Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 22-OOD-019

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête de l’UES sur le décès d’un homme de 20 ans (le plaignant). [1]

L’enquête

Notification de l’UES

[2]

Le 18 janvier 2022, le coroner en chef et le gestionnaire de cas indépendant de la nouvelle enquête Confiance brisée ont rencontré l’UES pour lui faire part de leurs préoccupations au sujet du décès du plaignant, à Thunder Bay, qui n’avait pas été signalé à l’UES. Ils ont fourni deux rapports : The Complainant – Death Investigation – Final Report [Le plaignant – Enquête sur le décès – Rapport final] et [Police Services Act Chief Complaint] Rapport d’enquête sur la plainte par le chef de police en vertu de la Loi sur les services policiers (Service de police de Thunder Bay). Selon ces rapports, le 24 mars 2015, à 20 h 53, le Service de police de Thunder Bay (SPTB) a reçu un appel non urgent du témoin no 1 qui appelait depuis un dépanneur Mac’s. Le témoin no 1 a dit que le plaignant était seul, intoxiqué et criait dans le parc Junot. Le plaignant n’était vêtu que d’un t-shirt et d’un pantalon, et le témoin no 1 s’inquiétait pour lui. Le SPTB a émis un appel de demande de service, mais aucun agent n’a été dépêché en raison d’autres appels de service. À 22 h 17, le superviseur des communications, le témoin civil (TC) no 6, a annulé l’appel de demande de service parce qu’il n’y avait pas eu d’appel subséquent en lien avec le premier. Le 25 mars 2015, à 9 h 04, le SPTB a répondu à un appel concernant une personne sans réaction au parc Junot. Le plaignant avait été découvert à plat ventre sur un sentier piétonnier, sans signes vitaux.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 24 janvier 2022 à 9 h 36

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 28 janvier 2023 à 11 h

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 20 ans, décédé


Témoins civils (TC)

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue
TC no 2 N’a pas participé à une entrevue
TC no 3 N’a pas participé à une entrevue
TC no 4 N’a pas participé à une entrevue
TC no 5 N’a pas participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 N’a pas participé à une entrevue
TC no 10 N’a pas participé à une entrevue
TC no 11 A participé à une entrevue
TC no 12 A participé à une entrevue
TC no 13 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à une entrevue entre le 8 et le 10 mai 2022.

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorisait.

Retard dans l’enquête

Les retards dans l’enquête étaient imputables à plusieurs facteurs. L’UES a été avisée du décès du plaignant près de sept ans après les faits. Certains témoins civils et policiers étaient décédés, d’autres avaient pris leur retraite et d’autres encore, une fois retrouvés, se souvenaient mal des faits entourant l’incident. Le SPTB a précisé qu’il ne disposait d’aucun dossier sur l’incident, car les dossiers, les enregistrements et la correspondance avaient été purgés. L’UES a dû recourir à une ordonnance judiciaire pour recueillir des dossiers auprès du Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police (BDIEP), qui, au titre de son autorité, avait obtenu des dossiers du SPTB lors de son enquête initiale.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit sur un sentier pédestre au nord de la caserne de pompiers de l’avenue Junot, sur l’avenue Junot Nord. Le sentier était entouré de quelques arbres et était accessible depuis l’avenue Junot et Red River Road. Le corps du plaignant avait été découvert juste à côté du sentier piétonnier, à proximité d’un terrain de stationnement.

Les enquêteurs de l’UES se sont rendus sur les lieux le 8 février 2022. La scène correspondait aux photographies et aux descriptions de 2015. Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES n’ont pas examiné les lieux, car on ne pouvait pas s’attendre à y trouver des éléments de preuve pertinents.

Éléments de preuves médicolégaux


Opinion du Comité d’experts sur les dossiers complexes du Service de médecine légale de l’Ontario

L’UES a demandé au Comité d’experts sur les dossiers complexes du Service de médecine légale de l’Ontario de lui fournir une opinion concernant l’heure du décès du plaignant. Le comité a répondu par écrit à cette demande le 28 décembre 2022, avec la conclusion suivante : [traduction] « Il n’était pas médicalement ou scientifiquement possible d’établir la durée de survie du défunt dans les circonstances connues ni d’estimer l’heure de son décès. »

Dossiers – Divers


Rapport d’enquête du chef du SPTB sur la plainte

L’UES a examiné une copie du rapport de l’enquête du chef de police sur la plainte en vertu de la Loi sur les services policiers et sur la mort subite du plaignant. Le rapport était rédigé par un inspecteur du SPTB – le TC no 13 (maintenant à la retraite).

L’appel initial de service en vertu de la Loi sur les permis d’alcool a été généré le 24 mars 2015 à 20 h 53. L’appelant était le témoin no 1. Les agents du secteur chargés de donner suite à la plainte ont été redirigés vers le lieu d’une autre plainte pour conduite avec facultés affaiblies. La plainte initiale a été annulée le 24 mars 2015 à 22 h 17.

Le rapport de mort subite a été généré le 25 mars 2015 à 9 h 04.

Au cours de son enquête, le TC no 13 a obtenu la chronologie des événements. La plainte avait été annulée par le TC no 6 à 22 h 17, avec la permission de l’AI, parce qu’aucun appel subséquent n’avait été reçu pour la même affaire.

Entre 20 h et 23 h, il y avait eu 24 appels de demande de service; sept portaient sur des plaintes relevant de la Loi sur les permis d’alcool.

Le TC no 13 a analysé l’enregistrement MP3 de la plainte/appel de demande de service ainsi que de la communication téléphonique dans laquelle le TC no 6 demandait à l’AI l’autorisation d’annuler la plainte.

Le TC no 13 a noté qu’il y avait eu une rupture dans la chaîne de communication, entre le moment où la préposée avait reçu l’appel du témoin no 1, l’entrée d’un appel non prioritaire, la communication de l’information au sergent d’état-major par intérim et l’annulation de l’appel.

Le TC no 13 a mené cinq entrevues et examiné les enregistrements originaux des appels. Il a conclu qu’il était nécessaire d’établir une politique pour l’évaluation cohérente de certains types d’appels, notamment les plaintes pour des incidents relevant de la Loi sur les permis d’alcool.

Le TC no 13 a créé une directive stipulant que certaines plaintes ne seraient pas annulées sans que la police se rende sur les lieux. Par exemple, on n’annulerait pas les appels impliquant des personnes à risque en raison de leur consommation d’alcool ou de drogues, ou dont le comportement dénote une possible maladie mentale ou des lésions cérébrales.

Le TC no 13 a transmis ce rapport au chef de police pour une enquête plus approfondie et des considérations disciplinaires. Il a demandé à l’unité des enquêtes criminelles d’interroger le témoin no 1 afin d’ajouter les résultats au rapport de mort subite. Les enregistrements des entretiens et des appels originaux ont été transposés sur disque pour qu’on puisse les examiner au besoin.

Sommaire du rapport de répartition assistée par ordinateur et des appels de demande de service

Soixante-douze appels ont été générés au SPTB entre le 24 mars 2015, à 19 h 30, et le 25 mars 2015, à 10 h. Ces appels se répartissaient comme suit.

Vingt-sept appels de demande de service portaient sur des alarmes, la présence de personnes indésirables, des conflits familiaux, des violations de liberté sous caution, des véhicules suspects, des méfaits, une fraude, une personne disparue, un conflit de voisinage, des incidents conjugaux, des menaces, la prévention de la violation de conditions, un vol qualifié, des troubles de l’ordre public, des armes, un vol, une collision de véhicule à moteur et une plainte pour intrusion.

Trente-deux appels générés par des agents ont été effacés sans détails sur l’activité et sans remarques concernant l’effacement. Ces appels comprenaient des contrôles routiers, des interpellations de personnes, des procès-verbaux d’infraction aux règles de la circulation et des contrôles de suivi.

Huit plaintes relevant de la Loi sur les permis d’alcool et cinq appels d’assistance avaient été générés.

L’appel demandant de vérifier l’état du plaignant au parc Junot a été généré à 20 h 53 min 26 s et annulé à 22 h 17 min 37 s. Durant cette période, il y a eu cinq appels de demande de service, six appels générés par des agents, quatre autres appels liés à la Loi sur les permis d’alcool et deux appels d’assistance.

Trente-cinq autres appels ont été générés après l’annulation de la plainte concernant le plaignant au parc Junot : quatorze appels de demande de service, seize appels générés par des agents, deux plaintes liées à la Loi sur les permis d’alcool et trois appels d’assistance.

Il n’y a eu aucun appel généré par des agents au parc Junot lors des appels de demande de service documentés.

Dossiers d’enquête du BDIEP

L’UES a obtenu les dossiers d’enquête du BDIEP sur autorisation judiciaire. Une ordonnance de communication a été émise le 6 juillet 2022 et remise aux bureaux du BDIEP.
 

Rapport d’enquête sur la Confiance brisée

Le 18 janvier 2022, le coroner en chef de l’Ontario a transmis le rapport d’enquête à l’UES. Le rapport d’enquête sur la Confiance brisée datait de décembre 2018.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPTB a remis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 2 février et le 13 mai 2022 :
  • Appels pour demande de service;
  • Tableau de service du 24 mars 2015 – Quart de nuit;
  • Tableau de service du 25 mars 2015 – Quart de jour;
  • Notes du TC no 13;
  • Liste des dossiers de police de 2015;
  • Livret de cartes géographiques des secteurs de police;
  • Règlement annexe en date du 26 mars 2021;
  • Courriel concernant la recherche d’audit des courriels du TC no 13 et du témoin no 2;
  • Courriel concernant les procédures d’annulation des appels;
  • Courriel concernant la politique de conservation des dossiers;
  • Politique – 25 janvier 2012, Personnel des communications;
  • Politique – 23 mai 2014, Surveillance de secteur;
  • Politique –13 février 2014, Communications électroniques;
  • Politique – 20 mai 2014, Surveillance de secteur (ébauche);
  • Politique – 28 mai 2014, Autre type d’intervention;
  • Politique – 24 mai 2019, Communications électroniques;
  • Dossier de destruction des dossiers liés à l’enquête du chef sur la plainte impliquant l’AI.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Bureau du coroner en chef – Rapport d’autopsie et rapport toxicologique;
  • Bureau du coroner en chef – Résumé de l’enquête Confiance brisée;
  • Bureau du coroner en chef – Résumé de l’enquête sur la plainte par le chef du SPTB;
  • Enregistrement audio de l’entretien du BDIEP avec le témoin no 1;
  • Résumé de l’enquête du BDIEP;
  • Service de médecine légale de l’Ontario – avis d’expert du Comité d’experts sur les dossiers complexes concernant le décès du plaignant, daté du 28 décembre 2022.

Description de l’incident

L’enquête de l’UES a été entravée en grande partie par le temps qui s’était écoulé et par la disparition d’éléments de preuve. Par exemple, l’un des principaux témoins civils – le témoin no 1 – était décédé. D’autres témoins avaient de la difficulté à se souvenir des événements en question. Il est important de noter que la plupart des documents d’enquête compilés par le SPTB dans le cadre de son enquête initiale sur le décès du plaignant avaient été supprimés conformément aux échéanciers de conservation des dossiers du service de police.

Les éléments de preuve encore disponibles et recueillis par l’UES, notamment les entrevues avec des témoins civils, l’examen d’un nombre limité de dossiers de police, ainsi que le rapport d’autopsie et d’autres preuves médicales d’experts, donnent lieu au scénario suivant. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de ses notes, comme la loi l’y autorisait en tant qu’agent impliqué.

Dans l’après-midi et la soirée du 24 mars 2015, le plaignant et diverses connaissances à différents moments ont consommé une grande quantité d’alcool. Le plaignant a continué de boire et s’est rendu au parc Junot, en compagnie du témoin no 1 et de deux autres personnes, entre 19 h 30 et 20 h environ. Le plaignant a commencé à faire du tapage dans le parc – il courait dans les allées et criait après les passants. À un moment donné, le plaignant a enlevé son chandail et ne portait plus qu’un T-shirt. Ses compagnons sont finalement partis en le laissant dans le parc.

Inquiet pour le plaignant, le témoin no 1 s’est rendu à un dépanneur du secteur et a appelé la police. Il a signalé que le plaignant était dans le parc, très ivre et agité, et qu’il ne portait qu’un t-shirt avec un pantalon et une tuque.

L’appel du témoin no 1 a été reçu vers 20 h 53 par la préposée aux appels du SPTB, la TC no 7. Dans sa documentation de l’appel du témoin no 1, qu’elle a qualifié de plainte liée à la Loi sur les permis d’alcool, la TC no 7 a noté que le plaignant était ivre et criait dans le parc Junot, et qu’il portait un T-shirt blanc et un pantalon gris foncé. L’appel de demande de service, classé comme le type d’appel le moins prioritaire – une priorité quatre – a été transmis pour répartition.

Le TC no 8 travaillait au centre de communications à ce moment-là et était chargé de dépêcher des agents en réponse aux appels de demande de service. Les agents initialement dépêchés pour l’appel ont été retirés et réorientés vers des appels dont la priorité était considérée plus élevée. Un peu plus tard, le TC no 8 a demandé à son superviseur, le TC no 6, s’il pouvait « annuler l’appel », c’est-à-dire le retirer de la liste des appels de demande de service nécessitant une intervention de la police.

Le TC no 6 a transmis la demande au commandant responsable du centre des communications – l’AI. L’AI a convenu que l’appel pouvait être annulé. À 22 h 17, l’appel de demande de service a été annulé; la raison de cette annulation était apparemment qu’il n’y avait pas eu d’autre appel de suivi pour la même affaire.

Le corps du plaignant a été découvert par un passant vers 9 h le lendemain matin, le 25 mars 2015.
 

Cause du décès

Lors de l’autopsie, le pathologiste a déterminé que le décès du plaignant était attribuable à « l’hypothermie » et que la concentration élevée d’éthanol dans le sang constituait un facteur contributif important au décès, mais sans lien direct avec la cause immédiate.

La preuve médicale n’avait pas déterminé le moment où le plaignant avait sombré dans une détresse médicale aiguë ni le moment où il était décédé.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle causant la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Dans la matinée du 25 mars 2015, le plaignant a été trouvé sans vie dans le parc Junot, au coin nord-est de Red River Road et de l’avenue Junot Nord, à Thunder Bay. Son corps a été découvert près d’un sentier à proximité du terrain de stationnement du parc. La veille au soir, un ami du plaignant, le témoin no 1, avait appelé la police pour demander de l’aide pour le plaignant. Le témoin no 1 avait expliqué que le plaignant était dans le parc, qu’il était ivre, qu’il criait et qu’il portait seulement un T-shirt et un pantalon. Aucun agent de police ne s’est rendu au parc pour vérifier l’état du plaignant.

Le Bureau du directeur indépendant de l’examen de la police a examiné les circonstances du décès du plaignant dans le cadre d’un examen plus vaste des méthodes d’enquête du SPTB sur les décès de plusieurs membres des Premières Nations. À la suite du rapport du BDIEP, Confiance brisée, publié en décembre 2018, une équipe composée de divers spécialistes a été chargée de mener une nouvelle enquête sur les circonstances du décès du plaignant. Le coroner en chef, qui faisait partie de cette équipe, a contacté l’UES le 18 janvier 2022 pour lui faire part de ses préoccupations quant au fait que le décès du plaignant n’avait pas été initialement signalé à l’UES alors qu’il semblait que l’affaire relevait du mandat légal de l’UES.

À la suite de cette communication du coroner en chef, l’UES a ouvert une enquête sur le décès du plaignant. L’UES a désigné un agent impliqué (AI). L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec le décès du plaignant.

L’infraction à prendre en considération en l’espèce est la négligence criminelle causant la mort, une infraction visée par l’article 220 du Code criminel. Cette infraction correspond aux cas graves de négligence, qui démontrent un mépris déréglé ou téméraire pour la vie ou la sécurité d’autrui. La culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les circonstances. En l’espèce, il faut donc déterminer si l’AI a fait preuve d’un manque de diligence qui a mené ou contribué au décès du plaignant et si ce manque était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

À première vue, il est certain que la décision d’annuler l’appel de demande de service semble déraisonnable. En fait, compte tenu des enjeux en cause, à savoir la santé et la vie du plaignant, on pourrait soutenir que cette décision a transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel. Un appel avait été reçu du témoin no 1 qui exprimait son inquiétude pour le bien-être de son ami, qu’il a décrit comme étant très ivre, agité et vêtu d’un T-shirt. Dans ces circonstances, les préposés aux appels et, par conséquent, l’AI auraient dû placer le risque d’hypothermie au premier plan. Ils ont cependant laissé annuler cet appel au bout d’une heure et demie seulement. La raison officielle de l’annulation – telle que notée dans les registres des communications – était qu’il n’y avait pas eu d’autres appels à ce sujet. Ceci ne semble guère constituer une circonstance atténuante – on ne peut pas vraiment s’attendre à ce que le plaignant appelle parce qu’il commençait à souffrir d’hypothermie, et les policiers savaient que ses amis l’avaient laissé dans le parc.

On ne sait toujours pas pourquoi l’AI a jugé approprié d’annuler l’appel aussi rapidement qu’il l’a fait; comme c’était son droit, l’AI a choisi de ne pas s’entretenir avec l’UES. On peut toutefois établir avec un certain niveau de certitude que l’AI a eu accès aux renseignements sur l’appel concernant l’état et la tenue vestimentaire du plaignant ou, tout au moins, qu’il aurait dû prendre connaissance de ces renseignements. On pourrait donc faire valoir que l’agent a agi avec un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie et de la sécurité du plaignant.

Cela dit, que l’AI ait agi de manière déraisonnable en annulant l’appel de demande de service après seulement une heure et demie ou, si c’est le cas, que cette erreur ait constitué un écart marqué et important par rapport à une norme de diligence raisonnable, je ne peux pas raisonnablement conclure qu’il existe un lien suffisant entre une conduite qui constituerait une négligence criminelle de la part de l’AI et le décès du plaignant. En effet, le groupe d’experts auquel l’UES avait demandé un avis médical a abouti à la conclusion suivante, compte tenu des éléments de preuve disponibles : [traduction] « Il n’était pas médicalement ou scientifiquement possible d’établir la durée de survie du défunt dans les circonstances connues ni d’estimer l’heure de son décès. » Cette conclusion n’exclut pas la possibilité que le plaignant soit décédé avant même l’annulation de l’appel de demande de service, moment auquel toute négligence criminelle de la part de l’AI se serait concrétisée.

En dernière analyse, comme la preuve ne permet pas d’attribuer avec certitude la mort du plaignant à une conduite criminellement négligente de la part de l’AI, il n’y a pas lieu de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Le dossier est clos.


Date : 5 décembre 2023

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Âge au moment de l’incident en 2015. [Retour au texte]
  • 2) Les renseignements contenus dans cette section reflètent les informations reçues par l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les conclusions de fait de l’UES à la suite de son enquête. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.