Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-TFI-258

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Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave ou ont donné lieu une allégation d’agression sexuelle

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Le présent rapport décrit l’enquête de l’UES sur la blessure grave qu’aurait subie un homme âgé de 27 ans lors de son arrestation, le 14 septembre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 septembre 2017, vers 9 h 50, le Service de police de Toronto (SPT) a informé l’UES des blessures graves subies par le plaignant.

Le SPT a indiqué que le 14 septembre 2017, à 9 h 13, des agents de police du SPT ont répondu à un incident d’attaque au couteau à l’angle de l’avenue Driftwood et du croissant Cobbler, dans le secteur de l’autoroute 400 et de l’avenue Finch, dans la ville de Toronto. Un agent de police a fait feu avec son arme et un homme a été touché.

La victime de l’agression au couteau et l’homme qui a été atteint par la ou les balles tirées ont été transportés à l’hôpital.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 10

Nombre d’enquêteurs judiciaires de l’UES assignés : 4

Plaignant :

Homme de 27 ans; n’a pas participé à une entrevue

Le 15 septembre 2017, les enquêteurs de l’UES ont tenté de parler au plaignant à l’hôpital, mais le plaignant a déclaré qu’il ne voulait pas parler aux enquêteurs.

Le 18 septembre 2017, les enquêteurs de l’UES se sont rendus au centre de détention où le plaignant était détenu, mais on leur a dit que le plaignant avait agressé un de leurs médecins plus tôt ce jour-là, et que, par conséquent, le plaignant avait été placé en isolement.

Lorsque les enquêteurs se sont rendus à la cellule du plaignant, le plaignant a dit qu’il ne se souvenait pas des enquêteurs de l’UES et parlait de façon incohérente. Le plaignant a dit qu’un homme l’avait dénoncé et que c’est pour cette raison qu’on lui avait tiré dessus. Il a également dit qu’il était à la porte avant de la résidence de cet homme lorsque ce dernier a appelé le 9-1-1.

Le plaignant croyait que l’agent de police qui avait feu sur lui [l’AI] le suivait depuis qu’il était en 7e année. Il se souvenait que des étrangers se tenaient près de lui et qu’il faisait face à l’AI au moment où on lui a tiré dessus. Lorsque le plaignant a été questionné au sujet de ses interactions avec l’agent de police, il a refusé d’en dire plus aux enquêteurs.

Témoins civils (TC)

TC no 1 A participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

TC no 8 A participé à une entrevue

TC no 9 A participé à une entrevue

TC no 10 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A décliné l’entrevue et n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Description de l’incident

Le 14 septembre 2017, vers 8 h 30, le TC no 8 accompagnait à pied ses jeunes petits‐enfants à l’école dans la ville de Toronto. Alors que le TC no 8 rentrait à la maison, à pied, après avoir déposé les enfants à l’école, il s’est retrouvé en compagnie de sa voisine, la TC no 6. Alors que le TC no 8 et la TC no 6 marchaient en direction nord sur l’avenue Driftwood, vers leurs complexes résidentiels respectifs, le plaignant marchait en direction sud sur l’avenue Driftwood, vers eux. Juste au moment où il croisait le TC no 8, le plaignant a agressé ce dernier avec un couteau. Le plaignant a poignardé et frappé le TC no 8 à plusieurs reprises au visage et à la tête. De nombreux témoins civils ont crié au plaignant et lui ont dit d’arrêter, mais le plaignant a continué de poignarder et de frapper à répétition le TC no 8.

Quelques minutes plus tard, l’AI et l’AT no 1 sont arrivés et ont répété au plaignant d’arrêter et de laisser tomber le couteau. L’AI a fait feu une fois avec son arme, atteignant le plaignant à l’abdomen.

Le TC no 8, le plaignant et l’AI ont été transportés à divers hôpitaux de la ville.

Nature des blessures et traitement

Les enquêteurs de l’UES n’ont pu obtenir les dossiers médicaux du plaignant, car ce dernier semblait incapable, en raison de son état mental, de consentir à leur divulgation. Selon les quelques mots que les enquêteurs de l’UES ont brièvement échangés avec le plaignant, il était évident que la santé mentale du plaignant était fragile.

Preuve

Les lieux de l’incident

L’avenue Driftwood était une voie pavée sur un axe nord-sud. Il y avait des trottoirs des deux côtés de la chaussée. Le croissant Cobbler allait en direction ouest depuis l’avenir Driftwood. Le secteur se composait d’immeubles à appartements, de résidences et d’écoles.

L’incident s’est produit au coin nord-ouest de l’intersection de l’avenue Driftwood et du croissant Cobbler, dans la ville de Toronto. Il y avait des haies d’herbe haute le long du trottoir sur le côté est du croissant Cobbler et le côté sud de l’avenue Driftwood. Une douille de cartouche de calibre .40 se trouvait sur la bordure ouest de l’avenue Driftwood, au nord du croissant Cobbler. Une mare de taches de sang maculait le trottoir. Un couteau sans manche, taché de sang, se trouvait sur l’herbe, à l’ouest du trottoir côté ouest de l’avenue Driftwood. Il y avait plusieurs pièces de vêtement à cet endroit. Il y avait un autobus de la TTC stationné sur l’avenue Driftwood, juste au nord du croissant Cobbler.

Les lieux de l’incident

Les lieux de l’incident

Preuve matérielle

La lame utilisée par le plaignant pour poignarder le TC no 8.

La lame utilisée par le plaignant

Examen par l’UES du résumé sur l’utilisation de l’arme de service de l’AI

Le 14 septembre 2017, un enquêteur de l’UES a examiné l’équipement de recours à la force de l’AI. À l’examen de l’arme à feu de l’AI, qui était un pistolet Glock 22 de calibre .40, et des chargeurs, l’enquêteur a observé ce qui suit :

  • deux chargeurs supplémentaires contenant 14 balles
  • un chargeur qu’on avait retiré de l’arme à feu de l’AI et qui contenait 13 balles

Preuve criminalistique

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Preuve vidéo/audio/photographique

Résumé des séquences vidéo enregistrées sur téléphone cellulaire par des témoins civils

Le 14 septembre 2017, le TC no 2, le TC no 9 et le TC no 7 ont fourni aux enquêteurs de l’UES les séquences vidéo de l’incident qu’ils avaient enregistrées sur leurs téléphones cellulaires respectifs. Les vidéos ont été visionnées et l’on a constaté qu’elles étaient compatibles les unes avec les autres. Voici un résumé des séquences :

14 septembre 2017

  • Vers 9 h 13, des gens se trouvent sur la chaussée de l’avenue Driftwood, regardant à l’ouest, vers le croissant Cobbler. On entend le son des klaxons de véhicules stationnés sur l’avenue Driftwood et faisant face à l’est. On entend des gens qui crient « Arrêtez » et « Oh mon Dieu ». Un homme portant un gilet bleu [maintenant désigné comme étant le plaignant] se trouvait sur le trottoir côté ouest de l’avenue Driftwood et du croissant Cobbler. Le plaignant était au-dessus d’un autre homme [le TC no 8] et tournait autour de lui en le frappant et en lui donnant des coups de pied à répétition. On voit beaucoup de sang sur le trottoir ainsi que sur le plaignant et sur le TC no 8. Il semblait que le TC no 8 était sur ses genoux et qu’il essayait de se protéger en se couvrant le visage et la tête des bras et des mains. Il ne semblait pas que le TC no 8 se battait ou se défendait contre le plaignant
  • Vers 9 h 14, un agent de police [l’AI] a couru en direction ouest depuis l’avenue Driftwood vers le croissant Cobbler, avec la main droite sur son arme à feu non dégainée. L’AI est monté sur la partie gazonnée du trottoir côté ouest de l’avenue Driftwood et du croissant Cobbler et s’est arrêté en pointant son arme à feu sur le TC no 8. On a entendu une voix d’homme dire [traduction] « Hé, Hé », puis on a entendu un coup de feu. Un policier [l’AT no 1] a couru vers le plaignant, qui était couché sur le trottoir, et a pris le bras droit du plaignant

Enregistrements de communications

Résumé des enregistrements de communications et des appels au 9-1-1

Le 14 septembre 2017, vers 9 h 12, plusieurs appels ont été faits au 9-1-1 pour signaler qu’un homme [le TC no 8] était en train d’être poignardé à plusieurs reprises à l’angle de l’avenue Driftwood et du croissant Cobbler. Les auteurs des appels au 9-1-1 semblaient ébranlés et en état de panique. L’une des appelantes au 9‐1‐1 [nom inconnu] a dit qu’elle a vu une lame à carton (lame de couteau X‐Acto) dans les mains de l’homme [le plaignant] qui était en train de poignarder le TC no 8.

Vers 9 h 14, le répartiteur de la police a diffusé un message signalant qu’une personne était en train d’être poignardée à l’angle du croissant Cobbler et de l’avenue Driftwood. L’AT no 1 et l’AI ont répondu à l’appel et ont indiqué par radio qu’ils étaient en chemin.

Vers 9 h 15, l’AI a déclaré par radio que des coups de feu avaient été tirés et a demandé une ambulance.

Éléments obtenus du service de police

L’UES a demandé au SPT, puis obtenu et examiné les éléments et documents suivants :

  • enregistrements des appels au 9-1-1
  • enregistrements des communications par radio de la police
  • rapports sur les détails de l’événement (x2)
  • notes de l’AT no 1
  • photos de la scène fournies par le SPT
  • résumé de conversation
  • résumé d’antécédents fourni par le SPT

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • rapports sur les appels d’ambulance aux services paramédiques de Toronto (x2)
  • rapports d’incident fournis par les SMU de Toronto (x3)
  • résumé d’incident fourni par les SMU de Toronto
  • enregistrements de l’incident sur téléphone cellulaire (x4) fournis par les témoins civils
  • enregistrement de TVCF de l’autobus de la TTC

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphes 25(1) et (3) du Code criminel – Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :

  1. soit à titre de particulier
  2. soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
  3. soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
  4. soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

25 (3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle-même ou de protéger toute autre personne sous sa protection, contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

Article 27 du Code criminel – Recours à la force pour empêcher la perpétration d’une infraction

27 Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire :

  1. pour empêcher la perpétration d’une infraction
    1. d’une part, pour laquelle, si elle était commise, la personne qui la commet pourrait être arrêtée sans mandat
    2. d’autre part, qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne
  2. pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a)

Article 34 du Code criminel – Défense de la personne – emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

  1. croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
  2. commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
  3. agit de façon raisonnable dans les circonstances

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

  1. la nature de la force ou de la menace
  2. la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
  3. le rôle joué par la personne lors de l’incident
  4. la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
  5. la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
  6. la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
    1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
  7. la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
  8. la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Article 239 du Code criminel – Tentative de meurtre

239 (1) Quiconque, par quelque moyen, tente de commettre un meurtre est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il y a usage d’une arme à feu à autorisation restreinte ou d’une arme à feu prohibée lors de la perpétration de l’infraction, ou s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction et que celle-ci est perpétrée au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou en association avec elle, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant :
    1. de cinq ans, dans le cas d’une première infraction
    2. de sept ans, en cas de récidive

(a.1) dans les autres cas où il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;

  1. dans tous les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité

Article 267 du Code criminel – Agression armée ou infliction de lésions corporelles

267 Quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas,

  1. porte, utilise ou menace d’utiliser une arme ou une imitation d’arme
  2. inflige des lésions corporelles au plaignant

est coupable soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans, soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

Analyse et décision du directeur

Le 14 septembre 2017, le Service de police de Toronto (SPT) a reçu de nombreux appels au 9-1-1 vers 9 h 12 de la part de divers appelants qui demandaient qu’on envoie de l’aide dans le secteur de l’avenue Driftwood et du croissant Cobbler, dans la ville de Toronto, relativement à un homme poignardé à plusieurs reprises; les enregistrements des appels au 9-1-1 révèlent que les appelants étaient ébranlés et en état de panique.

À 9 h 14, le répartiteur du SPT a envoyé par radio un appel d’assistance à toutes les unités, et l’agent impliqué (AI) et l’agent témoin (AT) no 1 ont immédiatement répondu à l’appel et se sont rendus sur les lieux. Les enregistrements des transmissions radio du service de répartition de la police révèlent que, dans la minute qui a suivi la demande initiale d’assistance transmise par radio par le répartiteur, une transmission radio a été reçue de l’AI, qui confirmait que des coups de feu avaient été tirés et qu’une ambulance était demandée.

Le plaignant a ensuite été transporté à l’hôpital par ambulance. Bien que le plaignant n’ait pas été en mesure de consentir à la divulgation de ses dossiers médicaux, l’ambulancier paramédical, dans les dossiers des SMU, a noté que, si le plaignant semblait avoir deux blessures à l’abdomen, lesquelles étaient des blessures par balle, il lui a semblé que l’une des blessures était une plaie d’entrée, et l’autre une blessure de sortie.

Le témoin civil (TC) no 8 a également été transporté à l’hôpital, où il a été traité pour de multiples lésions par arme blanche.

Le plaignant, lors de diverses tentatives des enquêteurs de l’UES pour obtenir une entrevue de sa part, n’a pas été en mesure de fournir un récit rationnel de l’incident en raison de son état de santé mentale, et l’AI n’a pas consenti à être soumis à une entrevue ni à remettre ses notes de calepin de service pour examen, comme il en a légalement le droit. Néanmoins, dix TC et un témoin de la police ont été questionnés par les enquêteurs de l’UES. De plus, quatre des TC avaient enregistré l’incident sur leur téléphone cellulaire. Ces enregistrements ont été fournis aux enquêteurs de l’UES, de même que les enregistrements des appels au 9-1-1, les enregistrements des transmissions radio de la police, les dossiers paramédicaux, l’arme à feu de l’AI, qui fait l’objet d’un examen criminalistique, et les notes de l’AT no 1. Les faits relatés par les 11 témoins ne sont pas contestés, et une image claire de l’interaction a pu être établie à la suite de la collaboration de tous les témoins indépendants qui ont été témoins de la fusillade.

Le 14 septembre 2017, vers 8 h 30, le TC no 8 accompagnait, à pied, ses petits-enfants à l’école, dans le secteur de l’avenue Driftwood, dans la ville de Toronto. Après avoir déposé ses petits-enfants à l’école, il rentrait à pied à la maison de sa fille en compagnie d’une voisine, la TC no 6, lorsqu’il a été accosté par le plaignant, que ni le TC no 8 ni la TC no 6 ne connaissaient. Le plaignant, qui marchait sur le trottoir en direction opposée de celle du TC no 8 et de la TC no 6, a soudainement poignardé le TC no 8 à la tête avec un couteau, sans avertissement. LA TC no 6, craignant pour sa propre vie, a couru vers son domicile. Le TC no 8 a indiqué qu’il a tenté de s’enfuir, mais qu’il est tombé sur le trottoir et que le plaignant a continué de le poignarder à plusieurs reprises à la tête et au visage avec le couteau. Le couteau, qu’on a retrouvé ultérieurement, n’avait pas de manche, et le plaignant serrait la lame nue dans sa main tout en poignardant le TC no 8, s’infligeant lui‐même des blessures à la main en donnant des coups de couteau.

De nombreux témoins dans le secteur ont vu le TC no 8 s’agenouiller sur le trottoir, pendant que le plaignant le poignardait, le frappait et lui donnait des coups de pied à répétition. Des passants criaient au plaignant de lâcher le TC no 8, en plus de klaxonner à bord de leurs véhicules et d’enregistrer l’incident sur vidéo. De nombreux témoins ont fait des appels d’urgence au 9-1-1 acheminés au SPT pour demander de l’aide. Les enregistrements vidéo sur téléphone cellulaire ont confirmé qu’à aucun moment le TC no 8 n’a riposté contre le plaignant et qu’il semblait plutôt essayer de se protéger le visage et la tête avec ses bras et ses mains.

On a ensuite vu une minifourgonnette banalisée de la police arriver à grande vitesse sur les lieux de l’incident, et l’AT no 1 et l’AI ont été vus en train de sortir du véhicule et de courir vers le TC no 8 et le plaignant; l’AI a été vu en train de dégainer son arme à feu. Les deux agents de police ont été vus s’approchant de la confrontation, et on les a entendus crier au plaignant [traduction] « Arrêtez », « Lâchez-le » et « Lâchez le couteau ». On a observé le plaignant se tourner brièvement vers les deux policiers, puis reporter son attention sur le TC no 8 et continuer de lui assener des coups de couteau. Plusieurs témoins ont observé que le plaignant se fatiguait et s’agrippait à un buisson pour se soutenir, tout en continuant de poignarder le TC no 8.

L’AT no 1 a indiqué qu’il a vu le plaignant donner des coups de couteau, des coups de poing et des coups de pied au TC no 8 à plusieurs reprises. L’AT no 1 et l’AI ont tous deux crié des ordres de la police au plaignant, mais ce dernier ne les a pas écoutés et a continué de poignarder le TC no 8. L’AT no 1 a indiqué qu’il a d’abord envisagé de donner des coups de pied au plaignant dans l’espoir de lui faire cesser son agression, mais qu’il a rejeté cette option, la jugeant trop dangereuse pour sa propre sécurité.

L’AT no 1 a observé que l’AI avait les bras tendus et qu’il tenait son arme à feu, puis il a entendu un coup de feu tiré de l’arme de l’AI; cela est confirmé par tous les témoins civils indépendants ainsi que par les enregistrements vidéo. On a alors entendu l’AI parler sur la radio pour demander l’envoi des services médicaux d’urgence (SMU) et indiquer que des coups de feu avaient été tirés; les deux agents ont alors couru pour aider le plaignant et le TC no 8.

Selon l’AT no 1, environ cinq secondes s’étaient écoulées entre le moment où les deux agents sont sortis de leur véhicule et le coup de feu; cela correspond aux témoignages des témoins civils et à la preuve vidéo.

Les vidéos de téléphone cellulaire ont confirmé qu’à 9 h 14 l’AI a couru vers le plaignant avec sa main droite sur son arme à feu toujours dans son étui; l’AI s’est alors arrêté sur la partie gazonnée du trottoir en pointant son arme à feu, puis l’on a entendu un coup de feu. On voit ensuite l’AT no 1 courir vers le plaignant et lui prendre le bras droit.

L’examen criminalistique de l’arme à feu de l’AI a confirmé qu’une seule balle avait été tirée.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, un agent de police, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, est fondé à employer la force nécessaire dans l’exécution d’une obligation légale. En outre, aux termes du paragraphe 25 (3) :

(3) Sous réserve des paragraphes (4) et (5), une personne n’est pas justifiée, pour l’application du paragraphe (1), d’employer la force avec l’intention de causer, ou de nature à causer la mort ou des lésions corporelles graves, à moins qu’elle n’estime, pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire afin de se protéger elle‐même ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

De plus, en vertu du paragraphe 25 (4) :

(4) L’agent de la paix […] est fondé à employer contre une personne à arrêter une force qui est, soit susceptible de causer la mort de celle-ci ou des lésions corporelles graves, soit employée dans l’intention de les causer, si les conditions suivantes sont réunies :

  1. il procède légalement à l’arrestation avec ou sans mandat

[…]

  1. lui-même […] estime[nt], pour des motifs raisonnables, que cette force est nécessaire pour [sa] propre protection ou celle de toute autre personne contre la mort ou des blessures ou lésions corporelles graves – imminentes ou futures; […]

Par conséquent, pour que l’AI soit admissible à une protection contre des poursuites en vertu de l’article 25, il faut établir qu’il exécutait une obligation légale, qu’il agissait en s’appuyant sur des motifs raisonnables et qu’il n’a pas employé plus de force que nécessaire. De plus, en vertu du paragraphe (3), si la mort ou des lésions corporelles graves sont causées, il faut aussi établir que l’agent de police a agi de la sorte en ayant des motifs raisonnables de croire que c’était nécessaire pour se protéger lui-même contre la mort ou contre des lésions corporelles graves.

En ce qui concerne d’abord la légalité de l’appréhension du plaignant, il ressort clairement des déclarations de tous les témoins, comme l’ont confirmé les divers enregistrements vidéo, qu’il existait des motifs raisonnables de croire que le plaignant agressait le TC no 8 avec une arme, en contravention de l’article 267 du Code criminel, qu’il infligeait aussi des lésions corporelles au TC no 8 (également en contravention de l’article 267) et qu’il tentait peut-être aussi de commettre un meurtre sur la personne du TC no 8 (article 239). Ainsi, l’appréhension et l’arrestation du plaignant étaient légalement justifiées dans les circonstances.

En ce qui concerne les autres exigences visées par les paragraphes 25(1) et 25(3), je garde à l’esprit l’état du droit applicable tel que la Cour suprême du Canada l’a énoncé en ces termes dans l’arrêt R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S. 206 :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux‐ci accomplissent un travail exigeant et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile. Comme le juge Anderson l’explique dans R. c. Bottrell(1981), 60 C.C.C. (2d) 211 (B.C.C.A.) :

[traduction] Pour déterminer si la force employée par le policier était nécessaire, les jurés doivent tenir compte des circonstances dans lesquelles le policier y a eu recours. Il aurait fallu leur indiquer qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce que l’appelant mesure la force appliquée avec précision. [p. 218]

La Cour décrit comme suit le critère requis en vertu de l’article 25 :

Le paragraphe 25(1) indique essentiellement qu’un policier est fondé à utiliser la force pour effectuer une arrestation légale, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances. Mais l’examen de la question ne s’arrête pas là. Le paragraphe 25(3) précise qu’il est interdit au policier d’utiliser une trop grande force, c’est‐à‐dire une force susceptible de causer la mort ou des lésions corporelles graves ou visant un tel but, à moins qu’il ne croie que cette force est nécessaire afin de le protéger ou de protéger toute autre personne sous sa protection contre de telles conséquences. La croyance du policier doit rester objectivement raisonnable. Par conséquent, le recours à la force visé au par. 25(3) doit être examiné à la lumière de motifs subjectifs et objectifs (Chartier c. Greaves, [2001] O.J. No. 634 (QL) (C.S.J.), par. 59).

La décision que le juge Power de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendue dans Chartier c. Greaves, [2001] O.J. no 634, telle qu’elle a été adoptée par la Cour suprême du Canada dans la décision susmentionnée, énonce d’autres dispositions pertinentes du Code criminel à prendre en considération, en ces termes :

  1. Recours à la force pour empêcher la perpétration d’une infraction – Toute personne est fondée à employer la force raisonnablement nécessaire :
    1. pour empêcher la perpétration d’une infraction :
      1. pour laquelle, si elle a été commise, la personne qui l’a commise peut être arrêtée sans mandat
      2. d’autre part, qui serait de nature à causer des blessures immédiates et graves à la personne ou des dégâts immédiats et graves aux biens de toute personne
    2. pour empêcher l’accomplissement de tout acte qui, à son avis, basé sur des motifs raisonnables, constituerait une infraction mentionnée à l’alinéa a)

[traduction] Par conséquent, cet article autorise le recours à la force pour empêcher la perpétration de certaines infractions. « Toute personne » inclurait un agent de police. La force ne doit pas dépasser ce qui est raisonnablement nécessaire. Par conséquent, un critère objectif est requis. La Cour d’appel de l’Ontario, dans R. c. Scopelliti (1981), 63 C.C.C. (2d) 481, a statué que le recours à une force létale peut seulement être justifié dans des cas de légitime défense ou pour empêcher la perpétration d’un crime qui causera probablement des lésions à la fois graves et immédiates.

De plus, la Cour établit un certain nombre de principes juridiques glanés dans la jurisprudence citée, dont les suivants :

  1. Quel que soit l’article du Code criminel utilisé pour évaluer les actions de la police, la Cour doit mesurer la force qui était nécessaire en tenant compte des circonstances entourant l’événement en cause
  2. « Il faut tenir compte dans une certaine mesure du fait qu’un agent, dans les exigences du moment, peut mal mesurer le degré de force nécessaire pour restreindre un prisonnier. » Le même principe s’applique à l’emploi de la force pour procéder à une arrestation ou empêcher une évasion. À l’instar du conducteur d’un véhicule faisant face à une urgence soudaine, le policier « ne saurait être tenu de respecter une norme de conduite dont on aura ultérieurement déterminé, dans la quiétude d’une salle d’audience, qu’elle constituait la meilleure méthode d’intervention. » (Foster c. Pawsey) En d’autres termes, c’est une chose que d’avoir le temps, dans un procès s’étalant sur plusieurs jours, de reconstituer et d’examiner les événements survenus le soir du 14 août, mais ç’en est une autre que d’être un policier se retrouvant au milieu d’une urgence avec le devoir d’agir et très peu d’un temps précieux pour disséquer minutieusement la signification des événements ou réfléchir calmement aux décisions à prendre. (Berntt c. Vancouver)
  3. Les agents de police exercent une fonction essentielle dans des circonstances parfois difficiles et souvent dangereuses. La police ne doit pas être indûment entravée dans l’exécution de cette obligation. Les policiers doivent fréquemment agir rapidement et réagir à des situations urgentes qui surviennent soudainement. Leurs actes doivent donc être considérés à la lumière des circonstances
  4. « Il est à la fois déraisonnable et irréaliste d’imposer à la police l’obligation d’employer le minimum de force nécessaire susceptible de permettre d’atteindre son objectif. Si une telle obligation était imposée aux policiers, il en résulterait un danger inutile pour eux‐mêmes et autrui. En pareilles situations, les policiers sont fondés à agir et exonérés de toute responsabilité s’ils n’emploient pas plus que la force qui est nécessaire en agissant sur le fondement de leur évaluation raisonnable des circonstances dans lesquels ils se trouvent et des dangers auxquels ils font face. (Levesque c. Zanibbi et al.)

En me fondant sur les principes de droit qui précèdent, je dois déterminer :

  1. si l’AI croyait que le TC no8 risquait la mort ou des lésions corporelles graves aux mains du plaignant au moment où l’AI a fait feu avec son arme
  2. si cette croyance était objectivement raisonnable, en d’autres termes, si les actions de l’AI seraient considérées comme raisonnables par un observateur objectif qui aurait disposé de tous les renseignements dont disposait l’AI au moment où il a fait feu avec son arme

Compte tenu de l’ensemble de la preuve dans cette affaire, je n’ai aucune hésitation à répondre par l’affirmative aux deux questions ci-dessus; je n’ai aucune difficulté à déduire de la preuve fournie par tous les témoins de cet incident que l’AI aurait raisonnablement cru que le TC no 8 risquait la mort ou des lésions corporelles graves aux mains du plaignant au moment où il a fait feu avec son arme et que sa conviction était objectivement raisonnable dans les circonstances et était partagée par toutes les personnes présentes ainsi que par tous ceux qui ont visionné les diverses vidéos.

Ayant examiné les dispositions législatives pertinentes pour évaluer les actions de l’AI lorsqu’il a fait feu avec son arme, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que les actions de l’AI ont constitué un recours excessif à la force. Dans toutes les circonstances, y compris le fait que l’AI était confronté à un homme armé d’un couteau qui avait déjà poignardé une personne à plusieurs reprises, qui ne réagissait pas aux ordres de la police d’arrêter et qui continuait activement d’assener des coups de couteau à cette personne, je conclus que le coup de feu qui a été tiré et qui a atteint le plaignant était tout à fait justifié, en vertu de l’article 34 du Code criminel, en ce qu’il s’agissait d’un moyen de défendre le TC no 8 et que, ce faisant, l’AI n’a pas employé plus de force que nécessaire pour accomplir ses fonctions légitimes, aux termes des paragraphes 25 (1) et (3) du Code criminel.

Par conséquent, je suis convaincu, pour des motifs raisonnables dans ce dossier, non seulement que les gestes posés par l’AI étaient dans les limites prescrites par le droit criminel, et qu’il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations au criminel en l’espèce, mais aussi que l’AI n’avait à sa disposition pas d’autres options que celle d’utiliser son arme à feu et que ses actions, selon toute vraisemblance, ont épargné d’autres lésions corporelles graves au TC no 8 et l’ont peut-être même aussi protégé contre la mort.

Date : 12 juillet 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.