Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 22-TCI-277

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES au sujet des blessures graves subies par un homme de 31 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 25 octobre 2022, à 23 h 7, le Service de police de Toronto (SPT) a signalé ce qui suit à l’UES.

Le 25 octobre 2022, à 19 h 5, des agents de police ont été dépêchés à un appartement situé dans le secteur de la rue Dufferin et de la rue King Ouest pour intervenir auprès d’un homme en crise. L’homme s’était barricadé dans son appartement. Des membres de l’équipe d’intervention d’urgence (EIU) sont arrivés et ont commencé à négocier avec l’homme. L’homme a ensuite sauté par la fenêtre et a été transporté à l’Hôpital St. Michael pour une blessure évidente à la jambe.
 

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 25 octobre 2022 à 23 h 33

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 26 octobre 2022 à 1 h 40

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1
 

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 31 ans; a participé à une entrevue

Le plaignant a participé à une entrevue le 12 décembre 2022.


Témoins civils (TC)

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue; proche
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à des entrevues entre le 27 octobre 2022 et le 22 novembre 2022.

Agents impliqués (AI)

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 5 décembre 2022.


Agent témoin (AT)

AT A participé à une entrevue

L’agente témoin a participé à une entrevue le 28 octobre 2022.


Éléments de preuve

Les lieux

Le plaignant a été grièvement blessé lorsqu’il est tombé de son balcon, situé au cinquième étage d’un immeuble d’habitation se trouvant dans le secteur de la rue Dufferin et de la rue King Ouest, à Toronto.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Enregistrements de communications de la police


Voici un résumé des communications pertinentes de la police en lien avec l’incident faisant l’objet de l’enquête.


Appel au 911

Le 25 octobre 2022, à 18 h 58, le TC no 3 a téléphoné au 911 pour signaler que des locataires se criaient après depuis leur balcon respectif. Il a été redirigé vers le numéro du SPT pour les situations non urgentes.

Le TC no 3 a rappelé le 911 à 19 h 3 et a signalé qu’un homme (on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant) qui habitait dans un appartement au cinquième étage avait tout jeté en bas de son balcon et criait. Il a ajouté que des agents étaient intervenus dans le même appartement un ou deux mois auparavant, car le plaignant voulait sauter du balcon et avait barricadé la porte.


Communications radio

À 19 h 4, le service des communications du SPT a demandé que des agents répondent à un appel de haute priorité dans un immeuble situé dans le secteur de la rue Dufferin et de la rue King Ouest [2] pour une personne en crise qui jetait des objets du balcon.

Après avoir élucidé la question du lieu de l’incident, les agents de police sont arrivés à l’immeuble d’habitation. Le plaignant semblait s’être barricadé dans l’appartement. On a demandé à l’EIU de surveiller l’appel au cas où leur intervention devenait nécessaire.

À 19 h 30, l’AT, une agente de police chargée de négocier avec le plaignant, a indiqué que ce dernier s’était dévêtu et était sur le balcon.

À 19 h 59, des membres de l’EIU sont arrivés et ont pris le relais des négociations avec le plaignant.

À 22 h 29, le plaignant était sur le côté extérieur du balcon, sur le rebord, et faisait des accroupissements en se tenant à la balustrade.

À 22 h 30, le plaignant est tombé du balcon.
 

Communications de l’EIU dans le cadre des négociations

Dans l’enregistrement, on entend tout d’abord un agent de police de l’EIU qui dit au plaignant : [Traduction [3]] « Tout ce que nous voulons, c’est résoudre cette situation de façon pacifique. Nous nous inquiétons simplement pour votre sécurité. » Le plaignant a crié des mots inaudibles qui ne s’adressaient pas à l’agent de police. L’agent de l’EIU a tenté de persuader le plaignant de rentrer à l’intérieur et d’accepter de lui parler à travers la porte de l’appartement. Il a demandé au plaignant s’ils pouvaient se parler au téléphone, en privé. Le plaignant a mentionné des zombies et a indiqué que sa femme, puis sa petite amie, étaient là.

Un deuxième agent de l’EIU a indiqué que le plaignant avait placé deux chaises devant la porte, mais que la solidité de la barricade était incertaine. L’agent initial de l’EIU a de nouveau suggéré au plaignant de rentrer à l’intérieur. L’agent de l’EIU a dit : « Commencez vous à avoir froid? Voulez-vous rentrer vous réchauffer? Je peux faire le tour et venir vous parler à la porte. Vous n’avez que des culottes courtes et un T-shirt. Il commence à faire froid dehors. Nous pourrions parler en privé. Qu’en pensez-vous? » L’agent a indiqué qu’il allait donner au plaignant un peu d’espace et lui parler à la porte, mais sans l’ouvrir.

Le plaignant a crié des phrases, notamment : « L’une des personnes que je regarde en ce moment va mourir ».

L’agent initial de l’EIU a continué de demander au plaignant de rentrer et de venir lui parler à travers la porte, mais en vain. L’agent de l’EIU a dit au plaignant qu’il allait se rendre dans le couloir, qu’il allait lui parler de là et qu’il allait frapper à sa porte. Le plaignant s’est mis à parler davantage de zombies.

Un troisième agent a déclaré : « Hé [prénom du plaignant], nous allons fermer votre porte, ok… nous allons fermer votre porte. Ok, revenez de ce côté, nous n’allons rien faire d’autre, ok. C’est moi qui suis en charge ici. » On entend ensuite un bruit sourd, puis on entend immédiatement le troisième agent dire : « Ok, allons-y, les gars; ambulanciers paramédicaux maintenant s’il vous plaît, ambulanciers paramédicaux maintenant ».


Vidéos captées par les caméras d’intervention

Voici un résumé des vidéos captées par les caméras d’intervention pour l’incident faisant l’objet de l’enquête.


Vidéo — caméra d’intervention de l’agent no 1

Le 25 octobre 2022, à 20 h 8, l’agent no 1 se trouve dans le parc de stationnement de l’immeuble d’habitation. L’agent y reste pour s’assurer que personne ne pénètre dans la zone située près de l’appartement du plaignant.

Pendant qu’il s’acquitte de cette tâche, sa caméra d’intervention enregistre quelques séquences vidéo et audio d’un balcon sur lequel se trouve un homme (le plaignant).

À 22 h 29, on entend une transmission de la police indiquant : « Homme de l’autre côté du balcon ». Au même moment, un homme (on sait maintenant qu’il s’agissait de l’AI no 1) déclare : « Hé [prénom du plaignant], nous allons fermer votre porte, ok. Nous allons fermer votre porte. Ok, revenez de ce côté. Nous n’allons rien faire d’autre, ok. »

À 22 h 30, l’agent no 1 dit : « [prénom du plaignant], ne faites pas ça », puis il ajoute : « L’homme est tombé, il est tombé, il est tombé. Il vient de tomber. »

Le plaignant est tombé du balcon et a atterri sur le dos.

L’agent no 1 court vers le plaignant et lui dit de ne pas bouger. Un autre agent du SPT arrive et menotte le plaignant sur le devant du corps.

À 22 h 33, une ambulance arrive dans le stationnement et d’autres ambulanciers paramédicaux se mettent à prodiguer des soins au plaignant. Le plaignant est placé sur une civière et emmené dans l’ambulance.


Vidéo — caméra d’intervention de l’AT

Le 25 octobre 2022, à 19 h 15, l’AT se trouvait dans le couloir de l’immeuble d’habitation, près de l’appartement du plaignant, avec sa partenaire, l’infirmière de l’Équipe mobile d’intervention en cas de crise (EMIC), la TC no 2, et deux agents du SPT (on sait maintenant qu’il s’agissait de l’agent no 2 et l’agent no 3). L’agent no 3 cogne à la porte de l’appartement, annonce qu’il s’agit de la police et demande si l’occupant (on sait maintenant qu’il s’agissait du plaignant) peut venir à la porte.

L’agent no 2 a un jeu de clés et essaie plusieurs clés dans la serrure, mais n’ouvre pas la porte. L’agent no 3 tient la porte, de l’extérieur, au moyen d’une corde enroulée autour de la poignée.

L’AT et la TC no 2 se présentent au plaignant à travers la porte et tentent de lui parler. Le plaignant dit plusieurs choses inaudibles.

À 19 h 23, l’AT indique que le plaignant est sur le balcon, qu’il a dit qu’il allait mourir ce soir et qu’on l’a vu faire les cent pas. L’AT dit au plaignant qu’il n’a rien fait de mal et qu’ils veulent seulement s’assurer qu’il va bien. L’AT parle au plaignant et essaie de le faire venir à la porte.

À 19 h 34, la TC no 2 et l’agent no 2 se rendent à l’appartement juste à côté.

À 19 h 36, l’AT et l’agent no 3 tentent de déterminer comment est disposé l’appartement. L’AT se rend dans l’appartement voisin et observe la TC no 2 sur le balcon. Le plaignant est sur son propre balcon et la TC no 2 tente de lui parler. L’AT pénètre également dans l’appartement du voisin et se positionne sur le balcon. L’AT continue d’essayer d’engager la conversation avec le plaignant. Les propos du plaignant sont essentiellement incohérents.

À 19 h 48, le plaignant dit à l’AT qu’elle va mourir, puis continue à divaguer et demande pourquoi quelqu’un est en train de manger la jambe de l’AT.

À 20 h 8, l’AT présente un agent de l’EIU au plaignant. L’agent commence à parler au plaignant. L’AT entre dans l’appartement où la TC no 2 parle avec d’autres agents de l’EIU. L’AT et la TC no 2 informent les agents de l’EIU que le plaignant n’est pas suicidaire et qu’il n’a pas dit qu’il voulait sauter, mais qu’il croit que des personnes veulent l’attraper et qu’il a mentionné des personnages de la série télévisée « The Walking Dead ».

À 20 h 11, la bande audio est interrompue.

À 20 h 19, la caméra d’intervention cesse de filmer. L’AT se trouve toujours dans l’appartement voisin avec la TC no 2.

À 22 h 34, la caméra d’intervention recommence à filmer. L’AT se trouve dans le parc de stationnement de l’immeuble d’habitation et une ambulance est garée à proximité. La TC no 2, des ambulanciers paramédicaux de l’équipe tactique et des ambulanciers paramédicaux réguliers prodiguent des soins au plaignant sur le sol. Le plaignant est conscient et demande continuellement s’il est tombé du balcon et ce qui s’est passé.

À 22 h 38, des ambulanciers paramédicaux placent le plaignant sur une civière, puis l’emmènent vers l’ambulance.

Documents obtenus auprès du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les éléments suivants auprès du SPT entre le 29 octobre 2022 et le 16 décembre 2022 :
  • Politique — personnes en situation de crise
  • Politique — EMIC
  • Politique — EIU
  • Rapport sur les détails de l’incident
  • Notes — AT
  • Vidéo de la caméra d’intervention de l’agent no 1
  • Vidéo de la caméra d’intervention de l’AT
  • Enregistrements de communications
  • Enregistrements audio des négociations faites par l’EIU
  • Matériel de formation — Procédure pour les négociations avec les personnes en situation de crise
  • Rapport d’incident général

Description de l’incident

La preuve recueillie par l’UES, laquelle comprend des entrevues avec le plaignant et l’un des agents impliqués (l’AI no 1), ainsi que des vidéos enregistrées par des caméras d’intervention ayant capté certaines parties de l’incident, dresse le portrait suivant de l’incident. Comme la loi l’y autorise, l’AI no 2 a choisi de ne pas participer à une entrevue avec l’UES et de ne pas fournir ses notes.

Dans la soirée du 25 octobre 2022, des agents du SPT ont été dépêchés dans une tour d’habitation située dans le secteur de la rue Dufferin et de la rue King Ouest, à Toronto. Le TC no 3 avait appelé la police pour signaler une perturbation impliquant le plaignant. Le plaignant criait et jetait des objets de son balcon, au cinquième étage.

Le plaignant était en plein épisode psychotique et se croyait dans une série télévisée fictive.

Le SPT a, entre autres, déployé une unité de l’EMIC. L’unité se composait de la TC no 2 — infirmière autorisée et professionnelle de la santé mentale — et de l’AT. Vers 19 h 15, elles se sont présentées, avec d’autres agents en uniforme, à la porte d’entrée de l’appartement du plaignant. Au cours des 45 minutes qui ont suivi, environ, l’équipe a tenté de communiquer avec le plaignant à travers la porte close de l’appartement et depuis un balcon adjacent, alors que le plaignant entrait et sortait de son balcon. L’unité de l’EMIC en est rapidement venue à la conclusion que le plaignant s’était détaché de la réalité. La TC no 2 a essayé de ramener le plaignant à la réalité, mais en vain. Puisque l’unité de l’EMIC ne réussissait pas à faire des progrès, et que le plaignant avait commencé à parler de mourir, l’unité a décidé que l’EIU devrait prendre le relais des négociations.

Peu après 20 h, une équipe d’agents de l’EIU, comprenant l’AI no 1 et l’AI no 2, est arrivée à l’appartement, a été mise au fait de la situation par l’EMIC, et a pris le relais. L’AI no 2, un négociateur qualifié, a tenté d’établir un dialogue avec le plaignant depuis le balcon adjacent. Il a assuré au plaignant que la police était là pour l’aider et l’a invité à venir à la rencontre des agents à l’extérieur son appartement. Les réponses du plaignant étaient, pour la plupart, inintelligibles. Les railleries et les huées des spectateurs à l’endroit du plaignant n’ont pas facilité les choses ni aidé l’agent dans ses efforts.

Pendant que l’AI no 2 tentait de parler au plaignant, l’AI no 1 tentait de déterminer quelles autres stratégies et tactiques pourraient s’avérer nécessaires. Il a parlé au téléphone avec un membre de sa famille à plusieurs reprises afin d’obtenir tous les renseignements qui pourraient s’avérer utiles, mais il s’est gardé de les impliquer directement dans les négociations de peur que l’intervention d’un membre de la famille ne déclenche un comportement irréfléchi ou impulsif de la part du plaignant. L’agent a également pris des dispositions afin que des agents de l’EIU puissent descendre en rappel jusqu’au balcon, au cinquième étage, si une intervention immédiate s’avérait nécessaire, et s’est assuré que des ambulanciers paramédicaux soient présents, à proximité. L’agent a également téléphoné à un psychiatre légiste pour lui demander conseil.

Les négociations se sont poursuivies, le plaignant est devenu de plus en plus agité, avec tous les spectateurs en bas, et l’AI no 1 a commencé à craindre de plus en plus pour la sécurité du plaignant. L’agent a décidé de tenter d’attirer le plaignant dans l’appartement en demandant à l’AI no 2 de lui parler par la porte d’entrée. Il était environ 22 h 15. Environ cinq minutes plus tard, lorsqu’il est devenu évident que le plaignant ne pouvait pas entendre l’AI no 2, des agents ont ouvert la porte d’entrée pour faciliter la communication. L’agent a quelque peu franchi le seuil de la porte et ils ont momentanément cru que cette tactique allait fonctionner. Le plaignant a semblé engager le dialogue avec l’agent, mais il a pris peur quelques secondes plus tard et a grimpé par-dessus la balustrade du balcon. L’AI no 2 est rapidement ressorti de l’appartement et a fermé la porte.

Quelques instants plus tard, alors que l’AI no 1 l’implorait, depuis le balcon adjacent, de retourner sur son balcon, le plaignant s’est déplacé sur le rebord extérieur du balcon, a tenté de descendre jusqu’au balcon situé en dessous, et est tombé au sol.

Il a été transporté directement à l’hôpital, en ambulance, où on lui a diagnostiqué des fractures multiples et un poumon affaissé.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 221 du Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui est coupable : 
a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans; 
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

Analyse et décision du directeur

Le 25 octobre 2022, le plaignant a été grièvement blessé lorsqu’il est tombé du balcon de son appartement, à Toronto. Puisque des agents du SPT avaient été dépêchés sur les lieux pour intervenir auprès du plaignant et qu’ils étaient présents autour de son balcon lorsqu’il est tombé, l’UES a été informée de l’incident et a ouvert une enquête. Deux membres de l’EIU du SPT — l’AI no 1 et l’AI no 2 — ont été identifiés comme étant les agents impliqués dans cette affaire. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation de la preuve, il n’y a aucun motif raisonnable de conclure que l’un ou l’autre des agents impliqués a commis une infraction criminelle en lien avec les blessures subies par le plaignant.

L’infraction possible dans cette affaire est la négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention de l’article 221 du Code criminel. Cette infraction est réservée aux cas graves de négligence qui témoignent d’une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. L’infraction repose, en partie, sur une conduite constituant un écart marqué et substantiel par rapport au degré de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans les circonstances. Dans l’affaire qui nous concerne, la question est de savoir si l’AI no 1 ou l’AI no 2 n’ont pas fait preuve de la diligence requise et si ce manque de diligence, le cas échéant, pourrait avoir causé la chute du plaignant ou y avoir contribué, et pourrait être considéré comme suffisamment grave pour justifier l’imposition d’une sanction criminelle. À mon avis, cela n’est pas le cas.

Les agents impliqués exerçaient leurs fonctions lorsqu’ils se sont présentés sur les lieux pour intervenir auprès du plaignant. La première obligation d’un agent de police est de protéger et de préserver la vie. Puisqu’ils étaient conscients que les facultés mentales du plaignant étaient altérées à ce moment-là et qu’il était en danger sur son balcon, les agents avaient le devoir de faire ce qu’ils pouvaient raisonnablement faire pour résoudre la situation de façon sécuritaire.

Je suis également convaincu que l’AI no 1 et l’AI no 2 se sont comportés avec le soin et l’attention nécessaires pour la santé et le bien-être du plaignant tout au long de leur intervention. L’intervention de l’EIU a seulement été demandée une fois que l’unité de l’EMIC eut essayé d’intervenir auprès du plaignant, mais sans succès, et que celui-ci ait commencé à parler de mort. Par la suite, aucun élément de preuve ne permet de croire que les agents impliqués ont fait tout autre chose que de tenter de désamorcer la situation. Ils ont tous deux parlé au plaignant en termes rassurants, ont obtenu des conseils auprès d’un psychiatre légiste et ont consulté un membre de la famille du plaignant afin de trouver des moyens de mieux gérer la situation. Il est vrai que la décision d’ouvrir la porte de l’appartement semble avoir effrayé le plaignant et l’avoir incité à grimper par-dessus la balustrade du balcon. Cependant, après plus de deux heures, les agents n’avaient pas encore réussi à faire des progrès avec le plaignant et il semblait devenir de plus en plus agité. Au vu de ces circonstances, ils étaient fondés à essayer une tactique différente, et celle qu’ils ont choisie ne me semble pas irresponsable à première vue. Dès qu’il est devenu évident que la tactique n’allait pas donner les résultats escomptés, l’AI no 2 s’est immédiatement retiré de l’appartement et a refermé la porte.

Pour les raisons qui précèdent, je n’ai aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués ont transgressé les limites de la prudence prescrites par le droit criminel au cours de leur interaction avec le plaignant. Il n’y a donc pas lieu de porter des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.


Date : Le 22 février 2023


Approuvé électroniquement par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués, comme le prévoit le paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les renseignements pertinents sont résumés dans les paragraphes qui suivent. [Retour au texte]
  • 2) Le service des communications du SPT a initialement fourni la mauvaise adresse. [Retour au texte]
  • 3) NdT : Tous les dialogues sont des traductions. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.