés dans le garage où ils ont découvert le plaignant sans vie, pendu au bout d’une corde. La présence d’une note de suicide de cinq pages ainsi que le rapport d’autopsie ont confirmé que le plaignant s’était suicidé.

Le registre des communications confirme que le Centre des communications de la Police provinciale a reçu un appel à 6 h 38 min 42 s, dans lequel l’appelante signalait que son mari s’était enfermé dans le garage et qu’il avait sa carabine; l’appel a duré jusqu’à 6 h 45 min 8 s. Peu après, l’AT no 2 a rencontré la TC. Dans sa déclaration, l’AT no 2 a précisé qu’il était en route vers la maison du plaignant, lorsque l’AT no  1 lui avait donné l’instruction de changer de destination et d’aller rencontrer la TC. Au cours de la matinée, l’AT no  2 est resté avec la TC, qui lui a donné des détails au sujet du plaignant et de ce qui avait conduit à cette situation. Il a transmis ces détails aux agents concernés. À 7 h 28, le plaignant a apparemment envoyé un message à une amie commune, sur Facebook, lui demandant de dire à la TC de ne pas laisser les enfants entrer dans le garage, mais que la TC elle-même pouvait facilement y entrer. L’AT no 2 a précisé que l’amie commune avait transmis ce message à la TC qui l’avait reçu à 7 h 55.

Même si les deux agents qui assuraient le commandement sur le lieu de cet incident, l’AI no 1 et l’AI no 2, n’ont pas consenti à participer à une entrevue avec les enquêteurs de l’UES, comme la loi les y autorise, les déclarations de tous les agents déployés lors de cet incident ainsi que le registre des communications et l’enregistrement des détails de l’événement permettent d’établir que cet événement s’est déroulé comme suit :

Juste après 6 h 45, l’AT no 2, en réponse à l’appel au 9-1-1, se rendait au domicile du plaignant lorsque l’AT n° 1 l’a appelé et lui a demandé d’aller ailleurs.

En effet, dès que l’AT no 1 a été informé de l’appel au 9-1-1 et que l’AT no 2 était en route, il a demandé à l’AT no 2 de se rendre à l’endroit où se trouvait la TC pour obtenir plus de détails. De plus, dès que les agents qui commençaient leur quart de travail de jour sont arrivés, il leur a demandé d’établir un périmètre de sécurité autour de la maison du plaignant et de bloquer toute la circulation sur cette route.

L’AT no 3 a alors avisé l’AT no 1 qu’il avait appelé l’EIU de la Police provinciale.

Vers 7 heures du matin, l’AT no 1 a ordonné à l’AT no 4 de se rendre à la résidence dans un véhicule banalisé et de photographier les bâtiments, ce qu’il a fait puis en a donné un compte rendu à l’AT no 1.

À 7 h 18, l’AT no 2 a communiqué à l’AT no les renseignements qu’il avait obtenus auprès de la TC au sujet de la situation qui avait conduit le plaignant à aller dans le garage.

À 7 h 29, l’AT no 7 a reçu l’instruction de se rendre à la résidence dans le véhicule de secours blindé de la Police provinciale.

Vers 7 h 30, l’AI no 1 a donné l’instruction à l’AT no 5 et l’AT no 6, qui étaient en poste à Odessa, de se rendre à la résidence; ils ont immédiatement quitté Odessa.

À 7 h 38, on a informé l’AT no 1 que le plaignant avait demandé à la TC, via un message sur Facebook, si leurs polices d’assurance étaient à jour. L’AT n° 1 s’est ensuite rendu au poste de commandement qui avait été mis en place près de la résidence.

L’AT no 3 a demandé à l’AT no 8, un membre de l’EIU, de venir à la résidence avec le véhicule aérien télécommandé (le drone).

L’AT no 9, une négociatrice en situation de crise de la Police provinciale de l’Ontario, a reçu l’instruction de se rendre à la résidence, avec tout son équipement. À son arrivée, à 8 h 42, elle a été informée des détails de la situation par un agent qui se trouvait sur les lieux ainsi que, par téléphone, par l’AT no 2 et la TC.

À 10 h 15, l’AT no 9 a tenté en vain de communiquer avec le plaignant par téléphone. Une deuxième tentative a été faite à 10 h 25, encore une fois sans réponse.

À 10 h 30, l’AT no 9 a tenté de contacter le plaignant en appelant son téléphone professionnel et a laissé un message vocal.

À 10 h 30, l’AT no 5 et l’AT no 6, qui venaient d’Odessa, sont arrivés au poste de commandement et ont rencontré le commandant des opérations sur le lieu de l’incident qui les a mis au courant de la situation.

Vers 10 h 35, l’AT no 8, qui venait de Perth, est arrivé au poste de commandement et a déployé le drone au-dessus de la propriété du plaignant pour prendre des photos et des vidéos, qui ont ensuite été remises à l’AI no 2. L’AT no 8 a ensuite placé le drone dans son véhicule, s’est approché de la propriété et a déployé le drone une deuxième fois en essayant d’obtenir des images de l’intérieur du garage. Il n’est pas parvenu à voir bien loin à l’intérieur du garage. On lui a demandé de faire tourner le drone au-dessus de la propriété pendant que d’autres agents de la Police provinciale encercleraient le garage, mais il avait de la difficulté à maintenir le drone à la bonne hauteur à cause du vent; il a donc dû le faire revenir à terre avant de le redéployer une troisième fois.

À 10 h 40, l’AT no 9 a envoyé un message texte au plaignant, pour s’identifier et lui dire qu’elle souhaitait lui parler, en lui demandant de lui donner un numéro pour le joindre. Le plaignant n’a toujours pas répondu. L’AT no 9 a poursuivi ses tentatives de communication avec le plaignant, sans succès.

Peu après 11 h 28, l’AT no 9 est entrée dans le véhicule blindé avec des agents de l’unité tactique et s’est approchée du garage du plaignant. L’AT no 9 a alors utilisé un porte-voix pour tenter de communiquer avec le plaignant, mais elle n’a obtenu aucune réponse.

À 12 h, l’AI no 1 est arrivé au poste de commandement et a pris le commandement des membres de l’UTS. Il a ordonné à l’AT no 5 et l’AT no 6 de se tenir prêts à s’approcher du garage.

À 12 h 15, l’AT no 5 et l’AT no 6 ont remonté l’allée latérale en courant jusqu’au véhicule blindé où l’AT no 5 a fait les préparatifs de déploiement d’un robot télécommandé. L’AT no 5 et l’AT no 6 sont ensuite sortis du véhicule blindé et l’AT no 6 a enfoncé la porte du garage. L’AT no 5 a jeté le robot à distance sur le sol en béton du garage et a pu voir, sur les images transmises par le robot, que le plaignant était pendu dans le garage et qu’il ne bougeait pas. Les policiers sont alors entrés dans le garage, accompagné d’un ambulancier paramédical qui a confirmé que le plaignant était décédé.

Étant donné le temps qu’il a fallu pour entrer dans le garage, alors qu’on savait que le plaignant était possiblement suicidaire, l’infraction criminelle à considérer en l’espèce est la négligence criminelle causant la mort. Le critère objectif de culpabilité criminelle nécessite un écart marqué par rapport à la norme de la personne raisonnable. (R. c. Creighton [1993] 3 RCS 3). En outre, la conduite doit démontrer une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui (R. c. J.F., [2008] 3 R.C.S. 215). Les tribunaux ont constamment jugé que la composante requise d’insouciance « téméraire » de l’infraction implique un manque d’attention aux conséquences de l’acte ou de l’omission sur la vie et la sécurité d’autrui. Le qualificatif « déréglé » diffère de « téméraire » seulement en ce qu’il inclut la notion non seulement de l’indifférence aux conséquences, mais aussi d’un mépris de ces conséquences (R. v Rogers [1968] 4 CRNS 303 (BCCA); R. v Pinske [1988] CanLII 176 (BCCA); R. v Walker (1974) 18 CCC (2d) 179 (NSCA)).

L’écart par rapport à la norme doit être marqué à la fois dans les aspects physiques et mentaux du comportement. Sur le plan physique, la conduite elle-même doit constituer un écart marqué et important par rapport à celle d’une personne qui ferait preuve d’une diligence normale. L’élément mental n’est pas satisfait simplement en démontrant qu’une personne raisonnable aurait reconnu qu’il existait un risque de blessure. Pour que l’insouciance soit « déréglée ou téméraire », les conséquences doivent être beaucoup plus évidentes. (R. v. J.L., [2006] O.J. No 131 (C.A.) aux par. 14-21).

Il est clair, au vu de toutes les preuves, que le plaignant avait l’intention de mettre fin à ses jours et qu’il avait prévu et planifié de mettre son intention à exécution : il avait rédigé une note de suicide de cinq pages pour ses proches, pris son arme à feu avec lui et recouvert les fenêtres pour bloquer la vue de l’intérieur du garage. On ne saura jamais quelles étaient des intentions lorsqu’il a pris l’arme à feu avec lui dans le garage, mais les officiers supérieurs chargés de commander une équipe d’agents de police pour mettre fin à cet incident ne pouvaient pas ignorer le risque que le plaignant ait l’intention de se livrer à des tirs contre la police ou de tuer quelqu’un quand il s’est suicidé.

En l’espèce, les actes du plaignant relevaient de la politique de la Police provinciale qui établit les lignes directrices à suivre en cas de prise d’otages et de personne barricadée. Cette politique prévoit la participation d’un commandant sur le lieu d’un incident critique et l’intervention, selon le cas, de l’UTS, de l’EIU, de négociateurs en situation de crise, de maîtres-chiens et de la Section du soutien technique. La politique stipule clairement que la sécurité personnelle des agents est primordiale et qu’ils doivent planifier et aborder la situation en toute sécurité. Cette politique a été parfaitement respectée, ce qui, dans ce cas, a pris beaucoup de temps.

Néanmoins, étant donné les circonstances que les agents connaissaient, l’emplacement du Détachement de Hawkesbury (près de la frontière entre l’Ontario et le Québec) et le fait que le plan nécessitait de faire appel à du personnel et du matériel spécialisé des détachements de Perth et d’Odessa, il est clair que pour régler un incident de cette nature, il faut s’assurer que tout le personnel et l’équipement nécessaires sont présents et en mesure d’intervenir, ce qui prend du temps. Il est regrettable que les membres de l’UTS, qui avaient l’expérience et la formation spécialisées pour ce genre de situation, aient dû parcourir plus de 267 kilomètres pour se rendre sur les lieux, causant un délai d’environ 2 heures. Il a aussi fallu apporter le drone de Perth, à quelque 175 kilomètres de Hawkesbury, pour que le Détachement de Hawkesbury puisse l’utiliser.

Il est fort possible que l’AT no 2, qui se rendait à la résidence du plaignant immédiatement après avoir été informé de l’appel de la TC au 9-1-1, ait été en mesure d’empêcher le suicide s’il était arrivé immédiatement sur place, comme il en avait d’abord l’intention, avant qu’on lui donne l’ordre de changer de destination pour rencontrer la TC. Cependant, l’AT no 2 pourrait avoir été lui-même tué ou forcé de tuer le plaignant. Sachant, d’après ce qu’avait dit la TC, que le plaignant avait une arme à feu, il aurait été imprudent d’agir de façon hâtive et sans prendre les précautions appropriées. Malheureusement, Il n’est pas inhabituel que des personnes ayant l’intention de se suicider recourent à ce que l’on appelle le « suicide par la police ». Il incombait donc aux agents chargés de surveiller cet incident critique non seulement d’assurer la sécurité du public, y compris dans la mesure du possible, celle du plaignant, mais aussi de veiller à ce que les agents sous leur commandement prennent toutes les précautions nécessaires pour assurer leur propre sécurité.

Il est clair que le plaignant s’est suicidé de son propre chef, sans intervention de la police. Il serait purement spéculatif de supposer que, si les policiers avaient agi avec moins de prudence et plus rapidement, ils auraient pu lui sauver la vie, au risque de la mort d’autrui. Les commandants de la Police provinciale chargés de diriger l’intervention dans cet incident ont suivi toutes les procédures énoncées dans leurs lignes directrices et ne peuvent être tenus responsables des actes du plaignant dans l’accomplissement de son intention de se suicider. Par conséquent, en fin de compte, on ne peut pas conclure que la lenteur de l’intervention des agents impliqués[1] constitue un écart marqué par rapport à la conduite qu’une personne raisonnable aurait eu dans les mêmes circonstances, et encore moins une conduite qui fait preuve d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie du plaignant. Il n’y a donc pas de motifs raisonnables de porter un chef d’accusation dans cette affaire, et aucun chef d’accusation ne sera donc déposé.

Date : 10 août 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Et, ce faisant, auraient ignoré leur propre politique. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.