Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OFI-234

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet des blessures graves subies par un homme de 38 ans durant l’interaction qu’il a eue avec des agents après avoir mis le feu à son logement et s’être barricadé sur son balcon.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 13 septembre 2016, à 1 h 16, le Service de police régional de Peel a signalé les blessures graves subies par le plaignant.

Le Service de police régional a déclaré que, le 12 septembre 2016, les services d’incendie et d’urgence de Mississauga, alertés à cause de la fumée qui s’échappait d’un logement de Mississauga, se sont rendus sur place. À leur arrivée, les intervenants ont trouvé le plaignant armé de couteaux attachés à ses poignets avec du ruban adhésif en toile. Il avait mis le feu à son logement. La police a été appelée et est intervenue avec son unité tactique.

À environ 20 h 20, la police est arrivée sur les lieux et a négocié avec le plaignant et consulté un psychiatre de la Section des sciences et de l’analyse du comportement de la Police provinciale de l’Ontario (« psychiatre »). Après avoir négocié et avoir consulté le psychiatre, l’agent témoin (AT) no 1 a donné à l’escouade d’intervention tactique l’autorisation de pénétrer dans le logement. Une fois les membres de l’unité dans le logement, le plaignant a été atteint par une décharge d’arme à impulsions et a reçu à la tête un projectile d’une arme Anti-Riot Weapon Enfield (ARWEN)[1]. Le plaignant a été conduit à l’hôpital et il a été admis pour une lacération à la tête et un traumatisme crânien ayant entraîné une hémorragie.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 6

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident par des notes et des photographies.

Plaignant

Homme de 38 ans, qui a participé à une entrevue et dont le dossier médical a été obtenu et examiné

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 7 A participé à une entrevue

TC no 8 A participé à une entrevue

TC no 9 A participé à une entrevue

TC no 10 A participé à une entrevue

TC no 11 A participé à une entrevue

TC no 12 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été obtenues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 A participé à une entrevue

AT no 4 A participé à une entrevue

AT no 5 A participé à une entrevue

AT no 6 A participé à une entrevue

AT no 7 A participé à une entrevue

AT no 8 A participé à une entrevue

AT no 9 A participé à une entrevue

AT no 10 A participé à une entrevue

De plus, les notes d’un autre agent non désigné ont été obtenues et examinées.

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, mais a refusé de remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Éléments de preuve

Les lieux

La photo ci-dessous montre l’intérieur du logement à partir de la porte d’entrée. On peut voir directement devant, au centre, la porte du balcon. Juste de l’autre côté de la porte se trouve le dossier du canapé en vannerie dont s’est servi le plaignant pour bloquer l’accès au balcon.

La photo ci-dessous montre l’intérieur du logement à partir de la porte d’entrée

La photo ci-dessous montre le balcon après le sauvetage du plaignant. Le canapé en vannerie adossé à la porte du balcon est celui sur lequel le plaignant était étendu avec la tête à l’extrémité la plus près de l’objectif de la caméra et les pieds à l’autre bout lorsque la police a mis en œuvre son plan d’intervention immédiate.

La photo ci-dessous montre le balcon après le sauvetage du plaignant

Éléments de preuve matériels

Voici les photos des couteaux saisis.

les photos des couteaux saisis

les photos des couteaux saisis

Photo de l’essence à briquets

Photo de l’essence à briquets

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio et de photographies

Les enquêteurs de l’UES ont ratissé le secteur à la recherche d’enregistrements audio ou vidéo et de photographies, et ils ont obtenu un certain nombre de vidéos et de photographies pris par des témoins civils de la scène. Les photos et vidéos en question justifient les agissements du Service de police régional et corroborent les déclarations des nombreux témoins.

Enregistrements des communications

Les divers enregistrements des communications par radio et par téléphone de la police corroborent les déclarations faites par les témoins civils et les agents témoins.

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES a demandé au SPRP les documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • les enregistrements audio – canal radio
  • les enregistrements audio – appels au 911
  • les enregistrements audio – canal radio de l’escouade d’intervention tactique
  • les enregistrements audio des négociations avec le plaignant
  • les registres de divulgation
  • la chronologie des événements
  • le courriel du Service de police régional de Peel indiquant qu’aucun enregistrement vidéo n’a été fait par les agents de l’escouade d’intervention tactique
  • les notes des AT nos1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et 10
  • les notes d’un AT non désigné
  • les notes de l’AT no7 concernant l’évaluation du risque de violence
  • la procédure relative au transport de prisonniers
  • la procédure relative aux négociations en situation de crise
  • la procédure relative aux alertes d’incident critique
  • la procédure relative aux centres de détention provisoire
  • la procédure relative à l’utilisation de la force
  • la procédure relative à la santé mentale
  • le dossier de formation de l’AI
  • les déclarations de témoin de deux pompiers non désignés
  • la déclaration de témoin du TC no

Description de l’incident

Le 12 septembre 2016, en début de soirée, le plaignant était seul dans son logement en copropriété du 16e étage d’un immeuble de Mississauga. Il a mis le feu à son logement et s’est barricadé sur le balcon. Il avait en sa possession deux couteaux, dont un attaché à son bras avec du ruban adhésif, de l’essence à briquet et un verre d’acide muriatique. Des gens l’ont vu boire l’acide, baver et vomir.

Des témoins ont appelé le 911, et les services d’incendie et d’urgence de Mississauga se sont rendus au logement. Les pompiers sont entrés de force et ont constaté qu’il y avait un feu juste devant la porte d’entrée. Ils ont maîtrisé l’incendie et ont vu que le plaignant était barricadé sur le balcon. Il a annoncé qu’il avait l’intention de sauter. À 18 h 30, des agents du Service de police régional étaient aussi présents, et ils ont alerté l’escouade d’intervention tactique. Des agents ont tenté de parler au plaignant, mais il a refusé de répondre. On l’a vu continuer de boire l’acide dans le verre et se verser de l’essence à briquet dessus. Par moments, il était assis sur la balustrade du balcon du 16e étage. Il était de plus en plus agité, et des ambulanciers paramédicaux sont venus sur les lieux.

Des membres de l’escouade d’intervention tactique sont arrivés peu après. L’équipe de négociation en situation de crise du Service de police régional est aussi arrivée, et elle a tenté de convaincre le plaignant de descendre de la balustrade pour rentrer dans son logement. Celui-ci a ignoré tout ce qui lui a été dit pour tenter de le faire rentrer, et il était évident que son état mental se détériorait.

Lorsque le plaignant s’est assis sur un petit canapé sur le balcon, l’AI et l’AT no 9 sont descendus du balcon deux étages plus haut, tandis que les AT nos 2, 3 et 4 entraient sur le balcon à partir du logement. L’AT no 2 a déchargé son arme à impulsions une fois sur le torse du plaignant, tandis que l’AI tirait cinq coups avec son ARWEN en visant la cuisse et le milieu de l’abdomen.

L’AT no 3 a réussi à retirer le couteau fixé au bras du plaignant. Celui-ci saignait par une coupure de 2,5 cm à 5 cm au front, avec un lambeau de chair qui pendait. Les agents ont porté le plaignant pour le sortir du balcon et l’amener aux ambulanciers paramédicaux, qui attendaient à l’extérieur pour lui prodiguer des soins.

Le plaignant a été conduit à l’hôpital en ambulance. On y a diagnostiqué une petite hémorragie sous-durale aiguë du lobe frontal droit avec une fracture oblique angulée du côté gauche du col du radius, au coude gauche. Ses blessures les plus graves étaient néanmoins à la gorge et à la région de l’estomac et elles résultaient de la consommation de liquide caustique.

Dispositions législatives pertinentes

Le paragraphe 25(1), Code criminel : Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

L’article 430, Code criminel : Méfait

430 (1) Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas :

  1. détruit ou détériore un bien
  2. rend un bien dangereux, inutile, inopérant ou inefficace
  3. empêche, interrompt ou gêne l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien
  4. empêche, interrompt ou gêne une personne dans l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien

(2) Est coupable d’un acte criminel et passible de l’emprisonnement à perpétuité quiconque commet un méfait qui cause un danger réel pour la vie des gens.

L’article 433, Code criminel : Incendie criminel

433 Est coupable d’un acte criminel et passible de l’emprisonnement à perpétuité toute personne qui, intentionnellement ou sans se soucier des conséquences de son acte, cause par le feu ou par une explosion un dommage à un bien, que ce bien lui appartienne ou non, dans les cas suivants :

  1. elle sait que celui-ci est habité ou occupé, ou ne s’en soucie pas
  2. le feu ou l’explosion cause des lésions corporelles à autrui

Analyse et décision du directeur

Le 12 septembre 2016, à 18 h, les services d’incendie et d’urgence de Mississauga ont répondu à une deuxième alerte d’incendie en l’espace de quelques heures le même jour dans un immeuble d’habitation de la ville de Mississauga et a constaté que de la fumée s’échappait d’un logement du 16e étage. Le Service de police régional de Peel a été avisé, et des agents se sont rendus sur les lieux. De longues négociations entre l’escouade d’intervention tactique du Service régional de police et le plaignant ont abouti à une confrontation. Le plaignant a par la suite été appréhendé par des agents de l’escouade d’intervention tactique. Il a été conduit à l’hôpital, où un médecin des soins intensifs a diagnostiqué une petite hémorragie sous-durale aiguë du lobe frontal droit découlant d’une lacération du cuir chevelu qui a été refermée à l’aide de six agrafes[2] de même qu’une fracture oblique angulée du coude gauche, située du côté gauche du col du radius . Le médecin a de plus indiqué que le plaignant était en danger de mort et avait besoin de soins intensifs parce qu’il avait absorbé de l’acide muriatique.[3]

Le 12 septembre 2016 dans l’après-midi, le plaignant était dans son logement en copropriété de Mississauga. À un moment donné, il a décidé de mettre le feu à son logement et il s’est réfugié sur le balcon, où il s’est assis sur la balustrade en face de la porte donnant sur le logement.

De la fumée a alors été détectée et les pompiers des services d’incendie et d’urgence de Mississauga ont été alertés et ont maîtrisé l’incendie. Lorsque l’AT no 7 a pénétré dans le logement pour procéder à des recherches, il a trouvé le plaignant sur le balcon. Celui-ci a prévenu l’AT no 7 qu’il allait sauter si quiconque essayait de le toucher ou de s’en approcher, puis il a ajouté qu’il avait avalé de l’acide.

Pendant l’enquête, l’UES a interrogé 12 témoins civils ainsi que le plaignant et dix agents du Service de police régional de Peel, y compris l’AI, qui avait accepté de participer à une entrevue avec l’UES. Les enquêteurs de l’UES ont aussi reçu les notes de onze agents témoins, les enregistrements des communications, le dossier médical, les notes des pompiers venus sur les lieux ainsi que les photos et les vidéos pris par des témoins civils.

Sept témoins civils ont donné une version similaire des faits qui se sont produits dans l’après-midi et la soirée, soit que de la fumée s’échappait en tourbillonnant du logement du plaignant, que le plaignant a été aperçu assis sur son balcon, le dos appuyé à la balustrade en verre du balcon face à son logement, que le plaignant avait un grand couteau fixé à l’aide de ruban adhésif à au moins l’une de ses mains et qu’il tenait un contenant d’essence à briquet. Le plaignant semblait agité et très en détresse.

Le TC no 7 a déclaré que des résidents l’avaient dirigé vers le logement du plaignant dont on pouvait voir de la fumée s’échapper. Les pompiers ont forcé la porte pour entrer et ont observé que divers objets empilés pour former une barricade à l’intérieur du logement étaient en flammes. L’incendie a été maîtrisé, puis l’AT no 7 a pénétré dans le logement et a vu le plaignant debout sur le balcon. Il s’est aperçu que celui-ci tenait un couteau dans chaque main. L’AT no 7 a ensuite constaté que le plaignant tenait un verre de liquide clair, et celui-ci a indiqué qu’il buvait de l’acide. Le plaignant a ensuite avalé de l’acide et il s’est alors mis à tousser, à baver, puis à vomir.

Une fois les agents du Service de police régional de Peel sur les lieux, les observations suivantes ont été faites et les démarches suivantes ont été faites pour tenter de calmer les tensions et d’arriver à un règlement satisfaisant. Les agents de police se trouvant dans le logement ont reçu l’ordre d’en sortir pour aider à calmer le plaignant. Celui-ci s’est alors éloigné de la balustrade du balcon. Les ambulanciers paramédicaux ont eu pour directive de se rendre au 16e étage pour se tenir prêts à offrir leur aide en cas de besoin. Trois négociateurs de l’équipe de négociation en situation de crise ont été appelés sur les lieux pour qu’ils tentent de négocier avec le plaignant. L’AT no 1 s’est entretenu avec les agents de l’escouade et les négociateurs pour les mettre au courant de la situation. Des renseignements généraux sur le plaignant ont été obtenus et communiqués aux agents de l’escouade d’intervention tactique.

À 18 h 53, le plan suivant était établi : deux agents de l’escouade d’intervention tactique, soit l’AI et l’AT no 9, devaient monter au 18e étage et procéder à une descente en rappel jusqu’au logement du plaignant, l’AT no 3 devait être l’homme de pointe pour l’équipe chargée de pénétrer dans le logement du plaignant et l’AT no 2 devait suivre les autres armé d’un ARWEN et d’une arme à impulsions et accompagné de l’AT no 4. L’AT no 3 a été chargé de commencer à discuter avec le plaignant une fois l’équipe devant pénétrer dans le logement et les descendeurs en rappel en position. L’AT no 1 a demandé d’attendre qu’il arrive sur place pour commencer les discussions avec le plaignant, de sorte qu’il puisse bien évaluer la situation. Une fois l’équipe devant entrer et les descendeurs en rappel en position, l’AT no 3 devait commencer à parler avec le plaignant dans l’intention de le convaincre de rentrer dans le logement. À 19 h, l’AI et l’AT no 9 sont entrés dans le logement deux étages au-dessus de celui du plaignant et ont préparé leur équipement de rappel, avec l’aide de deux pompiers des services d’incendie et d’urgence de Mississauga. À 19 h 10, l’AT no 1 a approuvé le plan tactique, qui consistait à surprendre et à entourer le plaignant pour l’empêcher de se blesser et de sauter du balcon. On espérait que les négociateurs du Service de police régional arrivent à persuader le plaignant de quitter le balcon de manière à ne pas avoir besoin de recourir à l’escouade d’intervention tactique.

À 19 h 15, les AT nos 2 et 3 sont entrés dans le logement en copropriété et ont d’abord tenté d’engager la conversation avec le plaignant en lui parlant de sujets qui semblaient l’intéresser,[4] d’après le contenu du logement. Le plaignant n’a rien répondu à l’AT no 3. Lorsque l’AT no 3 a demandé au plaignant de lever la main pour lui indiquer s’il l’entendait, le plaignant a levé la main une fois. À 19 h 17, comme l’AT no 3 était incapable d’entendre ce que disait le plaignant, à partir de l’entrée, les AT nos 2 et 3 ont été autorisés à avancer dans le logement jusqu’au bord de la cuisine. L’AT no 3 a tenté de parler avec le plaignant pendant environ une heure. L’AT no 1 a établi un poste de commandement dans le logement adjacent à celui du plaignant.

À 19 h 57, les négociateurs sont arrivés sur les lieux, ils ont été mis au courant de la situation et ils se sont rendus sur le balcon voisin pour tenter de discuter avec le plaignant au travers d’une cloison séparant les deux balcons. L’état mental du plaignant a été évalué, et on l’a alors jugé très dangereux et imprévisible. Les négociateurs ont tenté de discuter avec le plaignant pendant plus d’une heure. Ils ont ensuite consulté le psychiatre et lui ont transmis l’information au sujet de son comportement au fur et à mesure. Au même moment, un agent de l’escouade canine du Service de police régional de Peel a établi un poste d’observation dans un immeuble d’habitation directement en face du logement du plaignant pour tenir le poste de commandement au courant en permanence de ce que faisait le plaignant.

À ce stade, on envisageait plusieurs stratégies différentes pour appréhender le plaignant en toute sécurité. On a commencé par mettre au point un plan dans lequel on avait convenu que, si le plaignant donnait l’impression d’être sur le point de sauter du balcon, deux descendeurs en rappel descendraient jusqu’au balcon du plaignant avec des armes à létalité réduite pour forcer le plaignant à remonter sur le balcon. Une équipe devait au même moment casser la cloison de verre séparant les deux balcons pour aussi forcer le plaignant à remonter sur le balcon. Cette partie du plan a par la suite était partiellement remplacée par une approche plus directe, selon laquelle une équipe chargée de pénétrer dans le logement devait arriver de la cuisine pour aller sur le balcon. On a décidé d’utiliser un ARWEN au lieu d’une arme à impulsions à cause des risques que l’étincelle électrique provoquée par cette arme puisse mettre le feu au plaignant, vu qu’il s’était aspergé d’essence à briquet. Ce plan final a été approuvé par l’AT no 1.

À 20 h 2, le plaignant bavait et vomissait toujours. Il a alors laissé tomber le contenant d’essence à briquet sur le sol en bas du balcon. À 20 h 7, le plaignant s’est éloigné de la balustrade et a regardé dans son logement. Ses cheveux étaient alors ébouriffés, il était en sueur et il avait des mucosités et de la bave sur le visage. On pouvait voir qu’un couteau était toujours fixé à son poignet gauche, avec la lame pointant entre le pouce et l’index. L’AT no 4 a quitté l’équipe ayant pénétré dans le logement et s’est rendu au poste de commandement pour indiquer à l’AT no 1 que c’était le moment de mettre le plan en œuvre puisque le plaignant n’était plus perché sur la balustrade. On a vu le plaignant placer le bout du couteau sous son menton, puis à l’abdomen, comme s’il se préparait à se trancher la peau ou à se poignarder. Au poste de commandement, on était d’avis que l’état physique et mental du plaignant était en train de se détériorer. L’AT no 7, soit le négociateur, a mis le psychiatre au courant des plus récents événements, et celui-ci a indiqué qu’une intervention tactique avait des chances de permettre de régler la situation. L’AT no 1 a approuvé la mise en œuvre immédiate du plan qui avait déjà été mis au point.

L’équipe chargée de pénétrer dans le logement s’est mise en position. L’AT no 3 devait se servir du protecteur d’échelle lourd pour clouer le plaignant au canapé. L’AT no 2 devait déployer son arme à impulsions, et l’AT no 4 avait la latitude voulue pour réagir en fonction de ce qui se passerait. À 20 h 19, l’AI et l’AT no 9 se sont approchés ont enjambé la balustrade du balcon du 18e étage pour se préparer à la descente en rappel. À la fin du compte à rebours à partir de 5, l’équipe d’intervention tactique au complet devait se déployer simultanément. Les descendeurs en rappel portaient l’équipement défensif qui suit : l’AT no 9 avait une arme de poing et une arme à impulsions et l’AI avait une arme de poing, une arme à impulsions et un ARWEN de calibre 37 millimètres à chargeur rotatif.

À la fin du compte à rebours, les agents de l’escouade d’intervention tactique du Service de police régional de Peel sont descendus à partir du 18e étage sur le balcon du logement et ceux qui étaient dans le logement sont sortis sur le balcon. L’AI est descendu la tête en bas et a crié au plaignant : « Drop the knife, drop the knife! » [Jetez votre couteau! Jetez votre couteau!] L’AI a constaté que le plaignant avançait son pied pour, semble-t‐il, essayer de se lever. Il en a conclu que le plaignant essayait de se mettre en position de sauter du balcon. L’AI a d’abord visé le milieu de l’abdomen et les jambes du plaignant, puis il a ciblé plus précisément la cuisse gauche du plaignant et a tiré rapidement trois projectiles avec son arme ARWEN, dont un à la cuisse gauche et deux vers le milieu de l’abdomen. L’AI a commencé à se balancer légèrement, puisqu’il avait la tête en bas et les pieds enroulés dans la corde de rappel. Cela lui a permis de libérer un pied et de toucher l’immeuble pour se stabiliser. Pour bien neutraliser le plaignant et l’empêcher de se tuer en sautant ou de blesser l’AT no 3, l’AI a décidé de tirer ses deux derniers projectiles. Compte tenu des mouvements potentiels du plaignant sur le balcon, l’AI a visé le milieu de l’abdomen du plaignant, mais il n’était pas sûr du point d’impact des projectiles.[5] L’AT no 3, le premier agent à parvenir au balcon, a immédiatement placé le protecteur sur la poitrine du plaignant et a ainsi immobilisé son bras gauche. L’AT no 3 s’est servi du poids de son corps pour garder le plaignant immobile, tandis que l’AT no 2 activait son arme à impulsions en visant un endroit sur le torse nu du plaignant. Celui-ci s’est alors mis à hurler de douleur.

À ce stade, l’AI s’est redressé, il a entendu le son d’une arme à impulsions qui était déployée et il est descendu jusqu’à ce que ses pieds touchent la balustrade du balcon. L’AT no 9 est resté suspendu dans les airs en dehors du logement, car il n’avait pas assez de place pour mettre les pieds sur le balcon. Même si l’AT no 9 avait au départ reçu l’ordre de déployer son arme à impulsions, il a évité de le faire quand il a entendu qu’une autre arme à impulsions était activée depuis l’intérieur du logement. L’AI et l’AT no 3 ont eu de la difficulté à retirer le couteau attaché à la main du plaignant. Ils ont fini par réussir à couper le ruban adhésif qui gardait le couteau fixé à la main du plaignant. Celui-ci a ensuit été menotté les mains devant lui. On a constaté que le plaignant avait une coupure d’environ 2,5 cm au front avec un lambeau de chair qui pendait. De plus, le plaignant continuait de baver. Sa voix était enrouée et il continuait à tousser. Les ambulanciers paramédicaux ont été appelés, et le plaignant a été porté dans le couloir principal jusqu’à l’arrivée des ambulanciers.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police ont le droit d’utiliser la force dans l’exécution de leurs fonctions légitimes, mais seulement dans la limite de ce qui est raisonnablement nécessaire dans les circonstances. Examinons d’abord la légitimité de l’appréhension du plaignant. Il ressort de façon évidente de l’ensemble des éléments de preuve que le plaignant avait l’intention de s’enlever la vie. Il ne fait aucun doute que celui-ci avait planifié et pris toutes les mesures qui suivent pour mettre son projet à exécution : il avait mis le feu à son logement en copropriété, il avait bloqué l’accès au balcon, il s’était aspergé d’essence à briquet, il avait délibérément bu de l’acide caustique, il était demeuré indifférent aux tentatives de négociation de l’escouade d’intervention tactique, qui tentait de l’amener à s’éloigner de la balustrade du balcon en toute sécurité, et il s’était perché sur la balustrade de son balcon du 16e étage avec l’intention avouée de s’enlever la vie en sautant en bas. Malheureusement, la manière dont il a procédé pour s’enlever la vie l’a amené à mettre en danger non seulement sa propre vie mais aussi celle d’autres citoyens et également du personnel d’intervention d’urgence. De toute évidence, les agents du Service de police régional de Peel et de l’escouade d’intervention tactique avaient des motifs amplement suffisants d’arrêter le plaignant, conformément à la Loi sur la santé mentale. De plus, compte tenu de ses actes, le plaignant aurait aussi pu être arrêté pour incendie criminel ou méfait mettant en danger la vie des gens, ce qui est interdit par l’article 433 et le paragraphe 430(2) du Code criminel respectivement. Par conséquent, il ne fait aucun doute que l’appréhension du plaignant était justifiée sur le plan légal dans les circonstances.

Pour ce qui est du degré de force employé par les agents pour tenter de maîtriser le plaignant, je juge que leurs actions étaient pleinement justifiées vu la situation. Après avoir examiné soigneusement les éléments de preuve, j’estime que les agents de l’escouade d’intervention tactique du Service de police régional de Peel n’ont pas employé plus de force qu’il n’était absolument nécessaire pour maîtriser le plaignant, qui s’est clairement causé beaucoup de tort à lui-même et qui se serait sûrement enlevé la vie, n’eût été l’intervention de la police. Vu que le plaignant avait mis le feu à son propre logement en copropriété, avait avalé de l’acide, avait tenté de se poignarder et avait menacé de sauter d’un balcon du 16e étage, les agents avaient des motifs raisonnables de croire que le plaignant aurait mis fin à ses jours s’il n’avait pas été maîtrisé.

Dans les circonstances, je suis dans l’impossibilité de conclure que les opérations de sauvetage menées par les agents de l’escouade d’intervention tactique du Service de police régional de Peel représentaient un usage excessif de la force. Certes, la blessure à la tête du plaignant et la fracture du coude qu’il a subie résultent très vraisemblablement des manœuvres des agents de l’escouade d’intervention tactique visant à maîtriser le plaignant. Toutefois, l’ensemble des éléments de preuve montre sans l’ombre d’un doute que la force employée par l’AI, et également les efforts déployés par les pompiers, les ambulanciers paramédicaux et les policiers qui sont intervenus, ont progressé de façon mesurée et professionnelle et étaient bien adaptés aux événements. Au début, les pompiers de même que la police ont fait plusieurs tentatives pour essayer de calmer le plaignant et engager un dialogue avec lui, mais toutes se sont soldées par un échec. Il est alors devenu impératif de sauver la vie du plaignant en utilisant d’autres moyens à la disposition des agents de l’escouade d’intervention tactique ayant peu de risques d’entraîner la mort. Dans les circonstances, le plan tactique final approuvé par l’AT no 1 a été suivi à la lettre par l’AI et par toute l’équipe de l’unité pour procéder à l’arrestation du plaignant. Il ne fait aucun doute que le plan en question était la solution la plus raisonnable possible et qu’il s’agissait d’un dernier recours après avoir épuisé tous les autres moyens pour tenter de sauver la vie du plaignant. De plus, les agissements des agents de l’escouade ont été entièrement corroborés par les éléments de preuve fournis par les pompiers des services d’incendie et d’urgence de Mississauga et par les témoins civils.

Pour parvenir à cette conclusion, je garde à l’esprit l’état du droit tel qu’il est présenté dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

En dernière analyse, je suis convaincu, pour les motifs exposés plus haut, que l’appréhension du plaignant de même que la manière dont elle a été exécutée étaient légitimes, malgré les blessures subies par le plaignant. À mon avis, ces blessures sont peu importantes comparativement au sort que le plaignant avait choisi. Par conséquent, j’ai des motifs raisonnables de croire que les agissements des agents de l’escouade d’intervention tactique ne dépassaient pas les limites de ce qui est légalement prescrit par le droit criminel. Il n’y a donc pas lieu de porter des accusations dans cette affaire. J’ajouterais qu’à mon avis, les agents de l’escouade d’intervention tactique du Service de police régional de Peel, c’est‐à-dire l’AI et les AT nos 2, 3, 4, 6 et 9 de même que les AT nos 7, et 8, sous la direction de l’AT no 1, ont agi avec un professionnalisme digne d’admiration.

Date : 3 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Le ARWEN est une arme à feu de calibre 37 millimètres à chargeur rotatif qui a une capacité maximale de cinq coups et qui lance des projectiles en caoutchouc. Il est utilisé comme arme à létalité réduite. [Retour au texte]
  • 2) [2] Heureusement pour le plaignant, la petite hémorragie aiguë du lobe frontal droit s’est résorbée dans les 24 heures [Retour au texte]
  • 3) [3] Le plaignant a subi des blessures graves à la gorge et à la région de l’estomac, à cause de l’absorption d’acide muriatique. [Retour au texte]
  • 4) [4] Notamment le vélo et le hockey. [Retour au texte]
  • 5) [5] L’AI croit que la blessure à la tête du plaignant a pu être causée par le troisième ou le quatrième projectile de l’arme ARWEN ayant atteint le plaignant. En fait, du sang a été observé sur un projectif de cette arme ayant été récupéré. [Retour au texte]

Note:

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