Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 16-OVI-326

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies le 31 décembre 2016 par deux hommes, âgés respectivement de 26 ans et de 61 ans, lors d’une collision de véhicules.

L’enquête

Notification de l’UES

L’UES a été informée de l’incident le 31 décembre 2016, à 4 h 16 du matin, par la Police régionale de Peel (PRP).

La PRP a signalé qu’après une brève poursuite, des véhicules sont entrés en collision à 1 h 56 du matin cette nuit-là. L’agent impliqué (AI) avait allumé la sirène et les feux d’urgence de son véhicule de police pour ordonner à un véhicule de s’immobiliser (pour un motif inconnu à ce moment-là) sur Kennedy Road, au sud de la rue Queen. Au lieu de s’immobiliser, le véhicule s’est enfui vers le nord. L’AI a décidé d’interrompre la poursuite et a immobilisé son véhicule de police. Environ deux minutes plus tard, le véhicule en fuite est entré en collision avec un véhicule civil, à l’intersection de Rutherford Road et de Vodden Road, à Brampton.

Le conducteur du véhicule en fuite, le plaignant no 1, a été emmené à l’hôpital; il a subi des saignements internes à l’estomac et une lésion cérébrale. Son passager, le témoin civil (TC) no 3, a été conduit à un autre hôpital avec des blessures au visage et à la poitrine, mais les médecins n’ont pas parlé à la police.

Le conducteur et le passager du véhicule heurté par le véhicule du plaignant no 1 sont le plaignant no 2 et le TC no 1. Ces deux hommes ont été menés au même hôpital que le TC no 3, mais dans ce cas aussi, les médecins n’ont pas consenti à parler de leurs blessures avec la police.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 7

Nombre de spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux et ont identifié des éléments de preuve qu’ils ont préservés. Ils ont documenté les lieux pertinents associés à l’incident par des notes, des photographies, des croquis et des mesures.

Plaignant no 1

Homme de 26 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux reçus et examinés

Plaignant no 1

Homme de 61 ans; a participé à une entrevue[1]

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 7 A participé à une entrevue

TC no 8 A participé à une entrevue

TC no 9 A participé à une entrevue

TC no 10 A participé à une entrevue

TC no 11 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue

AT no 2 A participé à une entrevue

AT no 3 N’a participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 N’a participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Éléments de preuve

Les lieux

Photo

Comme on peut le voir sur la photo ci-dessus, la collision s’est produite à l’intersection des rues Rutherford Nord et Vodden Est, à Brampton. Cette intersection est semi-contrôlée (les feux de circulation restent au vert pour la rue Vodden Est jusqu’à ce qu’un véhicule ou un piéton soit détecté sur Rutherford Nord[2]).

Rutherford Road North est une rue à chaussée asphaltée à deux voies, en direction nord-ouest/sud-est, où la limite de vitesse affichée est de 50 km/h, sauf à l’approche des zones scolaires où elle est de 40 km/h.

La rue Vodden est rue à une chaussée asphaltée à deux voies, en direction nord-est/sud-ouest, où la limite de vitesse affichée est de 50 km/h, sauf à l’approche des zones scolaires où elle est de 40 km/h.

Les deux véhicules impliqués (une Nissan et une fourgonnette Chevrolet) se sont immobilisés au coin nord-est de l’intersection. Un examen de ces véhicules a révélé des dommages importants à l’avant de la Nissan ainsi que des dommages sur la portière du conducteur de la fourgonnette Chevrolet.

La distance calculée entre l’intersection des rues Kennedy Sud et Orenda (l’endroit où l’AI a remarqué la Nissan) et l’intersection des rues Rutherford Nord et Vodden Est est d’environ 2,4 km.

Schéma des lieux

Scene diagram

Éléments de preuve sous forme de vidéo

L’UES a fait le tour du secteur à la recherche de preuves, sous forme d’enregistrements vidéo, audio ou photographiques, et a obtenu des enregistrements de la caméra de surveillance d’un commerce situé à l’intersection des rues Kennedy Sud et Orenda, ainsi que les enregistrements de caméras de surveillance de divers arrêts d’autobus de Brampton Transit ZUM.

Enregistrement de vidéosurveillance du commerce

Les enregistrements de la caméra de surveillance du commerce situé à l’intersection des rues Kennedy Sud et Orenda montrent ce qui suit :

  • Entre 1 h 56 min 42 s et 1 h 56 min 51 s du matin, le véhicule de police de l’AI – ses feux d’urgence allumés – se dirige vers le nord sur Kennedy Sud, en direction de l’intersection des rues Kennedy Sud et Queen Est

Enregistrements des communications

Enregistrements des communications et rapport du système de répartition assisté par ordinateur (RAO)

L’UES a examiné les enregistrements des communications et le rapport du RAO de la PRP.

Les enregistrements des communications décrivent ce qui suit :

  • À 1 h 55 min 54 s, l’AI informe le centre de répartition qu’une Nissan a refusé d’obtempérer à son ordre de s’immobiliser et a brûlé un feu rouge à l’intersection des rues Rutherford Sud et Queen Est. L’AI n’a pas lancé de poursuite
  • À 1 h 56 min 33 s, l’AT no 4 avise le répartiteur qu’il est avec l’AI dans un stationnement au coin sud-est de l’intersection des rues Queen Est et Kennedy Sud
  • À 1 h 57 min 42 s, un autre agent de police avise le répartiteur qu’elle est avec l’AI dans un stationnement au coin sud-est de l’intersection des rues Queen Est et Kennedy Sud
  • À 1 h 57 min 43 s, l’AI 1 informe le répartiteur qu’il est arrivé au site d’une collision de véhicules, à l’intersection des rues Kennedy Nord et Vodden Est. Il indique au répartiteur qu’il pense que la Nissan qui a refusé de s’immobiliser plus tôt est un des véhicules impliqués dans la collision; et
  • À 1 h 57 min 44 s, le TC no 5 appelle le 9-1-1 pour signaler un accident devant chez lui

Les données du système de RAO obtenues auprès du PRP étaient cohérentes avec les enregistrements des communications audio.

Données de positionnement global (GPS) du véhicule

L’UES a examiné les données GPS du véhicule de police de l’AI. Ces données indiquent ce qui suit :

  • À 1 h 55 min 57 s, le véhicule de police de l’AI se dirige vers le nord sur Kennedy Sud, en direction de la rue Queen Est. D’après les données GPS, il roule entre 41 km/h et 65 km/h
  • À 1 h 56 min 37 s, le véhicule de police de l’AI est immobilisé dans le stationnement d’un centre commercial au coin sud-est de l’intersection des rues Kennedy Sud et Queen Est
  • À 1 h 58 min 44 s, le véhicule de police de l’AI se dirige vers le nord et franchit l’intersection des rues Kennedy Sud et Queen Est
  • À 1 h 59 min 54 s, le véhicule de police de l’AI roule à 80 km/h vers le lieu de la collision; et
  • À 2 h 10 min 1 s, le véhicule de police de l’AI est immobilisé sur le lieu de la collision

Documents obtenus auprès du Service de police

L’UES a demandé les documents suivants à la PRP, qu’elle a obtenus et examinés :

  • Enregistrements des communications
  • Données GPS du véhicule de l’AI
  • Rapport de communications audio - Appels au 9-1-1
  • Rapport de copie audio – Appels de soutien de l’assistance à la répartition
  • Rapport de copie audio – Transmissions radio
  • Chronologie des événements
  • Messages du système de traitement des messages
  • Notes des agents témoins AT no 1, AT no 2, AT no 3 et AT no 4
  • Rapport d’incident; et
  • Procédure - Poursuites en vue de l’appréhension d’un suspect

Description de l’incident

Juste avant 2 h du matin, le 31 décembre 2016, l’AI a observé une Nissan qui le dépassait à grande vitesse. Il a allumé les feux d’urgence du toit de son véhicule de police et a accéléré afin d’ordonner à la Nissan de s’immobiliser. Peu après, l’AI a estimé que la vitesse de la Nissan avait atteint 100 km/h à l’approche de l’intersection des rues Kennedy Sud et Queen Est. Du fait de cette vitesse élevée et de la manière dangereuse dont la Nissan était conduite, l’AI a éteint les feux d’urgence de son véhicule et renoncé à son intention d’intercepter la Nissan. La Nissan s’est alors engagée dans l’intersection alors que le feu était rouge et l’a franchie sans s’arrêter.

Le plaignant no 2 était au volant d’une fourgonnette Chevrolet et roulait en direction nord sur Rutherford Nord. Lorsque le véhicule du plaignant no 2 s’est engagé dans l’intersection de la rue Vodden Est où le feu était au vert dans sa direction, il a été heurté de plein fouet par la Nissan.

Le plaignant no 1 a été transporté à l’hôpital pour une vertèbre fissurée et des saignements internes à la tête et à l’estomac. Le plaignant no 2 a également été transporté à l’hôpital; il a subi des fractures aux côtes et des ecchymoses au cœur.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 249 (1), Code criminel - Conduite dangereuse de véhicules à moteur, bateaux et aéronefs

249(1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

  1. un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu...

Paragraphe 253 (1), Code criminel - Capacité de conduite affaiblie

253 (1) Commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur, un bateau, un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou aide à conduire un aéronef ou du matériel ferroviaire, ou a la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur, d’un bateau, d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, que ceux-ci soient en mouvement ou non, dans les cas suivants :

  1. lorsque sa capacité de conduire ce véhicule, ce bateau, cet aéronef ou ce matériel ferroviaire est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue;
  2. lorsqu’il a consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépasse quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang.

Articles 1-3, Règlement de l’Ontario 266/10, Loi sur les services policiers de l’Ontario – Poursuites visant l’appréhension de suspects

1. (1) Pour l’application du présent règlement, une poursuite visant l’appréhension de suspects a lieu lorsqu’un agent de police tente d’ordonner au conducteur d’un véhicule automobile de s’immobiliser, que le conducteur refuse d’obtempérer et que l’agent poursuit, en véhicule automobile, le véhicule en fuite afin de l’immobiliser ou de l’identifier ou d’identifier un particulier à bord du véhicule.

(2) La poursuite visant l’appréhension de suspects est interrompue lorsque les agents de police ne poursuivent plus un véhicule automobile en fuite afin de l’immobiliser ou de l’identifier ou d’identifier un particulier à bord du véhicule.

2. (1) Un agent de police peut poursuivre ou continuer de poursuivre un véhicule automobile en fuite qui ne s’immobilise pas :

  1. soit s’il a des motifs de croire qu’une infraction criminelle a été commise ou est sur le point de l’être;
  2. soit afin d’identifier le véhicule ou un particulier à bord du véhicule.

(2) Avant d’amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects, un agent de police s’assure qu’il ne peut recourir à aucune des solutions de rechange prévues dans la procédure écrite, selon le cas :

  1. du corps de police de l’agent, établie en application du paragraphe 6 (1), si l’agent est membre d’un corps de police de l’Ontario au sens de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux;
  2. d’un corps de police dont le commandant local a été avisé de la nomination de l’agent en vertu du paragraphe 6 (1) de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux, si l’agent a été nommé en vertu de la partie II de cette loi;
  3. du corps de police local du commandant local qui a nommé l’agent en vertu du paragraphe 15 (1) de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux, si l’agent a été nommé en vertu de la partie III de cette loi.

(3) Avant d’amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects, l’agent de police décide si, afin de protéger la sécurité publique, le besoin immédiat d’appréhender un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou le besoin d’identifier le véhicule ou le particulier l’emporte sur le risque que peut présenter la poursuite pour la sécurité publique.

(4) Pendant une poursuite visant l’appréhension de suspects, l’agent de police réévalue continuellement la décision prise aux termes du paragraphe (3) et interrompt la poursuite lorsque le risque que celle-ci peut présenter pour la sécurité publique l’emporte sur le risque pour la sécurité publique que peut présenter le fait de ne pas appréhender immédiatement un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou de ne pas identifier le véhicule ou le particulier.

(5) Nul agent de police ne doit amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects pour une infraction non criminelle si l’identité d’un particulier à bord du véhicule automobile en fuite est connue.

(6) L’agent de police qui entreprend une poursuite visant l’appréhension de suspects pour une infraction non criminelle interrompt la poursuite une fois que le véhicule automobile en fuite ou le particulier à bord du véhicule est identifié.

3. (1) Un agent de police avise un répartiteur lorsqu’il amorce une poursuite visant l’appréhension de suspects.

(2) Le répartiteur avise un surveillant des communications ou un surveillant de la circulation, s’il y en a un de disponible, qu’une poursuite visant l’appréhension de suspects a été amorcée.

Analyse et décision du Directeur

Le 31 décembre 2016, vers 1 h 56 du matin, l’AI a observé un véhicule automobile – une Nissan noire conduite par le plaignant no 1 – le dépasser dans la voie la plus à droite de Kennedy Sud, à l’intersection d’Orenda, dans la ville de Brampton. L’AI a remarqué que la Nissan roulait à une vitesse excessive, qu’il estimait d’environ 70 km/h, à un endroit où la vitesse est limitée à 50 km/h. Lorsque la Nissan s’est engagée dans l’intersection, l’AI a observé qu’elle avait dû freiner brusquement afin d’éviter une collision avec un autre véhicule, émettant un bruit strident, puis dérapant. Approchant lui-même de cette intersection, l’AI a activé les lumières d’urgence sur le toit de son véhicule de police.

Les données GPS du véhicule de l’AI ont confirmé qu’à 1 h 55 min 57 s, il roulait en direction nord sur Kennedy Road South, à une vitesse de 41 à 65 km/h. Les séquences de vidéosurveillance d’un commerce situé à proximité ont confirmé que l’AI avait allumé les feux d’urgence du toit de son véhicule pendant neuf secondes, alors qu’il se dirigeait vers le nord sur Kennedy Road South et approchait de l’intersection de la rue Queen Est (selon Google Maps, l’intersection des rues Kennedy Sud et Queen Est se trouve à 530 mètres au nord de l’intersection des rues Kennedy Sud et Orenda).

L’AI a vu la Nissan franchir l’intersection d’Orenda, puis passer dans la voie de dépassement de Kennedy Sud. Il a alors remarqué que les phares de la Nissan n’étaient pas allumés. L’AI a alors accéléré, afin d’ordonner à la Nissan de s’immobiliser, et a estimé avoir atteint environ 90 km/h, alors que la Nissan semblait atteindre 100 km/h à l’approche de l’intersection des rues Kennedy Sud et Queen Est. Du fait de la façon dangereuse dont la Nissan était conduite, l’AI a désactivé ses feux d’urgence et renoncé à l’arrêter. L’AI a ensuite vu la Nissan s’engager dans l’intersection alors que le feu était au rouge et la franchir sans s’arrêter.

L’enregistrement des communications confirme que l’AI a appelé à 1 h 56 min 36 s et a signalé qu’une Nissan venait juste de s’enfuir en direction nord sur Kennedy, à la hauteur de Queen, et qu’il avait décidé de ne pas la poursuivre. Il a ajouté que la Nissan avait franchi l’intersection au feu rouge. Sur l’enregistrement, l’AI parle d’une voix calme; il n’y a pas de bruit de fond et il est évident que la sirène de son véhicule n’est pas activée.

L’AI s’est alors rendu dans le stationnement d’un centre commercial, au coin sud-est de l’intersection des rues Queen Est et Kennedy Sud, où il a été rejoint quelques instants plus tard par un autre agent et l’AT no 4. Les données GPS ont confirmé qu’à 1 h 56 min 37 s, le véhicule de l’AI était immobilisé dans le stationnement d’un centre commercial à cet endroit.

Le plaignant no 2 était au volant d’une fourgonnette Chevrolet dont le TC no 1 était passager. Il se dirigeait vers le nord, sur Rutherford Nord, et franchissait l’intersection de Vodden Est au feu vert lorsqu’il a vu la Nissan arriver sur sa gauche à une vitesse qu’il a estimée à 200 km/h. Le plaignant no 2 a vu la Nissan arriver dans l’intersection au feu rouge et frapper sa fourgonnette de plein fouet, la faisant vriller sur elle-même. Le plaignant no 2 a perdu connaissance. Le plaignant no 2 a ensuite été conduit à l’hôpital, où il a été constaté qu’il avait subi des fractures aux côtes et des ecchymoses au cœur. Le TC no 1 avait une coupure à la jambe.

Tous les témoins civils interrogés ont dit qu’il n’y avait aucun véhicule de police en vue au moment de la collision et que le premier véhicule arrivé sur les lieux, quelques instants après la collision, était celui de l’AT no 1 et de l’AT no 2.

Vers 1 h 58, l’AT no 1 et l’AT no 2 se dirigeaient vers le sud, sur Rutherford Nord, dans un véhicule de police banalisé lorsqu’ils sont arrivés à la hauteur d’une collision entre une Nissan et une fourgonnette Chevrolet, à l’intersection des rues Vodden Est et Rutherford Nord. L’AT no 2 a déclaré que son véhicule de police était le premier véhicule de police sur les lieux et que le véhicule d’urgence suivant était une ambulance.

À 1 h 58 min 45 s, l’enregistrement des communications a confirmé que l’AT no 1 a appelé pour signaler un accident de la route avec deux blessés, à l’intersection des rues Vodden Est et Rutherford Nord. L’appel radio indique ensuite que quatre personnes nécessitent des soins médicaux, et que deux d’entre elles sont sans connaissance. Il est précisé que les véhicules impliqués sont une Nissan et une fourgonnette.

À 1 h 58 min 44 s, les données du GPS du véhicule de l’AI indiquent que celui-ci a redémarré et roule vers le nord; il franchit l’intersection des rues Kennedy Sud et Queen Est et continue vers le lieu de la collision à une vitesse de 80 km/h. à 2 h 10 min 1 s du matin, le véhicule de l’AI est immobilisé sur le lieu de la collision.

Il n’est pas contesté que le conducteur de la Nissan (le plaignant no 1) et son passager (le TC no 3) étaient en état d’ébriété lors de la collision et dans les moments qui ont précédé[3]. Suite à la collision, le plaignant no 1 a subi une vertèbre fissurée et une hémorragie interne à la tête et à l’estomac.

Il ressort clairement de l’ensemble de la preuve qu’au moment où l’AI a remarqué la Nissan pour la première fois, elle roulait à une vitesse excessive et avait évité de justesse une collision à l’intersection des rues Kennedy Sud et Orenda. De ce fait, l’AI était légalement autorisé à arrêter la Nissan en vertu du Code de la route et à enquêter afin de déterminer si le conducteur avait ou non ses facultés affaiblies et commis une infraction au Code criminel.

Je note que le témoignage de l’AI – corroboré par les quatre témoins civils qui se trouvaient sur les lieux de la collision au moment où elle s’est produite, ou peu après, ainsi que par les enregistrements des communications, les témoignages de l’AT no 1, de l’AT no 2 et de l’AT no 4, les séquences de vidéosurveillance et les données GPS du véhicule de l’AI – confirme clairement que l’AI ne procédait pas à une poursuite automobile au moment de la collision dans laquelle le plaignant no 2, le TC no 1 et le plaignant no 1 ont été blessés, et qu’il n’effectuait pas non plus une poursuite juste avant la collision, ayant abandonné ses efforts en vue d’appréhender la Nissan peu de temps après avoir activé la signalisation d’urgence de sa voiture de police et tenté d’immobiliser la Nissan. Sur l’ensemble de la preuve, il est clair que même si l’AI a initialement tenté d’immobiliser Nissan – ce qu’il était légalement autorisé à faire – il n’a, à aucun moment, poursuivi la Nissan après que celle-ci a franchi l’intersection au feu rouge. Au contraire, l’AI a éteint la signalisation d’urgence de son véhicule et a laissé le plaignant no 1 poursuivre sa route et l’a perdu de vue. Il ressort clairement de l’enregistrement de vidéosurveillance que, quelques secondes après avoir allumé la signalisation d’urgence de son véhicule de police, l’AI l’a éteinte et a laissé le plaignant 1 s’éloigner. La poursuite – entre le moment où l’AI a tenté d’intercepter la Nissan et celui où il a éteint la signalisation d’urgence de son véhicule de police et s’est arrêté dans le stationnement du centre commercial – s’est déroulée sur 550 mètres au plus et, selon les images de vidéosurveillance, a duré à peine neuf secondes. Après le moment où l’AI a éteint la signalisation d’urgence de son véhicule, la Nissan a parcouru environ 1,1 km de plus avant d’entrer en collision avec la fourgonnette. Je ne peux donc conclure à aucun lien de causalité entre la conduite de l’AI et les blessures subies par les trois personnes impliquées dans la collision : ces blessures résultent uniquement de la conduite imprudente du plaignant no 1.

Il convient de noter que l’AI a parfaitement respecté le Règlement de l’Ontario 266/10, « Poursuite visant l’appréhension de suspects », en vertu de la Loi sur les services policiers, puisque, quelques secondes après avoir tenté d’arrêter la Nissan, il a abandonné ses efforts, appelé le répartiteur, désactivé la signalisation d’urgence de son véhicule, et laissé la Nissan poursuivre sa route sans interférer. On peut donc présumer que l’AI s’est posé la question de savoir si, pour protéger la sécurité publique, le besoin immédiat d’appréhender un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou le besoin d’identifier le véhicule ou le particulier l’emportait sur le risque que pouvait présenter la poursuite pour la sécurité publique (par. 2 (3) du Règlement), et a conclu par la négative.

La dernière question à trancher est de savoir s’il existe des motifs raisonnables de croire que l’AI, par sa tentative d’appréhender le conducteur de la Nissan, a commis une infraction criminelle et, plus précisément, si sa conduite est devenue dangereuse et donc a contrevenu au paragraphe 24 (1) du Code criminel.

Conformément au jugement de la Cour suprême du Canada R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, « la culpabilité exigerait d’avoir conduit d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu et que la conduite en cause constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé. »

Après avoir examiné tous les éléments de preuve, je conclus qu’il n’y a aucune preuve que la conduite de l’AI a constitué un danger pour les autres usagers de la route ni qu’à un moment quelconque, elle a interféré avec la circulation. L’AI a utilisé prudemment la signalisation d’urgence de son véhicule, en l’allumant au départ pour tenter d’intercepter la Nissan, puis en l’éteignant immédiatement lorsqu’il est devenu évident que le plaignant no 1 n’allait pas s’arrêter. Les conditions environnementales étaient bonnes et la chaussée était sèche. De plus, la preuve établit que l’AI n’a rien fait qui aurait pu exacerber la conduite dangereuse de l’homme au volant de la Nissan. Selon le témoignage de l’AI, lorsqu’il a aperçu la Nissan pour la première fois, elle roulait déjà à une vitesse excessive et a évité de peu une collision à l’intersection des rues Kennedy Sud et Orenda, avant même que l’AI ne tente de l’intercepter. Par la suite, il est clair que le plaignant no 1 a continué de conduire à une vitesse excessive et de façon dangereuse et qu’il a brulé le feu rouge à l’intersection des rues Vodden Est et Rutherford Nord, bien après que l’AI ait éteint la signalisation d’urgence de son véhicule et renoncé à toute tentative de l’arrêter. Selon le témoignage du témoin civil, le plaignant a non seulement accéléré lorsqu’il est entré dans l’intersection de Vodden Est, mais, si l’estimation du témoin quant à la vitesse de la Nissan est exacte, il avait considérablement accéléré après la tentative de l’AI de l’arrêter, et il avait poursuivi sa route à une vitesse encore plus dangereuse. Selon cette preuve, il est clair que le plaignant no 1 avait décidé de lui-même de conduire de façon insouciante et dangereuse, et qu’il a continué de le faire lorsque l’agent a tenté de l’intercepter et par la suite, lorsque l’agent a renoncé à l’intercepter afin de préserver la sécurité publique et qu’il a perdu la Nissan de vue.

Au vu du dossier, je conclus que la conduite de l’AI n’atteint pas le niveau requis pour constituer « un écart marqué par rapport à la norme » et que, comme indiqué précédemment, il n’y a aucune preuve à l’appui d’un possible lien de cause à effet entre les actes de l’AI et la collision causée par la Nissan. En fait, en examinant la preuve dans son ensemble, il est clair que non seulement l’AI a réagi à la situation en respectant pleinement le Code criminel, le Code de la route et la Loi sur les services policiers, mais qu’il a agi de façon professionnelle et prudente et a fait preuve de bon sens. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a absolument aucun motif de déposer des accusations criminelles dans cette affaire.

Date : 23 novembre 2017

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Le plaignant no 2 n’a pas consenti à la divulgation de ses dossiers médicaux. [Retour au texte]
  • 2) [2] Renseignements communiqués par le service des travaux publics et de l’ingénierie de la ville de Brampton. [Retour au texte]
  • 3) [3] À eux deux, le plaignant no 1 et le TC no 3 avaient consommé deux pichets de bière et plusieurs verres d’alcool avant de prendre la route et ni l’un ni l’autre ne se souvenaient de ce qui s’était passé avant la collision. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.