Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 23-OCI-397

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 36 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES [1]

Le 28 septembre 2023, à 22 h 55, le Service de police régional de Niagara (SPRN) a contacté l’UES et donné les renseignements suivants.

Le 28 septembre 2023, à 16 h 45, des agents du SPNR se sont rendus à une résidence de Niagara Falls à la recherche d’un « homme indésirable ». Ils ont repéré l’homme – le plaignant – et l’ont arrêté sans incident pour introduction par effraction. À 17 h 15, le plaignant a été transporté au centre de détention du SPNR, à Niagara Falls, où il a été fouillé et placé dans une cellule. À 18 h 12, un contrôle a révélé que le plaignant était sans connaissance. À 18 h 21, les services médicaux d’urgence (SMU) ont été appelés et ont conduit le plaignant à l’Hôpital général du Grand Niagara (HGGN). Il a ensuite été transféré à l’unité de soins intensifs. Divers sachets de drogue ont été découverts dans son rectum. On soupçonnait que l’un de ces paquets s’était brisé, ce qui avait entraîné son état de détresse médicale.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 29 septembre 2023 à 9 h 23

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 29 septembre 2023 à 10 h 28

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 36 ans, n’a pas participé à une entrevue [2]

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorisait en tant qu’agent impliqué.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
AT no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées

Les agents témoins ont participé à une entrevue le 1er décembre 2023.

Témoins employés du service (TES)

TES no 1 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
TES no 2 A participé à une entrevue; notes reçues et examinées
TES no 3 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.
TES no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.

Les témoins employés du service ont participé à une entrevue le 22 décembre 2023.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont produits dans le centre de détention principal du district 2 du SPRN.

Éléments de preuves médicolégaux
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Soumissions à Santé Canada

À la demande des enquêteurs de l’UES, le SPRN a soumis à Santé Canada, pour analyse, les sachets retirés du rectum du plaignant par le personnel médical. Un rapport sur les résultats de cet examen est encore en attente.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [fn]3[/fn]

Vidéo de la garde au SPRN

Le 28 septembre 2023, un véhicule de patrouille du SPRN entre dans l’entrée sécurisée du poste. Trois agents font sortir le plaignant du véhicule. Il est menotté dans le dos et sa tête est tellement penchée en avant que son menton touche sa poitrine. Les agents l’escortent jusqu’à l’aire d’enregistrement au poste.

Le plaignant est léthargique et répond aux questions lentement et avec des difficultés d’élocution. On lui dit qu’il est en état d’arrestation en vertu d’un mandat pour « introduction par effraction ». On lui demande s’il a des blessures et sa réponse est inaudible. Quand on lui demande s’il a des problèmes de santé mentale, il répond : [traduction] « Tout ce qui précède ».

Une fois les démarches de l’enregistrement terminées, le plaignant est placé dans une cellule et frappe légèrement la porte avec les poings fermés. Il semble frapper du poing la fente de la porte et s’accroupit contre le mur en face de la banquette. Sa tête est constamment affaissée contre sa poitrine et il reste accroupi. Il va et vient pendant un bref moment avant de revenir en position penchée au-dessus de la banquette. Par moments, il s’accroupit et se relève légèrement, les genoux près de la poitrine.

Environ dix minutes après son entrée dans la cellule, le plaignant s’agenouille dans une position fœtale serrée, le dos face à la porte de la cellule et le front et les coudes contre le sol. Il s’accroupit avec les fesses sur les talons et le front contre le sol. Ses mouvements deviennent très légers, à l’exception de respirations superficielles.

Environ 27 minutes après son entrée dans la cellule, un éclat de lumière apparait dans la cellule, comme si la fente du plateau de nourriture s’ouvrait. Une ombre traverse la lumière et un agent spécial entre dans la cellule tandis qu’un autre agent spécial reste devant le seuil. On secoue le plaignant à plusieurs reprises et il semble se réveiller légèrement. Un autre agent spécial entre dans la cellule pour faire pivoter le plaignant sur le côté gauche en position fœtale. Il semble y avoir du vomi par terre, à l’endroit où le plaignant était penché.

Un agent spécial administre une dose de Narcan au plaignant, qui ne réagit pas. Les agents spéciaux étendent les jambes du plaignant et le placent sur le dos.

Des ambulanciers paramédicaux des SMU de Niagara entrent dans la cellule. Ils administrent un massage thoracique au plaignant, sans effet. Quatre ambulanciers paramédicaux s’occupent du plaignant jusqu’à ce qu’il reprenne connaissance. Il semble perdre et reprendre connaissance à plusieurs reprises pendant les minutes suivantes. Les ambulanciers paramédicaux sortent le plaignant de la cellule.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPRN a remis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 29 septembre et le 9 novembre 2023 :
  • Notes du TES no 1;
  • Notes du TES no 2;
  • Notes du TES no 3;
  • Notes du TES no 4;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Politique – ¬personnes sous garde;
  • Vidéo de la cellule;
  • Mandat d’arrêt – le plaignant;
  • Rapports d’incident.

Description de l’incident

Les événements importants en question ressortent clairement des éléments de preuve recueillis par l’UES et peuvent être résumés brièvement. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de ses notes, comme il en avait le droit.

Dans l’après-midi du 28 septembre 2023, des agents se sont rendus à une résidence de Niagara Falls en réponse à un appel pour introduction par effraction et ont arrêté le suspect, le plaignant. Le plaignant a par la suite été libéré sur les lieux dans le cadre de l’enquête sur l’introduction par effraction, mais il a été placé sous garde en vertu d’un mandat d’arrêt non exécuté pour une autre introduction par effraction. Un des agents qui ont procédé à l’arrestation a fouillé le plaignant et a trouvé des accessoires liés à la drogue dans les poches de son pantalon. Les agents ont confisqué ces accessoires.

Le plaignant a été conduit à un centre de détention du SPNR où il a de nouveau été fouillé avant d’être placé en cellule. Il était alors environ 17 h 46.

Vers 18 h 16, un agent spécial qui vérifiait les cellules a trouvé le plaignant évanoui dans sa cellule. Il respirait, mais on ne parvenait pas à le réveiller. Des ambulanciers paramédicaux ont été appelés et un agent spécial a administré de la naloxone au plaignant.

Le plaignant a été conduit à l’hôpital où il a été soigné pour une surdose de drogue. Le personnel médical avait détecté et retiré de son rectum des sachets contenant ce qui semblait de la drogue.

Dispositions législatives pertinentes

L’article 215 du Code criminel – Défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Articles 219 et 221 du Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui est coupable : 
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans; 
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a sombré dans une détresse médicale aiguë pendant qu’il était détenu dans une cellule du SPRN le 28 septembre 2023. L’UES a été avisée de l’incident et a ouvert une enquête, en désignant en tant qu’agent impliqué (AI) l’agent qui assumait la responsabilité globale des soins aux détenus à ce moment-là. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec les troubles de santé du plaignant.

Les infractions à prendre en considération en l’espèce sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention des articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. Un simple manque de diligence ne suffit pas à engager la responsabilité pour ces deux infractions. Pour la première, la culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les mêmes circonstances. La deuxième correspond aux cas encore plus graves de conduite qui font preuve d’un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. Pour que cette infraction soit établie, il faut notamment que la négligence constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à une norme de diligence raisonnable. En l’espèce, il faut donc déterminer si l’AI a fait preuve d’un manque de diligence qui a mis la vie du plaignant en danger ou a contribué à son épisode de détresse médicale, et si ce manque était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Au moment des événements en question, le plaignant était légalement sous garde en vertu d’un mandat émis en août 2023 autorisant son arrestation pour des accusations d’introduction par effraction.

En ce qui concerne les soins prodigués au plaignant pendant sa garde par la police, je suis convaincu que ses gardiens se sont comportés avec la diligence nécessaire pour sa santé et son bien-être. Il s’est écoulé à peine vingt minutes environ entre le moment où le plaignant s’est accroupi sur le sol de la cellule et celui où les agents spéciaux l’ont découvert en détresse et sont intervenus. Ils ont rapidement appelé des ambulanciers paramédicaux et administré une dose de naloxone au plaignant. Le fait que le plaignant ait été placé en cellule avec de la drogue en sa possession mérite d’être examiné, mais ne modifie pas l’évaluation de la responsabilité. Il n’était pas possible de découvrir ces substances, apparemment dissimulées dans son rectum, sans une fouille à nu. Néanmoins, il n’est pas du tout certain qu’une telle fouille aurait été justifiée légalement. Conformément à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Golden, [2001] 3 RCS 679, la police ne doit pas procéder systématiquement à une fouille à nu. En raison de leur nature intrusive, ces fouilles ne peuvent être justifiées que s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’elles sont nécessaires dans les circonstances particulières d’une arrestation. En l’espèce, le plaignant n’avait pas été arrêté pour une infraction liée aux drogues. De plus, même s’il semblait parfois léthargique, il se montrait par ailleurs cohérent dans ses rapports avec les agents concernés, a nié avoir récemment consommé de la drogue et se comportait de la même manière que lorsqu’il avait été arrêté précédemment. Tout cela pour dire que la décision de ne pas procéder à une fouille à nu n’était pas déraisonnable.

Par conséquent, il n’y a aucun motif raisonnable de conclure que l’AI, ou un autre agent en cause, a transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel à l’égard du plaignant. Il n’y a donc pas de raison de porter des accusations criminelles et le dossier est clos.


Date : 22 janvier 2024

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) A moins d’indication contraire, les renseignements contenus dans cette section reflètent les informations reçues par l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les conclusions de fait de l’UES à la suite de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Le plaignant est décédé pendant l’enquête de l’UES dans le cadre d’un incident sans rapport avec le présent cas. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.