Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 23-PFP-181

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES concernant la décharge d’une arme à feu par la police à l’égard d’un homme de 39 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 12 mai 2023, vers 18 h 39, la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale) a communiqué avec l’UES pour lui transmettre l’information suivante.

Plus tôt le 12 mai 2023, la Police provinciale exécutait un mandat de perquisition en vertu du Code criminel dans une maison située sur la rue Laval, à Bourget, relativement à un incident survenu la veille, au cours duquel un agent de la Police provinciale en service avait été blessé par balle; l’équipe médicolégale qui examinait l’intérieur de la résidence a trouvé trois cartouches de 9 mm ayant été tirées. Lors de la vérification de l’équipement de recours à la force de l’un des agents blessés lors de l’incident, il a été constaté qu’il manquait trois cartouches dans le chargeur de son pistolet. L’agent blessé se trouvait à l’hôpital au moment de la notification. Les enregistrements de la caméra d’intervention étaient accessibles et ont été gardés pour l’UES.
 

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 12 mai 2023, à 20 h 54

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 13 mai 2023, à 17 h 10

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1
 

Personne concernée (« plaignant ») :

N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue


Témoins civils (TC) [1]

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue
TC no 2 N’a pas participé à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué; l’agent n’a pu rédiger de notes en raison de son état de santé.


Agents témoins (AT) [2]

AT no 1 N’a pas participé à une entrevue; enregistrements de la caméra d’intervention examinés et entrevue jugée non nécessaire
AT no 2 N’a pas participé à une entrevue; notes examinées et entrevue jugée non nécessaire
AT no 3 N’a pas participé à une entrevue; notes examinées et entrevue jugée non nécessaire
AT no 4 N’a pas participé à une entrevue; notes examinées et entrevue jugée non nécessaire


Éléments de preuve

Les lieux

Les événements en question se sont déroulés à l’intérieur et aux alentours d’une résidence située sur la rue Laval, à Bourget.

Le 13 mai 2023, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu à la résidence de la rue Laval, à Bourget. Il a rencontré un représentant de la Police provinciale et a été informé des événements en question, avant d’être escorté à l’intérieur de la résidence.

À l’intérieur de l’entrée principale de la résidence se trouvait un vestiaire. L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES y a vu un fusil, posé sur le sol.

Un gilet pare balles recouvert de sang se trouvait sur le sol du vestiaire. Le nom de l’agent no 1 figurait sur la veste et le mot « POLICE » était imprimé en jaune sur le devant.

À l’intérieur du vestiaire se trouvait une marche, sur la droite, et une ouverture sans porte qui donnait sur un grand salon à droite et sur une cuisine à gauche. Un peu plus loin, tout droit et légèrement sur la droite, il y avait une porte qui menait à une chambre à coucher. On a remarqué de grandes flaques de sang, ainsi que des éclaboussures de sang sur les murs. De nombreux trous faits par des balles étaient visibles sur les murs et sur le cadre de la porte de la chambre.

Il y avait sur les lieux de nombreux cônes signalant la présence d’éléments de preuve, notamment à trois endroits où se trouvaient des douilles de cartouches WIN 9 mm Luger, soit dans le salon, la cuisine et la chambre à coucher.

À l’intérieur de la chambre, de nombreuses douilles de cartouches de fusil se trouvaient sur le sol. Il y avait également des trous de projectiles dans les murs. Il était évident qu’on avait tiré avec un fusil depuis l’intérieur de la chambre à coucher vers l’extérieur, en direction du mur du salon et de la porte ouverte. On a aussi vu des douilles déchargées dans le vestiaire et sur le porche avant. La fenêtre du salon présentait deux trous évidents qui avaient été faits depuis de l’intérieur de la résidence.

On a photographié et filmé les lieux et la résidence.

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a ensuite examiné trois voitures de patrouille de la Police provinciale garées dans la voie d’accès pour autos, à l’extérieur de la résidence. Deux des voitures de patrouille présentaient des traces de balles du côté conducteur et, pour l’une d’entre elles, un pneu avait été crevé par une balle de fusil.

Éléments de preuve matériels


Équipement de recours à la force – L’AI

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a inspecté l’équipement de recours à la force de l’AI. Son pistolet de service était un Glock modèle 17 (9 mm). Son chargeur principal contenait 14 cartouches WIN 9 mm Luger; une cartouche se trouvait dans la chambre. La capacité totale était de 18 cartouches, y compris la cartouche dans la chambre. Le deuxième chargeur contenait 17 cartouches et le troisième avait été endommagé par un projectile de fusil. La ceinture de service à laquelle étaient rattachés les dispositifs de recours à la force de l’AI a été photographiée. Des balles avaient endommagé la pochette destinée aux menottes.


Figure 1 – L’arme à feu de l’AI

Figure 1 – L’arme à feu de l’AI

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [3]


Enregistrements des caméras d’intervention

Le 11 mai 2023, la Police provinciale a fourni à l’UES les enregistrements captés par la caméra d’intervention de l’agent no 1 et de l’AT no 1.

Le 11 mai 2023, à 2 h 28 min 16 s, l’enregistrement vidéo de la caméra de l’agent no 1 commence; l’agent s’engage dans la voie d’accès pour autos de la résidence de la rue Laval, à Bourget. Il se gare derrière un autre véhicule de la Police provinciale [le véhicule de l’AI], dont les gyrophares sont allumés. L’avant des deux véhicules de patrouille est orienté vers la résidence. L’agent no 1 déclare par radio qu’il est sur place.

Vers 2 h 29 min 19 s, l’agent no 1 descend de sa voiture de patrouille. Il s’approche de la voiture de patrouille de l’AI et les deux agents discutent ensemble. L’agent no 1 demande à l’AI si le plaignant a des enfants. L’AI répond que non et indique qu’il pense que le plaignant est seul à la maison. L’AI dit à l’agent no 1 que la lumière extérieure de la résidence, qui est allumée, ne l’était pas lorsqu’il est arrivé. Il semble que les phares de la voiture de patrouille de l’AI éclairent la fenêtre et le côté de la résidence. Les deux agents remontent la voie d’accès pour autos en passant entre deux véhicules garés. Ils éclairent la résidence avec leurs lampes de poche.

Vers 2 h 30 min 32 s, l’agent no 1 se tient au bas de l’escalier du porche avant pendant que l’AI fouille entre la maison et le garage isolé. Les agents font ensuite le tour du périmètre, éclairant de leurs lampes de poche les côtés de la résidence et les fenêtres. On entend un chien aboyer à l’intérieur de la résidence. L’agent no 1, qui se trouve sur le porche arrière, braque sa lampe de poche à travers la fenêtre de la porte arrière et frappe plusieurs fois, mais personne ne répond. L’AI s’approche d’une fenêtre à l’arrière et braque sa lampe de poche vers l’intérieur. À son tour, il frappe à plusieurs reprises pour attirer l’attention de toute personne à l’intérieur, mais il n’y a aucune réponse.

Vers 2 h 32 min 50 s, l’agent no 1, qui se trouve sur le porche avant, braque sa lampe de poche vers la fenêtre. L’AT no 1 arrive sur les lieux et se place derrière l’agent no 1. La maison est plongée dans l’obscurité; il n’y a que la lumière des lampes de poche des agents. L’AI ouvre la porte d’entrée et dit « Bonjour [prénom du plaignant]. Police ». Un chien aboie et l’AI entre dans le vestiaire avec sa lampe de poche allumée. Il dégaine son arme à feu et dit « Bonjour [prénom du plaignant]. Police ».

L’agent no 1 suit l’AI dans le vestiaire. L’AI dit le nom du plaignant et l’agent no 1 dit « Allô? ». À ce moment là, l’AI se dirige vers une porte ouverte [4] dans le salon qui mène à une chambre à coucher.

Sans avertissement, plusieurs coups de feu [5] sont tirés depuis l’intérieur de la chambre, qui est plongée dans l’obscurité. L’AI tombe immédiatement au sol dans le salon et l’agent no 1 tombe au sol dans le vestiaire.

Vers 2 h 33 min 29 s, l’AT no 1 court du porche avant jusqu’à l’arrière d’une voiture de patrouille stationnée et cri « Qu’est-ce qui se passe? ». L’agent no 1 répond à l’AT no 1 en criant « À l’aide »; il est allongé sur le dos, sa caméra d’intervention pointée vers le haut, en direction du salon de la résidence. Il tente de se relever, mais n’y parvient pas et s’effondre. D’autres coups de feu se font entendre alors que l’AI cours du salon vers l’extérieur, sur le porche avant [6], où il reste pendant un court moment. On entend l’AT no 1 crier à l’AI de se retirer de sa position, après quoi il est touché au genou gauche par le ricochet d’une balle tirée depuis l’intérieur de la maison.

Peu de temps après, le plaignant sort de la chambre et tire un coup de fusil. Il baisse les yeux et s’accroupit au dessus de l’agent no 1 en essayant de manipuler quelque chose au niveau de la taille de l’agent.

Vers 2 h 37 min 22 s, le plaignant utilise un téléphone pour appeler le 911.

Plusieurs minutes plus tard, un agent de la Police provinciale lui crie de ne pas bouger et le plaignant lui dit « Le fusil est juste là ». On entend des sirènes en arrière plan.
 

Appel au 911 – TC no 1

Le 11 mai 2023, la Police provinciale a fourni à l’UES l’enregistrement de l’appel initial au 9-1-1 fait par la TC no 1. La TC no 1 a appelé pour faire des observations au sujet de la résidence du plaignant sur la rue Laval.

Le 11 mai 2023, vers 2 h 9 min 36 s, la TC no 1 appelle la Police provinciale par l’intermédiaire du service 911 pour signaler qu’elle a entendu le plaignant crier, puis le bruit d’un coup de feu. La TC no 1 confirme que des véhicules se trouvent la voie d’accès pour autos de la résidence du plaignant. La TC no 1 ne voit aucun mouvement, mais elle entend de la musique forte et une lumière extérieure est allumée. La TC no 1 sait que le plaignant vit seul. Elle possède le numéro de téléphone du plaignant et propose de l’appeler, mais le téléphoniste lui demande de ne pas le faire. Le numéro est communiqué au téléphoniste de la Police provinciale. À ce moment là, la lumière de la résidence du plaignant s’éteint et la TC no 1 indique qu’elle croit qu’il s’agit de la lumière d’un détecteur de mouvement. Peu de temps après, la TC no 1 entend les agents arriver sur les lieux. À l’arrivée du premier agent de la Police provinciale [l’AI] dans la voie d’accès pour autos de la résidence du plaignant, la TC no 1 l’entend crier « Allô ». Elle voit ensuite l’agent se retirer, n’ayant reçu aucune réponse; le téléphoniste indique que des agents en renfort ne sont pas loin. À 2 h 23 min 45 s, l’appel se termine alors l’agent no 1 et l’AT no 1 arrivent sur place.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a reçu les éléments suivants de la part de la Police provinciale entre le 13 mai et le 23 mai 2023 :
  • Rapport d’arrestation – 11 mai 2023;
  • Enregistrements des caméras d’intervention;
  • Enregistrement des communications;
  • Résumé de l’incident;
  • Rapport sur les détails de l’événement – Sommaire du dossier;
  • Les indications d’appel et les noms des agents de la Police provinciale présents sur les lieux;
  • Historique des situations;
  • Détails de l’événement et rapports d’incident;
  • Coordonnées des témoins civils;
  • Entrevues réalisées auprès des témoins civils (x10);
  • Notes – AT no 4;
  • Notes – AT no 2;
  • Notes – AT no 3.

Description de l’incident

Les principaux événements qui se sont produits, établis clairement en fonction des éléments de preuve recueillis par l’UES, peuvent être résumés brièvement.

Tôt dans la matinée du 11 mai 2023, des agents de la Police provinciale ont été appelés à intervenir sur les lieux d’une résidence de la rue Laval, à Bourget, pour s’assurer du bien être du plaignant. La TC no 1 avait appelé la police pour signaler que le plaignant criait depuis l’intérieur de la maison et qu’elle avait entendu un coup de feu. La TC no 1 craignait que le plaignant ne se soit tiré avec sa propre arme à feu.

L’AI a été le premier agent à se présenter sur les lieux. Il a consulté la TC no 1, puis s’est rendu au domicile du plaignant, situé à une courte distance. L’AI a vite été rejoint par l’agent no 1 dans la voie d’accès pour autos à l’avant de la résidence. Il était 2 h 29.

Les agents sont descendus de leurs véhicules et ont fait le tour de la résidence en l’inspectant à l’aide de leurs lampes de poche. Ils ont regardé par les fenêtres et ont frappé à la porte arrière pour tenter d’attirer l’attention du plaignant. Alors qu’ils retournaient devant la maison, les agents ont été rejoints par l’AT no 1.

L’AI et l’agent no 1 ont monté les marches jusqu’au porche situé à l’avant de la maison. Menés par l’AI, qui a ouvert la porte d’entrée non verrouillée, les agents sont entrés dans la résidence, laquelle était plongée dans le noir, et se sont retrouvés dans le vestiaire. L’AI a dit tout haut « Police », puis le nom du plaignant à plusieurs reprises. Il n’y a pas eu de réponse. L’agent a sorti son arme à feu, a tourné à droite et est entré dans le salon par une porte ouverte. Il avait fait 6 ou 7 pas en direction d’une porte ouverte à l’extrémité du salon lorsque des coups de feu ont retenti, sans avertissement – environ 9 ou 10 coups de feu en l’espace de 2 ou 3 secondes.
La porte ouverte menait à une chambre à coucher. Le plaignant se trouvait dans cette pièce, armé d’un fusil. Il a tiré vers les murs de la chambre et la porte ouverte, en direction de l’AI et de l’agent no 1.

L’AI a été touché par des coups de feu et s’est immédiatement effondré. L’agent a subi des blessures qui ont transformé sa vie.

L’agent no 1 a également été touché à plusieurs reprises et a chuté, tombant sur le dos à l’intérieur du vestiaire. Il se trouvait sur le seuil de la porte menant du vestiaire au salon, à deux ou trois mètres derrière l’AI, lorsque les coups de feu ont été tirés. L’agent no 1 a plus tard succombé à ses blessures.

L’AT no 1 a sorti son arme et a quitté le porche en courant pour se mettre à l’abri derrière les véhicules de police qui se trouvaient dans la voie d’accès pour autos.

Environ 30 secondes après que le plaignant eut cessé de tirer des coups de feu, l’AI a réussi à se relever et à sortir de la maison par le vestiaire, en courant et en tirant 2 ou 3 fois en direction de la chambre à coucher. L’agent est revenu rapidement pour vérifier comment se portait l’agent no 1, à partir du seuil de la porte d’entrée qui donnait sur le vestiaire, mais il n’a pas voulu entrer dans la résidence, et ce, pour de bonnes raisons. Le plaignant était toujours en possession du fusil et se tenait près de la porte ouverte de la chambre. En fait, l’AI venait de tourner le dos à la porte d’entrée lorsque le plaignant a franchi la porte de sa chambre et a tiré deux autres coups de feu vers le mur ou la fenêtre qui donnait sur le porche avant. L’une des balles ainsi tirées a ricoché et a touché l’AT no 1 au genou gauche.

Le plaignant s’est rendu dans le salon et, depuis le seuil de la porte menant au vestiaire, a tiré de nouveau par la porte d’entrée ouverte. Environ une minute et demie plus tard, le plaignant a tiré quatre autres coups de feu, en succession rapide. Il n’y a pas eu d’autres coups de feu pas la suite. Il était 2 h 35.

Peu de temps après, le plaignant a déposé son arme et s’est rendu à la police.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime
(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas si une personne emploie ou menace d’employer la force en vue d’accomplir un acte qu’elle a l’obligation ou l’autorisation légale d’accomplir pour l’exécution ou le contrôle d’application de la loi, sauf si l’auteur de l’acte constituant l’infraction croit, pour des motifs raisonnables, qu’elle n’agit pas de façon légitime.

Analyse et décision du directeur

Le 12 mai 2023, la Police provinciale a communiqué l’UES pour signaler qu’un de ses agents – l’AI – avait tiré avec son arme à feu sur un homme – le plaignant – la veille. Les coups de feu faisaient partie d’une série d’événements survenus à une résidence de Bourget, en Ontario, au cours desquels un autre agent de la Police provinciale – l’agent no 1 – a été tué par balle par le plaignant. L’AI a lui même été grièvement blessé par le plaignant. Un troisième agent – l’AT no 1 – a lui aussi été touché par une balle tirée par le plaignant. L’UES a ouvert une enquête qui portait sur l’utilisation de l’arme à feu par l’AI, désignant ce dernier comme étant l’agent impliqué. L’enquête de l’UES est maintenant terminée. D’après mon évaluation des éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle.

Aux termes de l’article 34 du Code criminel, l’emploi d’une force qui constituerait autrement une infraction est légalement justifié si cette force est utilisée pour dissuader une personne de commettre un geste qui représente une agression réelle ou une menace d’agression, raisonnablement appréhendée, et que la force ainsi employée est elle même raisonnable. En ce qui concerne le caractère raisonnable de la force, il faut l’évaluer en fonction des facteurs pertinents, notamment en ce qui a trait à des considérations telles que la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel, la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force. L’utilisation par l’AI de son arme s’inscrivait dans la portée de la protection prescrite par l’article 34.

Il est évident que l’AI a utilisé son arme à feu pour se protéger d’une agression de la part du plaignant. L’agent venait d’être touché par plusieurs balles et il avait toutes les raisons de craindre que sa vie soit menacée par les tirs continus du plaignant lorsqu’il a déchargé son arme en sortant de la maison.

Il est également évident que l’utilisation par l’agent de son arme à feu pour se défendre et défendre ses collègues constituait une force raisonnable. Le plaignant avait montré sa volonté d’utiliser une force létale – des tirs rapides avec un fusil – et rien d’autre qu’une riposte à coups de feu ne pouvait représenter une mesure adéquate vu l’urgence de la situation, à savoir qu’il fallait dissuader immédiatement le plaignant de faire feu de nouveau. D’ailleurs, bien que le plaignant n’ait pas été touché, il semble que les tirs de l’AI aient contribué à sa sortie de la maison.

Par conséquent, puisqu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a agi autrement qu’en toute légalité lorsqu’il a fait feu vers le plaignant, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Le dossier est clos.


Date : 8 septembre 2023


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) On a examiné les témoignages recueillis par la Police provinciale auprès du TC no 1 et du TC no 2 et l’on a jugé que des entrevues n’étaient pas nécessaires. [Retour au texte]
  • 2) L’AT no 2, l’AT no 3 et l’AT no 4 sont intervenus après l’interaction et ont arrêté le plaignant. [Retour au texte]
  • 3) Les enregistrements en question contiennent des renseignements personnels de nature délicate et ne sont donc pas divulgués, aux termes du paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces enregistrements sont résumées ci dessous. [Retour au texte]
  • 4) Cette porte menait à la chambre à coucher du plaignant. Tout l’intérieur de la résidence était plongé dans l’obscurité; il n’y avait que la lumière des lampes de poche des agents de la Police provinciale. [Retour au texte]
  • 5) Environ 9 ou 10 coups de feu ont été tirés. [Retour au texte]
  • 6) L’AI se trouvait juste à l’extérieur du vestiaire, sur le porche avant. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.