Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-TCI-309

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les circonstances dans lesquelles un homme de 20 ans a subi une blessure grave lors de son arrestation pour état d’ivresse dans un lieu public le 10 août 2015.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 9 décembre 2016, à 14 h, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES de la blessure sous garde subie par le plaignant.

Dans son rapport, le SPT a indiqué que le plaignant avait déposé une plainte auprès du Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP), affirmant qu’il avait subi une commotion cérébrale lors de son arrestation par des agents du SPT, le 10 août 2015, au parc Eglinton Flats.

Le SPT a confirmé que le 10 août 2015, à 0 h 55 du matin, des agents du SPT se sont rendus au parc Eglinton Flats en réponse au signalement de coups de feu. Le plaignant a été arrêté pour état d’ivresse dans un lieu public puis conduit à l’hôpital. Il a ensuite été emmené au poste d’une division du SPT et placé dans une cellule. Lors de sa libération, le lendemain matin, le plaignant a affirmé à un sergent du SPT qu’il avait perdu connaissance lors de son arrestation. Il a été libéré et ramené à l’hôpital.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Plaignant

Homme de 20 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été revus et examinés.

Témoins civils

TC no 1  A participé à une entrevue

TC no 2  A participé à une entrevue

TC no 3  A participé à une entrevue

TC no 4  A participé à une entrevue

TC no 5  A participé à une entrevue

Agents témoins

Aucun

Agents impliqués

AI no 1  A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.

AI no 2  A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées.

Éléments de preuve

Documents obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les documents suivants au SPT, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Rapports des détails de l’événement
  • Incident général

Description de l’incident

Au petit matin, le 10 août 2015, le SPT a reçu un appel au 9-1-1 d’une personne signalant avoir entendu des coups de feu et une femme hurler dans le parc Eglinton Flats de Toronto. Des policiers, dont l’AI no 1 et l’AI no 2, ont été envoyés sur les lieux pour enquêter sur la situation.

Dans le secteur du parc en question, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont entendu une voix d’homme crier. Ils ont repéré le plaignant. À la vue des agents, le plaignant s’est enfui en courant vers une zone boisée. L’AI no 1 et l’AI no 2 ont poursuivi le plaignant, d’abord dans leur véhicule de police, puis à pied. Les policiers ont rattrapé le plaignant, l’ont saisi et l’ont mis à terre. Le plaignant a atterri à plat ventre, les deux agents sur lui.

Après une brève lutte, le plaignant a été menotté. Constatant que le plaignant était en état d’ébriété, les policiers l’ont arrêté pour état d’ivresse dans un lieu public, en contravention de la Loi sur les permis d’alcool (LPA). Le plaignant avait des blessures visibles au visage et à la tête et se plaignait de douleurs à la tête. Les policiers ont appelé une ambulance qui a transporté le plaignant à l’hôpital. Un tomodensitogramme n’a révélé aucun problème médical. Le plaignant a été replacé sous la garde de la police et conduit au poste d’une division du SPT. Le lendemain matin, le plaignant s’est de nouveau plaint de douleurs; on l’a reconduit à l’hôpital où, là encore, aucun problème médical n’a été décelé.

Le 28 juillet 2016, le plaignant a déposé une plainte auprès du BDIEP alléguant que l’AI no 1 et l’AI no 2 l’avaient agressé et qu’il avait subi une commotion cérébrale. Le 9 décembre 2016, l’UES a été avisée et a ouvert une enquête.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 31 (4), Loi sur les permis d’alcool – Ivresse

(4) Nul ne doit être en état d’ivresse :

  1. dans un lieu où le public accède sur invitation ou permission

Article 31 (5), Loi sur les licences d’alcool – Arrestation sans mandat

(5) Un agent de police peut, sans mandat, procéder à l’arrestation de la personne qu’il trouve en contravention au paragraphe (4) si, à son avis, la protection de quiconque exige cette mesure.

Article 267, Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
  2. inflige des lésions corporelles au plaignant

Paragraphe 25 (1), Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 10 août 2015, le SPT a reçu un appel au 9-1-1 au sujet de coups de feu dans le parc Eglinton Flats de Toronto. Plusieurs policiers, dont l’AI no 1 et l’AI no 2, ont été envoyés sur les lieux pour enquêter. Au cours de l’enquête, l’AI no 1 et l’AI no 2 ont trouvé le plaignant et l’ont ensuite arrêté pour état d’ivresse dans un lieu public, en contravention de la LPA. Après son arrestation, le plaignant a été transporté à l’hôpital en ambulance où il a été déclaré sans troubles médicaux. Le 28 juillet 2016, soit près d’un an plus tard, le plaignant a déposé une plainte auprès du BDIEP alléguant que l’AI no 2 et « John Doe » lui avait donné des coups de pied au visage et au dos de la tête, ce qui lui avait fait perdre connaissance. Il a en outre allégué que l’AI no 2 l’avait ensuite tiré pour le relever et l’avait poussé violemment contre le véhicule de police, puis lui avait lui fait un croc-en-jambe, ce qui l’avait fait tomber en arrière et se frapper la tête. Le plaignant aurait alors ressenti une douleur aiguë au dos de la tête et aurait été couvert de sang. Le plaignant a allégué qu’il avait subi une commotion cérébrale, ainsi que des coupures, des égratignures et des ecchymoses à la tête, au visage et aux jambes, et que son arrestation était illégale puisqu’il n’avait pas atteint l’état d’ivresse visé par la LPA. Le 9 décembre 2016, soit 16 mois après l’incident, l’UES a été avisée. L’UES a donc ouvert une enquête.

Les dossiers médicaux ont révélé que le plaignant a été examiné à l’hôpital une première fois à 2 h du matin, le 10 août 2015, et qu’il a alors subi un tomodensitogramme de la tête dont les résultats, de l’avis du personnel médical, ne montraient rien d’anormal. Selon les dossiers de l’hôpital, le plaignant a décrit les faits comme suit au personnel médical :

[traduction]
Pt (Patient) était dans un parc et a été approché par la police. Pt s’est enfui et a été arrêté par la police. Contrusion (sic) à l’occipital droit. Pansement appliqué par les SMU. Saignement arrêté. Visage et devant de la chemise couverts de sang séché. Pt admet avoir consommé environ 20 doses de rhum.

et :

Pt éveillé, alerte, non désorienté. Aux dires du patient, il a été agressé par la police; a subi une blessure à l’occiput; pansement appliqué par SMU. Blessure sur la paupière gauche, pas de perte de connaissance, pas de nausée, vomissement.

Le plaignant a été libéré de l’hôpital à 5 ​​h 06 du matin.

À 10 h 14, le plaignant est retourné à l’hôpital et son dossier paramédical se lit comme suit :

[traduction]
Remarque : le patient a déclaré qu’il avait été blessé à la tête, au visage et à l’épaule droite lorsqu’on l’a arrêté pour état d’ivresse dans un lieu public. Le patient a alors été emmené par la police à [l’hôpital] où il a été évalué et a subi un tomodensitogramme. Après sa libération de l’hôpital, il a été reconduit au poste de police [de la division du SPT]. Avant sa sortie de l’hôpital, le personnel médical lui avait dit de consulter un médecin s’il commençait à avoir un mal de tête. Plus tard dans la matinée, le patient a commencé à avoir un mal de tête alors qu’il se trouvait encore au poste de police et en a avisé les policiers qui ont appelé le 9-1-1 pour qu’on le reconduise à [l’hôpital].

Le plaignant a été enregistré à l’hôpital à cette deuxième occasion à 10 h 14. Le dossier de cette deuxième visite indique ce qui suit :

[traduction]
Était récemment ici. Pt buvait hier soir et a eu quelques blessures. Pt était encore au poste de police et comme il avait mal, ils l’ont amené ici. Pt a eu un tomodensitogramme. Pt a déclaré avoir été blessé lors de son arrestation.

Le plaignant a été libéré une deuxième fois à 1 h 47 du matin avec la note suivante :

[traduction]
Données : réévalué par [TC 1]. Libéré et renvoyé chez lui. Action : ambulatoire, pas de détresse, pas de mal de tête.

Malheureusement, il n’y a aucun témoin civil de l’interaction entre le plaignant et la police, et il n’y a pas non plus d’enregistrements de télévision en circuit fermé.

Dans la déclaration du plaignant aux enquêteurs de l’UES, sa version de la quantité d’alcool qu’il avait consommé la nuit en question diffère considérablement des renseignements qu’il avait fournis le soir de l’incident au personnel de l’hôpital auquel il avait admis avoir consommé 20 doses de rhum.

Le plaignant a aussi expliqué différemment la raison pour laquelle il s’est enfui en courant lorsqu’il a vu le véhicule de police. Dans sa plainte au BDIEP, il a indiqué que les phares de la voiture étaient très brillants et l’avaient aveuglé après qu’il ait fait un geste grossier en direction du véhicule, et qu’il s’était enfui en courant parce qu’il avait eu peur.

Dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, le plaignant a décrit en détail ce qu’un agent lui avait dit au moment où il s’était enfui du véhicule de police. Dans sa plainte au BDIEP, le plaignant n’a fait aucune mention de cette interaction.

Dans sa déclaration au BDIEP, le plaignant a allégué que les deux policiers lui avaient donné des coups de pied au visage et au dos de la tête après qu’il était tombé. Ceci diffère des détails qu’il a donnés dans sa déclaration à l’UES. Dans sa déclaration au BDIEP, le plaignant a également allégué que l’AI l’avait poussé violemment contre la voiture de police, lui avait crié de s’asseoir et lui avait fait un croc-en-jambe, le faisant tomber par terre et qu’en tombant, il s’était cogné la tête, avait ressenti une douleur aiguë au dos de la tête et avait vu plein de sang partout sur lui. Le plaignant n’a pas répété cette allégation dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES.

Si l’on compare les deux déclarations fournies par le plaignant, dans sa déclaration au BDIEP, bien qu’il allègue que les deux policiers lui ont donné des coups de pied au visage et au dos de la tête, il semble qu’il attribue sa blessure à la tête au fait que l’AI no 2 l’ait fait tomber à terre et qu’en tombant il se soit cogné la tête sur le sol et ait alors ressenti une vive douleur et vu du sang. Dans sa déclaration à l’UES, le plaignant a donné une version différente des faits et n’a pas mentionné du tout qu’on l’ait fait tomber à terre, qu’il se soit cogné la tête sur le sol et qu’il ait alors vu du sang sur lui. Ce sont des incohérences graves.

Alors que le plaignant, dans sa déclaration au BDIEP, allègue que les deux policiers lui ont donné des coups de pied au visage et à la tête, dans sa déclaration à l’UES, il a seulement décrit l’AI no 2 lui donnant des coups de pied. Il n’a décrit aucune interaction avec l’AI no 1. Il s’agit, là aussi, d’une incohérence grave.

Dans ses deux déclarations, le plaignant a indiqué que lors de sa première visite à l’hôpital, le médecin qui a examiné les résultats du tomodensitogramme lui a dit qu’il avait une commotion cérébrale, alors que les dossiers médicaux indiquent clairement que ces résultats étaient normaux et qu’aucune commotion cérébrale n’avait été diagnostiquée.

L’AI no 1 a indiqué que lui-même et l’AI no 2 répondaient à un appel concernant des coups de feu entendus dans le secteur du parc Eglinton Flats; la personne qui avait appelé avait signalé avoir entendu neuf coups de feu et une femme crier. L’appel avait été reçu à 0 h 46, et les deux policiers étaient arrivés au parc à 0 h 51. Les deux policiers ont alors examiné les lieux avec leurs lampes de poche, mais n’ayant rien trouvé, ils étaient sur le point de mettre fin à l’alerte lorsqu’ils ont entendu la voix d’un homme crier et ont aperçu le plaignant à environ 75 à 100 mètres d’eux, près d’une toilette publique du parc. Le plaignant, qui portait un sac à dos, s’est enfui en courant. Comme il faisait sombre, les agents ne pouvaient pas voir les mains du plaignant, ni s’il avait fait un geste dans leur direction. À cause de l’appel signalant des coups de feu, les agents ont estimé nécessaire d’enquêter au sujet du plaignant. L’AI no 1 a conduit son véhicule de police sur l’herbe, vers l’endroit où se trouvait le plaignant. Dans sa déclaration à l’UES, l’AI no 2 a dit qu’il n’avait jamais dégainé son arme à feu ni crié au plaignant que s’il ne cessait pas de courir, il tirerait sur lui, et qu’il n’avait pas non plus utilisé le porte-voix du véhicule de police. L’AI no 1 a confirmé qu’il n’avait vu à aucun moment l’AI no 2 sortir son arme à feu.

L’AI no 1 a arrêté son véhicule de police et en est sorti, ainsi que l’AI no 2. Les deux policiers se sont alors lancés en courant à la poursuite du plaignant, s’identifiant comme étant la police et lui criant de cesser de courir. Au lieu d’obtempérer, le plaignant a continué de courir et est entré dans une zone boisée. L’AI no 2 a continué de poursuivre le plaignant, tandis que l’AI no 1 a emprunté un autre chemin dans l’espoir de lui couper la route. Aucun des deux agents n’a dégainé son arme à feu à quelque moment que ce soit. Comme la végétation était dense dans la zone boisée et qu’il n’y avait même pas de sentier piétonnier, le plaignant a commencé à ralentir pour éviter les branches basses. L’AI no 2 s’est approché de lui et est parvenu à le saisir par l’épaule. L’AI no 2 a alors placé son pied droit devant le pied gauche du plaignant et a effectué un balayage avec sa jambe pour tenter de mettre le plaignant à terre, tandis qu’au même moment, l’AI no 1, qui arrivait en courant à toute vitesse de l’autre direction, a saisi le plaignant par la taille et le dos. Le plaignant est alors tombé à terre, atterrissant sur le dos et possiblement en heurtant sa tête sur le sol. Les deux agents de police ont atterri sur lui. L’AI no 1 et l’AI no 2 ont essayé de saisir les mains du plaignant pour le menotter, mais il résistait, gardant ses mains sous son corps.

Comme les agents de police enquêtaient encore sur le signalement de coups de feu, l’AI no 1 a retiré le sac à dos du plaignant, ce qui l’a forcé à retirer temporairement ses bras de sous son corps, mais il a ensuite immédiatement remis ses mains sous son corps. Les deux agents de police ont déclaré que le plaignant n’avait jamais perdu connaissance, puisqu’il n’avait pas cessé de se débattre. Chacun des deux agents a déclaré n’avoir donné aucun coup de pied ou de poing au plaignant et ne pas avoir vu non plus son collègue le faire. Initialement, le plaignant a été placé en garde à vue, en raison de l’appel pour coups de feu non élucidé. Les agents l’ont relevé et l’ont fouillé, mais n’ont trouvé aucune arme à feu sur lui. Le plaignant avait de petites entailles et de la terre sur le front ainsi que des brindilles d’arbres et des petits cailloux collés sur son visage. Les agents ont ensuite escorté le plaignant jusqu’à la voiture de police, où ils ont fouillé son sac à dos. Ils n’y ont trouvé aucune arme à feu.

L’AI no 1 est alors retourné explorer les environs à la recherche d’éléments de preuve liés au signalement de coups de feu. L’AI no 2 est resté avec le plaignant et a remarqué que son haleine dégageait une odeur d’alcool, qu’il cherchait ses mots pour parler et qu’il avait du mal à garder son équilibre. L’AI no 2 a alors placé le plaignant en état d’arrestation pour état d’ivresse dans un lieu public, en contravention de la LPA. Le plaignant se plaignant alors d’un mal de tête, une ambulance a été demandée. Par la suite, le plaignant a reçu deux avis d’infraction provinciale, l’un pour état d’ivresse dans un lieu public et l’autre pour présence dans le parc en dehors des heures autorisées.

Dans des cas comme celui-ci où il n’y a pas de témoins indépendants, pour trouver des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, il faut se fier à la crédibilité du plaignant et à la fiabilité de ses déclarations. Même si, normalement, on considèrerait la blessure physique du plaignant comme confirmant sa déclaration si elle corroborait sa version des événements, comme on le ferait avec la version donnée par les deux policiers, je ne peux attribuer aucun poids particulier à cette preuve, surtout à la lumière de l’absence de diagnostics définitifs quant à savoir si le plaignant a en fait subi une commotion cérébrale ou non. Dans cette affaire, malheureusement, la crédibilité du plaignant a été si gravement compromise par les incohérences flagrantes entre sa déclaration au BDIEP et sa déclaration subséquente aux enquêteurs de l’UES, que je suis incapable de me fier à sa version des événements. Étant donné que j’ai déjà souligné ci-dessus les principales incohérences dans ces déclarations, je ne les répéterai pas ici, sauf pour dire qu’elles touchent l’essentiel des allégations et que chaque déclaration compromet gravement la véracité de l’autre, ainsi que la crédibilité et la fiabilité du plaignant.

Il est incontestable qu’une personne se rappelle généralement mieux ce qui s’est passé juste après un incident que seize mois plus tard. Lorsque, dans les heures après que le plaignant avait consommé de l’alcool, le personnel de l’hôpital l’a interrogé à ce sujet, le plaignant a indiqué qu’il avait bu 20 doses de rhum. À mon avis, le fait que dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES, le plaignant a diminué de deux tiers son estimation de cette consommation constitue bien plus qu’une légère incohérence. Je conclus que les observations des témoins civils ainsi que de l’AI no 1 et de l’AI no 2 quant au niveau d’intoxication du plaignant correspondent beaucoup mieux à sa déclaration initiale de 20 doses qu’à l’estimation qu’il a donnée seize mois plus tard. Par conséquent, je n’ai aucune difficulté à conclure que la crédibilité et la fiabilité du plaignant sont nettement diminuées par son niveau d’intoxication et par les incohérences graves dans ses déclarations faites à l’hôpital, puis dans sa plainte au BDIEP, et enfin dans sa déclaration aux enquêteurs de l’UES.

En l’absence de preuves concrètes ou indépendantes pour étayer les allégations du plaignant, il ne me reste plus que les déclarations du plaignant lui-même. En l’espèce, il n’y a aucune preuve à l’appui des affirmations suivantes du plaignant : qu’un agent aurait menacé de le tuer, ce qui est incompatible avec la propre déclaration du plaignant au BDIEP; qu’il aurait reçu des coups de pied au visage et à la tête infligés par les deux policiers, comme il l’a déclaré au BDIEP, mais seulement par l’AI no 2, selon ce qu’il a déclaré à l’UES; que l’AI no 2 l’aurait ensuite poussé violemment contre le véhicule de police, puis l’aurait fait tomber à terre, lui causant une blessure à la tête et un saignement important, selon ce qu’il a allégué dans sa plainte au BDIEP, mais a complètement omis dans sa déclaration subséquente à l’UES. Du fait des nombreuses et sérieuses incohérences – notamment celles mentionnées ci-dessus – entre ses diverses déclarations, la crédibilité et la fiabilité du plaignant sont très faibles, voire nulles, et je ne peux donc pas m’y fier pour conclure à des motifs raisonnables de croire que l’AI no 1 ou l’AI no 2 ont commis une infraction.

Au vu du dossier devant moi, je conclus donc que les éléments de preuve ne fournissent pas suffisamment de motifs raisonnables de croire qu’une infraction de voies de fait avec infliction de lésions corporelles a été commise. Je ne suis pas en mesure de déterminer précisément comment le plaignant a subi sa blessure, ou même s’il a subi une commotion, du fait des nombreuses contradictions et incohérences dans ses déclarations. Ayant rejeté le témoignage du plaignant, je suis incapable, sur la preuve restante, de trouver des motifs raisonnables de croire que l’AI no 1 ou l’AI no 2, ou les deux, aient exercé un recours excessif à la force dans leurs tentatives d’appréhender le plaignant, qui était en état d’ivresse, tentait de fuir et, compte tenu de l’appel au 9-1-1, était possiblement en possession d’une arme à feu.

Même si je concluais que ce sont les agents du SPT qui ont causé la blessure du plaignant lorsqu’ils l’ont mis à terre et sont tombés sur lui et que la tête du plaignant a heurté le sol accidenté, j’estime qu’en vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents impliqués n’ont pas utilisé plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire dans l’exécution de leurs fonctions licites en appréhendant le plaignant. Bien que j’estime que la force avec laquelle le plaignant a heurté le sol peut avoir été plus importante que ce que les agents de police ont pu percevoir du fait de la poussée supplémentaire qu’ils ont exercée en tombant sur lui, causant ainsi possiblement sa blessure, la jurisprudence est claire : on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention (R. c. Baxter [1975], 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. Ont.) et on ne devrait pas leur appliquer la norme de la perfection (R. c. Nasogaluk [2010] 1 RCS 206). Par conséquent, je suis convaincu, pour des motifs raisonnables, que les policiers ont agi dans les limites prescrites par le droit pénal et qu’il n’y a lieu de croire qu’ils ont commis une infraction criminelle. Aucun chef d’accusation ne sera donc porté contre eux.

Date : 5 octobre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.