Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 23-PCI-313

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 36 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES [1]

Le 7 août 2023, à 17 h 3, la région de l’Est de la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale) a communiqué avec l’UES pour lui transmettre l’information suivante.

Le 6 août 2023, vers 20 h 54, des agents de la Police provinciale ont arrêté le plaignant à Pembroke, car celui-ci était visé par des mandats non exécutés liés à des infractions de trafic de drogue. Il a été emmené dans les locaux du Détachement de Pembroke de la Police provinciale et détenu en vue d’une enquête sur le cautionnement. Le 7 août 2023, le plaignant s’est vu refuser la mise en liberté sous caution et devait être placé en détention provisoire au centre de détention d’Ottawa-Carleton. À 11 h 30, lorsque le personnel de garde est allé chercher le plaignant dans sa cellule pour le préparer pour le transport, il était somnolent et incapable de se tenir debout par lui-même. Le plaignant a été transporté par le personnel des services médicaux d’urgence à l’Hôpital régional de Pembroke, où on lui a administré de la naloxone par intraveineuse. Le personnel de l’hôpital a trouvé le fentanyl qu’il soupçonnait dans les sous-vêtements du plaignant alors qu’on lui mettait une chemise d’hôpital.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 7 août 2023 à 18 h 30

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 7 août 2023 à 18 h 41

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés 4
 
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 36 ans; n’a pas consenti à se soumettre à une entrevue

Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à des entrevues entre les 25 et 30 août 2023.

Témoins employés du service

TES no 1 A participé à une entrevue
TES no 2 A participé à une entrevue
TES no 3 A participé à une entrevue

Les témoins employés du service ont participé à des entrevues entre le 30 août 2023 et le 10 septembre 2023.

Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont déroulés à divers endroits dans les locaux du Détachement de Pembroke de la Police provinciale, situés au 77, International Drive, à Pembroke.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [2]

Vidéo de mise en détention de la Police provinciale

Le 6 août 2023, vers 21 h 13 min 20 s, on sort le plaignant d’un véhicule aux couleurs de la Police provinciale pour l’emmener dans l’aire de mise en détention. Il entre dans la pièce sans problème et s’assoit droit. Il est menotté, les mains derrière le dos.

Vers 21 h 23 min 44 s, on enlève les menottes du plaignant, et ce dernier semble avoir une conversation avec un agent de la Police provinciale.

Vers 21 h 30 min 17 s, le plaignant enlève sa ceinture, ses chaussures et un chandail. On effectue une fouille, pendant laquelle le plaignant retourne ses poches.

Vers 21 h 32 min 18 s, le plaignant signe une feuille de mise en détention et sort de l’aire de mise en détention. On place le plaignant dans une cellule sous surveillance vidéo. Il marche par lui-même, et on lui donne une couverture.

Vers 21 h 50 min 11 s, le plaignant sort de la cellule, et il y revient à 21 h 52 min 36 s.

Vers 23 h 7 min 18 s, on donne une autre couverture au plaignant et celui-ci s’allonge sur le banc de la cellule. Le plaignant dort toute la nuit, et aucune activité n’est signalée.

Le 7 août 2023, vers 9 h 24 min 5 s, l’AT no 3 et l’AT no 1 entrent dans la cellule et réveillent le plaignant.
 Le plaignant sort de la cellule pour se présenter devant le tribunal de libération sous caution.

Vers 9 h 35 min 7 s, le plaignant est renvoyé dans sa cellule. Il s’assoit et se penche pendant quelques minutes. On ne voit pas clairement ce qu’il fait, car la caméra est pointée vers son dos.

Vers 9 h 36 min 5 s, le plaignant reçoit de la nourriture dans sa cellule.

Vers 9 h 41 min 8 s, le plaignant est assis. Il se balance d’avant en arrière et sa tête est penchée vers ses tibias. Cela dure environ dix minutes.

Vers 9 h 58 min 49 s, le plaignant perd l’équilibre et tombe presque par terre.
 
Vers 10 h 5 min 10 s, le plaignant est debout devant la toilette, dos à la caméra.

Vers 10 h 6 min 26 s, le plaignant prend une boîte à boisson. À 10 h 19 min 37 s, il oscille, se penche et passe près de tomber.

Vers 10 h 20 min 11 s, le plaignant s’allonge sur le banc.

Vers 10 h 46 min 31 s, l’AT no 3 entre dans la cellule et tente de réveiller le plaignant.

Vers 10 h 56 min 4 s, l’AT no 3 entre dans la cellule avec le TES no 3 et le TES no 2. À 10 h 57 min 12 s, ils passent des menottes aux chevilles et aux poignets du plaignant.

Vers 11 h 0 min 30 s, on emmène le plaignant à l’entrée des véhicules, et on le place dans un véhicule de transport de la Police provinciale. Il est affaissé pendant qu’on l’escorte. Le plaignant n’arrive pas à mettre ses pieds dans le compartiment sécurisé du véhicule de transport et on l’entend marmonner.

Vers 11 h 1 min 30 s, avec l’aide du TES no 3, le plaignant s’assoit. Immédiatement, il tombe face première, la tête pointée vers le sol. Il est menotté, les mains devant lui.

Vers 11 h 3 min 50 s, le TES no 3 vérifie l’état du plaignant et lui demande s’il va bien. Le plaignant marmonne. Il est toujours dans la même position.

Vers 11 h 6 min 23 s, le TES no 3 essaie d’aider le plaignant à s’asseoir. Le TES no 2 lui demande s’il a consommé de la drogue, et le plaignant répond « non » et dit qu’il est fatigué.

Vers 11 h 9 min 14 s, après qu’on l’a aidé à se redresser, le plaignant est retombé en position fœtale sur le sol.

Vers 11 h 13 min 4 s, le plaignant dit qu’il est coincé. Le TES no 3 suggère que l’on déplace le plaignant dans le compartiment arrière, où il aurait plus de place pour s’allonger. Le plaignant marmonne et on lui demande à nouveau s’il a pris quelque chose. Le plaignant dit avoir mal à la jambe.

Vers 11 h 16 min 14 s, le TES no 3 aide le plaignant à sortir du plus petit compartiment. On lui enlève les menottes pour l’aider, mais il a du mal à se lever.

Vers 11 h 23 min 11 s, on emmène le plaignant dans un compartiment plus grand du véhicule de transport de la Police provinciale. On lui suggère de se coucher sur le sol, car il pourrait tomber du siège pendant le transport.

Vers 11 h 26 min 25 s, le TES no 3 a du mal à aider le plaignant à se coucher. On menotte à nouveau le plaignant, les mains devant lui. On suggère d’emmener le plaignant à l’hôpital.

Vers 11 h 41 min 4 s, les services médicaux d’urgence sont présents et examinent le plaignant. On lui retire ses menottes et on le place sur une civière.
 
À 11 h 51 min 14 s, la civière sort du champ de la caméra.
 

Enregistrements vidéo captés par la caméra d’intervention de l’AT no 3

La vidéo commence à 10 h 45 min 46 s. L’AT no 3 est assis devant un ordinateur de la police.
 
Vers 10 h 45 min 55 s, la TES no 1 se dirige vers l’AT no 3 et semble lui dire quelque chose. L’AT no 3 se lève immédiatement et commence à suivre la TES no 1 tout en enfilant des gants de cuir. L’AT no 3 passe devant la TES no 1, qui ouvre la porte de l’aire de mise en détention. L’agent prend également les clés des portes des cellules. L’AT no 3 s’approche de la porte de la cellule du plaignant et l’interpelle immédiatement. Puisque le plaignant ne répond pas, il ouvre la porte de la cellule. On voit le plaignant allongé sur le banc de la cellule, sur son côté droit; il ne semble pas bouger. L’AT no 3 touche la jambe gauche du plaignant, et ce dernier ne réagit pas. L’AT no 3 retire son gant et place sa main droite près du nez du plaignant. L’AT no 3 secoue l’épaule gauche du plaignant et l’appelle par son nom. Il ne reçoit pas de réponse, mais entend un grognement. L’AT no 3 dit alors « Oui, il va bien ». L’AT no 3 ne parvient pas à réveiller le plaignant. Il dit au plaignant que le véhicule de transport se trouve au Détachement et qu’en raison de la distance à parcourir, il est important qu’il aille aux toilettes. Le plaignant ne répond pas, et l’on entend l’AT no 3 dire « zut… ». L’AT no 3 commence à secouer la jambe gauche du plaignant et à dire son nom. Le plaignant ne réagit pas. On voit une substance ou tache jaune ou brune inconnue sur le plancher et sur le banc de la cellule. L’AT no 3 continue à interpeller le plaignant et à lui demander s’il l’entend. L’AT no 3 dit au plaignant qu’il doit se réveiller, car il sera transporté de toute façon. L’AT no 3 se dirige vers l’entrée de la cellule et dit à la TES no 1 que le plaignant est probablement endormi. L’AT no 3 dit à la TES no 1 que le plaignant devra être transporté dans cet état et qu’il pourra dormir dans le véhicule de transport. L’AT no 3 sort de la cellule et se dirige vers le couloir, laissant la porte de la cellule ouverte.

Vers 10 h 48 min 56 s, l’AT no 3 retourne dans la cellule et interpelle le plaignant. L’agent sort ensuite de la cellule et verrouille la porte sans que le plaignant ne réagisse.

À 10 h 49 min 35 s, la vidéo prend fin.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les éléments suivants de la part de la Police provinciale entre le 8 août 2023 et le 8 novembre 2023 :
  • rapport d’arrestation;
  • rapport général;
  • rapport sur le transport de prisonnier;
  • rapport supplémentaire;
  • feuille de registre du quart de jour;
  • rapport d’incident général;
  • mandat d’arrestation;
  • Politique de recherche des prisonniers;
  • liste des agents concernés;
  • vidéo de mise en détention;
  • enregistrements vidéo captés par la caméra d’intervention – AT no 3
  • formulaire de vérification de sécurité du détenu;
  • rapport de garde de personne en détention;
  • notes de l’AT no 3;
  • notes de l’AT no 1;
  • notes de l’AT no 2;
  • notes du TES no 2;
  • notes de la TES no 1;
  • notes du TES no 3.

Description de l’incident

Les éléments de preuve recueillis par l’UES, y compris les entrevues menées avec les agents présents lorsque le plaignant était sous garde et les séquences vidéo qui ont capté en partie l’incident, permettent d’établir le scénario suivant. L’AI n’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à ce qu’on remette ses notes, comme la loi l’y autorise.

Le plaignant a été arrêté par des agents de la Police provinciale le 6 août 2023 pour trafic de drogue. Il a été emmené dans les locaux du Détachement de Pembroke de la Police provinciale, fouillé et placé dans une cellule où il a semblé dormir toute la nuit.

Le matin du 7 août 2023, on a réveillé le plaignant pour qu’il assiste à une enquête sur le cautionnement par liaison à distance depuis les locaux du Détachement. Il n’a pas été mis en liberté sous caution et est demeuré en détention. Les agents ont ramené le plaignant dans sa cellule en attendant l’arrivée d’un véhicule de transport de prisonniers qui devait l’emmener au centre correctionnel d’Ottawa-Carleton. Il était environ 9 h 35.

Le véhicule de transport de prisonniers, conduit par le TES no 3 et le TES no 2, est arrivé aux locaux du Détachement vers 10 h 45. À ce moment-là, le plaignant semblait léthargique. Après avoir tenté de réveiller le plaignant et de le faire sortir de la cellule par ses propres moyens, le TES no 3 et le TES no 2 ont aidé le plaignant à se rendre jusqu’au véhicule de transport de prisonniers qui se trouvait dans l’entrée des véhicules, puis l’ont placé dans le compartiment des prisonniers du véhicule avec une certaine difficulté. L’état du plaignant a commencé à inquiéter les agents spéciaux, qui se sont demandé s’il serait préférable qu’une ambulance emmène le plaignant à l’hôpital.
 
La garde civile sous la surveillance de laquelle le plaignant avait passé la nuit – la TES no 1 – était d’accord. Elle a fait part de ses préoccupations à l’administrateur du Détachement qui, à son tour, a communiqué avec l’AI. La TES no 1 a été informée que l’AI voulait que l’équipe de transport de prisonniers emmène le plaignant au centre de détention. La TES no 1 et les agents spéciaux, qui continuaient à observer l’état du plaignant, n’étaient pas d’accord avec cette décision. Vers 11 h 30, la TES no 1 a fait part de ses préoccupations à un agent sur place, l’AT no 2.

L’AT no 2 a observé le plaignant. Il était léthargique et incapable de se tenir debout. Les agents spéciaux ont exprimé leur inquiétude quant à son transport au centre de détention dans cet état, d’autant plus que l’établissement pourrait ne pas l’accepter dans cet état. L’AT no 2 a appelé l’AI, mais n’a pas pu le joindre. Il a appelé un autre agent qui se trouvait avec l’AI – l’agent no 1 – et lui a demandé conseil sur ce qu’il devait faire. L’agent no 1 lui a dit d’appeler une ambulance.

Les ambulanciers sont arrivés aux locaux du Détachement vers 11 h 40. Le plaignant a été emmené à l’hôpital et traité pour une surdose. Une quantité de fentanyl aurait été découverte lorsque les sous-vêtements du plaignant ont été retirés à l’hôpital.

Dispositions législatives pertinentes

Article 215 du Code criminel – Dévoir de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Articles 219 et 221, Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui est coupable : 

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans; 
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Analyse et décision du directeur

Le 7 août 2023, le plaignant est entré dans un état de détresse médicale alors qu’il était sous la garde de la Police provinciale. L’UES a été informée de l’incident et a ouvert une enquête. L’agent qui avait la responsabilité de la garde des détenus à ce moment-là – l’AI – a été désigné comme agent impliqué. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement à l’état du plaignant.

Les infractions possibles à l’étude sont l’omission de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, lesquelles se rapportent aux articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. Dans les deux cas, pour qu’il y ait infraction, un simple manque de diligence ne suffit pas. La première infraction est fondée, en partie, sur une conduite constituant un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. La deuxième infraction, plus grave, est réservée aux comportements qui montrent une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. Cette infraction n’est établie que si la négligence constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à la diligence dont ferait preuve une personne raisonnable dans des circonstances de même nature. Dans l’affaire qui nous concerne, la question est de savoir s’il y a eu un manque de diligence dans la manière dont l’AI est intervenu auprès du plaignant qui a mis la vie de ce dernier en danger ou qui a contribué à son état de détresse médicale et qui était suffisamment grave pour justifier des sanctions criminelles. À mon avis, ce n’est pas le cas.
 
Les éléments de preuve ne permettent pas de remettre en cause la légitimité de l’arrestation et de la mise en détention du plaignant pour trafic de drogue.

Je suis également convaincu que les agents qui ont supervisé le plaignant pendant qu’il était sous garde n’ont pas dépassé les limites de précaution prescrites par le droit criminel. La majeure partie de la détention du plaignant en cellule s’est déroulée sans incident. Il a semblé dormir pendant une grande partie de sa détention. Ce n’est qu’après son retour à la cellule à la suite d’une enquête sur le cautionnement, vers 9 h 30, que l’état du plaignant a semblé se détériorer. Ce n’est que vers 10 h 45 que la surveillante civile – la TES no 1 – a commencé à s’inquiéter au sujet du plaignant. Elle n’avait pas réussi à le réveiller pour qu’il se prépare à être transporté à bord du véhicule de transport de prisonniers. Elle a fait ce qu’elle a pu et a demandé à un agent d’entrer dans la cellule pour l’aider. L’agent en question – l’AT no 3 – s’est assuré que le plaignant respirait et a semblé conclure qu’il était simplement endormi. Cette conclusion n’était pas sans fondement, d’autant plus que, quelques instants plus tard, l’agent a vu le plaignant se réveiller et sortir de la cellule, avec l’aide des agents spéciaux. L’AI a participé activement à la prise en charge du plaignant peu de temps après, lorsqu’on lui a demandé s’il fallait emmener le plaignant à l’hôpital plutôt qu’au centre de détention. L’agent a répondu que le plaignant devait être conduit au centre de détention. Il semblerait qu’il était préoccupé par des problèmes d’effectifs au sein du peloton à ce moment-là. Quel que soit le bien-fondé de cette décision, je ne peux cependant pas conclure raisonnablement qu’elle a contribué de manière substantielle à l’état du plaignant. Environ 30 minutes plus tard, on a appelé les ambulanciers.
 
Le fait que le plaignant semble avoir ingéré une certaine quantité de drogue pendant qu’il était dans la cellule peut faire l’objet d’un examen, mais cet événement ne semble pas non plus être le résultat d’un écart marqué par rapport à la norme de diligence raisonnable de la part de la police. En ce qui concerne la fouille à nu, qui n’a pas eu lieu et qui aurait pu, si elle avait eu lieu, permettre de découvrir des drogues que le plaignant avait cachées sur lui, la police devait déterminer s’il existait des motifs raisonnables de croire qu’une telle fouille était nécessaire : R c. Golden, [2001] 3 RCS 679. Il est difficile de juger si la situation se prêtait à une telle fouille selon la norme applicable. Le plaignant a été arrêté pour des infractions liées à la drogue et a des antécédents en la matière. D’autre part, aucun élément concret ne permettait de supposer qu’il était en possession de drogue – la fouille effectuée par-dessus ses vêtements n’a donné aucun résultat, et il semblait être en bonne santé lorsqu’il est arrivé dans les locaux du Détachement. En outre, en l’absence d’une surveillance continue, il n’est pas vraiment surprenant que le plaignant ait pu récupérer de la drogue qu’il avait sur lui et la consommer sans qu’on le remarque. Toutefois, ce niveau de surveillance n’était ni en vigueur ni nécessairement justifié dans les circonstances de l’arrestation du plaignant.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles contre l’AI dans cette affaire. Le dossier est clos.


Date : 5 décembre 2023


Approuvé par voie électronique par


Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les renseignements contenus dans cette section correspondent à ceux reçus par l’UES au moment où elle a été notifiée et ne correspondent pas nécessairement aux conclusions de l’UES à l’issue de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Les enregistrements en question contiennent des renseignements personnels de nature délicate et ne sont donc pas divulgués, aux termes du paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces enregistrements sont résumées ci-dessous. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.