Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OOI-167

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu à une allégation d’agression sexuelle.

Les « blessures graves » englobent celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, a priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant que la gravité de la blessure puisse être évaluée, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider de l’envergure de son intervention.

Ce rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 43 ans lors d’une interaction avec la police le 1er juillet 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 6 h, le 1er juillet 2017, le Service de police de Chatham Kent (SPCK) a informé l’UES de la blessure grave subie par le plaignant, un homme de 43 ans, lors d’une interaction avec des agents de police dans la cour arrière de son domicile à Chatham.

Le SPCK a signalé que vers 1 h 30 le 1er juillet 2017, l’épouse du plaignant avait appelé d’urgence la police. Elle avait dit à la police qu’elle avait reçu un message texte de son mari, dans lequel il menaçait de se faire du tort. La police s’était rendu à l’adresse et avait trouvé le plaignant dans sa cour arrière. Le plaignant avait un bidon à essence et un briquet et avait dit à la police de repartir ou il s’immolerait par le feu. Il avait compté jusqu’à trois et avait mis sa menace à exécution. Puis, le plaignant avait été transporté à l’hôpital où il avait été traité, parce qu’il avait des brûlures au troisième degré sur 60 % de son corps.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 1

Plaignant

Homme de 43 ans, interviewé, dossiers médicaux obtenus et examinés

Témoin civil (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue, et ses notes ont été reçues et examinées.

AT no 2 A participé à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

AI no 2 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Tard le soir le 30 juin 2017 et durant les premières heures du matin le 1er juillet 2017, la TC no 1 a reçu de nombreux messages textes de son mari dans lesquels il disait qu’il avait l’intention de se faire du tort. Par conséquent, la TC no 1 a appelé le SPCK, et des agents ont été dépêchés à la résidence du plaignant pour vérifier le bien être de ce dernier.

La police est arrivée à la résidence à 1 h 39 et a constaté que le plaignant était assis dans sa cour arrière et qu’il avait un bidon à essence sur les genoux. La police a tenté de converser avec le plaignant, tout en restant de l’autre côté de la clôture entourant la cour arrière, puisque le plaignant ne leur donnait pas la permission d’entrer. Alors que les agents de police essayaient de parler au plaignant pour déterminer pourquoi il était bouleversé et ce qu’ils pouvaient faire pour l’aider, le plaignant a compté jusqu’à trois, s’est aspergé d’essence et y a mis le feu.

Les agents de police sont alors immédiatement entrés dans la cour et ont éteint les flammes.

Nature des blessures/traitement

Le plaignant avait des brûlures au troisième degré sur 60 % de son corps et a été gardé dans l’unité de soins aux brûlés de l’hôpital pendant huit semaines.

Preuve

Les lieux de l’incident

Le plaignant a été blessé dans la cour arrière de sa résidence, située dans la municipalité de Chatham Kent. La résidence est une maison individuelle avec une grande cour arrière. Dans la cour arrière, il y avait un foyer de patio, un barbecue de taille commerciale, diverses tables et des chaises en plastique.

Les enquêteurs judiciaires (EJ) ont saisi, dans la cour arrière, un bidon à essence de cinq gallons, qui avait fondu, ainsi que le briquet utilisé pour allumer l’essence.

Les EJ de l’UES ont photographié sur place et ont emporté un extincteur d’incendie utilisé par un agent de police.

éléments de preuve médico-légaux

Aucun document ou élément n’a été soumis au Centre des sciences judiciaires.

Enregistrements des communications

Les enquêteurs ont obtenu et examiné l’enregistrement de l’appel au numéro 9 1 1 et les enregistrements des communications radio de la police.

Documents obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPCK les documents et éléments suivants, qu’elle a obtenus et examinés :

  • chronologies des événements contextuels (x2)
  • courriel du SPCK indiquant les dates de certification en premiers soins – 2017 07 05
  • rapport général d’incident
  • notes de l’AT no 1
  • résumé de l’incident
  • procédure : intervention de la police auprès de personnes ayant des troubles émotifs
  • profil du plaignant;
  • entrevue audio avec l’épouse du plaignant
  • photographies des lieux de l’incident;
  • enregistrement de l’appel au numéro 9 1 1
  • enregistrements des communications de la police

L’UES a également obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • dossiers médicaux du plaignant
  • rapports des appels au Service d’ambulances
  • rapport du commissaire aux incendies
  • messages textes du plaignant à son épouse, avant l’incident

Analyse et décision du directeur

Tard le soir le 30 juin 2017 et durant les premières heures du matin le 1er juillet 2017, la TC no 1 a reçu un certain nombre de messages textes de son mari, le plaignant, dans lesquels il écrivait que leur situation matrimoniale le bouleversait et qu’il avait l’intention de se faire du tort. Plus particulièrement, dans l’un des messages textes, il avait écrit [traduction] « avec de l’essence et un briquet, pourquoi je ne fais pas simplement de toi une veuve » et avait envoyé une photographie d’un bidon à essence suivie des mots « c’est facile de brûler les détritus ». S’inquiétant du bien être du plaignant, la TC no 1 a composé le numéro 9 1 1 vers 1 h 30 le 1er juillet 2017. Le Service de police de Chatham Kent a dépêché un certain nombre d’agents de police à la résidence du plaignant pour vérifier le bien être de ce dernier. Après son interaction avec la police, le plaignant a été transporté à l’hôpital, où il a été traité pour des brûlures au troisième degré sur 60 % de son corps; il est resté dans l’unité de soins aux brûlés pendant huit semaines.

Les enquêteurs se sont entretenus avec quatre témoins civils, dont le plaignant, et avec quatre agents de police témoins, dont les deux agents impliqués. De plus, les enquêteurs ont examiné les notes entrées dans le calepin de l’un des agents de police témoins et l’enregistrement de l’appel au numéro 9 1 1, les enregistrements des transmissions radio de la police, les messages textes échangés entre le plaignant et la TC no 1 et les dossiers médicaux du plaignant. Tandis que les faits contextuels, y compris les intentions du plaignant au moment de l’incident, sont loin de faire l’unanimité, il n’y a aucune contestation quant aux actions des agents de police et du plaignant sur les lieux de l’incident et quant à la cause des blessures qu’il a subies.

Tandis qu’il n’y a aucune allégation selon laquelle la police était directement responsable d’une façon ou d’une autre de la décision du plaignant de s’immoler par le feu, il est allégué que l’incident n’aurait jamais eu lieu si les agents de police n’étaient pas arrivés à la résidence du plaignant.

L’AI no 2 a indiqué qu’il avait reçu un appel lui demandant de se rendre à la résidence du plaignant dans la municipalité de Chatham Kent, parce que la TC no 1 s’inquiétait du bien être de son mari, qui lui avait envoyé une photographie sinistre d’un bidon à essence. L’AI no 2 est arrivé sur les lieux à 1 h 39 et a attendu l’arrivée de l’AT no 1, de l’AI no 1 et de l’AT no 2; puis, les quatre agents s’étaient dirigés dans l’entrée jusqu’à la cour arrière de la résidence. Ce fait est confirmé par l’enregistrement des transmissions radio de la police.

L’AI no 2 a indiqué qu’il avait été le premier à arriver à la porte de la clôture ceinturant la cour arrière et qu’il avait constaté que le plaignant était assis dans une chaise de jardin. L’AT no 2 s’était présenté en utilisant son prénom afin d’entamer le dialogue avec le plaignant et il lui avait dit que la police était venue pour l’aider. L’AI no 2 avait vu que le plaignant avait un bidon à essence sur les genoux et lorsque l’AI no 2 lui avait demandé ce qui se passait, le plaignant avait répondu [traduction] « sors d’ici, tabernak ». Quand l’AT no 2 avait continué d’essayer de parler au plaignant et lui avait demandé de mettre le bidon à essence au sol, le plaignant a répété son exigence que les agents quittent sa propriété; les quatre agents de police présents ont tous confirmé que le plaignant ne s’était pas aspergé d’essence au moment de leur arrivée. L’AI no 2 avait demandé aux autres agents de police d’essayer de trouver un tuyau d’arrosage.

L’AT no 1 a indiqué qu’étant donné que le plaignant ne réagissait pas bien à l’AI no 2, l’AI no 1 avait pris la relève et avait tenté de parler avec le plaignant, ce qu’il avait fait pendant environ une trentaine ou quarantaine de secondes, tandis que les autres agents de police discutaient de stratégies possibles pour désarmer le plaignant.

L’AI no 1 a expliqué qu’il avait demandé au plaignant son nom et que le plaignant avait répondu que les agents de police devaient quitter les lieux et qu’il allait compter jusqu’à trois; puis, il avait compté « 1 » et s’était levé, avait compté « 2 » et avait levé le bidon à essence et le briquet à la hauteur de ses épaules; puis, il avait dit « 3 » et avait rapproché le bidon à essence et le briquet l’un de l’autre et puis les flammes l’avaient entièrement englouti; l’AI no 2, l’AT no 1 et l’AT no 2 l’ont tous constaté. Les quatre agents de police ont tous dit qu’aucun agent n’était entré dans la cour arrière clôturée avant que le plaignant allume l’essence.

L’AI no 2 avait alors couru vers le plaignant et lui avait dit de se coucher par terre et de se rouler; le plaignant s’était alors mis sur les mains et les genoux et avait commencé à ramper, tandis que l’AI no 2 avait enlevé sa veste de police et avait essayé d’étouffer les flammes.

L’AI no 2 avait vu le bidon à essence fondre à côté du plaignant sur le sol et il avait donné un coup de pied au bidon pour l’éloigner, auquel moment de l’essence s’était éclaboussée sur sa botte et puis, sa botte et son uniforme avaient commencé à brûler; les flammes avaient été éteintes rapidement. L’AI no 2 estimait que le plaignant avait brûlé pendant environ une minute à une minute et demie avant que les flammes soient complètement éteintes.

L’AT no 1 a indiqué qu’il était allé chercher le tuyau d’arrosage, mais que l’eau avait été coupée et que le tuyau n’était donc d’aucune utilité; un agent de police non désigné est alors entré dans la cour arrière avec un extincteur d’incendie et a éteint les autres feux qui continuaient de brûler dans la cour. L’AT no 2 avait alors tenu le plaignant sur le sol, avec son pied sur sa ceinture, jusqu’à l’arrivée du Service d’incendie et des Services médicaux d’urgence, et le plaignant avait été transporté à l’hôpital.

Le plaignant a confirmé les déclarations des quatre agents de police qui étaient arrivés chez lui initialement selon lesquelles aucun agent de police n’avait contribué physiquement à son geste de s’immoler par le feu ou aux blessures qu’il avait subies à cause de cela. Tandis que le plaignant semble blâmer dans une certaine mesure la police, en ce sens que leur présence l’avait bouleversé et avait ainsi causé son [traduction] « accident impulsif », il est clair que les agents de police accomplissaient leurs fonctions lorsqu’ils avaient répondu à un appel au numéro 9 1 1 leur demandant de vérifier le bien être du plaignant à sa résidence, à la requête de la TC no 1, qui avait des craintes valides que son mari fût suicidaire.

En dernière analyse, quelle que soit la raison pour laquelle le plaignant avait décidé de s’immoler par le feu, il est tout à fait clair qu’il n’y a pas eu d’interaction physique et une interaction verbale très limitée entre le plaignant et la police avant que ce premier allume l’essence et subisse ses graves blessures. De plus, c’est le plaignant lui-même et lui uniquement qui s’est ainsi immolé par le feu et aucun agent de police ne l’a aidé à le faire. Au contraire, je conclus que les agents de police, et plus particulièrement l’AI no 2, ont sauvé la vie du plaignant et que les actions de l’AI no 2, en courant immédiatement vers le plaignant, en dépit du fait qu’il était en proie aux flammes et en utilisant sa veste de police pour les étouffer, sont louables et résultaient d’une décision prise très rapidement et ont été exécutées en dépit du risque pour la propre sécurité de l’AI no 2.

Compte tenu de ces faits, il est clair qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les actions de la police et les graves blessures subies par le plaignant et je ne dispose d’aucun élément de preuve m’amenant à avoir des motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des agents de police qui sont intervenus et qui ont tenté de dissuader le plaignant de prendre sa propre vie ont commis une infraction criminelle et, par conséquent, aucune accusation ne sera portée.

Date : 26 mars 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.