Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-PCD-333

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle.

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport décrit l’enquête de l’UES sur les blessures graves subies par un homme âgé de 25 ans après qu’il se fut présenté à un poste de police, le 11 novembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le dimanche 12 novembre 2017, vers 00 h 02, la Police provinciale de l’Ontario (PPO) a signalé une blessure subie par le plaignant lors d’un accident automobile survenu dans la ville de Strathroy.

La PPO a indiqué que le plaignant s’était blessé plus tôt lors d’un accident, à Strathroy. Il a été emmené à l’hôpital, où il a été traité par le personnel infirmier, qui a reçu l’aide de membres du Service de police de Strathroy-Caradoc (SPSC). Après avoir été traité, il a obtenu son congé de l’hôpital et est reparti en étant accompagné de sa grand‐mère et de sa sœur.

Le plaignant s’est ultérieurement présenté à la porte du détachement de la PPO à Middlesex, qui était fermé. L’AI lui a parlé brièvement. Le plaignant s’est éloigné du bâtiment du détachement alors qu’il n’était pas en présence de l’AI, et il a couru devant un véhicule civil, qui l’a percuté, et a été grièvement blessé.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 2

Les enquêteurs se sont rendus sur la scène de l’accident, devant le détachement de la PPO à Strathroy, et ont examiné et photographié l’endroit. Les mesures ont été prises au moyen du logiciel Total Station.

Plaignant :

Homme âgé de 25 ans; incapable de participer à une entrevue en raison de la nature de ses blessures

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 5 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 6 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Description de l’incident

Le soir du samedi 11 novembre 2017, le plaignant se trouvait dans une résidence à Strathroy. Le plaignant et six autres personnes présentes étaient fortement intoxiquées. Le plaignant s’est blessé soit en donnant un coup de poing dans une fenêtre soit en étant poussé contre une fenêtre au cours d’une altercation, et il a subi une profonde lacération à la main gauche. Quelqu’un qui se trouvait à l’intérieur de la résidence a donc appelé le 9‐1‐1.

Vers 20 h 47, le SPSC a reçu un appel pour une assistance médicale à la résidence, en lien avec le plaignant. L’AT no 4, l’AT no 6 et l’AT no 5 ont été envoyés à la résidence. À leur arrivée, les agents ont fait face à de la résistance de la part du plaignant, qui refusait de recevoir un traitement médical par les SMU, qui se trouvaient sur place. Il est clairement apparu que le plaignant était trop intoxiqué pour prendre soin de lui‐même et, malgré son refus, les agents l’ont porté à l’extérieur de la résidence et il a été placé sur une civière.

Le plaignant s’est calmé une fois à l’extérieur de la résidence, et il a été transporté à l’hôpital. Une fois à l’hôpital, le plaignant s’était suffisamment calmé pour permettre aux agents du SPSC de le laisser aux soins du personnel infirmier, au service d’urgence de l’hôpital. De retour au poste du SPSC, les agents de police ont communiqué avec la TC no 2 et l’ont informée que le plaignant s’était blessé et qu’on l’avait emmené à l’hôpital.

La TC no 2, accompagnée de la TC no 1, s’est rendue à l’hôpital vers 23 h, et les deux femmes ont ramassé le plaignant après qu’on lui eut fait des points de suture à la main gauche et qu’il eut obtenu son congé de l’hôpital. Une fois en compagnie de sa famille, le plaignant est de nouveau devenu agité. La TC no 2 roulait en direction nord sur le chemin Centre[1] à Strathroy lorsqu’elle a eu le sentiment qu’elle n’était pas capable de contrôler le plaignant, si bien qu’elle s’est garée dans le terrain de stationnement du détachement de la PPO à Strathroy.

Le plaignant s’est présenté devant les portes du détachement et a commencé à cogner sur la porte, pendant que la TC no 2 et la TC no 1 étaient restées à l’intérieur du véhicule et avaient appelé le 9‐1‐1. Le détachement de la PPO était fermé, mais l’AI se trouvait à l’intérieur. L’AI a entendu le plaignant cogner sur la porte et elle est allée voir ce qui se passait. L’AI a répondu à la porte et a vu que le plaignant saignait et était agité; après une brève discussion, l’AI a dit au plaignant de rester à la porte pendant qu’elle allait chercher ses gants de latex à l’intérieur du bâtiment. Le plaignant est retourné au véhicule de la TC no 2 et a décidé qu’il n’attendrait pas; il a alors traversé le stationnement du détachement en marchant vers le chemin Centre, où il a disparu du champ de vision des témoins et s’est retrouvé dans l’obscurité.

Vers 23 h 25, le TC no 3 et le TC no 4 roulaient en direction nord sur le chemin Centre, non loin du détachement de la PPO; il n’y avait pas d’éclairage artificiel et il faisait noir. Le plaignant était très probablement en train de marcher au milieu du chemin Centre, et le TC no 3 ne l’a pas vu. Le véhicule du TC no 3 se déplaçait à des vitesses permises sur les routes provinciales lorsqu’il a heurté le plaignant.

La TC no 2 et la TC no 1 se trouvaient toujours dans leur véhicule lorsqu’elles ont vu un véhicule passer devant le détachement de la PPO puis ont entendu un bruit sourd.

Le TC no 3 n’était pas trop sûr de ce qui était arrivé, mais il pensait avoir heurté quelque chose, si bien qu’il s’est arrêté sur l’accotement du chemin Centre.

Peu après, l’AI est sortie du détachement et a été informée par la TC no 2 que le plaignant était parti marcher sur la chaussée et avait pu être frappé par un véhicule. L’AI a embarqué dans une autopatrouille et est sorti du terrain de stationnement du détachement pour aller sur le chemin Centre, où elle a vu le plaignant gisant au milieu de la chaussée. L’AI a alors bloqué la chaussée du mieux qu’elle le pouvait avec son autopatrouille.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a d’abord été transporté par ambulance à l’hôpital local, puis à un deuxième hôpital pour traitement. On lui a diagnostiqué de multiples hémorragies cérébrales et une fracture du fémur droit. Ses yeux ne réagissaient pas à la lumière, il avait des nerfs sectionnés[2] et un shunt[3] a été inséré dans son crâne. Un mois après l’incident, il était toujours à l’hôpital, dans le coma et sous respirateur artificiel. Il est peu probable qu’il se rétablisse.

Preuve

Les lieux de l’incident

L’incident s’est produit tout juste au nord du bâtiment du détachement de la PPO, au 28444, chemin Centre, à Strathroy. Il s’agit d’une route à deux voies qui est droite et plate et où la limite de vitesse affichée est de 60 km/h. La chaussée était sèche et il n’y avait pas d’éclairage de rue. Un accotement asphalté longe le côté ouest de la route. Un accotement de gravier longe le côté est. Une automobile de marque Buick se trouvait sur les lieux, stationnée sur l’accotement côté est, avec des dommages récents sur le côté gauche du capot et du parechoc. Le phare gauche était brisé. Des débris du phare brisé se trouvaient sur la voie de circulation en direction nord. Il y avait une espadrille noire, un portefeuille et une petite mare de sang sur la voie de circulation en direction sud, près de la ligne de centre de la chaussée.

Le bâtiment du détachement se trouvait du côté est du chemin, au sud de l’endroit de la collision. Le terrain de stationnement du détachement se trouve au nord du bâtiment et est entouré de gazon. Il y avait deux séries de traces de pas dans la neige qui recouvrait légèrement la pelouse, entre le terrain de stationnement et le bâtiment du détachement. Les traces n’étaient pas identifiables et l’on ne pouvait pas déterminer la direction des déplacements. La collision s’était produite à environ 60 mètres de la porte avant du détachement. Il n’y avait pas de vidéo de surveillance au détachement.

Schéma des lieux

Schéma des lieux

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Le 22 novembre 2017, l’UES s’est rendue à l’hôpital où le plaignant avait été examiné une première fois, avant sa visite au détachement de la PPO, et a demandé une copie de la vidéo de surveillance du soir du 11 novembre 2017. D’après un agent de sécurité, l’UES devait avoir un mandat pour obtenir une copie de la vidéo; cependant, l’agent était prêt à permettre à l’UES de « visionner » la vidéo. Voici un résumé des images vidéo :

  • Le samedi 11 novembre 2017, à 22 h 22, le plaignant est arrivé, sur une civière d’ambulance, à l’aire de triage de l’hôpital. Il était couché sur le côté droit et avait un bandage à la main gauche. Il semblait calme et coopératif. Le plaignant, toujours sur la civière, a été transporté jusqu’à la salle de traitement, et il a été coopératif tout le long
  • À 22 h 23, le plaignant a été escorté à une salle de bains par un membre du personnel infirmier. Il n’a pas eu besoin d’aide pour marcher. À 22 h 58, la TC no 2 est entrée dans la salle de traitement et, à 23 h 04, le plaignant est sorti de la salle, a marché jusqu’au bout du couloir et est retourné dans sa chambre. Il était légèrement instable sur ses pieds, mais il marchait facilement, sans tomber ni avoir besoin d’aide. À 23 h 07, le plaignant est sorti de la chambre après avoir été traité, et la TC no 2 est sortie peu après

Enregistrements des communications

Résumé des enregistrements des communications de la PPO

L’enregistrement des communications de la PPO en lien avec cet incident a été obtenu et écouté.

  • Le samedi 11 novembre 2017, à 23 h 17 m 08 s, l’AI a dit aux Communications qu’il y avait une personne qui frappait à la porte avant du détachement et qu’elle allait voir de quoi il s’agissait. Peu de temps après, l’AI a déclaré que le plaignant avait été déposé au détachement par sa grand‐mère et qu’il semblait y avoir un conflit familial. Elle a indiqué aux Communications que le plaignant avait du sang sur sa chemise. D’autres agents de police ont été envoyés au détachement pour prêter assistance à l’AI
  • À 23 h 20 m 55 s, l’AI a demandé aux Communications d’envoyer une ambulance, car elle avait localisé le plaignant dans le fossé, devant le magasin Rona, à côté du détachement. L’AI a alors immédiatement corrigé son indication de l’emplacement du plaignant en déclarant qu’il se trouvait sur la chaussée du chemin Centre. Elle a déclaré qu’il semblait avoir été heurté par un véhicule. L’AI était affolée et criait [traduction] « Envoyez tout de suite les SMU! Envoyez vite London! Tout de suite! » Elle a décrit l’état du plaignant et a déclaré qu’il respirait, qu’il avait une blessure à la tête et la jambe cassée et qu’il était inconscient
  • Plusieurs autres unités de la PPO, dont le superviseur, l’AT no3, ont été envoyées sur place pour fournir une assistance à l’endroit de la collision

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPSC les éléments et documents suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • chronologies des événements contextuels et registres des événements du SPSC
  • résumé de l’incident et rapport sur les détails de l’événement du SPSC
  • rapport sur les détails de l’événement du SPSC
  • rapport sur les détails de l’événement et historique des événements des unités de la PPO
  • rapport d’incident général de la PPO
  • rapport d’incident supplémentaire
  • notes des AT nos 1 à 3, d’un agent non désigné et de l’AI de la PPO
  • notes et déclarations écrites des AT nos 3 à 6 et d’un agent non désigné du SPSC
  • déclarations de témoin des TC nos 1 à 4 de la PPO
  • déclaration de témoin d’un autre civil du SPSC
  • enregistrements des communications relatives à l’incident de la PPO

De plus, la vidéo de surveillance provenant de l’hôpital où le plaignant avait été initialement traité a été visionnée.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 221 du Code criminel – Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 est coupable d’un acte criminel est passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le 11 novembre 2017, des agents du Service de police de Strathroy-Caradoc ont été envoyés à une résidence à Strathroy pour du tapage. À leur arrivée, les agents ont constaté que le plaignant avait apparemment subi une blessure à la main et qu’il était trop intoxiqué pour consentir à un traitement médical. La décision a alors été prise de le faire sortir de force de la résidence et de le remettre aux ambulanciers pour qu’il reçoive un traitement médical, étant donné qu’il semblait incapable de prendre soin de lui‐même. Le plaignant a ensuite été transporté par ambulance à l’hôpital, où on l’a laissé aux soins du personnel médical, et sa blessure a été suturée. Les policiers sont ensuite retournés à leurs autres tâches. Après que le plaignant eut été traité, l’hôpital a communiqué avec la TC no 2, et celle‐ci s’est présentée à l’hôpital pour ramasser le plaignant et le raccompagner chez lui.

La TC no 2 est arrivée avec la TC no 1 et a ramassé le plaignant à l’hôpital et a commencé à le reconduire à la maison. Alors qu’ils roulaient sur le chemin Centre, le plaignant est devenu agité et la TC no 2 s’est arrêtée devant le détachement de la PPO, qui était fermé pour la nuit. Le plaignant est sorti de la voiture, s’est approché du bâtiment du détachement et a frappé à la porte.

Au moment de l’arrivée du plaignant, l’AI se trouvait seule au détachement, vu que le détachement était fermé au public pour la nuit. En entendant des cognements à la porte, à 23 h 17 m 08 s, l’AI a avisé les Communications qu’il y avait une personne qui frappait à la porte avant du détachement et qu’elle allait voir de quoi il s’agissait. Cela est confirmé par l’enregistrement des communications de la police. L’AI est alors allée à la porte du détachement, où elle a vu le véhicule de la TC no 2, dont le moteur tournait toujours, sur le terrain de stationnement et le plaignant à la porte. L’AI a déclaré qu’elle a demandé au plaignant ce qui se passait et qu’il lui a répondu que sa grand‐mère pensait qu’il était trop saoul et qu’il devrait être détenu dans une cellule de la police. L’AI a indiqué qu’elle n’a pas immédiatement remarqué de signe apparent d’intoxication chez le plaignant, mais qu’elle a bien vu du sang sur sa chemise, et qu’elle demandé au plaignant d’attendre à l’extérieur de la porte pendant qu’elle irait chercher ses gants. Cela est confirmé par l’enregistrement de communications dans lequel on entend l’AI déclarer que le plaignant a été déposé devant le bâtiment du détachement par sa grand‐mère et qu’il semblait qu’il y avait un conflit familial. On entend de plus l’AI déclarer, dans l’enregistrement, que le plaignant avait du sang sur sa chemise.

L’AI a indiqué que son intention, alors, était d’aller chercher ses gants de caoutchouc puis de faire entrer le plaignant dans le bâtiment du détachement afin d’enquêter sur ce qu’elle pensait être un conflit familial. Lorsque l’AI est revenue à la porte avant, 15 à 20 secondes plus tard, le plaignant ne se trouvait plus derrière la porte. L’AI a demandé à la TC no 1 où le plaignant était allé, et la TC no 1 a pointé en direction nord, vers le chemin Centre. L’AI a appelé le plaignant pour lui demander de revenir, mais sans réponse.

Au moment où le plaignant marchait sur le chemin Centre, le TC no 3 conduisait sa voiture, avec le TC no 4 comme passager, sur le chemin Centre, en direction nord, vers son domicile. Il n’y avait pas d’autres véhicules qui circulaient sur le chemin à ce moment‐là. Le véhicule motorisé du TC no 3 a alors heurté le plaignant. Le TC no 3 a immédiatement reculé et a vu le plaignant qui gisait au centre de la chaussée. Le plaignant était inconscient.

Dans la minute ou les deux minutes qui ont suivi la collision, on voit l’AI sortir, à bord d’une autopatrouille, du terrain du détachement et arriver sur la chaussée. L’AI a roulé vers le véhicule du TC no 3, a activé les feux d’urgence de son autopatrouille et a appelé une ambulance par radio. Cela est confirmé par l’enregistrement de communications dans lequel on entend l’AI demander l’envoi immédiat d’une ambulance parce qu’elle avait trouvé le plaignant sur la chaussée du chemin Centre et qu’il semblait avoir été fauché par un véhicule. La voix de l’AI semblait affolée tandis qu’elle n’arrêtait pas de crier qu’il fallait immédiatement envoyer du personnel médical d’urgence. Elle a décrit l’état du plaignant en indiquant qu’il respirait mais qu’il semblait avoir une blessure à la tête et la jambe cassée et qu’il semblait inconscient.

Au cours de cette enquête, l’UES s’est entretenue avec quatre témoins civils et sept témoins de la police, y compris l’agente impliquée. De plus, les enquêteurs de l’UES ont eu accès à l’enregistrement des communications, aux notes et déclarations préparées de l’AI et de plusieurs AT, ainsi qu’aux dépositions de tous les témoins civils prises par la PPO. L’ensemble de la preuve coïncide avec la séquence des événements décrite ci‐dessus; les faits ne sont pas contestés. Au moment de rédiger la présente décision, le plaignant était à l’hôpital sous respirateur artificiel et ne pouvait pas être questionné.

La seule accusation criminelle sur laquelle on pourrait s’interroger à la lumière de ces faits serait celle de négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention de l’article 221 du Code criminel. Il ne fait aucun doute que les blessures graves subies par le plaignant n’étaient pas directement imputables aux actions de l’AI, la seule question étant de déterminer si l’AI a manqué ou non à son devoir lorsqu’elle a laissé le plaignant à la porte du détachement pendant qu’elle allait chercher ses gants de caoutchouc. Plus précisément, la question à trancher est de savoir si l’AI a omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir d’accomplir et si, ce faisant, elle a fait montre d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité du plaignant (article 219 du Code criminel : définition de la négligence criminelle).

De nombreuses décisions des tribunaux d’instance supérieure définissent les exigences à satisfaire pour prouver une infraction de négligence criminelle; si la plupart ont trait à des infractions impliquant la conduite d’un véhicule, les tribunaux ont clairement établi que les mêmes principes s’appliquent aussi à d’autres comportements. Pour trouver des motifs raisonnables de croire que l’AI a commis l’infraction de négligence criminelle causant des lésions corporelles, il faut d’abord avoir des motifs raisonnables de croire qu’elle avait, envers le plaignant, le devoir d’accomplir quelque chose qu’elle a omis de faire et que cette omission, selon la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt R. c. J.F. (2008), 3 R.C.S. 215, a constitué « un écart marqué et important par rapport à la conduite » d’une personne raisonnablement prudente dans des circonstances où l’AI « soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie » du plaignant, « soit ne lui a accordé aucune attention. » Les tribunaux ont aussi clairement établi que le risque de lésions corporelles pour le plaignant devait avoir été prévisible aux yeux de l’AI (R. c. Shilon (2006), 240 C.C.C. (3d) 401 C.A. de l’Ont.).

Bien que la PPO n’ait pas de politique établie concernant les obligations d’un agent en charge d’un poste de la PPO fermé lorsqu’un membre du public sollicite une assistance, il est clair, à la lumière de l’ensemble de la preuve, que l’AI avait toutes les intentions de s’occuper du plaignant et d’enquêter sur sa situation. Cela est confirmé par sa transmission radio au centre des communications au moment où le plaignant cognait sur la porte du bâtiment du détachement.

L’AI s’est présentée à la porte et a brièvement parlé au plaignant et, voyant qu’il avait du sang sur sa chemise, a déterminé qu’il serait prudent d’aller d’abord chercher ses gants de latex et d’aviser les Communications de la situation. Sur la foi de cette preuve, je ne saurais conclure que les actions de l’AI, qui ont entraîné un délai de quelque 15 à 20 secondes et qui semblaient avisées dans les circonstances, ont constitué une omission de sa part d’accomplir son devoir, si j’en venais à conclure qu’elle avait de quelque façon le devoir de traiter avec le plaignant, ce qui n’est pas clairement établi, pas plus qu’elles n’ont constitué « un écart marqué et important par rapport à la conduite » d’une personne raisonnablement prudente dans ces circonstances.

De plus, je considère que les actions du plaignant, lorsqu’il s’est éloigné du détachement pour s’aventurer sur la chaussée, où il a été heurté par le véhicule du TC no 3, n’auraient être pu le moindrement prévisibles aux yeux de l’AI, et j’estime qu’il n’y a aucune preuve que l’AI « soit a eu conscience d’un risque grave et évident pour la vie » du plaignant, soit n’a « accordé aucune attention » à ce risque.

Plutôt que de trouver des motifs raisonnables de croire que l’AI a fait montre d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité du plaignant, il me semble plutôt que l’AI cherchait en fait activement à porter assistance au plaignant; elle n’était simplement pas prête à faire cela sans assurer d’abord sa propre sécurité en enfilant ses gants de protection et en avisant les Communications de la situation, afin que l’on puisse communiquer avec d’autres agents qui pourraient lui prêter assistance. Qui plus est, dès que l’AI a constaté que le plaignant avait été happé par un véhicule qui circulait sur le chemin, elle s’est immédiatement portée à son secours et a demandé aux Communications d’envoyer de toute urgence une assistance médicale.

Compte tenu de toutes ces circonstances, je ne puis trouver de motifs raisonnables de croire que les actions de l’AI satisfont à l’un ou l’autre des éléments requis pour le dépôt d’une accusation prévue à l’article 221 du Code criminel en ce que l’AI n’a pas omis de faire quelque chose qu’il était de son devoir d’accomplir, ni que ses actions ont constitué un écart marqué et important par rapport à la conduite d’une personne raisonnablement prudente en pareilles circonstances et ne puis davantage trouver de motifs raisonnables de croire qu’elle a montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité du plaignant et que les blessures subies ensuite par le plaignant étaient le moindrement prévisibles dans les circonstances. Compte tenu de l’ensemble de la preuve, il semble que les blessures tragiques subies par le plaignant ont découlé de ses actions volontaires lorsqu’il est allé marcher sur la chaussée, où il a ensuite été malheureusement happé par un automobiliste qui circulait sur le chemin, et qu’il n’y ait pas de lien de causalité entre les actions de l’AI et les blessures du plaignant. Dans cette affaire, je ne vois aucune raison de déposer des accusations au criminel, et aucune accusation ne sera donc portée.

Date : 21 mars 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Addenda

Le 18 janvier 2018, le plaignant dans cette affaire est décédé, un fait que l’UES a découvert le 15 août 2018, lorsque l’enquêteur principal a communiqué avec la grand-mère du défunt pour informer la famille des résultats de l’enquête de l’UES. J’avais précédemment conclu l’enquête par un rapport au procureur général, daté du 21 mars 2018, dans lequel j’indiquais qu’il n’y avait aucun motif de porter des accusations criminelles contre l’agent impliqué pour ce que l’on pensait alors être simplement les blessures graves subies par le plaignant (voir le Rapport du directeur au procureur général, dossier no 17-PVI-333). Nous savons maintenant que le décès du plaignant, qui résulte d’une pneumonie par aspiration (combinée à un polytraumatisme multiple et à un traumatisme cérébral), était directement attribuable à la lésion cérébrale qu’il a subie au cours de l’incident qui a donné lieu à l’enquête de l’UES.

J’ai donc réexaminé le dossier afin de déterminer si ces nouveaux renseignements modifieraient, d’une manière ou d’une autre, ma conclusion finale selon laquelle il n’y avait aucun motif de déposer des accusations contre l’agent impliqué, et j’ai conclus par la négative. Plus précisément, même si la disposition à prendre en considération aurait dû être l’article 220 du Code criminel au lieu de l’article 221, je suis convaincu que le fait qu’il y ait eu un décès plutôt que simplement des lésions corporelles ne change en rien l’analyse de la possible responsabilité pour négligence criminelle en l’espèce.

Par ailleurs, le numéro de dossier de cette affaire devrait être « 17-PCD-333 », au lieu de « 17-PVI-333 », afin de refléter le fait que l’enquête a finalement impliqué un décès sous garde et non une blessure à la suite d’un accident de véhicule.

Par conséquent, afin de corriger et de compléter le dossier concernant cette affaire, le présent addenda doit être annexé au rapport du directeur au Procureur général, daté du 21 mars 2018, qui a été précédemment soumis à votre bureau.

Date : 20 septembre 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) [1] Le chemin Centre est également connu sous le nom de route provinciale 81. [Retour au texte]
  • 2) [2] Les longues fibres nerveuses qui connectent le cerveau sont sectionnées en raison du déplacement du cerveau durant le traumatisme. [Retour au texte]
  • 3) [3] Un drain utilisé pour diminuer la pression à l’intérieur de la boîte crânienne. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.