Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 23-TCI-214

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par une femme de 28 ans (plaignante).

L’enquête

Notification de l’UES [1]

Le 6 juin 2023, à 15 h 19, le Service de police de Toronto a communiqué avec l’UES pour lui transmettre les renseignements qui suivent.

À 23 h 45 le 6 juin 2023, la présence de la plaignante à l’intérieur du magasin Canadian Tire, situé au 7, avenue Fraser à Toronto, a été signalée au Service de police de Toronto. La femme, armée d’un couteau Exacto, avait, semble t il, endommagé de la marchandise et attaqué du personnel. À 23 h 48, la plaignante a fui le magasin et a été confrontée par l’agent témoin (AT) no 3 dans le secteur de la rue King Ouest et de Joe Shuster Way. La femme étant toujours armée de son couteau, l’AT no 3 a sorti son arme à impulsions et a engagé la conversation avec la plaignante. Peu après, l’agent impliqué (AI) est aussi arrivé sur les lieux et s’est approché derrière la plaignante. Il a alors déployé son arme à impulsions, ce qui a fait tomber la plaignante à la renverse et elle s’est alors cogné la tête sur le sol. Les services d’urgence se sont rendus sur place, et la plaignante a été conduite à l’Hôpital St. Michael, où une fracture du crâne a été diagnostiquée.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : Le 6 juin 2023, à 17 h 23

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : Le 6 juin 2023, à 20 h 18

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
 
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (« plaignante ») :

Femme de 28 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés.

La plaignante a participé à une entrevue le 8 juin 2023.

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 N’a pas participé à une entrevue, mais a remis un enregistrement vidéo

Les témoins civils ont participé à une entrevue les 7 et 9 juin 2023.

Agent impliqué

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 3 juillet 2023.

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées; entrevue jugée non nécessaire.

Les agents témoins ont participé à une entrevue les 7 et 8 juin 2023.

Éléments de preuve


Les lieux

Les événements en question se sont déroulés dans le secteur de l’intersection entre Joe Shuster Way et la rue King Ouest, à Toronto.

À 17 h le 6 juin 2023, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu à l’intersection entre la rue King Ouest et Joe Shuster Way. La visibilité était bonne, le temps était chaud et la chaussée était sèche. La rue King Ouest était, de manière générale, sur un axe est-ouest, tandis que Joe Shuster Way allait vers le nord à partir de la rue King Ouest. Le sol sur place était revêtu de ciment et, par endroits, d’interblocs. Un magasin Canadian Tire se trouvait sur le coin nord-est de l’intersection.

Du personnel du Service de police de Toronto était en train de boucler une partie du trottoir sur le coin nord-ouest de l’intersection. Le périmètre en question était entouré de ruban de police affichant le mot « Caution ».

À l’intérieur du périmètre bouclé se trouvait une section avec quelques taches de sang. Il y avait aussi des signes de déploiement d’arme à impulsions puisque des identifications anti-criminel étaient là. On a aussi trouvé sur les lieux une lame de couteau Exacto. Il y avait seulement la lame; le manche était manquant et aurait, semble-t il, été sorti du périmètre. Des photos montrant une vue d’ensemble des lieux ainsi que l’emplacement des éléments de preuve réunis ont été prises.

À 17 h 45, l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires a libéré les lieux et en a remis la responsabilité à l’AT no 1, puis il s’est rendu au poste de la 14e division du Service de police de Toronto.

Éléments de preuve matériels

Le 6 juin 2023, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a collecté des éléments de preuve sur les lieux de l’incident. Il a prélevé par écouvillonnage un peu de sang formant des taches sur le sol, ce qui correspond à la pièce no 1. Au sud des taches de sang se trouvaient deux endroits tout près avec des lames de couteau Exacto, qui ont été recueillies à titre de pièce no 2. Plusieurs identifications anti-criminel et pièces d’écartement pour cartouches Taser ont été retrouvées à l’intérieur du périmètre et elles ont été désignées comme la pièce no 3.

À 18 h 5, l’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu au poste de la 14e division du Service de police de Toronto et a obtenu l’arme à impulsions utilisée durant l’incident, la cartouche déployée ainsi que les couteaux Exacto.

Ces couteaux étaient dans un emballage neuf de trois, et le fabricant était OLFA. C’était le type de lame rétractable à l’intérieur du manche. La lame était segmentée de sorte que lorsqu’elle s’émoussait, il était facile de la casser pour obtenir une autre lame. L’emballage était ouvert et contenait trois couteaux Exacto à manche jaune avec lame rétractable. L’un des trois couteaux avait la lame sortie, mais elle était cassée. Il manquait à ce couteau cinq des huit segments de lame et on a justement retrouvé cinq segments de lame sur les lieux.


Figure 1 – Boîte de trois couteaux Exacto avec l’emballage ouvert

L’arme à impulsions était de modèle Taser X2 et comportait une cartouche. Les filins et les sondes étaient toujours rattachés à la cartouche déployée.


Figure 2 – L’arme à impulsions de modèle Taser X2 de l’AI

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a téléchargé le registre des activités de déploiement de l’arme à impulsions.
Ce registre indique que la détente de l’arme a été enfoncée à 11 h 55 min 24 s [2], pour une décharge de 5 secondes.

L’enquêteur a aussi recueilli la cartouche déployée et a remis tous les autres objets au Service de police de Toronto.

Éléments de preuves médicolégaux

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a prélevé des échantillons de sang sur les lieux de l’incident, qu’il a placés en lieu sûr et qui n’ont pas eu à être analysés.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [3]

Communications par téléphone et par radio de la police

À 9 h 15 min 57 s le 6 juin 2023, l’AT no 3 s’est branché. Il a alors été dépêché dans le secteur de la rue King Ouest et de Joe Shuster Way et il est resté sur les lieux jusque vers 16 h.

À environ 11 h 45 min 13 s, un appel au 911 a été reçu par le Service de police de Toronto. La personne a signalé la présence d’une femme [maintenant identifiée comme la plaignante] qui était dans le magasin et endommageait des marchandises. Celle-ci avait pris un emballage de couteaux Exacto sur une étagère, elle l’avait ouvert et s’était servi d’un des couteaux pour endommager des marchandises du magasin. Elle s’était ensuite dirigée vers une caisse et avait agressé un membre du personnel avant de sortir par la porte principale. Un agent seul [maintenant identifié comme l’AT no 3] se trouvait en dehors du magasin et a entamé une conversation avec la plaignante. Il avait sorti son arme à impulsions vu que la plaignante tenait un couteau. La personne ayant appelé a décrit la plaignante et les vêtements qu’elle portait et a précisé que cette dernière semblait être sous l’influence de drogue ou de l’alcool.

Vers 11 h 47 min 6 s, le centre de répartition a annoncé qu’une femme en possession d’un couteau se trouvait au magasin Canadian Tire situé au 5 Joe Shuster Way. La femme en question avait endommagé des marchandises et était en possession de couteaux Exacto.

Autour de 11 h 47 min 33 s, l’AT no 3 a indiqué que la femme avait un couteau.

Vers 11 h 48 min 23 s, le centre de répartition a signalé que l’AT no 3 avait sorti son arme à impulsions devant une femme.

À environ 11 h 49 min 9 s, le centre de répartition a avisé un sergent de l’appel, en expliquant qu’il y avait un agent de service qui avait dégainé son arme à impulsions devant une personne et que cet agent avait interrompu les communications avec le centre de répartition. Le centre de répartition a fait de multiples tentatives pour recommuniquer avec l’AT no 3, mais sans succès.

Vers 11 h 50 min 41 s, la mise sous garde d’une personne et le déploiement d’une arme à impulsions ont été annoncés.

Autour de 11 h 50 min 46 s, le centre de répartition a demandé si une ambulance était nécessaire et on lui a répondu que la plaignante s’était cogné la tête sur le sol.

Vers 11 h 54 min 24 s, le centre de répartition a appelé une ambulance de toute urgence.

À environ 12 h 8 min 18 s, un homme a dit que la femme était en train de s’asseoir et qu’elle était consciente et alerte.

Vers 12 h 18 min 19 s, un agent a annoncé qu’il était avec la femme à bord d’une ambulance en direction de l’Hôpital St. Michael.

Enregistrement de la caméra d’intervention de l’AT no 3

À environ 11 h 47 min 22 s, on voyait la plaignante en train de sortir du magasin Canadian Tire. Elle a glissé un paquet dans son pantalon derrière son dos, à la hauteur de la taille, et elle s’est dirigée vers une rue. La plaignante s’est tournée vers l’AT no 3, qui se tenait sur le coin, au sud du magasin Canadian Tire. La plaignante avait un couteau Exacto jaune dans la main droite, et l’AT no 3 a dégainé son arme à impulsions.

Vers 11 h 47 min 31 s, l’AT no 3 a signalé qu’il était en présence d’une femme ayant en sa possession un couteau. Il lui a dit : [Traduction] « Lâchez-le. » La plaignante a alors traversé la rue à reculons. Un magasin Structube se trouvait derrière la plaignante. L’AT no 3 a répété : [Traduction] « Lâchez-le. Comment vous appelez-vous? » La plaignante a répondu : [Traduction] « Moi. Je ne sais pas. Qu’est-ce que c’est? » L’AT no 3 a signalé au centre de répartition que la plaignante avait un couteau.

Autour de 11 h 47 min 48 s, la plaignante s’est immobilisée au milieu de la rue. Elle avait toujours le couteau Exacto jaune dans la main droite. L’AT no 3 a indiqué au centre de répartition le lieu où il se trouvait et on l’a entendu dire : [Traduction] « Lâchez-le. Comment vous appelez-vous? Parlez avec moi.» La plaignante a quant à elle répondu : [Traduction] « Laissez-moi m’en aller. » Elle pointait derrière elle. L’AT no 3 lui a alors dit : [Traduction] « Pouvons-nous discuter? Je ne peux vous laisser aller nulle part. Je dois faire mon travail. »

Vers 11 h 48 min 6 s, la plaignante s’est approchée du trottoir devant le magasin Structube, puis elle s’est arrêtée et a crié : [Traduction] « Vas y, tire-moi avec ton taser. » L’AT no 3 a alors dit : [Traduction] « Non. Je ne veux pas faire ça. Jetez votre couteau et nous allons discuter, d’accord? »

Autour de 11 h 48 min 15 s, l’AT no 3 pointait son arme à impulsions sur la plaignante. Il lui a dit : [Traduction] « Lâchez votre couteau. Comment vous appelez-vous? Moi je m’appelle [écrit]. Je peux vous aider, mais vous devez lâcher votre arme et nous allons jaser, OK? » La personne du centre de répartition était en train de parler lorsque l’AT no 3 a dit : [Traduction] « Combien de fois vous ai-je dit de jeter votre arme? Je ne veux pas me servir du taser contre vous. Ne sortez pas la lame. OK? »

Vers 11 h 48 min 50 s, la plaignante a lancé le couteau sur la chaussée et s’est avancée vers le magasin Structube. L’AT no 3 l’a suivie et s’est approché d’elle. Elle a alors fait mine de prendre quelque chose derrière son dos, à la hauteur de la taille. L’AT no 3 lui a alors dit : [Traduction] « N’en prenez pas un autre. » La plaignante a rétorqué : [Traduction] « Je ferai bien ce que je veux. » L’AT no 3 a dit : [Traduction] « Les armes sont dangereuses. Parlez avec moi. »

Autour de 11 h 49 min 5 s, la plaignante a sorti un paquet qu’elle avait derrière la taille. L’emballage était rouge et contenait des couteaux Exacto jaunes.

Vers 11 h 49 min 8 s, l’AT no 3 a attrapé la plaignante. Elle a reculé et a sorti un couteau Exacto à manche jaune de l’emballage. L’AT no 3 avait son arme à impulsions à la main. La plaignante se tenait face à l’AT no 3, avec le couteau dans la main droite. L’AT no 3 tenait l’arme à impulsions près de sa poitrine. La plaignante a reculé pour s’éloigner de l’AT no 3, et ce dernier lui a ordonné de lâcher son couteau. L’AT no 3 a pointé son arme à impulsions vers la plaignante et lui a dit : [Traduction] « Je vais utiliser mon taser. Lâchez-le. » D’autres paroles ont été échangées pour que la plaignante jette son couteau et l’AT no 3 a dit à celle-ci qu’elle était jeune et qu’il ne voulait pas lui faire subir l’effet d’une arme à impulsions. La plaignante a rétorqué : [Traduction] « Vous ne me mettrez pas en prison. »

Vers 11 h 49 min 48 s, l’AI et l’AT no 2 sont arrivés à vélo derrière la plaignante. L’AI a sorti son arme à impulsions. Il se trouvait sur le trottoir, derrière la plaignante. L’AT no 2 était dans la rue, aussi derrière la plaignante. L’AT no 3 a demandé à la plaignante où elle voulait aller s’ils la laissaient partir.


Figure 3 – Saisie d’écran de l’enregistrement de la caméra d’intervention de l’AT no 3. C’est un gros plan de la main de la plaignante qui tient un couteau Exacto juste avant le déploiement par l’AI de son arme à impulsions.

Vers 11 h 49 min 59 s, l’AI a déployé son arme à impulsions. La plaignante est alors tombée à la renverse sur le trottoir. L’AT no 3 et les autres agents présents se sont alors approchés de la plaignante sur le trottoir. L’AT no 3 se trouvait du côté droit de la plaignante et il lui a enlevé le couteau qu’elle tenait dans sa main droite, puis il l’a lancé plus loin. L’AT no 3 a alors expliqué aux autres agents ce qui s’était passé.

Autour de 11 h 52 min 50 s, l’AT no 3 a raconté les événements à un sergent et il a précisé que l’emballage contenait quatre couteaux.

Autour de 12 h 3 min 30 s, l’AT no 3 a expliqué à un ambulancier ce qui s’était passé. L’AI a dit à l’ambulancier que la plaignante était tombée sur le dos sur le trottoir et qu’elle était consciente.

Vers 12 h 8 min 0 s, la plaignante s’est assise avec de l’aide. Les sondes de l’arme à impulsions lui ont été retirées. On l’a aidée à se mettre debout, puis à s’étendre sur une civière.

À 12 h 11 min 0 s environ, la plaignante a été installée dans une ambulance et la caméra d’intervention de l’AT no 3 a été éteinte.

Enregistrement vidéo sur le téléphone cellulaire du TC no 2

L’enregistrement vidéo était d’une durée de 39 secondes et il a été fait à partir de derrière la plaignante. On pouvait voir l’AT no 3 en train de parler à cette dernière devant un magasin Structube. Deux agents portant un casque de vélo s’approchaient derrière la plaignante. L’un d’eux [soit l’AI] pointait une arme à impulsions vers le dos de la plaignante. Quand cette arme a été déployée, la plaignante est tombée à la renverse sur le trottoir.

Enregistrement vidéo sur le téléphone cellulaire du TC no 3

L’enregistrement vidéo, durant 1 minute 50 secondes, a été fait à partir de l’autre côté de la rue. Il montrait l’AT no 3 et la plaignante qui parlaient devant le magasin Structube. L’AT no 3 avait une arme à impulsions dans la main droite. La plaignante tenait quant à elle un couteau Exacto jaune dans la main droite. Elle a refusé de jeter son couteau. L’AI s’est approché d’elle par derrière. Il avait son arme à impulsions pointée vers le dos de la plaignante et il l’a déployée. La plaignante est tombée à la renverse sur le trottoir.

Enregistrements de caméra de surveillance au magasin Canadian Tire

Le 6 juin 2023, le Service de police de Toronto a transmis par voie électronique à l’UES des enregistrements vidéo du magasin Canadian Tire situé au 5 Joe Shuster Way. Il y avait 13 enregistrements relatifs à la plaignante faits le 6 juin 2023.

Porte donnant sur la rue
Vers 11 h 43 min 32 s, on pouvait voir la plaignante entrer dans le magasin Canadian Tire.

Allée 23
À partir de 11 h 44 min 25 s environ, la plaignante jetait des produits des tablettes sur le sol.

Vers 11 h 44 min 52 s, la plaignante marchait et regardait des marchandises. Elle était suivie de trois membres du personnel du magasin. La plaignante a pris un paquet sur une étagère de l’allée 24, puis elle est sortie du champ de la caméra.

Allée 51
À environ 11 h 45 min 29 s, la plaignante marchait en direction de l’allée 42. Une femme, qui semblait être une employée, a tendu le bras droit pour, semble-t il, empêcher la plaignante de passer. Cette dernière a repoussé la femme, puis est sortie du champ de la caméra.

Allée 46
Autour de 11 h 45 min 49 s, la plaignante s’est rendue à l’allée 42, suivie par trois employés, dont l’un qui parlait à son téléphone cellulaire. La plaignante tenait un paquet blanc dans sa main gauche, puis elle est entrée dans un rayon d’étagères et elle a ensuite plus ou moins disparu du champ de la caméra. La plaignante s’est par la suite éloignée des étagères avec un paquet rouge. Avec sa main droite, elle a sorti un objet [couteau Exacto] de l’emballage et elle est sortie du champ de la caméra.

Entrée 1
Vers 11 h 46 min 51 s, la plaignante est sortie du magasin Canadian Tire en passant par une porte d’entrée, avec un paquet rouge dans la main gauche. Elle tenait dans la main droite un couteau Exacto, avec la lame sortie. Elle a fait un mouvement circulaire de côté vers le bas avec le couteau à la main et elle est montée par l’escalier mécanique.

Entrée 48 donnant sur la rue
Autour de 11 h 47 min 13 s, la plaignante est sortie de l’escalier mécanique. Elle avait un paquet rouge dans la main gauche. Sa main droite n’était pas visible. En sortant du magasin, elle a placé le paquet dans son jeans, derrière la taille. Elle était suivie de deux hommes, des employés. Une fois qu’elle a été hors du magasin, un agent portant une veste fluorescente [soit l’AT no 3] s’est approché d’elle. Les deux sont ensuite sortis du champ de la caméra.

Documents obtenus du service de police

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui a remis, à sa demande, le Service de police de Toronto entre le 6 et le 9 juin 2023 :
• le rapport du système de répartition assisté par ordinateur;
• les enregistrements des communications
• l’enregistrement de caméra d’intervention;
• le rapport d’incident général;
• les rapports d’incident général supplémentaires.
• les notes de l’AT no 3;
• les notes de l’AT no 4;
• les notes de l’AT no 2;
• les notes de l’AT no 1;
• la procédure relative aux interventions en cas d’incident et au recours à une force modérée;
• la procédure relative à l’utilisation d’armes à impulsions;
• le registre de formation (utilisation de la force) pour l’AI;
• l’enregistrement vidéo du magasin Canadian Tire;
• les enregistrements vidéo sur téléphone cellulaire;
• la liste des témoins.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants d’une autre source :
• Le dossier médical de la plaignante de l’Hôpital St. Michael.

Description de l’incident

Le déroulement des événements en question, qui ressort clairement des éléments de preuve recueillis par l’UES, peut se résumer brièvement comme suit.

Dans la matinée du 6 juin 2023, le Service de police de Toronto a pris un appel au 911 d’une personne qui se trouvait au magasin Canadian Tire du 5 Joe Shuster Way, à Toronto, et qui visait à signaler la présence de la plaignante. D’après la personne au bout du fil, la plaignante avait attaqué un membre du personnel du magasin et avait endommagé des marchandises, après quoi elle était sortie du magasin avec un couteau Exacto en sa possession. Des agents ont alors été envoyés sur place.

L’AT no 3, qui était de service sur un chantier de construction dans les environs du magasin Canadian Tire, a été mis au courant de l’appel au 911 par radio. Il a aperçu la plaignante, qui tenait un couteau Exacto dans sa main droite, avec la lame sortie, et il a tenté de lui faire jeter son arme.

La plaignante n’avait alors pas toute sa tête et elle semblait incapable de répondre de manière sensée à l’AT no 3. Elle a demandé à l’agent de déployer son arme à impulsions contre elle, tandis qu’il tentait de la calmer en lui parlant. À un certain stade, la plaignante a jeté son couteau, mais elle en a pris un autre en sa possession lorsque l’AT no 3 s’est approché d’elle pour procéder à son arrestation. L’agent s’est alors immédiatement éloigné et a pointé son arme à impulsions vers elle. Il l’a prévenue qu’il déploierait son arme contre elle si elle ne jetait pas son couteau.

Pendant que la confrontation entre la plaignante et l’AT no 3 se poursuivait, l’AI et son partenaire, l’AT no 2, patrouillant à vélo, se sont approchés à partir du nord, sur Joe Shuster Way. Les deux agents sont descendus de leur vélo et ont continué d’approcher à pied, sans que la plaignante s’en aperçoive. Celle-ci était alors tournée vers le sud, en direction de l’ AT no 3. Une fois à une distance de deux ou trois mètres, l’AI a déployé son arme à impulsions. Les sondes ont atteint le dos de la plaignante. Celle-ci a figé et est tombée à la renverse, cognant sa tête du même coup. Une fois la plaignante au sol, les agents lui ont enlevé son couteau et lui ont passé les menottes les mains derrière le dos.

La plaignante a été transportée en ambulance à l’hôpital, où une fracture du crâne et une hémorragie sous-arachnoïdienne ont été diagnostiquées

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

La plaignante a été grièvement blessée durant son arrestation effectuée par des agents du Service de police de Toronto le 6 juin 2023. L’un des agents ayant procédé à l’arrestation, soit l’AI, a été désigné comme l’agent impliqué durant l’enquête de l’UES qui a suivi. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle ayant un lien avec la blessure de la plaignante survenue durant l’arrestation.

En vertu du paragraphe 25(1) du Code criminel, les agents ne peuvent être reconnus coupables d’avoir fait usage de la force dans l’exercice de leurs fonctions, à condition que cette force soit raisonnablement nécessaire pour accomplir quelque chose que la loi les oblige ou les autorise à faire.

Au moment où l’AI a déployé son arme à impulsions contre la plaignante, lui et les autres agents sur les lieux savaient qu’elle avait endommagé des marchandises au magasin Canadian Tire, qu’elle avait volé une boîte de couteaux Exacto et en avait brandi un dans ce commerce et qu’elle avait levé la main sur un membre du personnel du magasin. Dans les circonstances, l’agent était fondé à chercher à procéder à son arrestation.

Pour ce qui est du déploiement par l’AI de son arme à impulsions, j’estime que c’était légalement justifié. La plaignante avait en sa possession une boîte de couteaux Exacto qu’elle maniait d’une façon manifestement dangereuse pour elle et les personnes à proximité. Quelques instants plus tôt, même si elle semblait la proie d’une sorte de crise et qu’elle n’avait peut être pas toutes ses facultés, elle s’était comportée de manière déconcertante et violente à l’intérieur du magasin Canadian Tire. Au vu du dossier, les agents ont bien fait de rester à distance pendant que la plaignante avait toujours en sa possession le couteau Exacto, un objet ayant clairement le potentiel d’infliger des blessures graves ou même la mort. L’AI aurait pu demeurer à l’écart pour permettre des négociations. Il semblerait en tout cas que c’est la stratégie que l’AT no 3 avait choisie. Par contre, la scène se déroulait en plein centre-ville à une intersection où se trouvaient beaucoup d’autres personnes et il était peut être plus prudent de mettre un terme à l’incident le plus rapidement possible. Par conséquent, il ne m’est pas possible de conclure raisonnablement que la décision de l’AI était condamnable. Et la décharge d’arme à impulsions a justement eu pour effet de neutraliser immédiatement la plaignante à partir d’une distance sécuritaire, même s’il est très regrettable qu’elle ait subi une blessure grave en tombant au sol.

En définitive, comme il n’existe pas de motifs raisonnables de conclure que l’AI n’a pas respecté les limites du droit criminel dans sa brève interaction avec la plaignante, il n’y a pas lieu de porter des accusations dans cette affaire, et le dossier est clos.

Date : 4 octobre 2023

Signature électronique

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

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  • 1) Les renseignements contenus dans cette section reflètent les informations reçues par l’UES au moment de la notification et ne reflètent pas nécessairement les conclusions de fait de l’UES à la suite de son enquête. [Retour au texte]
  • 2) Les heures indiquées sont basées sur l’heure à l’horloge interne de l’arme et ne sont pas forcément exactes. [Retour au texte]
  • 3) Les enregistrements contiennent des renseignements personnels confidentiels qui ne peuvent être divulgués, conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les renseignements utiles pour l’enquête sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.