Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 17-OVI-295

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’ UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’ UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (La « LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :

  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire.

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :

  • le nom de tout agent impliqué
  • le nom de tout agent témoin
  • le nom de tout témoin civil
  • les renseignements sur le lieu de l’incident
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’ UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête.

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres procédures liées au même incident, par exemple des procédures pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

La compétence d’enquête de l’Unité se limite aux incidents impliquant la police et qui ont causé un décès ou une blessure grave (y compris une allégation d’agression sexuelle).

On doit englober dans les « blessures graves » celles qui sont susceptibles d’avoir des répercussions sur la santé ou le bien-être de la victime et dont la nature est plus que passagère ou insignifiante; elles comprennent les blessures graves résultant d’une agression sexuelle. Il y aura, à priori, présomption de « blessures graves » si la victime est hospitalisée, souffre d’une fracture d’un membre, d’une côte, d’une vertèbre ou du crâne, souffre de brûlures sur une grande partie du corps, a perdu une partie du corps, la vue ou l’ouïe, ou encore si elle allègue qu’elle a été agressée sexuellement. Si un long délai est à prévoir avant l’évaluation de la gravité des blessures, l’Unité devrait en être avisée pour qu’elle puisse surveiller la situation et décider dans quelle mesure elle interviendra.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un adolescent de 16 ans à la suite d’une tentative d’arrêt de véhicule par la police le 11 octobre 2017.

L’enquête

Notification de l’UES

Vers 12 h 25, le 12 octobre 2017, le Service de police d’Ottawa (SPO) a informé l’UES de la blessure grave subie par le plaignant à la suite d’une tentative d’arrêt de véhicule par la police.

La SPO a déclaré qu’à environ 18 h 30, le 11 octobre 2017, l’agent impliqué (AI) et l’agent témoin (AT) no 1 utilisaient un radar sur le chemin Hunt Club, à Ottawa. Les agents de police ont arrêté un véhicule, avec trois occupants à bord, pour excès de vitesse. Le véhicule est alors reparti. Les agents de police sont remontés dans leur véhicule et ont suivi le véhicule sur le chemin Hunt Club, sans activer leurs feux ni leur sirène, jusqu’à la rue Pike, où le véhicule suspect était situé sur son côté.

Le conducteur et un des occupants avaient déjà fui la scène à pied. Le troisième occupant a été identifié comme le plaignant âgé de 16 ans. Il a été transporté à l’hôpital, puis transféré à un deuxième hôpital. Aucune blessure grave n’a été confirmée à ce moment-là. Le SPO a enquêté sur la collision.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Les enquêteurs judiciaires de l’UES ont examiné les lieux et ont créé un schéma de l’intersection, ainsi qu’un enregistrement vidéo de l’itinéraire de la poursuite.

Plaignant :

Homme de 16 ans; n’a pas participé à une entrevue

Témoins civils (TC)

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue

TC no 2 A participé à une entrevue

TC no 3 A participé à une entrevue

TC no 4 A participé à une entrevue

TC no 5 A participé à une entrevue

TC no 6 A participé à une entrevue

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 2 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 3 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

AT no 4 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

Agent impliqué (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Description de l’incident

Peu après 18 h, le 11 octobre 2017, deux agents du Service de police d’Ottawa (SPO) utilisaient un radar sur la rue Bank, au sud du chemin Hunt Club, à Ottawa, dans des véhicules distincts. Pendant que l’AT no 1 s’occupait d’un automobiliste, l’AI utilisait un laser portatif (LIDAR) pour surveiller la circulation sur la rue Bank.

Un véhicule automobile Honda noir qui se déplaçait vers le nord-ouest sur la rue Bank est passé près de l’AI à une vitesse élevée. L’AI est entré dans son véhicule de police et a entamé une poursuite avec les feux d’urgence activés. Le véhicule Honda a tourné à droite (vers le nord) sur le chemin Albion et l’AI a pu le rattraper. La Honda s’est alors rangée sur le côté du chemin Albion, du côté sud de l’intersection avec le chemin Hunt Club.

L’AI s’est alors également rangé, est sorti de son véhicule de police et s’est approché de la Honda. Tandis que l’AI s’approchait du véhicule Honda, le conducteur est reparti en accélérant et a tourné (à droite) sur le chemin Hunt Club à une vitesse élevée. L’AI est retourné dans son véhicule de police et l’a suivi.

À l’intersection avec la rue Pike, le véhicule Honda a heurté un poteau de feux de circulation au coin sud-est, puis a fait un tonneau et s’est retrouvée sur le toit, a heurté une clôture en bois et s’est immobilisé. Deux des trois occupants ont fui le véhicule automobile. Ils ont abandonné le plaignant, qui était blessé, dans le véhicule automobile et le plaignant a dû en être extrait pour ensuite être transporté à l’hôpital.

Peu après, on a retrouvé et arrêté les deux jeunes qui avaient fui le véhicule.

Nature des blessures et traitement

Le plaignant a subi une fracture à la troisième vertèbre (C3) au cou et était toujours à l’hôpital, souffrant d’une certaine paralysie au bras droit et aux deux jambes, au moment de la rédaction de ce rapport.

Éléments de preuve

Les lieux

L’épisode de cet incident durant lequel il y a eu une poursuite a commencé sur la rue Bank, à Ottawa, dans une partie de la ville située à une certaine distance du centre-ville, dans un secteur plus ouvert et plus commercial que résidentiel. Les véhicules ont parcouru une courte distance vers le nord-ouest sur la rue Bank, puis vers le nord sur le chemin Albion et vers l’est sur le chemin Hunt Club. Le chemin Hunt Club est une rue à deux voies dans chaque direction, et la limite de vitesse qui y est affichée est de 60 km/h. La distance totale parcourue était d’environ 2,20 km.

Les lieux

La collision s’est produite à l’intersection du chemin Hunt Club et d’une rue transversale, c’est-à-dire la rue Pike au nord et la rue Maple Park au sud. L’intersection est contrôlée par des feux de circulation.

Les lieux

Les lieux

Les lieux

Les lieux

Les lieux

Éléments de preuve matériels

Données GPS :

Le tableau suivant présente les détails de l’événement tels qu’ils ont été enregistrés par le GPS du véhicule de police conduit par l’AI :

Heure

Endroit

Vitesse Km/h

18:07:23

Stationnaire sur la rue Bank

0

18:08:23

Stationnaire sur la rue Bank

0

18:09:03

Vers l’ouest sur la rue Bank

134

18:09:11

Vers l’ouest sur la rue Bank

94

18:09:23

Vers l’ouest sur la rue Bank au chemin Albion

31

18:10:23

Vers l’est sur le chemin Hunt Club

96

18:10:51

Vers l’est sur le chemin Hunt Club

151

18:10:59

Vers l’est sur le chemin Hunt Club

39

18:12:03

Stationnaire sur la rue Pike au chemin Hunt Club

0

Données sur la collision provenant du véhicule Honda impliqué :

Le tableau suivant montre le mouvement et la vitesse du véhicule pendant les cinq secondes qui ont précédé l’impact contre le poteau du feu de circulation :

Horodatage

Vitesse du véhicule km/h

Position de l’accélérateur

Frein primaire Activé/non activé

Activité ABS Activé/non activé

Contrôle de la stabilité Activé/non activé/appliqué

Degré de braquage

TPM

-5,0

187

0

Activé

Désactivé

Activé

-5

5000

-4,5

184

0

Activé

Désactivé

Activé

-5

5000

-4,0

181

0

Activé

Désactivé

Activé

-10

5000

-3,5

181

0

Activé

Désactivé

Activé

0

5000

-3,0

179

0

Activé

Désactivé

Activé

-5

4900

-2,5

171

0

Activé

Désactivé

Activé

-10

4600

-2,0

153

0

Activé

Activé

Activé

-5

4300

-1,5

137

0

Activé

Activé

Activé

-5

3600

-1,0

116

0

Activé

Activé

Activé

-75

3200

-0,5

116

0

Activé

Activé

Activé

-210

2700

-0,0

90

0

Activé

Activé

Activé

-155

3200

Téléchargement des données du terminal de données mobile (TDM) à bord du véhicule de police :

Les données téléchargées à partir du TDM dans le véhicule de police conduit par l’AI montrent que celui-ci y a entré la plaque d’immatriculation du véhicule Honda à 18 h 10 m 23 s et qu’il a appris à ce moment-là que le véhicule avait été volé. L’AI a procédé à d’autres interrogations après 18 h 14, révélant que la collision avait déjà eu lieu au moment où ces demandes de renseignements ont été faites.

Éléments de preuve médicolégaux

Aucun élément n’a été soumis pour analyse au Centre des sciences judiciaires.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Vidéo d’un camion du service de messageries DHL :

Le temps enregistré sur la caméra vidéo était en retard d’une heure par rapport à l’heure normale de l’Est (HNE).

La vidéo montre la Honda noire circulant en direction est sur le chemin Hunt Club et s’écrasant à 18 h 10 m 52 s.

La Honda semblait se déplacer à grande vitesse. Elle a viré vers le sud-est, est montée sur la bordure et a heurté le poteau des feux de circulation. La Honda a continué vers l’est et a fait un tonneau et est entrée en collision avec une clôture en bois, dont elle a détruit une partie avant de venir se reposer sur son toit.

La vidéo montre les feux clignotants de la voiture de police alors qu’elle s’approche et puis provenir d’un endroit fixe à 18 h 11 m 25 s. Le véhicule de police n’était pas visible dans la vidéo.

La voiture de police est arrivée 33 secondes après l’impact initial. On voit un occupant de la Honda quitter la scène à pied.

Enregistrements de communications

Il n’y a pas de communications radio résultant de la poursuite d’un véhicule ou signalant la poursuite.

L’enregistrement commence par les propos de l’AI qui est hors d’haleine et qui signale qu’il y a eu un capotage à l’intersection du chemin Hunt Club et de la rue Pike impliquant un véhicule volé et qu’il poursuit à pied un suspect portant un t-shirt gris.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du SPO :

  • Rapport des appels du système de répartition assistée par ordinateur (RAO)
  • Rapport général d’incident
  • Transmissions du TDM
  • Notes des AT nos 1 à 3 et d’un agent non désigné
  • Enregistrements des communications de la police
  • Résumé de la déclaration de l’AT no 2 du SPO en date du 11 octobre 2017
  • Déclaration de témoin de l’AT no 4 du SPO en date du 11 octobre 2017
  • Déclarations de cinq témoins civils non désignés à la SPO en date du 11 octobre 2017
  • Déclaration écrite d’un témoin non désigné appartenant à la police

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants provenant d’autres sources :

  • Une copie de la vidéo de la caméra à bord d’un camion de livraison
  • Une copie des données d’enregistrement de la collision du véhicule Honda en cause
  • Les coordonnées GPS du véhicule de police conduit par l’AI

Dispositions législatives pertinentes

Articles 1 à 3 du Règlement de l’Ontario 266/10 (« Poursuites visant l’appréhension de suspects ») en vertu de la Loi sur les services policiers de l’Ontario

1. (1) Pour l’application du présent règlement, une poursuite visant l’appréhension de suspects a lieu lorsqu’un agent de police tente d’ordonner au conducteur d’un véhicule automobile de s’immobiliser, que le conducteur refuse d’obtempérer et que l’agent poursuit, en véhicule automobile, le véhicule en fuite afin de l’immobiliser ou de l’identifier ou d’identifier un particulier à bord du véhicule

(2) La poursuite visant l’appréhension de suspects est interrompue lorsque les agents de police ne poursuivent plus un véhicule automobile en fuite afin de l’immobiliser ou de l’identifier ou d’identifier un particulier à bord du véhicule.

2. (1) Un agent de police peut poursuivre ou continuer de poursuivre un véhicule automobile en fuite qui ne s’immobilise pas :

  1. soit s’il a des motifs de croire qu’une infraction criminelle a été commise ou est sur le point de l’être
  2. soit afin d’identifier le véhicule ou un particulier à bord du véhicule

(2) Avant d’amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects, un agent de police s’assure qu’il ne peut recourir à aucune des solutions de rechange prévues dans la procédure écrite, selon le cas :

  1. du corps de police de l’agent, établie en application du paragraphe 6 (1), si l’agent est membre d’un corps de police de l’Ontario au sens de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux
  2. d’un corps de police dont le commandant local a été avisé de la nomination de l’agent en vertu du paragraphe 6 (1) de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux, si l’agent a été nommé en vertu de la partie II de cette loi
  3. du corps de police local du commandant local qui a nommé l’agent en vertu du paragraphe 15 (1) de la Loi de 2009 sur les services policiers interprovinciaux, si l’agent a été nommé en vertu de la partie III de cette loi

(3) Avant d’amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects, l’agent de police décide si, afin de protéger la sécurité publique, le besoin immédiat d’appréhender un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou le besoin d’identifier le véhicule ou le particulier l’emporte sur le risque que peut présenter la poursuite pour la sécurité publique.

(4) Pendant une poursuite visant l’appréhension de suspects, l’agent de police réévalue continuellement la décision prise aux termes du paragraphe (3) et interrompt la poursuite lorsque le risque que celle-ci peut présenter pour la sécurité publique l’emporte sur le risque pour la sécurité publique que peut présenter le fait de ne pas appréhender immédiatement un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou de ne pas identifier le véhicule ou le particulier.

(5) Nul agent de police ne doit amorcer une poursuite visant l’appréhension de suspects pour une infraction non criminelle si l’identité d’un particulier à bord du véhicule automobile en fuite est connue.

(6) L’agent de police qui entreprend une poursuite visant l’appréhension de suspects pour une infraction non criminelle interrompt la poursuite une fois que le véhicule automobile en fuite ou le particulier à bord du véhicule est identifié.

3. (1) Un agent de police avise un répartiteur lorsqu’il amorce une poursuite visant l’appréhension de suspects

(2) Le répartiteur avise un surveillant des communications ou un surveillant de la circulation, s’il y en a un de disponible, qu’une poursuite visant l’appréhension de suspects a été amorcée.

Articles 219 et 221 du Code criminel – Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque :

  1. soit en faisant quelque chose
  2. soit en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir

montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Article 249 du Code criminel – Véhicules à moteur, bateaux et aéronefs - Conduite dangereuse

249 (1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

  1. un véhicule automobile d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu; [...]

(3) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans.

Article 249.1 du Code criminel – Fuite de la police

249.1 (1) Commet une infraction quiconque conduisant un véhicule automobile alors qu’il est poursuivi par un agent de la paix conduisant un véhicule automobile, sans excuse raisonnable et dans le but de fuir, omet d’arrêter son véhicule dès que les circonstances le permettent.

(2) Quiconque commet une infraction mentionnée au paragraphe (1) est coupable :

  1. soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans
  2. soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire

(3) Commet une infraction quiconque cause des lésions corporelles à une autre personne ou la mort d’une autre personne en conduisant un véhicule automobile de la façon visée à l’alinéa 249(1)a) dans le cas où il est poursuivi par un agent de la paix conduisant un véhicule automobile et, sans excuse raisonnable et dans le but de fuir, omet d’arrêter son véhicule dès que les circonstances le permettent.

(4) Quiconque commet une infraction visée au paragraphe (3) est coupable d’un acte criminel passible :

  1. s’il a causé des lésions corporelles à une autre personne, d’un emprisonnement maximal de quatorze ans
  2. s’il a causé la mort d’une autre personne, de l’emprisonnement à perpétuité

Paragraphe 216 (1) du Code de la route de l’Ontario – Pouvoir d’un agent de police

216 (1) Un agent de police, dans l’exercice légitime de ses fonctions, peut exiger du conducteur d’un véhicule, autre qu’une bicyclette, qu’il s’arrête. Si tel est le cas, à la suite d’une demande ou de signaux, le conducteur obéit immédiatement à la demande d’un agent de police identifiable à première vue comme tel.

(2) Quiconque contrevient au paragraphe (1) est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration de culpabilité, sous réserve du paragraphe (3), selon le cas :

  1. d’une amende d’au moins 1 000 $ et d’au plus 10 000 $
  2. d’un emprisonnement d’au plus six mois; d’une amende et d’un emprisonnement
  3. d’une amende et d’un emprisonnement

(3) Si une personne est reconnue coupable d’une infraction prévue au paragraphe (2) et que le tribunal est convaincu, sur l’ensemble de la preuve, que cette personne a continué volontairement de se soustraire à la police lorsqu’un agent de police la poursuivait :

  1. la personne est passible d’une amende d’au moins 5 000 $ et d’au plus 25 000 $, plutôt que l’amende indiquée à l’alinéa (2) a)
  2. le tribunal ordonne l’emprisonnement de la personne pendant une période d’au moins 14 jours et d’au plus six mois, plutôt que la période indiquée à l’alinéa (2) b)
  3. le tribunal ordonne la suspension du permis de conduire de la personne :
    1. pendant une période de cinq ans, sauf si le sous-alinéa (ii) s’applique
    2. pendant une période d’au moins 10 ans si le tribunal est convaincu, sur l’ensemble de la preuve, que les actes de la personne ou la poursuite ont causé la mort ou une blessure corporelle à quiconque

(4) L’ordonnance prévue au sous-alinéa (3) c) (ii) peut prévoir la suspension du permis de conduire de la personne pour le reste de sa vie.

Analyse et décision du directeur

Au cours de l’après-midi du 11 octobre 2017, l’agent impliqué (AI) et l’agent témoin (AT) no 1 du Service de police d’Ottawa étaient tous deux de service, dans des véhicules distincts, utilisant des appareils radars et effectuant des arrêts de véhicules sur le chemin Hunt Club, à Ottawa. Vers 18 h, l’AT no 1 avait demandé à un véhicule de s’arrêter et était en train d’émettre une contravention pour excès de vitesse lorsqu’il a vu l’AI entrer rapidement dans sa voiture de patrouille et se lancer à la poursuite d’un véhicule automobile Honda. Vers 18 h 10 m 52 s, ce véhicule automobile qui roulait trop vite est monté sur le trottoir, a percuté le poteau de feux de circulation et a frappé et endommagé une clôture résidentielle avant de finalement s’immobiliser sur son capot dans la cour avant d’une propriété située dans le secteur du chemin Hunt Club et de la rue Pike.

Après la collision, le conducteur et un second occupant du véhicule ont fui les lieux. Le troisième occupant, le plaignant, a dû être extrait du véhicule et a été transporté à l’hôpital où il a été évalué et où l’on a déterminé qu’il avait subi une fracture à la troisième vertèbre du cou.

L’enquête décrite ici visait à déterminer s’il y avait un lien de causalité entre les actions de l’AI durant la poursuite du véhicule automobile, qui s’est finalement écrasé, et si ses actions étaient de nature criminelle et correspondaient à une conduite dangereuse causant des lésions corporelles (par. 249 (3)) ou à une négligence criminelle (art. 219) causant des lésions corporelles (art. 221) en contravention du Code criminel du Canada.

Au cours de cette enquête, cinq témoins civils et quatre agents de police ont été interrogés. L’AI a refusé d’être interrogé et n’a pas fourni pour examen les notes prises dans son calepin, comme la loi l’y autorise. Le conducteur du véhicule automobile en cause qui s’est écrasé et le plaignant, un passager dans ce véhicule, ont également refusé de subir une entrevue. Le troisième occupant du véhicule a participé à une entrevue pendant une période limitée, entrevue à laquelle le père du témoin a mis fin avant qu’elle ne fût terminée afin de permettre à son fils de se faire conseiller par un avocat; cette entrevue n’a jamais été reprise.

Heureusement, outre les entrevues avec les témoins, les enquêteurs avaient accès à une séquence vidéo filmée par une caméra-témoin d’un véhicule commercial dans le secteur de la collision, aux enregistrements des communications radio de la police, aux données GPS du véhicule automobile de l’AI, aux données sur la collision du véhicule automobile en cause et aux données téléchargées manuellement depuis le terminal de données mobile dans la voiture de patrouille de l’AI. Bien que cette preuve n’ait pas été aussi révélatrice que l’auraient été les observations directes du conducteur du véhicule automobile Honda et de l’AI, les enquêteurs ont pu déterminer de façon assez détaillée la séquence des événements durant l’entier incident.

De plus, bien que l’AI n’ait pas consenti à subir une entrevue, nous avons indirectement accès à sa version des événements, car il l’avait fournie à un collègue, l’AT no 1, après l’incident. L’AT no 1 a déclaré que l’AI lui avait dit que son appareil radar avait repéré un véhicule automobile Honda de couleur noire qui roulait à une vitesse de 103 km/h dans une zone où la limite de vitesse affichée était de 60 km/h et qu’il avait ensuite poursuivi ce véhicule. L’AI a dit à l’AT no 1 qu’il avait pu vérifier la plaque d’immatriculation de la Honda dans son ordinateur à bord du véhicule et qu’il avait découvert que le véhicule avait été volé. L’AI a informé l’AT no 1 qu’il avait perdu de vue la Honda, mais qu’il était ensuite arrivé sur le lieu de la collision et que des piétons lui avaient dit que les occupants avaient fui à pied.

Le témoin civil (TC) no 2, un occupant de la Honda noire, a déclaré que trois minutes après qu’il était monté dans la voiture et alors que la Honda circulait, un véhicule de police avait activé ses feux d’urgence, apparemment pour demander au conducteur de la Honda de s’arrêter. Le conducteur, le TC no 1, s’était rangé sur le côté de la route et s’était arrêté, puis était reparti. Le TC no 2 a déclaré que le TC no 1 avait alors tenté de faire un virage à droite dans un quartier, mais qu’il avait perdu le contrôle du véhicule, qui a frappé un lampadaire et a fait un capotage.

L’AT no 1, qui était sur la rue Bank et qui surveillait la circulation au même endroit que l’AI, a indiqué qu’alors qu’il s’occupait d’un autre automobiliste qui avait commis un excès de vitesse, il a vu l’AI courir à sa voiture de police, faire demi-tour et partir en direction nord sur la rue Bank.

Les données GPS du véhicule de police de l’AI ont révélé qu’il était stationnaire sur la rue Bank jusqu’à 18 h 08 m 23 s, et qu’à 18 h 09 m 03 s, il circulait en direction ouest sur la rue Bank à une vitesse de 134 km/h. À 18 h 09 m 11 s, il avait ralenti à 94 km/h, puis à 31 km/h. À partir de cette preuve, j’ai déduit que la vitesse élevée initiale était celle où l’AI avait commencé à poursuivre la Honda, après quoi il avait ralenti et s’était finalement arrêté lorsque la Honda s’était rangée sur le côté.

Le TC no 6, qui roulait en direction ouest sur le chemin Hunt Club peu après 18 h, a vu un véhicule de police activer ses feux d’urgence pendant qu’il se déplaçait sur le chemin Albion et suivait une Honda noire, qui a ensuite tourné vers l’est sur le chemin Hunt Club et s’est arrêté sur le côté de la route.

Le TC no 6 a vu l’AI sortir de son véhicule de police et s’approcher de la Honda noire. Toutefois, lorsque l’agent est arrivé à moins d’un mètre de la Honda, celle-ci est repartie en accélérant et l’agent est retourné à son véhicule et l’a suivie.

Les données téléchargées du terminal de données mobile de l’AI ont révélé qu’il avait accédé à son terminal à 18 h 10 m 23 s et avait découvert à ce moment-là que le véhicule automobile Honda avait été volé. Je déduis de cette preuve que l’AI a pris note de la plaque d’immatriculation de la Honda lorsqu’elle s’est rangé sur le bord de la route et qu’il a accédé à son terminal d’ordinateur pendant qu’il était arrêté, ou immédiatement après qu’il avait repris la poursuite, car cet accès à l’ordinateur coïncidait avec le moment où il a de nouveau commencé à accélérer en direction est sur le chemin Hunt Club.

Les données GPS révèlent qu’à 18 h 10 m 51 s, l’AI roulait de nouveau vite, cette fois-ci en direction est sur le chemin Hunt Club à une vitesse de 96 km/h, accélérant à 151 km/h à 18 h 10 m 51 s. C’était vraisemblablement après que la Honda était de nouveau partie en accélérant après s’être arrêtée sur le côté de la route et que l’AI avait repris la poursuite. On peut supposer que l’AI ne savait pas que la Honda s’était déjà écrasée à 18 h 10 m 52 s, seulement quelques secondes après qu’il avait redémarré son véhicule de police.

La TC no 3 a vu cette même Honda noire se déplacer en direction est, à une vitesse très élevée, laquelle Honda elle a décrite comme [traduction] « filant à toute allure », alors qu’elle (la TC no 3) s’approchait de l’intersection du chemin Hunt Club et de la rue Bank. Environ une ou deux minutes après avoir aperçu la Honda, la TC no 3 a vu un véhicule de police qui se déplaçait aussi en direction est sur le chemin Hunt Club. Elle a précisé que le véhicule de police avait activé ses feux d’urgence, mais pas la sirène, et elle a estimé que le véhicule de police était à environ une longueur de terrain de football derrière la voiture noire qui faisait des excès de vitesse. Elle a indiqué que, même si elle avait constaté que le véhicule de la police roulait lui aussi à grande vitesse, il ne roulait pas aussi vite que la Honda. La TC no 3 était d’avis qu’en raison de la distance qui séparait la Honda et la voiture de police, les occupants de la Honda auraient été incapables de voir que le véhicule de police les suivait.

La TC no 4, qui conduisait sa voiture en direction sud sur la rue Pike tout en s’approchant du chemin Hunt Club, a entendu un bruit fort dans l’intersection. Elle a décrit la circulation à l’heure de pointe comme venant tout juste de [traduction] « s’alléger », mais qu’il continuait d’y avoir un flot constant de véhicules dans les deux sens sur le chemin Hunt Club. La TC no 4 a vu la Honda noire se retrouver sur son toit après avoir frappé une clôture au coin sud-est de l’intersection du chemin Hunt Club et de la rue Pike. La TC no 4 s’est rangée sur le côté et a appelé le 9-1-1. Pendant qu’elle était au téléphone, elle a vu un jeune homme sortir de la voiture et s’enfuir. La TC no 4 a indiqué que, durant les 30 secondes qui ont suivi, l’AI est arrivé dans son véhicule de police avec ses feux d’urgence activés et s’est placé derrière son véhicule. Il est alors sorti de sa voiture de patrouille et a couru après l’homme, qui s’était enfui à pied.

Les données sur la collision de la Honda noire provenant de l’enregistreur de données routières, qui enregistre automatiquement les mouvements du véhicule et la vitesse cinq secondes avant l’impact, ont révélé que la Honda se déplaçait à 187 km/h cinq secondes avant l’impact, c’est-à-dire à 18 h 10 m 47 s. Elle a ensuite ralenti à 184 km/h, puis a continué de ralentir de façon constante, sa vitesse tombant à 153 km/h à 18 h 10 m 50 s, puis à 116 km/h à 18 h 10 m 51 s, vitesse qu’elle a maintenue jusqu’à une demi-seconde avant l’impact, ce qui était probablement la vitesse à laquelle le conducteur a tenté de tourner sur le chemin Pike. À 18 h 10 m 52 s, le véhicule était stationnaire et couché sur son toit.

Le GPS du véhicule de police de l’AI a révélé qu’à 18 h 10 m 59 s, il ralentissait de nouveau en circulant en direction est sur le chemin Hunt Club et que sa vitesse était de 39 km/h. À 18 h 12 m 03 s, l’AI était stationnaire à l’intersection de la rue Pike et du chemin Hunt Club.

Le TC no 5, qui conduisait un véhicule automobile commercial muni d’une caméra-témoin, était arrêté au feu rouge à l’intersection de la rue Pike et du chemin Hunt Club; il se trouvait sur la rue Pike en direction sud. Le TC no 5 a vu la Honda noire se déplacer en direction est sur le chemin Hunt Club et entrer dans l’intersection à haute vitesse. La Honda a ensuite heurté la bordure au coin sud-est, a percuté un poteau de feux de circulation et a fait un tonneau et s’est retrouvée sur le toit avant de frapper une haute clôture en bois. Le TC no 5 a ensuite vu deux jeunes hommes sortir de la Honda et s’enfuir en courant. Le TC no 5 a vu l’AI arriver dans sa voiture de police, de l’ouest, et s’arrêter sur la chaussée et pensait que l’AI était arrivé environ deux minutes ou plus après la Honda. Le TC no 5 n’a pas vu de feux clignotants ni entendu de sirènes alors que l’AI s’approchait des lieux de la collision.

Les images de la caméra-témoin du véhicule automobile du TC no 5 ont révélé que la Honda noire se déplaçait en direction est sur le chemin Hunt Club et s’est écrasée à 18 h 10 m 52 s, et que l’AI est arrivé dans son véhicule de police avec ses feux d’urgence activés et s’est arrêté à 18 h 11 m 25 s, 33 secondes après l’impact initial. Bien que le véhicule de police de l’AI n’apparaisse pas dans la vidéo filmée par la caméra-témoin, on peut voir ses feux d’urgence clignoter sur l’enregistrement, ce qui a permis de déterminer l’heure à laquelle il est arrivé.

À partir du moment où l’AI est entré dans son véhicule pour poursuivre la Honda noire jusqu’au moment où elle s’est écrasée, il ne s’est pas écoulé plus de deux minutes et 39 secondes au total. Cette période comprend la période durant laquelle l’AI était rangé sur le côté de la route et est sorti de son véhicule de police et s’est approché de la Honda, avant que la Honda ne reparte une deuxième fois en accélérant.

On peut toutefois diviser cette période de deux minutes et de 39 secondes en deux poursuites distinctes. La première, lorsque l’AI a initialement tenté d’arrêter la Honda qui roulait trop vite et s’est rangé sur le côté, semble n’avoir duré que 20 secondes. Puis, il y a le laps de temps pendant lequel l’AI était garé sur le bord de la route et a été aperçu par un témoin civil alors qu’il sortait de son véhicule de police et s’approchait de la Honda. La deuxième poursuite, après que la Honda avait fui à nouveau et au cours de laquelle l’AI a appris que la voiture avait été volée, semble durer 29 secondes supplémentaires, jusqu’à ce que la voiture s’écrase à 18 h 10 m 52 s.

D’après les éléments de preuve fournis par les témoins, ainsi que par la vidéo filmée par la caméra-témoin, il semble que les conditions météorologiques étaient bonnes, que les routes étaient sèches et que la circulation était constante, et que cette circulation à l’heure de pointe devenait moins dense et que la visibilité était bonne. Il n’y a aucune preuve, de quelque source que ce soit, que la conduite de l’AI ait gêné d’autres automobilistes ou des piétons. En outre, il est clair et non contesté que la voiture de patrouille de l’AI n’est jamais entré en contact avec la Honda noire et que l’AI n’était pas directement responsable de la collision. En l’absence de certains éléments de preuve fournis par les occupants de la Honda noire ou de l’AI, il est impossible de déterminer si le conducteur de la Honda, le TC no 1, savait que l’AI le poursuivait toujours au moment de la collision, ou si l’AI apercevait encore la Honda noire juste avant que celle-ci ne tente de tourner sur la rue Pike, ce qui a fait perdre le contrôle au conducteur de la Honda, qui s’est écrasée.

Toutefois, d’après la preuve fournie par la caméra-témoin, selon laquelle l’AI n’est pas arrivé sur les lieux de la collision avant qu’environ 33 secondes s’étaient écoulées après l’impact, et compte tenu du fait que la Honda noire se déplaçait à des vitesses beaucoup plus élevées que le véhicule de police, je conclus qu’il est fort probable que l’AI ne voyait pas la Honda au moment où elle s’approchait de l’intersection et s’apprêtait à tourner sur la rue Pike et qu’il est tout aussi probable que le TC no 1 ne pouvait voir la voiture de la police.

Conformément à la politique du SPO sur les poursuites visant l’appréhension de suspects, qui a été édictée comme accompagnant le Règlement sur les services policiers de l’Ontario (LSP) portant le même titre, il semble clair que l’AI ne s’est pas entièrement conformé aux exigences prévues dans cette politique, en ce sens que, même s’il avait des raisons de croire qu’une infraction criminelle était en train d’être commise, c’est-à-dire que le véhicule automobile en cause était un véhicule automobile volé, en l’absence de sa version des faits, il n’est pas clair s’il a envisagé des options autres qu’une poursuite ou s’il a comparé la nécessité de protéger le public à la nécessité d’appréhender immédiatement le conducteur de la Honda. La politique du SPO se lit comme suit :

[traduction]

  • Avant d’entamer ou de continuer une poursuite visant l’appréhension de suspects, un agent de police doit déterminer :
  1. s’il y a des motifs de croire qu’une infraction criminelle a été commise ou est sur le point de l’être ou s’il y a lieu d’identifier le véhicule ou un particulier à bord du véhicule
  2. s’il n’y a aucune solution de rechange tel que prévu dans la section « Méthodes et tactiques de rechange » de la présente procédure
  3. si, afin de protéger la sécurité publique, le besoin immédiat d’appréhender un particulier à bord du véhicule automobile en fuite ou le besoin d’identifier le véhicule ou le particulier l’emporte sur le risque que peut présenter la poursuite pour la sécurité publique
  • Avant d’entamer une poursuite visant à appréhender un suspect et pendant toute sa durée, les agents doivent évaluer continuellement ce triple critère
  • Lorsqu’il amorce une poursuite visant l’appréhension de suspects, l’agent informe immédiatement et met continuellement à jour le répartiteur en lui fournissant les renseignements suivants :
  1. Évaluation des risques pour le public
  2. Identité de l’unité de police
  3. Description du véhicule poursuivi
  4. Motif de la poursuite
  5. Nombre d’occupants dans le véhicule suspect et leur description, si cette information est connue
  6. Endroit où il se trouve, la direction dans laquelle il se déplace et la question de savoir si la poursuite continue ou est sur le point de continuer dans une autre province ou un autre territoire
  7. Vitesse
  8. Conditions routières
  9. Circulation
  10. Tout autre renseignement qui permettra au préposé aux communications et aux unités assignées de fournir de l’aide
  11. Infractions au Code de la route ou infractions criminelles commises par le conducteur du véhicule suspect (p. ex. défaut de s’arrêter aux panneaux d’arrêt, aux feux rouges, etc.)
  12. Si un adolescent conduit le véhicule suspect
  13. Si la poursuite risque de continuer dans une autre juridiction

Il est certain que l’AI a contrevenu à la fois au règlement et à la politique du SPO du fait qu’il a omis de signaler immédiatement et continuellement au répartiteur l’un des nombreux facteurs énumérés dans la politique; en fait, la radio de l’AI était silencieuse tout au long de cette poursuite et il n’a communiqué avec le répartiteur qu’après la collision, alors qu’il poursuivait déjà à pied le TC no 2.

Puisque l’AI avait eu l’occasion d’accéder à l’ordinateur à bord de son véhicule pendant la poursuite, je ne peux que présumer qu’il aurait été tout aussi capable de communiquer avec le répartiteur et de confier, à un superviseur des communications, la prise de la décision quant à savoir s’il y avait lieu ou non de continuer la poursuite du véhicule, comme l’exige le paragraphe 3 (1) du Règlement de l’Ontario 266/10, LSP – Poursuites visant l’appréhension de suspects.

Cela dit, le défaut de se conformer à la LSP de l’Ontario ou à la politique du SPO n’équivaut pas à des motifs raisonnables de croire qu’une infraction criminelle a été commise, même si ces préoccupations seront portées à l’attention du chef de police du SPO et, espérons-le, seront suivies de mesures appropriées.

La question à trancher est de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle, c’est-à-dire si, en poursuivant la Honda noire, sa conduite est devenue dangereuse et, par conséquent, enfreignait le paragraphe 249(1) du Code criminel et a ainsi causé des lésions corporelles en contravention du paragraphe 249(3) de celui-ci.

Selon la décision que la Cour suprême du Canada a rendue dans l’arrêt R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, pour que l’article 249 puisse être invoqué, il faut établir que la personne conduisait « d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu, l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu » et que cette façon de conduire constituait « un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation que l’accusé ».

En appliquant le critère de la personne raisonnable, il me faut déterminer si la façon de conduire de l’AI constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’observerait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. Par conséquent, je dois déterminer si sa conduite équivalait à un écart marqué par rapport à celle attendue d’un agent qui tente d’immobiliser un véhicule automobile dans les rues municipales en raison d’une infraction au Code de la route, et après que la Honda s’était initialement rangée sur le côté, d’un agent de police qui tente d’immobiliser un véhicule automobile dont il avait alors confirmé, en faisant une vérification dans le terminal informatique à bord de son véhicule, que ce véhicule était impliqué dans une infraction criminelle.

Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, il est clair pour moi que l’AI se déplaçait probablement à une vitesse pouvant dépasser jusqu’à 90 km/h la limite de vitesse lorsqu’il poursuivait la Honda noire. Il n’est toutefois pas contesté que les routes étaient dégagées et sèches et que les conditions météorologiques et la visibilité étaient bonnes. En outre, à part sa vitesse, il n’y a aucune preuve que l’AI a contrevenu aux dispositions du Code de la route, et il n’y a aucune preuve qu’il a gêné d’autres véhicules.

Tandis que la poursuite a eu lieu dans des rues municipales où le débit de la circulation était constant et que la vitesse extrêmement élevée de la Honda semblait être en corrélation directe avec le souhait du TC no 1 de semer la police, j’estime qu’au bout du compte, c’était la volonté du TC no 1 de tenter d’échapper à la police et, ce faisant, de conduire à une vitesse extrême sans égard pour les autres personnes qui utilisaient les mêmes routes qui a finalement causé la collision et les blessures subies par le plaignant.

Pour en arriver à ma conclusion, j’ai gardé en mémoire la jurisprudence établie par la Cour suprême du Canada selon laquelle je ne devrais pas juger les actes des policiers au regard d’une norme de perfection inatteignable, comme la Cour suprême l’a énoncé dans l’arrêt R. c. Nasogaluak [2010] 1 R.C.S. 206, qui dit ceci :

Les actes des policiers ne devraient pas être jugés au regard d’une norme de perfection. Il ne faut pas oublier que ceux-ci accomplissent un travail exigent et dangereux et qu’ils doivent souvent réagir rapidement à des situations urgentes. Leurs actes doivent alors être appréciés selon ce que commande ce contexte difficile.

Je garde également en mémoire l’arrêt R. c. Roy [2012], 2 C.C.C. 60, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué qu’une seule erreur momentanée de jugement ne permet pas de conclure raisonnablement qu’il y a eu écart marqué par rapport à la norme de diligence d’une personne raisonnable dans la même situation. La Cour suprême s’est exprimée en ces termes :

L’arrêt Beatty pose comme point fondamental que la conduite dangereuse constitue une infraction criminelle grave. Il est donc très important de s’assurer que l’exigence de la faute en matière de conduite dangereuse a été établie, sans quoi la portée du droit criminel est indûment étendue et des personnes qui ne sont pas moralement blâmables sont qualifiées à tort de criminelles. La distinction entre un simple écart pouvant engager la responsabilité civile et l’écart marqué requis pour la faute criminelle est une question de degré. Le juge des faits doit déterminer comment l’écart par rapport à la norme se distingue de façon marquée de la simple négligence.

Et de la façon suivante :

La simple imprudence que même les conducteurs les plus prudents peuvent à l’occasion commettre n’est généralement pas criminelle. Tel qu’indiqué précédemment, la juge Charron a formulé ainsi cette idée au nom des juges majoritaires dans l’arrêt Beatty : « [s]’il faut considérer comme une infraction criminelle chaque écart par rapport à la norme civile, quelle qu’en soit la gravité, on risque de ratisser trop large et de qualifier de criminelles des personnes qui en réalité ne sont pas moralement blâmables » (par. 34). La Juge en chef a exprimé un point de vue semblable : « même les bons conducteurs ont à l’occasion des moments d’inattention qui peuvent, selon les circonstances, engager leur responsabilité civile ou donner lieu à une condamnation pour conduite imprudente. Mais en général, ces moments d’inattention ne vont pas jusqu’à l’écart marqué requis pour justifier une déclaration de culpabilité pour conduite dangereuse » (par. 71).

Et enfin, comme suit :

La façon de conduire qui, d’un point de vue objectif, est simplement dangereuse ne permettra pas à elle seule de conclure qu’elle constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation (la juge Charron, par. 49; voir aussi la juge en chef McLachlin, par. 66, et le juge Fish, par. 88). Autrement dit, la preuve de l’actus reus de l’infraction ne permet pas, à elle seule, de conclure raisonnablement à l’existence de l’élément de faute requis. La conduite constituant un écart marqué par rapport à la norme est le seul facteur qui peut étayer raisonnablement cette conclusion.

J’ai aussi soigneusement tenu compte de la décision (non traduite en français) que notre Cour d’appel (la Cour d’appel de l’Ontario) a rendue dans l’affaire R. c. Pezzo, [1972] O.J. No. 965, selon laquelle la vitesse excessive ne peut à elle seule équivaloir à de la conduite dangereuse. Voici un extrait de cette décision, dans laquelle la Cour d’appel a statué que l’infraction de conduite dangereuse n’était pas établie malgré la vitesse extrêmement élevée à laquelle l’appelant roulait alors :

[Traduction]

Pour ce qui est de l’accusation de conduite dangereuse, il y a très peu d’éléments de preuve. La Couronne a énoncé les critères particuliers de la conduite dangereuse et s’est limitée à la vitesse excessive. Mon frère Arnup et moi sommes d’avis que, compte tenu de l’insuffisance de la preuve, il serait imprudent de maintenir une condamnation. Le savant juge de première instance a dit ceci :

  • « Compte tenu de l’ensemble de la preuve dont je suis saisi, je conclus que vous avez pris cette voiture, que vous l’aviez en votre possession, que vous l’avez volée et que vous la conduisiez. Sur la foi de la preuve qui m’a été présentée, la voiture a basculé, laissant des marques de pneus sur une distance de 98 pieds, puis s’est renversée sur le toit [...] laissant une autre marque de dérapage d’une longueur de 42 pieds, ce qui dénote une très grande vitesse, avant de percuter le mur. À la lumière de l’ensemble de la preuve devant moi, je vous déclare coupable de vol d’un véhicule automobile et de conduite dangereuse

En toute déférence envers le juge du procès, nous ne sommes pas convaincus que la preuve révèle clairement que l’appelant conduisait d’une manière que l’on pouvait qualifier de conduite dangereuse au sens de l’article pertinent du Code. Nous accueillerons donc l’appel à l’encontre de la condamnation et ordonnerons un acquittement à l’égard de l’accusation de conduite dangereuse.

J’ai également tenu compte d’une décision ultérieure que la Cour d’appel de l’Ontario a rendue dans R. c. M.K.M., [1998] O.J. No. 1601 (non traduite en français), selon laquelle dans certaines circonstances, la vitesse excessive peut à elle seule suffire à établir la conduite dangereuse :

[Traduction]

En fonction du contexte dans lequel cela s’est produit, la vitesse excessive peut équivaloir à un écart marqué par rapport à la norme de diligence d’un conducteur prudent. En l’espèce, le contexte était le suivant : l’accident s’est produit sur une autoroute occupée dans une zone construite à Mississauga et, juste avant l’accident, l’appelante avait conduit de façon agressive et était en train de « chahuter » sur la route avec sa coaccusée. Bien que leurs estimations de la vitesse de conduite de l’appelante variaient, tous les témoins indépendants ont déclaré qu’elle roulait trop vite. Les éléments de preuve selon lesquels [...] appuyaient tous la conclusion du juge du procès selon laquelle l’appelante conduisait à une vitesse bien supérieure à la limite permise et trop vite pour éviter tout incident imprévu sur l’autoroute. De fait, Mademoiselle Black a témoigné que l’appelante a perdu le contrôle de son véhicule parce qu’elle conduisait trop vite.

Après avoir examiné en détail les décisions rendues par notre Cour d’appel quant aux facteurs qu’il me faut prendre en considération au moment de déterminer si j’ai des motifs raisonnables de croire qu’il y a des éléments de preuve suffisants pour porter une accusation de conduite dangereuse, j’en viens à conclure, non sans quelque réticence, que tel n’est pas le cas dans la présente affaire. Compte tenu du fait que la seule preuve que j’ai à l’appui d’une accusation de conduite dangereuse serait celle d’une vitesse élevée, preuve qui est contrebalancée par le témoignage selon lequel l’agent n’a conduit à une vitesse élevée que pendant les 20 premières secondes, puis s’est arrêté, et puis a conduit ainsi pendant moins de 29 secondes, et compte tenu du fait que le critère d’un conducteur raisonnable exige une évaluation de ce qui serait raisonnable dans le cas d’un agent de police tentant d’immobiliser un véhicule automobile et d’enquêter d’abord au sujet d’un véhicule ayant commis un excès de vitesse et puis au sujet d’un véhicule volé, il me faut conclure qu’en l’absence d’éléments de preuve qui permettraient de conclure que l’AI conduisait de façon dangereuse en dehors de la simple vitesse élevée à laquelle il a roulé pendant quelques secondes, la preuve est insuffisante pour me convaincre que j’ai des motifs raisonnables de croire que les actions de l’AI ont constitué un « écart marqué » plutôt qu’un « simple écart » par rapport à la norme de diligence à laquelle se serait conformé un agent de police raisonnable dans ces circonstances. Comme je l’ai indiqué précédemment, la preuve n’établit pas non plus de lien de causalité entre la conduite de l’AI et les blessures subies par le plaignant.

En conclusion, me fondant sur la preuve qui m’a été présentée, je rends que je n’ai pas de motifs raisonnables qui me convainquent que la conduite de l’AI équivalait à une infraction criminelle et que, par conséquent, aucune accusation ne sera portée.

Date : 2 octobre 2018

Original signé par

Tony Loparco
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.