Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OCI-022

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport a trait à l’enquête de l’UES sur la blessure grave subie par un homme âgé de 19 ans le 20 janvier 2017, lors de son appréhension en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 24 janvier 2017, à 22 h 15, le Service de police de St. Thomas (SPST) a informé l’UES que le plaignant avait subi une blessure grave lors d’une interaction avec les membres du SPST le vendredi 20 janvier 2017.

Le SPST a déclaré que, le jeudi 19 janvier 2017, le plaignant s’est disputé avec la TC et a menacé de se suicider. Il a ensuite quitté leur résidence et c’est à ce moment‐là que la TC a contacté la police. La police a fouillé les environs à la recherche du plaignant, mais ne l’a pas trouvé. Le vendredi 20 janvier 2017, vers 2 h du matin, le plaignant est retourné à sa résidence et la TC a de nouveau communiqué avec la police. La police s’est rendue à la résidence et a décidé d’appréhender le plaignant en vertu de la LSM. Le plaignant est devenu combattif et agressif avec les agents. Apparemment, il aurait reçu des coups de poing au côté droit de la tête pendant que les agents le maîtrisaient. La TC a été témoin de l’appréhension du plaignant.

Le plaignant a été transporté à l’hôpital et a été interné sur présentation d’une demande d’évaluation psychiatrique au moyen de la formule prescrite[1]. On lui a donné son congé le vendredi à midi et il s’est présenté à l’hôpital pour une possible commotion. On lui a ultérieurement diagnostiqué un os fracturé dans l’oreille droite.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs judiciaires de l’UES se sont rendus sur les lieux de l’incident et ont repéré et préservé les éléments de preuve. Ils ont documenté les lieux pertinents de l’incident au moyen de notes, de photographies, de croquis et de mesures.

Plaignant

Homme âgé de 19 ans; a participé à une entrevue; dossiers médicaux obtenus et examinés

Remarque : Un plaignant est une personne qui, à la suite d’une interaction avec la police, a subi une blessure grave, est décédée ou allègue avoir été victime d’une agression sexuelle.

Témoins civils (TC)

TC A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT n° 1 A participé à une entrevue

AT n° 2 A participé à une entrevue

AT n° 3 A participé à une entrevue

Remarque : Un agent témoin est un agent de police qui, de l’avis du directeur de l’UES, est en cause dans l’incident qui fait l’objet d’une enquête, mais qui n’est pas un agent impliqué.

En vertu du Règlement de l’Ontario 267/10, pris en vertu de la Loi sur les services policiers, les agents témoins sont tenus de rencontrer l’UES et de répondre à ses questions après avoir reçu une demande d’entrevue de celle‐ci. L’UES a aussi le droit d’obtenir une copie de leurs notes auprès du service de police dont ils sont membres.

Agents impliqués (AI)

AI A participé à une entrevue et ses notes et sa déposition rédigée ont été reçues et examinées[2].

Remarque : Un agent impliqué est un agent de police dont la conduite semble, de l’avis du directeur de l’UES, avoir causé le décès ou les blessures graves qui font l’objet d’une enquête.

En vertu du Règlement de l’Ontario 267/10, pris en vertu de la Loi sur les services policiers, les agents impliqués sont invités à participer à une entrevue avec l’UES, mais n’y sont pas légalement obligés, et ils ne sont pas tenus non plus de présenter une copie de leurs notes à l’UES.

Description de l’incident

Le soir du 19 janvier 2017, la TC a appelé le service 9‐1‐1 pour signaler que le plaignant avait quitté la résidence familiale alors qu’il entretenait des idées suicidaires. Il a été divulgué que le plaignant avait déjà exprimé des pensées suicidaires par le passé et qu’il souffrait d’une maladie mentale. Des agents du SPST, dont l’AI, ont passé plusieurs heures à fouiller les alentours à la recherche du plaignant, mais sans succès.

Vers 2 h du matin, le lendemain, le plaignant est retourné à sa résidence et la TC a communiqué avec l’AI pour l’informer de ce fait. L’AI et l’AT no 1, et ultérieurement l’AT no 2, se sont rendus à la résidence et ont tenté de convaincre le plaignant d’aller à l’hôpital se faire évaluer de façon volontaire. Le plaignant a refusé et les agents ont décidé d’appréhender le plaignant en vertu de la LSM car il continuait de présenter un danger pour lui‐même. Le plaignant était agité et il résistait activement et de façon vocale aux tentatives des agents de le placer sous garde afin de l’emmener à l’hôpital. Durant la lutte, le plaignant et l’AT no 1 sont tous deux tombés sur le lit du plaignant (le plaignant tombant sur l’AT no 1) et le plaignant a commencé à tendre la main vers la ceinture de service de l’AT no 1 sur laquelle étaient disposées les options de recours à la force de l’agent. Voyant cela, l’AI a administré deux coups de distraction sur le côté droit de la tête du plaignant. Le plaignant a ensuite été menotté et transporté à l’hôpital.

Le plaignant a été détenu dans l’aile psychiatrique jusque plus tard dans la journée, lorsqu’on l’a libéré et on lui a diagnostiqué une possible commotion. Quelques jours après, le plaignant est retourné à l’hôpital et on lui a diagnostiqué un os fracturé dans l’oreille droite.

Preuve

Les lieux de l’incident

L’appréhension du plaignant a été effectuée dans la petite chambre à coucher (mesurant environ 2,44 mètres sur 2,89 mètres) que le plaignant occupait au deuxième étage de sa résidence familiale, à St. Thomas.

Schéma des lieux

schéma des lieux

Preuve vidéo/audio/photographique

L’UES a exploré les alentours à la recherche d’éventuels enregistrements vidéo ou audio et preuves photographiques. La TC a fourni des photos des blessures du plaignant.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPST les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • enregistrements des communications
  • rapport sur les détails de l’incident
  • notes de l’AT no1, de l’AT no 2 et de l’AT no 3
  • rapport d’incident
  • procédure – Arrestation
  • procédure – Personnes souffrant de troubles mentaux
  • résumé de l’incident
  • dossiers de formation – l’AI, l’AT no1, l’AT no 2 et l’AT no 3
  • déclarations rédigées – l’AI, l’AT no1, l’AT no 2 et l’AT no

Dispositions législatives pertinentes

Article 17 de la Loi sur la santé mentale – Intervention de l’agent de police

17 Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :

  1. soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles ou menace ou tente de le faire
  2. soit s’est comportée ou se comporte avec violence envers une autre personne ou de manière à lui faire craindre qu’elle lui causera des lésions corporelles
  3. soit a fait ou fait preuve de son incapacité de prendre soin d’elle-même

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves
  2. elle infligera des lésions corporelles graves à une autre personne
  3. elle subira un affaiblissement physique grave

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Paragraphe 265(1) du Code criminel – Voies de fait

265 (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

  1. d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement
  2. tente ou menace, par un acte ou un geste, d’employer la force contre une autre personne, s’il est en mesure actuelle, ou s’il porte cette personne à croire, pour des motifs raisonnables, qu’il est alors en mesure actuelle d’accomplir son dessein
  3. en portant ostensiblement une arme ou une imitation, aborde ou importune une autre personne ou mendie

Article 267 du Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
  2. inflige des lésions corporelles au plaignant

Paragraphe 25(1) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 19 janvier 2017, l’AI a été informé par la TC que son fils, le plaignant, avait disparu et était suicidaire. L’AI a entrepris de rechercher le plaignant, une recherche qui a duré plusieurs heures, alors que des agents de police se sont rendus à divers ponts sur chevalets enjambant des voies ferrées car, par le passé, le plaignant avait déjà envoyé des messages sur les médias sociaux laissant entendre qu’il avait l’intention de s’enlever la vie et indiquant qu’il allait le faire en sautant d’un pont enjambant une voie ferrée. Le plaignant s’est d’abord rendu à un pont sur chevalets enjambant une voie ferrée où il a observé un agent de police qui semblait le rechercher, si bien qu’il s’est caché; il a ensuite été à un deuxième pont enjambant une voie ferrée où il a observé un autre agent de police et s’est de nouveau caché. Comme ses tentatives d’accéder à un pont sur chevalets en vue éventuellement de passer à l’acte suicidaire étaient déjouées par la présence de la police, le plaignant a décidé de retourner à la maison.

Une fois le plaignant revenu à son domicile, la TC a contacté l’AI pour l’informer du retour de son fils car elle était au courant des recherches qui étaient en train d’être effectuées. L’AI et l’AT no 1 se sont rendus au domicile de la TC afin d’évaluer l’état mental du plaignant et de lui obtenir au besoin une aide en matière de santé mentale. Au vu de l’ensemble de la preuve, tant des témoignages de civils que de la preuve policière, il n’est pas contesté que le plaignant n’a pas été d’un commerce agréable avec la police et qu’il n’a pas non plus parlé à un travailleur de santé mentale ni été à l’hôpital face à toutes les options que l’AI et l’AT no 1 lui ont présentées. Le plaignant a opposé de la résistance tant aux efforts de la police pour lui obtenir une quelconque aide en santé mentale qu’aux efforts pour le soumettre à une évaluation. Le plaignant ne conteste pas qu’il n’a pas obtempéré verbalement, qu’il a employé un langage grossier et qu’il a été verbalement agressif et rude. Lorsque les policiers ont déterminé que le plaignant n’allait pas coopérer, ils ont appelé des renforts et un troisième agent, l’AT no 2, s’est présenté sur les lieux. Le plaignant a été appréhendé en vertu de la LSM et a été transporté à l’hôpital, où il a été interné sur demande d’évaluation présentée, au moyen d’une formule 1 visée par la LSM, par le médecin de service au motif que le plaignant présentait un danger pour lui‐même. Lorsqu’on lui a donné son congé, le plaignant s’est de nouveau présenté à l’urgence et on a découvert qu’il avait subi une fracture de l’apophyse mastoïde (une saillie située à la partie inférieure de l’os temporal derrière l’oreille; la mastoïde est attachée à certains muscles du cou) à l’oreille droite.

Le plaignant, dans sa déclaration aux enquêteurs, a confirmé les faits susmentionnés comme étant exacts. Le plaignant allègue que, après que les agents l’ont mis sur le lit, couché sur le ventre, il a senti les menottes qu’on lui passait aux poignets, alors qu’il était encore sur le ventre, puis a senti des coups atterrir sur le côté droit de sa tête, à l’arrière de son oreille, et sur sa mâchoire. Le plaignant ne savait pas exactement quel agent l’avait frappé. Il a nié avoir frappé du poing ou des pieds ou s’être battu avec l’un ou l’autre des agents. Lors de son entrevue, la TC a identifié l’AT no 2 comme étant l’agent ayant frappé le plaignant au moins deux fois du poing droit, l’atteignant derrière la tête, au cou et dans la région de l’épaule.

Au cours de cette enquête, deux témoins civils, dont le plaignant, et les trois témoins de la police qui étaient présents au domicile du plaignant, dont l’AI, ont été interrogés. Tous les agents témoins ont aussi fourni les notes qu’ils avaient consignées sur leur calepin de service ainsi que leurs déclarations rédigées pour examen. De plus, les enquêteurs avaient accès aux enregistrements des transmissions radio de la police et aux dossiers médicaux du plaignant.

Les dossiers médicaux du plaignant confirment que, le 20 janvier 2017, il a été examiné à l’hôpital et a été interné contre son gré sur présentation d’une formule 1 en vertu de la LSM, après consultation du psychiatre de service, au motif que les médecins étaient d’avis que le plaignant représentait un danger pour lui‐même et qu’il avait des problèmes sous‐jacents de santé mentale. Les notes indiquent que [traduction] « [le plaignant] admet lui‐même qu’il n’est pas en sécurité. Il me dit qu’il a souffert de dépression et qu’il ne signera pas de contrat de sécurité[3]. Il a été très poli et s’est montré assez lucide ici, à l’urgence. Il a indiqué que, depuis quelque temps, il était aux prises avec une humeur dépressive et des pensées suicidaires. J’ai pu communiquer avec [nom du psychiatre de service]. Nous convenons que le plaignant devrait être admis à l’unité psychiatrique pour observation et être interné sur présentation d’une formule. » Un peu plus loin dans les dossiers, le médecin a noté, sous « diagnostic provisoire », [traduction] « tendances suicidaires et dépression » et, sous « plan », il a écrit [traduction] « [le plaignant] a besoin d’être admis pour observation à l’unité de santé mentale. Il risque de s’infliger des blessures. » Bien que les dossiers datant du jour suivant indiquent que le psychiatre alors en service, qui était le psychiatre régulier du plaignant et qui l’avait déjà examiné de nombreuses fois par le passé, a libéré le plaignant, il a indiqué dans les dossiers qu’il a demandé au plaignant de rester volontairement un peu plus longtemps à l’unité psychiatrique mais que le plaignant a refusé, si bien qu’il lui a donné son congé.

Lorsque le plaignant est retourné à l’hôpital le 24 janvier 2017, sa version de la façon dont il a subi des blessures a été consignée comme suit dans ses dossiers médicaux.

[Traduction]

Le patient déclare avoir été agressé par des agents de police il y a quatre jours. Il menaçait de s’enlever la vie, de sorte que sa mère a appelé la police, qui a amené de force le patient à l’urgence car il opposait de la résistance. Le patient dit avoir reçu des coups de genou sur le côté droit de la tête à de multiples reprises.

L’AI a indiqué que lorsque l’AT no 1 et lui‐même se sont rendus à la résidence, ils l’ont fait dans le but d’évaluer l’état mental du plaignant. L’AI a indiqué avoir expliqué au plaignant que c’était pour cette raison que la police était là et avoir essayé sans succès d’amener le plaignant à discuter de ses pensées suicidaires, mais que le plaignant est devenu agité et qu’il a plusieurs fois fait allusion aux agents en parlant de [traduction] « chiens » et a proféré diverses insultes à leur endroit. Ce témoignage concorde avec les observations de l’AT no 1, qui a indiqué que le plaignant lançait des insultes aux deux agents pendant que l’AI essayait d’engager une conversation avec le plaignant. L’AT no 1 a indiqué que lui aussi a expliqué au plaignant les raisons de la présence de la police et qu’ils n’agissaient que pour assurer le bien‐être du plaignant en ce qu’ils voulaient lui proposer quelques options de traitement. Malgré ses efforts répétés, l’AI n’a pu calmer le plaignant, lequel a plusieurs fois dit aux policiers de partir. L’AT no 1 a décrit la conversation avec le plaignant comme tournant en rond, les agents offrant explications et options au plaignant pendant que ce dernier répliquait en les invectivant et en manifestant son désintérêt. L’AT no 1 a indiqué qu’il trouvait étrange que le plaignant soit en colère et qu’il s’est demandé si le plaignant n’était pas sous l’effet de la marijuana, que l’on pouvait sentir dans la chambre; le plaignant ne voulait pas communiquer, ni avec les agents de police ni avec la TC. L’AT no 1 s’est souvenu que le plaignant avait dit [traduction] « Si tu oses me toucher, on va se battre. » L’AT no 1 a envisagé puis rejeté l’idée d’utiliser son arme à impulsions électriques comme option possible de recours à la force pour appréhender le plaignant.

Lorsque le plaignant s’est assis sur le bord du lit, l’AI a indiqué qu’il a fait un pas en arrière pour sa sécurité et que le plaignant est devenu de plus en plus agité, demandant à la TC pourquoi elle avait laissé entrer ces « chiens » dans la maison. L’AI a parlé au plaignant pendant quatre à cinq minutes, mais sans faire de progrès, puis il a décidé qu’il appréhenderait le plaignant en vertu de la LSM. L’AT no 1 a appelé de l’aide. L’AT no 1 a indiqué qu’il espérait que la présence de trois policiers désamorcerait la situation et l’AI a indiqué que, à défaut de cela, la présence d’un troisième agent soit calmerait le plaignant soit représenterait de l’aide pour appréhender le plaignant s’il résistait.

L’AT no 1 a indiqué que, lorsque l’AT no 2 est arrivé, les agents ont collectivement décidé qu’il serait nécessaire d’employer la force pour appréhender le plaignant et le faire évaluer en vertu de la LSM. L’AI et l’AT no 1 ont tous deux indiqué qu’ils ont alors demandé à la TC de sortir de la chambre pour sa propre sécurité. L’AI a informé le plaignant qu’il allait être appréhendé en vertu de la LSM et transporté à l’hôpital; il a alors demandé au plaignant de se lever, et celui‐ci a obtempéré. L’AI s’est mis devant le plaignant et a pris le contrôle de son bras droit en le saisissant au coude avec sa main gauche et au poignet avec sa main droite. L’AI a indiqué que le plaignant a immédiatement résisté et a repoussé l’AI vers la fenêtre située sur le mur côté ouest. L’AI a alors fait tourner le plaignant, tout en maintenant sa prise de son bras droit, puis l’a poussé dans le coin entre la commode et la fenêtre pendant que l’AT no 1 l’assistait en tenant le bras gauche du plaignant.

L’AT no 1 a indiqué que lui-même et l’AI étaient en train de lutter avec le plaignant pour essayer de le placer sur le lit afin de le menotter et que, pendant la lutte, ils se sont dangereusement approchés d’une grande fenêtre qui commençait bas et arrivait au niveau du menton et qu’il craignait qu’ils passent tous à travers la fenêtre. L’AT no 1 a indiqué que lui-même, l’AI et le plaignant étaient tous les trois en train de se pousser et de se tirer les uns les autres et que l’AT no 1 a essayé de prendre en étau la tête du plaignant avec son bras droit et de faire basculer le plaignant sur le lit. Pendant l’altercation, cependant, l’AT no 1 a été renversé sur le lit, sur le dos, et le plaignant s’est dégagé de sa prise et s’est alors retrouvé au‐dessus de l’AT no 1.

L’AI a indiqué qu’il a donné l’ordre au plaignant d’arrêter de résister et qu’il a vu le plaignant se repousser du coin de la chambre, faisant ainsi basculer l’AT no 1 en arrière et sur le lit, le plaignant se retrouvant au‐dessus de l’AT no 1. L’AI a indiqué que l’AT no 1 et le plaignant se sont retrouvés torse contre torse. Le plaignant se débattait et l’AT no 1 avait le contrôle du plaignant avec le bras droit enroulé autour de sa tête, au centre du lit. L’AI a alors perdu le contrôle du bras droit du plaignant et a vu que le plaignant avait son bras droit entre son corps et celui de l’AT no 1, au niveau de la ceinture de service de l’AT no 1 sur laquelle se trouvait son matériel de recours à la force. L’AI a tenté de tirer le bras du plaignant pour le lui mettre dans le dos et le menotter et il a de nouveau ordonné au patient d’arrêter de résister et de laisser aller son bras. L’AI a indiqué qu’il a alors craint que le plaignant puisse s’emparer de l’une des options de recours à la force se trouvant sur la ceinture de service de l’AT no 1.

L’AT no 1 a indiqué que l’exposition du plaignant, dans cette position, à son matériel de recours à la force, lui a aussi traversé l’esprit et il a indiqué que le plaignant était agenouillé avec les mains sur le gilet pare-balles de l’AT no 1 et qu’il était en train de pousser ses mains sur le gilet pare-balles de l’AT no 1 comme pour se redresser et sortir du lit. L’AT no 1 lui a crié d’arrêter de résister. À ce moment-là, l’AI a envisagé d’utiliser l’une de ses propres options d’emploi de la force, mais les a toutes rejetées en raison de l’exiguïté des lieux et du fait qu’il pouvait par accident blesser l’un des autres agents. L’AI a plutôt opté pour un coup administré du poing droit au côté droit de la tête du plaignant en utilisant environ 60 à 70 % de sa force; l’AI a en outre décrit le coup comme ayant été administré à une distance de 18 à 24 pouces [45 à 61 centimètres]. L’AT no 1 a indiqué qu’il a vu l’AI utiliser son poing pour frapper le plaignant sur le côté droit de la tête. L’AI et l’AT no 1 ont tous deux indiqué que ce coup a été sans effet et que le plaignant n’a pas laissé aller son bras.

L’AT no 1 a indiqué qu’il a essayé de ramener le plaignant, par quel moyen que ce soit, sur le lit et que, avec les efforts déployés par lui-même et l’AI, le plaignant a été mis sur le lit, couché sur le ventre, et l’AT no 1 a réussi à se redresser et se mettre sur ses genoux à côté du plaignant. L’AT no 1 s’est placé de façon à ce que son genou droit pèse sur le dos et l’épaule du plaignant afin de le maintenir couché, alors que le plaignant continuait de se contorsionner et d’essayer de sortir du lit. L’AI a continué de commander au plaignant d’arrêter de résister et de laisser aller son bras. Après environ cinq secondes, l’AI a administré au plaignant un second coup avec la même intensité de force que le premier et sur la même région du corps. L’AI a décrit les deux coups de poing comme ayant été donnés avec les deux premières phalanges de son poing droit faisant contact avec le visage du plaignant. L’AT no 1, qui a observé les deux coups de poing administrés, les a décrits comme des coups de poing donnés sur le côté droit du cou du plaignant, près de son oreille, et a fait la remarque que c’était semblable à la façon dont on les avait entraînés à administrer un coup sur le réseau nerveux au niveau du plexus brachial. Le deuxième coup de poing a été efficace et l’AI a pu prendre le contrôle du bras droit du plaignant, et le plaignant a été menotté. L’AT no 1 a indiqué que lorsque l’AI a administré au plaignant les deux coups de poing, l’AT no 1 pouvait voir l’embrasure de la porte de la chambre et n’a pas vu la TC, quoi qu’il s’avait qu’elle n’était pas loin. L’AT no 1 a estimé que le plaignant a été menotté environ 10 à 15 secondes après que l’AI lui eut administré le deuxième coup. Durant l’échauffourée pour menotter le plaignant l’AT no 1 ne l’a lui‐même frappé à aucun moment. L’AI a également indiqué qu’à aucun moment un autre agent avait frappé le plaignant et que, lorsque le plaignant a été menotté, il a immédiatement cessé de résister et aucun autre recours à la force n’a été employé par quiconque. L’AI a estimé qu’en tout la lutte a duré environ 30 secondes, durant lesquelles sa clé de menottes, sa lampe de poche et les clés de son véhicule de police se sont toutes délogées de de son uniforme et sont tombées quelque part sur le plancher. Lorsque l’AI a fait sortir le plaignant de la chambre, il a vu la TC dans l’embrasure de la porte d’une autre chambre à environ huit pieds [2,44 mètres] de la porte de la chambre du plaignant.

L’AT no 1 a indiqué que, pendant qu’ils escortaient le plaignant de la porte d’entrée de la résidence à l’autopatrouille, il a demandé au plaignant quelles étaient ses chaussures et celui-ci lui a répondu [traduction] « va chier, sale chien », de sorte qu’on l’a fait sortir de la maison sans ses chaussures.

À son arrivée à l’hôpital, le plaignant a demandé à l’AI de lui dire s’il avait une éraflure sur le côté droit de la tête, et l’AI a vu une rougeur derrière l’oreille et le cou du plaignant, sur la zone générale où il estimait avoir frappé le plaignant.

L’AT no 2 a indiqué qu’il se trouvait encore dans le couloir lorsque la TC est sortie de la chambre, lui a donné une tape à l’épaule et lui a chuchoté qu’elle pensait que le plaignant sentait la marijuana. L’AT no 2 a alors entendu une altercation dans la chambre et est entré dans la chambre et a vu l’AI en train d’essayer de contrôler le plaignant. Il a indiqué que le plaignant s’était redressé et résistait activement aux tentatives de le contrôler. Il a aussi observé l’AI et l’AT no 1 se déplacer, avec le plaignant, vers le côté droit du lit, où l’AT no 1 s’est cogné contre une fenêtre avec rideau avec suffisamment de force pour que l’AT no 2 croie que le plaignant, en poussant l’AT no 1, pouvait le faire passer à travers la fenêtre. L’AT no 1 a alors essayé de prendre la tête du plaignant en étau pendant que l’AI essayait de contrôler le bras droit du plaignant, et les trois hommes se sont retrouvés dans le coin de la pièce, où l’AT no 2 s’est joint à la lutte en saisissant l’avant-bras gauche du plaignant, et le plaignant a été retourné et poussé contre le lit sur le ventre, mais l’AT no 1 a atterri sur le lit sous le plaignant. L’AT no 2 a indiqué que le plaignant criait qu’il n’arrivait pas à respirer et que c’est lui‐même qui a dit au plaignant qu’il pouvait très bien respirer s’il était capable de parler. L’AT no 2 a alors réussi à contrôler le bras gauche du plaignant en le lui mettant derrière le dos pendant qu’il saisissait son bras droit, et le plaignant a été menotté, remis debout puis escorté à l’extérieur de la chambre par l’AI et l’AT no 1. L’AT no 2 a indiqué qu’à aucun moment il n’a frappé le plaignant.

En suivant le plaignant que l’on faisait sortir de la chambre, l’AT no 2 et la TC ont cherché et trouvé sur le plancher une clé de menottes, une manette d’autopatrouille et une lampe de poche sous le lit.

L’AT no 2 a indiqué qu’une fois à l’hôpital c’est à lui que la TC a mentionné que le plaignant n’avait pas du tout apprécié le degré de force employé durant son appréhension et que c’est lui qui a expliqué à la TC que la police avait fait ce qu’elle avait à faire pour mettre le plaignant sous garde. L’AT no 2 a aussi indiqué que la TC lui a montré, sur son téléphone cellulaire, une photo de ce qui semblait être une note de suicide de son fils.

L’AT no 2 a indiqué qu’à aucun moment il n’a estimé que la police aurait simplement dû abandonner le plaignant à son sort, car il croyait que la situation était toujours volatile, que le plaignant était [traduction] « remonté » et qu’il était fâché à la fois contre la TC et contre la police. L’AT no 2 a décrit le plaignant comme étant toujours dans une sorte de crise émotionnelle.

À l’examen de l’ensemble de la preuve, j’ai un peu de mal à faire concorder la déclaration que le plaignant a faite le 25 janvier 2017 aux enquêteurs de l’UES selon laquelle il aurait été frappé deux fois à la tête puis aurait admis que la TC lui a dit que c’était l’AT no 2 qui l’avait frappé à la tête dans la déclaration qu’il a faite au personnel médical et qui est consignée dans les notes médicales le concernant, datées du 24 janvier 2017, et dans laquelle il a déclaré avoir reçu [traduction] « des coups de genou sur le côté droit de la tête à de multiples reprises ». Sur ce fondement, il semble que le plaignant ne savait pas comment il avait reçu sa blessure et qu’il a simplement pu faire sienne la version fournie par la TC.

De plus, je nourris certaines réserves à l’égard des propos de la TC du fait que, dans sa déclaration initiale, elle a d’abord indiqué que, lorsqu’elle est sortie de la chambre, elle a changé de place avec l’AT no 2, lequel est alors entré dans la chambre, une déclaration que je considère comme exacte en ce qu’elle confirme le témoignage des trois policiers, tandis qu’ultérieurement, elle a indiqué que c’est seulement après que le plaignant a été menotté que l’AT no 2 s’est alors précipité dans le couloir et est entré dans la chambre puis a administré au moins deux coups de son poing droit à l’arrière de la tête du plaignant, sur son cou et sur la région de l’épaule. La première version donnée par la TC, c’est-à-dire celle où elle dit avoir changé de place avec l’AT no 2, lequel est alors entré dans la chambre, tandis qu’elle sortait dans le couloir, avant que tout effort visant à appréhender le plaignant soit entrepris, confirme le témoignage de l’AT no 2 selon lequel, sauf durant les quelques secondes où il a croisé la TC dans le couloir et où elle lui a chuchoté à l’oreille qu’elle croyait que son fils avait pu fumer de la marijuana, il s’est trouvé dans la chambre pendant toute la durée de l’échauffourée et le plaignant n’était pas menotté lorsqu’il est entré dans la chambre. Qui plus est, j’ai dû mal à croire que la TC, depuis l’endroit où elle se trouvait dans le couloir, ait pu déterminer à quel moment exactement le plaignant a été effectivement menotté, alors qu’elle a décrit la lutte comme étant un amas de personnes bougeant peu si ce n’est qu’elles se dirigeaient vers la fenêtre. Au surplus, l’AT no 1 a déclaré qu’il pouvait voir l’embrassure de la porte lorsque l’AI a frappé le plaignant, et il a indiqué que la TC n’était pas visible lorsque les deux coups ont été administrés au plaignant et que, lorsqu’il a escorté le plaignant à l’extérieur de la chambre, la TC se trouvait dans l’embrasure de la porte d’une autre chambre d’une hauteur d’environ huit pieds [2,44 mètres] au bout du couloir.

Je trouve aussi que, dans sa déclaration, la TC semble omettre une partie de la séquence des événements survenus dans la chambre et dont Ie plaignant a lui-même fait état dans sa version, au sujet de son altercation avec les agents du fait qu’il s’est agrippé à leurs chemises, version qui semble confirmer le témoignage de l’AT no 1 selon lequel le plaignant s’agrippait au gilet pare-balles de l’AT no 1, alors que la déclaration de la TC ne dit absolument rien à ce sujet.

J’interprète aussi le fait que la clé de menottes, la lampe de poche et les clés de voiture trouvées sous et sur le lit après qu’elles soient tombées de l’uniforme de l’AI comme corroborant la preuve des trois agents de police concernant le degré de lutte entre le plaignant et les policiers.

Finalement, la déclaration ferme de la TC selon laquelle l’AT no 2 a frappé deux fois le plaignant à la tête est directement contredite par les témoignages des trois policiers selon lesquels l’AT no 2 a catégoriquement nié avoir jamais levé la main sur le plaignant et où l’AI a ouvertement admis que c’était lui qui avait administré les coups au plaignant. L’AT no 1 a corroboré le témoignage des deux agents en disant qu’il avait vu l’AI administrer les deux coups de poing à la tête du plaignant. Je ne vois aucune raison logique pour laquelle ces trois agents mentiraient chacun sur celui qui a administré les coups tout en admettant ouvertement que les deux coups ont effectivement été administrés par l’un des policiers pendant l’appréhension du plaignant et que cela a causé la blessure sérieuse subie par le plaignant. De plus, je note que l’AI a noté dans son calepin – et il semble qu’il ait terminé de consigner ses notes dans son calepin avant la fin de son quart de travail le 20 janvier 2017 – qu’il a [traduction] « frappé [le plaignant] à la tête pour le faire obtempérer. ». Ces notes ont été consignées avant que le plaignant n’eut été évalué comme ayant subi une blessure grave, le 24 janvier 2017, à la suite de quoi l’UES a été notifiée de la blessure et l’enquête a été ouverte. Je reconnais donc que ces notes viennent, encore là, confirmer que les deux coups à la tête du plaignant ont été administrés par l’AI et non par l’AT no 2, comme l’a allégué la TC.

Devant ces importantes incohérences dans le témoignage tant du plaignant que de la TC, à savoir que le plaignant ignorait comment et par qui sa blessure lui avait été causée, et l’allégation manifestement inexacte de la TC quant au moment où les coups de poing ont été administrés et par qui, j’en viens à nourrir de sérieuses réserves au sujet de la version des événements fournie tant par le plaignant que par la TC, si bien que je rejette la thèse selon laquelle le plaignant a été frappé deux fois à la tête par l’AT no 2 et je ne retiens pas davantage la déclaration selon laquelle la blessure a été infligée après que le plaignant eut été menotté.

À la lumière des éléments de preuve crédibles qu’il reste, je conclus donc que j’ai des motifs raisonnables de croire que, durant la lutte qui s’est déroulée pour menotter le plaignant afin de l’appréhender en vertu de la LSM et de le transporter à l’hôpital pour le faire évaluer, le plaignant a été frappé deux fois à la tête par l’AI, ce qui lui a causé les blessures sérieuses en cause. Compte tenu de ces faits, la question qu’il reste à trancher est de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’AI, en administrant ces deux coups, a commis une infraction de voies de fait causant des lésions corporelles, en contravention de l’alinéa 267(b) du Code criminel.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents de police peuvent seulement recourir à la force qui est raisonnablement nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En ce qui concerne tout d’abord la légalité de l’appréhension du plaignant, il est clair, à la lumière de tous les renseignements que la TC a fournis à l’AI au sujet des messages du plaignant sur les médias sociaux, de ses précédentes menaces de suicide, de ses antécédents comportementaux et de ses problèmes de santé mentale, qu’il n’était pas déraisonnable pour l’AI de croire qu’il y avait des motifs, en application de l’article 17 de la LSM, d’appréhender le plaignant du fait qu’il représentait un danger pour lui-même. La LSM stipule ceci :

  1. Si un agent de police a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une personne agit ou a agi d’une façon désordonnée et qu’il a des motifs valables de croire que cette personne :
  1. soit a menacé ou tenté de s’infliger des lésions corporelles […]

et qu’en plus, il est d’avis que cette personne souffre, selon toute apparence, d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aura probablement l’une des conséquences suivantes :

  1. elle s’infligera des lésions corporelles graves […]

et qu’il serait dangereux d’agir selon les termes de l’article 16, il peut amener sous garde cette personne dans un lieu approprié afin qu’elle soit examinée par un médecin.

Je note que le libellé de l’article 17 s’appuie fortement sur le jugement de l’agent de police en ce qu’il parle des « motifs raisonnables et probables » de l’agent, de son « avis » et de sa détermination qu’il serait dangereux d’attendre, en vertu de l’article 16, une ordonnance de la cour pour appréhender la personne.

Dans les circonstances de la présente affaire, je ne vois rien d’erroné dans la croyance de l’AI qu’il avait « des motifs raisonnables et probables » de croire que le plaignant avait menacé de s’infliger des lésions corporelles à la lumière des renseignements que lui avait fournis la TC, de même que de la croyance de cette dernière que son fils allait s’enlever la vie. De plus, compte tenu de ces mêmes renseignements, il y avait une preuve abondante sur le fondement de laquelle l’AI pouvait être d’avis que le plaignant souffrait d’un trouble mental d’une nature ou d’un caractère qui aurait probablement pour conséquence qu’il s’inflige des lésions corporelles graves. Je suis également d’avis que les opinions d’experts, du médecin de la salle d’urgence qui a examiné le plaignant ainsi que du psychiatre de service qui a été consulté, selon lesquelles le plaignant présentait un [traduction] « risque de s’infliger des blessures » et répondait donc au critère d’un internement non volontaire à l’hôpital sur présentation d’un formulaire 1 en vertu de la LSM, venaient confirmer davantage encore les actions de l’AI lorsqu’il a appréhendé le plaignant sur ce même fondement.

Je peux fort bien comprendre qu’en remplissant le devoir d’appréhender une personne en vertu de la LSM, la police ne peut s’attendre à susciter l’adhésion de tout le monde. Lorsqu’une personne est appréhendée dans ces circonstances puis reçoit ensuite son congé de l’hôpital, les actions de la police en appréhendant la personne peuvent faire l’objet de critiques. Et si une personne était laissée à elle‐même en pareilles circonstances et n’était pas appréhendée et qu’elle s’enlevait ensuite la vie, la police, en décidant de ne pas intervenir, serait encore plus sévèrement critiquée. Par conséquent, je ne trouve rien à redire si l’AI a péché par excès de prudence, surtout lorsque les renseignements que lui a fournis la TC étaient si convaincants et lorsque l’autre solution consistant à partir et laisser le plaignant privé de l’aide dont il avait si manifestement besoin aurait pu avoir des conséquences tragiques. Compte tenu des éléments de preuve dont l’AI disposait ce soir‐là, je ne trouve rien à redire à son raisonnement selon lequel il avait les motifs nécessaires en vertu de la LSM, de sorte que l’appréhension du plaignant était légalement justifiée dans les circonstances.

Je me penche maintenant sur la force employée par l’AI lorsqu’il a administré deux fois un coup de poing sur le côté de la tête du plaignant. Bien que le plaignant ait décrit les coups de poing qu’il a reçus comme étant d’une intensité de 9,5 sur 10 quant à la force employée, je ne suis pas disposé à accepter cette évaluation pour plusieurs raisons, dont les suivantes : le plaignant était apparemment incapable de dire si on l’avait frappé du poing ou du genou (en particulier lorsque la force générée dans les zones confinées d’un coup de genou serait bien moindre que celle que produirait un coup de poing); le plaignant n’a manifestement pas réagi au premier coup et a continué de lutter et de résister; l’AT no 1 et l’AI ont tous deux estimé que les coups de poing administrés étaient plus près de 60 ou 70 % d’un coup de force maximale; finalement, si le plaignant a été frappé aussi durement qu’il l’allègue, je n’accepte pas le fait que le plaignant aurait réagi de la manière dont il l’affirme, à savoir qu’il prétend avoir ri et demandé aux agents s’ils allaient le frapper à nouveau. De plus, je doute qu’il soit possible pour la personne qui reçoit le coup d’estimer avec exactitude la force du coup, alors qu’elle ne connait pas la force de la personne qui administre le coup. À cet égard, j’accepte que l’AT no 1, mais plus particulièrement l’AI, aurait été en bien meilleure position que le plaignant pour évaluer le degré de force produit dans le coup administré.

J’ai également pris en considération l’observation de l’AT no 1 selon laquelle les coups administrés par l’AI étaient semblables à ceux d’une technique à laquelle sont formés les policiers et qui consiste à administrer un coup sur le plexus brachial. Après avoir fait des recherches en ligne et m’être renseigné sur les techniques enseignées aux agents de police, je suis en mesure de confirmer que la technique du coup sur le plexus brachial est bel et bien enseignée dans de nombreux collèges de la police et par les militaires, en plus d’être une technique enseignée dans les classes d’autodéfense et en arts martiaux, mais de façon plus significative au Collège de police de l’Ontario et au Collège de police de Toronto. Si je comprends bien, cette technique consiste à frapper sur la zone du côté du cou au-dessous de l’oreille de manière à produire un choc sur la carotide, la jugulaire et le nerf vague afin de distraire et/ou d’immobiliser le sujet. Je ne sais pas avec certitude, cependant, à la lumière de la preuve, si c’est effectivement la technique que l’AI avait l’intention d’utiliser puisque l’AI a indiqué qu’il pensait que les deux coups avaient atterri sur le visage du plaignant et non sous son oreille, soit l’endroit où les coups ont réellement fait contact.

Selon leur témoignage, l’AT no 1 et l’AI ont chacun envisagé d’utiliser leurs options de recours à la force et ont rejeté ces options pour diverses raisons. Dans le cas de l’AI, il a estimé que l’une des seules options qu’il lui restait était d’appliquer un coup de poing sur la région cranio-faciale. Cette option n’était pas déraisonnable si l’on tient compte du fait que, une fois que la décision a été prise d’appréhender le plaignant, l’altercation qui s’en est suivie entre le plaignant et les agents est devenue une situation mouvante et rapide se déroulant dans un espace restreint où les options disponibles aux policiers étaient très limitées. L’AT no 1 et l’AT no 2 ont tous deux indiqué qu’ils ont craint, durant l’altercation, que l’AT no 1 puisse passer à travers la fenêtre en raison de la force avec laquelle il était poussé contre la fenêtre. Lorsque l’AT no 1 a atterri sur le lit, sur le dos, avec le plaignant au-dessus de lui, l’AT no 1 et l’AI ont aussi craint que le plaignant ait accès aux options de recours à la force de l’AT no 1. Finalement, étant donné que le plaignant continuait de lutter et de résister et s’est repoussé du lit, j’en arrive à la conclusion que l’évaluation de l’AI selon laquelle il restait très peu d’options à sa disposition et il lui fallait agir rapidement était raisonnable dans les circonstances. De plus, le fait que le premier coup administré par l’AI n’ait pas eu l’effet désiré sur le plaignant et n’ait rien fait pour apaiser la résistance du plaignant amène à penser que ce coup n’a pas été aussi puissant que l’a dit le plaignant et a apparemment amené l’AI à croire qu’il lui fallait administrer un second coup pour mettre un terme final à l’échauffourée.

Bien que je conclue que la blessure du plaignant a été causée par les deux coups de poing que l’AI a administrés sur la tête du plaignant, j’estime que, au sens du paragraphe 25(1) du Code criminel, l’agent n’a pas eu recours à plus de force que ce qui était raisonnablement nécessaire dans l’exécution de son obligation légale d’appréhender le plaignant afin de lui obtenir l’attention médicale dont il avait besoin, selon l’estimation raisonnable qu’en avaient faite les agents. L’ensemble de la preuve ne me permet pas de déterminer si l’AI avait l’intention d’appliquer ses coups sur le visage du plaignant ou s’il essayait de frapper le plaignant au-dessous de l’oreille, conformément à la technique décrite plus haut; ce qui est clair, cependant, c’est qu’avec l’altercation et la résistance du plaignant, l’un des coups de poing ou les deux n’ont pas atterri sur la zone voulue et le plaignant a subi sa blessure en raison de cela.

En concluant que les actions de l’AI n’ont pas contrevenu au paragraphe 25(1), j’ai pleinement tenu compte de l’état du droit applicable tel qu’il a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell (1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (C.A.C.‐B.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218].

Dans ce scenario factuel, bien que j’accepte que la situation commandait aux policiers de déterminer s’il y avait lieu ou non d’appréhender le plaignant, une fois que cette décision a été prise et lorsque le plaignant, en luttant et en résistant, a représenté un risque pour la sécurité de l’AT no 1, il incombait aux autres agents de venir en aide à l’AT no 1 et de mettre fin à la lutte. Avec très peu d’autres options à leur disposition, s’il y en avait, je conclus que le recours de l’AI à la force physique pour mettre fin à l’altercation était raisonnable dans les circonstances et je ne vois aucun élément de preuve qui puisse porter à conclure que l’AI avait l’intention de causer la blessure que le plaignant a subie lorsque le coup administré n’a pas fait contact avec la zone prévue. À cet égard, j’ai également tenu compte de la décision que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans l’affaire R. c. Baxter (1975), 27 C.C.C. (2d) 96 (C.A. de l’Ont.), qui établit que l’on ne peut pas s’attendre à ce que les policiers apprécient avec exactitude le degré de force qu’ils emploient dans leur intervention.

Compte tenu de l’ensemble de la preuve, y compris le témoignage du plaignant et de la TC, il ne fait aucun doute que les agents se sont montrés soucieux et patients avec le plaignant en essayant de le convaincre de parler volontairement et de la façon qu’il le souhaitait à un travailleur spécialisé en crises de santé mentale, alors que le plaignant n’avait absolument pas l’intention de faire évaluer sa santé mentale. La question de savoir si la résistance et l’agitation du plaignant à l’endroit des agents de police étaient imputables au fait que le plaignant avait entravé leurs plans est une question à laquelle on ne peut pas répondre dans les circonstances. Il est clair, néanmoins, que les gestes posés par l’AI et l’AT no 1 ont progressé de la patience et de la négociation, à la décision d’appréhender le plaignant et, en bout de ligne, de recourir à la force physique pour le maîtriser. Il ne fait aucun doute que si le plaignant était parti avec les agents sans opposer de résistance, il n’aurait pas été blessé. Les actions des agents de police ont progressé de façon mesurée et proportionnée pour neutraliser et vaincre la résistance du plaignant, et l’AI n’a recouru à l’administration des deux coups au plaignant que lorsque la sécurité de l’AT no 1 a été mise en danger par les gestes du plaignant.

En dernière analyse, pour regrettable que soit la blessure subie par le plaignant, je suis convaincu qu’il n’entrait pas dans l’intention de l’AI de la causer, mais qu’il s’est plutôt agi d’une conséquence malheureuse de la résistance et de la lutte du plaignant. Compte tenu de ces faits, je suis convaincu qu’il y a des motifs raisonnables de croire que les gestes posés par les agents étaient dans les limites prescrites par le droit criminel et qu’il n’y a pas lieu de porter des accusations en l’espèce.

Date : 10 janvier 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Une formule 1 présentée en vertu de la LSM permet à un médecin d’interner une personne dans un établissement de soins psychiatriques pendant une période d’au plus 72 heures pour la soumettre à une évaluation psychiatrique. [Retour au texte]
  • 2) [2] L’AI avait initialement été désigné comme agent témoin (AT). L’UES a reçu copie de ses notes de service ainsi qu’un résumé de son témoignage anticipé. Lorsque l’enquête a révélé que l’AI (alors désigné AT) pouvait avoir causé la blessure du plaignant, l’agent, avant d’être soumis à une entrevue, a été redésigné agent impliqué (AI) et ses notes et son résumé de témoignage anticipé ont été retournés/détruits. Après qu’on l’eut redésigné AI, l’agent a offert de participer à une entrevue sur cette affaire et a fourni ses notes et son résumé de témoignage anticipé pour faciliter l’enquête. [Retour au texte]
  • 3) [3] Les hôpitaux exigent qu’une personne ayant manifesté des idées suicidaires se voie demander de signer un contrat avec l’hôpital en vertu duquel la personne s’engage à ne pas s’infliger de blessures avant qu’on lui donne son congé. Cette procédure vise à dissuader la personne de s’enlever la vie lorsqu’elle a promis qu’elle ne le ferait pas. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.