Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-175

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet de la blessure grave subie par un homme de 39 ans le 4 juillet 2016 à 18 h 10 durant l’appréhension à laquelle ont procédé des agents en vertu de la Loi sur la santé mentale.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 4 juillet 2016, à 9 h 44, le Service de police de Toronto (SPT) a signalé à l’UES la blessure subie par le plaignant durant son appréhension. Le SPT a déclaré que, le 4 juillet 2016, ses agents s’étaient rendus au logement du plaignant pour l’appréhender, comme l’autorise la Loi sur la santé mentale. Il en a découlé une bagarre et une arme à impulsions a été déployée. La sonde a atteint l’œil du plaignant, et il a dû être transporté à l’hôpital pour subir une chirurgie visant à extraire la sonde.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant Homme de 39 ans, qui a participé à une entrevue et pour qui le dossier médical a été obtenu et examiné

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux, où ils ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont notamment pris des notes et des photos.

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées

Éléments de preuve

Les lieux

Voici une photo de la chambre à coucher du plaignant (avec l’haltère en métal sur le sol).

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Sommaire des images enregistrées par la caméra du réseau de télévision en circuit fermé se trouvant dans le hall de l’immeuble

Trois agents (maintenant désignés comme l’AI et les AT nos 1 et 2] et deux civils (soit les TC nos 2 et 3] entrent dans le hall de l’immeuble d’habitation. L’AI et l’AT no 1 sortent du champ de la caméra pour aller en direction des ascenseurs, et l’AT no 2 passe par une porte de côté, près des ascenseurs. Les TC nos 2 et 3 sortent de l’immeuble.

Trois ambulanciers paramédicaux pénètrent dans le hall. On les voit ensuite sortir du hall avec le plaignant sur une civière. Les AT nos 1 et 2 sortent également du hall par la suite.

Sommaire des enregistrements des communications

Les AT nos 1 et 2 ont été appelés au poste de police pour une formule no 2footnote . La TC no 3 voulait que les agents la préviennent par téléphone avant de venir. Elle a aussi demandé que les policiers évitent de se stationner dans la rue de côté pour ne pas que l’homme en question voie les véhicules de police par sa fenêtre, car cela aurait risqué de compliquer la situation. C’est l’AI qui a été affecté à l’appel.

L’AI a demandé une ambulance pour un homme qui avait reçu une décharge d’arme à impulsions, et le répartiteur a envoyé une ambulance à l’immeuble d’habitation. L’AI a demandé dans combien de temps environ l’ambulance allait arriver. L’AT no 1 a indiqué que l’homme était conduit à l’hôpital et que l’AT no 2 l’accompagnait.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé au SPT les documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • les communications – résumé de la conversation;
  • le rapport d’incident général;
  • les détails de l’événement – rapport du système de répartition assisté par ordinateur (ICAD);
  • les notes des AT nos 1 et 2;
  • la fiche de service de la division (peloton);
  • le rapport de police sur le logement du plaignant;
  • la procédure relative à l’usage de la force (annexes A et B);
  • la formation sur l’usage de la force reçue par l’AI.

Description de l’incident

Le 4 juillet 2016, les TC nos 2 et 3 ont obtenu une formule 2 d’un juge de paix, conformément à la Loi sur la santé mentale, et ils l’ont remise au SPT pour faire appréhender le plaignant. Les agents du SPT devaient se rendre au logement du plaignant et l’arrêter pour le conduire à l’hôpital afin qu’il subisse un examen par un médecin. Le plaignant souffrait alors d’un trouble mental non identifié et représentait une menace de plus en plus importante pour lui-même ainsi que pour les autres personnes.

Deux semaines plus tôt, le SPT avait aussi dû appréhender le plaignant dans son logement en vertu de la même loi. L’AI s’était alors rendu sur les lieux, et le plaignant s’était barricadé dans sa chambre. L’AI avait son arme à impulsions en main lorsqu’il a forcé la porte de la chambre à coucher. Le plaignant a alors été appréhendé sans que l’AI ait besoin de s’en servir.

Le 4 juillet 2016, le plaignant a barricadé la porte d’entrée lorsque les agents ont annoncé qu’ils se trouvaient de l’autre côté de la porte. Lorsque l’AI et les AT nos 1 et 2 ont réussi à pénétré dans le logement, ils ont constaté que le plaignant s’était une fois de plus barricadé dans sa chambre à coucher. L’AI a encore une fois pris son arme à impulsions au moment où la porte de la chambre a été forcée. Cette fois, par contre, le plaignant, qui tenait un gros haltère en métal, s’est approché de l’AI dès que la porte a été ouverte. L’AI a déployé son arme une fois pour envoyer une décharge de 5 secondes au plaignant. Celui-ci a alors laissé tomber l’haltère. Une sonde a atteint le plaignant dans le haut de la poitrine et a été retirée par les ambulanciers, qui sont arrivés sur les lieux de l’incident peu après. L’autre sonde s’est retrouvée sous l’œil droit du plaignant, et une chirurgie a été nécessaire pour l’extraire.

Dispositions législatives pertinentes

L’article 16, Loi sur la santé mentale de l’Ontario : Examen psychiatrique ordonné par un juge de paix

16 (1)  Si un juge de paix est saisi de renseignements donnés sous serment selon lesquels une personne qui se trouve dans les limites du territoire placé sous sa compétence :

  1. a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire;
  2. s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles;
  3. a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même,

et qu’en plus, il a des motifs valables de croire, sur la foi des renseignements qui lui sont donnés, que cette personne souffre selon toute apparence d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves;
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne;
  3. elle souffrira d’un affaiblissement physique grave,

il peut rendre une ordonnance, sur la formule prescrite, pour que la personne soit examinée par un médecin.

Le paragraphe 25(1), Code criminel3 : Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier;
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public;
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public;
  4. soit en raison de ses fonctions,

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 4 juillet 2016, le plaignant était très malade et avait besoin d’être conduit à l’hôpital. Il souffrait d’une maladie mentale non diagnostiquée et, son intervenant à l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM), était d’avis qu’il était alors atteint de schizophrénie paranoïde. Dans cet état, le plaignant avait un comportement imprévisible et pouvait être violent envers les autres.

Presque deux semaines plus tôt, le plaignant avait été appréhendé en vertu de la Loi sur la santé mentale après avoir lancé un morceau de bois en direction d’un voisin à partir de son balcon. On l’avait aussi entendu crier dans son logement. L’AI et un autre agent s’étaient alors rendus sur les lieux. Le plaignant avait menacé d’assassiner les agents et il s’était barricadé dans son logement. Lorsque les agents avaient réussi à pénétrer dans le logement, le plaignant était dissimulé dans sa chambre à coucher. L’AI avait son arme à impulsion en main lorsque la porte de la chambre avait été ouverte et il en avait avisé le plaignant. Celui-ci avait alors obéi aux ordre de l’AI et avait été arrêté. Dans les jours suivant le 4 juillet, la santé mentale du plaignant a continué à se détériorer.

Le 4 juillet, une formule 2 a été signée pour autoriser à arrêter le plaignant et à le conduire à l’hôpital. Comme il était déjà intervenu auprès du plaignant, l’AI s’est porté volontaire pour se rendre au logement avec deux autres agents. Lorsque l’AI et les deux autres agents sont allés chez le plaignant pour mettre en application la formule 2, le plaignant était de toute évidence très agité, en particulier à cause de la présence de la police.

Pour éviter de briser le lien de confiance établi entre le plaignant et son intervenant de l’ACSM, l’AI a décidé que seuls les agents approcheraient du logement pour mettre en application la formule 2. Lorsqu’ils sont arrivés à la porte, l’AI a annoncé leur présence en précisant qu’ils étaient là pour venir en aide au plaignant. Celui-ci a répondu qu’il n’avait pas besoin d’aide et il s’est barricadé dans le logement. Juste avant que la police réussisse à entrer, le plaignant s’est enfui dans sa chambre à coucher. L’AI a pris son arme à impulsions avant d’entrer dans le logement. Le plaignant criait des mots incompréhensibles et lançait des objets dans la chambre. Les agents lui ont ordonné de sortir, mais il n’a pas répondu. Les agents ont entendu le plaignant déplacer des meubles et le son d’un objet de métal qui est tombé.

Lorsque la porte de la chambre a été ouverte, l’AI se tenait devant l’entrée. Il était près du mur noir. Il tenait un haltère d’une trentaine de centimètres dans sa main droite, au-dessus de sa tête. Il a alors avancé rapidement de deux à trois pas vers l’AI. Celui-ci, qui a eu l’impression que sa sécurité immédiate était menacée, a déployé son arme à impulsions pour un cycle de cinq secondes. La décharge a été faite pratiquement au moment même où la porte a été ouverte. L’AI n’a rien dit avant de déployer son arme. Lorsque le plaignant a été atteint, il était à environ deux ou trois mètres de l’AI. Les sondes se sont logées à la poitrine et juste sous l’œil, et le plaignant a alors échappé l’haltère de métal. C’est donc dire qu’avec la décharge, l’haltère est tombé au sol. L’AI a immédiatement appelé une ambulance.

Le fait que le plaignant tenait un haltère de métal lorsque l’AI est entré dans sa chambre n’est pas en litige. La version des faits du plaignant diffère de celle des agents pour ce qui est du moment où il a laissé tomber l’haltère au sol et de la distance qui le séparait de l’AI au moment où l’arme à impulsions a été déployée. Je doute néanmoins beaucoup de la fiabilité des souvenirs que le plaignant a des événements, vu son état de grande agitation et l’incohérence de ses propos qui a été observée tant avant qu’après l’incident.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel3, les agents ont le droit d’employer un degré de force raisonnable pour l’exercice de leurs fonctions. Vu les renseignements que les agents avaient obtenu avant d’entrer dans le logement, l’intervention précédente de l’AI auprès du plaignant et ce qui s’est produit lorsque les agents ont pénétré dans la chambre, l’AI n’avait d’autre choix que de prendre immédiatement une décision difficile. Je comprends que le plaignant a des problèmes de santé mentale sévères et qu’il a subi ce jour-là une grave blessure à l’œil, qui a nécessité une chirurgie, mais il n’en reste pas moins que, dans les circonstances, il représentait un danger immédiat pour les agents sur les lieux. C’est donc dire que l’usage par l’AI de son arme à impulsions ne dépassait pas les limites de ce qui est raisonnablement nécessaire pour tenter de désarmer et de maîtriser le plaignant. La jurisprudence montre clairement que, même s’ils doivent adapter leurs interventions à chaque situation, il ne faut pas évaluer le degré de force employé par les agents en se basant sur des normes de gentillesse, comme l’illustre l’affaire R. c. Baxter (1975) 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.) ni sur une norme de perfection (R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206). Par conséquent, il n’y a pas de motifs suffisants de déposer des accusations dans cette affaire.

Date : 5 septembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.