Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 22-PVD-208

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 28 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 16 août 2022, à 23 h 34, le Service de police d’Ottawa (SPO) a communiqué avec l’UES pour lui transmettre l’information suivante.

Le 16 août 2022, à 21 h 42, l’AI effectuait des contrôles au radar dans le secteur de l’autoroute 416 à Ottawa. Il a vu une Chevrolet Cobalt bleue circulant à une vitesse élevée (164 km/h). L’AI s’est lancé à la poursuite de la voiture après que le conducteur a omis de s’arrêter lorsque l’agent lui a signalé de le faire. L’agent a communiqué ses actions et a demandé l’aide d’unités supplémentaires pour la poursuite. Peu après, on a demandé à l’AI de mettre fin à la poursuite, et l’AI a arrêté son véhicule de police sur l’accotement et a transmis son kilométrage. L’AI a ensuite obtenu l’autorisation de continuer à patrouiller dans les environs pour trouver le véhicule qu’il poursuivait. L’AI a trouvé le véhicule vers 21 h 46. Le véhicule était entré en collision avec un poteau. Le plaignant a été retrouvé dans le véhicule, et son décès a été constaté sur les lieux.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 17 août 2022 à 0 h 2.

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 17 août 2022 à 2 h 5.

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
 
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 28 ans, décédé

Témoins civils

TC A participé à une entrevue

Le témoin civil a participé à une entrevue le 2 septembre 2022.

Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 5 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 6 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 7 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 8 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

Les agents témoins ont participé à des entrevues entre le 31 août 2022 et le 7 septembre 2022.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident est survenu à l’intersection du chemin Dilworth et du chemin Fourth Line, à Kemptville.

Le 17 août 2022, à 2 h 5, des enquêteurs de l’UES sont arrivés sur les lieux et ont commencé à prendre des photos.

Il s’agit d’une intersection à quatre sens où les deux routes qui se croisent sont asphaltées et comportent deux voies. L’intersection est contrôlée par des panneaux d’arrêt pour la circulation en direction est-ouest. La limite de vitesse dans ce secteur, qui n’est pas affichée, est de 80 km/h. Les deux routes sont relativement planes, et il y a une très légère pente au milieu du chemin Fourth Line, à l’intersection.

La surface asphaltée du chemin Dilworth devient du gravier à 36 mètres à l’ouest du milieu de l’intersection. Juste à l’ouest de l’intersection, il y a un panneau annonçant une courbe en « S » ainsi qu’un panneau indiquant une limite de vitesse de 50 km/h à l’intention des automobilistes circulant en direction ouest.

À environ 75 mètres à l’ouest de l’intersection se trouvait un véhicule automobile (une Chevrolet Cobalt grise à deux portes), qui était situé juste à l’ouest d’un poteau électrique arraché du côté sud de la route, à l’endroit où celle-ci courbe vers la droite.

Le plaignant était décédé et toujours coincé dans la partie conducteur de la Chevrolet Cobalt. On avait placé sur lui une couverture de secours jaune.

Selon les traces de pneus sur la route de gravier, il semble que le véhicule circulait en direction ouest à grande vitesse sur le chemin Dilworth, arrivant de l’autoroute 416, et qu’il a traversé l’intersection du chemin Fourth Line, puis que le conducteur a perdu le contrôle du véhicule et que le devant de celui-ci, côté conducteur, a heurté le poteau électrique. Le poteau électrique a été arraché, et le poids exercé sur la ligne à haute tension a tiré un deuxième poteau situé plus à l’ouest et l’a également fait tomber.

Un VUS (Ford Explorer) aux couleurs de la Police provinciale de l’Ontario (la Police provinciale) était situé à environ 25 mètres à l’ouest de la zone d’impact, près du deuxième poteau électrique tombé, et était orienté vers l’est. On a examiné le véhicule de police pour voir s’il présentait des traces de contact; il n’y en avait aucune.


Figure 1 – Les lieux de l’incident


Figure 2 – Les lieux de l’incident


Figure 3 – Le véhicule du plaignant

Éléments de preuve matériels

Données du système mondial de localisation (GPS)

Les données GPS associées au véhicule de l’AI révèlent que l’AI a atteint des vitesses très élevées tandis qu’il circulait en direction nord sur l’autoroute 416. L’agent a atteint une vitesse dépassant 200 km/h entre 21 h 43 min 18 s et 21 h 44 min 8 s. Il a également circulé à une vitesse de 150 km/h ou plus entre 21 h 42 min 40 s et 21 h 44 min 9 s.

Lorsque l’AI a quitté l’autoroute 416 pour emprunter le chemin Dilworth, il a atteint une vitesse maximale de 162 km/h.

Témoignage d’expert

Reconstitution de la collision

La Chevrolet Cobalt ne s’est pas arrêtée à l’intersection du chemin Dilworth et du chemin Fourth Line. Le plaignant a perdu le contrôle du véhicule à l’endroit où la chaussée passe de l’asphalte au gravier, à l’ouest de l’intersection. Cette perte de contrôle a entraîné une perte de traction, et le véhicule a effectué une rotation dans le sens horaire tout en se dirigeant vers le fossé du côté sud. La Chevrolet Cobalt est entrée en collision avec un poteau électrique en bois situé du côté sud de la route.

Les données du module de commande de coussin gonflable de la Chevrolet Cobalt ont été téléchargées à des fins d’analyse. Les données ont permis d’établir que la Chevrolet Cobalt circulait à 164 km/h cinq secondes avant d’entrer en collision avec le poteau électrique. L’analyse a également démontré que les freins ont été activés une seconde avant la collision. À ce moment-là, la vitesse de la Chevrolet Cobalt était de 131 km/h.

Le spécialiste de la reconstitution des collisions a déterminé que la Chevrolet roulait trop vite pour prendre le virage. Le plaignant a perdu le contrôle du véhicule lorsque celui-ci s’est engagé sur la portion de la route qui est recouverte de gravier.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Enregistrements de communications

À 21 h 42, l’AI communique avec le répartiteur de la Police provinciale et lui demande : « Est ce qu’il y a des unités de la circulation routière d’Ottawa sur la 416? J’essaie de rattraper un conducteur téméraire ». L’AI n’a pas de description du véhicule. Il dit au répartiteur qu’il tentera de s’en approcher.

Le répartiteur répond à l’AI qu’aucune unité ne se trouve directement au nord, et que l’unité la plus proche est seulement sur l’autoroute 417.

L’AI dit au répartiteur que le conducteur en question a omis de s’arrêter lorsqu’il lui a signalé de le faire, et ajoute : « Je vais m’arrêter ici, il a emprunté la sortie menant au chemin Dilworth, je crois que c’est un cul-de-sac. Pouvez-vous demander au sergent du Centre de communication si je peux poursuivre? »

L’AI dit ensuite : « Je viens de le trouver. Il y a eu une collision à l’intersection de Dilworth et Fourth; il a heurté un poteau électrique. »

L’AI demande qu’une ambulance et d’autres agents de police soient envoyés sur les lieux. Il demande également l’envoi des services d’électricité et d’incendie.

L’AI demande au répartiteur : « Pouvez-vous demander à l’ambulance de faire vite? Il est coincé, il respire et il saigne, mais il ne répond pas. »

Enregistrements de communications – Centre de communication de la Police provinciale

L’AT no 1 discute avec un agent de police inconnu [2]. Pendant cette conversation, l’agent inconnu dit : « Eh bien, cela dépend de s’il [l’AI] connaît la politique en matière de poursuites, et dans cette situation, vous [l’AT no 1] n’avez même pas encore eu le temps de vous connecter et vous n’avez aucune information sur laquelle vous fonder pour décider s’il doit continuer la poursuite ou non. Vous ne pouvez pas prendre une décision si vous n’avez pas d’information. Il devrait connaître la politique, et il devrait avoir reçu l’instruction de continuer la poursuite, mais ça n’a pas été le cas. Envoyez-moi un courriel qui contient ce qui a véritablement été dit avant que vous n’arriviez à la console. Vous n’aurez qu’à me dire s’il s’agit ou non d’un [code de la police]. » Peu après, l’AT no 1 signale que le plaignant est décédé.

Images captées par la caméra à bord du véhicule – Voiture de patrouille de l’AI

À 21 h 42, l’AI, au volant de son véhicule de police, effectue un virage pour circuler en direction nord sur l’autoroute 416. Il accélère pour atteindre une vitesse élevée. L’AI active ses gyrophares à 21 h 43. Il continue de circuler en direction nord sur l’autoroute 416.

On ne voit pas le véhicule du plaignant au loin. Il est difficile de déterminer, à partir de l’enregistrement, si l’AI a pu voir la Chevrolet Cobalt au loin.

À 21 h 44, l’AI quitte l’autoroute 416 par la bretelle menant au chemin Dilworth. L’AI avise le répartiteur que la Chevrolet Cobalt a également emprunté cette bretelle.

À 21 h 44, l’AI circule à une vitesse élevée sur le chemin Dilworth; ses gyrophares sont toujours allumés. Un peu plus loin, on voit les phares arrière d’un véhicule, puis ces phares disparaissent par-dessus la pente dans la route. Peu après, on voit un véhicule inconnu arrêté sur l’accotement de droite du chemin Dilworth Road, avec ses feux de détresse activés. On ne voit aucun autre véhicule.

Alors que l’AI s’approche du véhicule inconnu arrêté sur l’accotement, on voit une lumière clignoter au loin à 21 h 44 min 52 s, suivie d’un deuxième clignotement à 21 h 44 min 54 s.

L’AI arrête son véhicule sur l’accotement du chemin Dilworth à 9 h 45 min 3 s, et il demande au répartiteur de demander à un sergent l’autorisation de continuer à suivre le véhicule du plaignant. L’AI poursuit son chemin en direction ouest sur le chemin Dilworth et traverse l’intersection du chemin Fourth Line. L’AI trouve le véhicule du plaignant et signale au répartiteur que le véhicule a heurté un poteau électrique.

L’AI sort de son véhicule et s’approche du véhicule du plaignant. Il demande immédiatement que l’on envoie les services médicaux d’urgence, ainsi que les services d’incendie et d’électricité. Il dit que le plaignant est coincé dans le véhicule; il respire et est conscient, mais ne répond plus.

Documents obtenus du service de police

Sur demande, l’UES a obtenu les éléments suivants de la part de la Police provinciale et du SPO entre le 17 août 2022 et le 27 octobre 2022 :
• rapport du système de répartition assistée par ordinateur de la Police provinciale;
• enregistrements des communications de la Police provinciale;
• liste des agents de la Police provinciale concernés;
• Police provinciale – fichiers d’extraction de données sur les collisions;
SPO – renseignements sur les plus proches parents;
• Police provinciale – information modifiée sur les témoins civils;
• Police provinciale – images captées par la caméra à bord du véhicule de l’AI;
SPO – table des matières – images captées par la caméra à bord du véhicule;
• Police provinciale – rapport du Centre d’information de la police canadienne concernant le plaignant;
SPO – rapport du spécialiste de la reconstitution des collisions;
SPO – rapport d’inspection de véhicule;
• Police provinciale – données GPS du véhicule de l’AI;
• notes relatives à l’extraction de données sur les collisions;
• notes de l’AT no 8;
• notes de l’AT no 7;
• notes de l’AT no 5;
• notes de l’AT no 2;
• notes de l’AT no 6;
• notes de l’AT no 3;
• notes de l’AT no 1;
• notes de l’AT no 4;
• liste des agents du détachement du Comté de Grenville de la Police provinciale en service la nuit du 18 août 2022;
• photographies aériennes des lieux de l’incident prises par le SPO.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a obtenu les éléments suivants auprès d’autres sources et les a examinés :
• rapport sur les conclusions préliminaires de l’autopsie du Service de médecine légale de l’Ontario;
• schéma des lieux de l’incident – le TC

Description de l’incident

Les éléments de preuve recueillis par l’UES, y compris les enregistrements vidéo du véhicule de police de l’AI, qui montrent une grande partie de l’incident, permettent d’établir le scénario suivant. L’AI n’a pas consenti à se soumettre à une entrevue avec l’UES ni à ce qu’on remette ses notes, comme la loi l’y autorise.

Dans la soirée du jour en question, l’AI effectuait des contrôles au radar afin de faire respecter les limites de vitesse sur l’autoroute 416, à Kemptville. Il était dans son véhicule, immobilisé entre les voies en direction nord et en direction sud lorsqu’une voiture – une Chevrolet Cobalt – est passée devant lui, circulant en direction nord à une vitesse de plus de 150 km/h. L’AI a décidé de tenter d’arrêter ce conducteur téméraire, il a donc engagé son véhicule dans les voies en direction nord, puis a accéléré pour atteindre une vitesse de plus de 200 km/h dans le but de rattraper la Chevrolet.

L’AI n’a jamais été près de la Chevrolet, mais il semble qu’il l’a repérée devant lui tandis qu’elle s’approchait de la bretelle menant au chemin Dilworth, à environ cinq kilomètres et demi de l’endroit où il s’est engagé sur l’autoroute. L’agent a pris la bretelle d’accès tandis que la Chevrolet s’approchait du chemin Dilworth, s’apprêtant à effectuer un virage à gauche pour circuler en direction ouest. À ce moment-là, les véhicules étaient à une distance d’environ 100 mètres l’un de l’autre.

Le conducteur de la Chevrolet était le plaignant. Il circulait en direction ouest sur le chemin Dilworth, a dépassé par la voie en direction est un véhicule circulant en direction ouest, a traversé l’intersection du chemin Fourth Line sans s’arrêter au panneau d’arrêt, puis a perdu le contrôle de la Chevrolet et a heurté un poteau électrique situé du côté sud de la route, là où la route commence à courber vers la droite.

L’AI a accéléré pour atteindre une vitesse de plus de 160 km/h lorsqu’il a quitté la bretelle pour circuler vers l’ouest, à la poursuite de la Chevrolet. Il se trouvait loin derrière le plaignant – à environ 300 mètres – lorsque la collision est survenue. Lorsqu’il est arrivé sur les lieux de la collision, l’AI a demandé que soient envoyés sur les lieux une ambulance, le service d’incendie et d’autres agents.

Le plaignant a maintenu sa vitesse élevée alors qu’il circulait sur le chemin Dilworth. Selon les données extraites du module de commande de coussin gonflable de la Chevrolet, son véhicule roulait à 164 km/h cinq secondes avant la collision. Sa vitesse était de 131 km/h une seconde avant l’impact.

Cause du décès

À la lumière de l’autopsie, le médecin légiste a établi une constatation préliminaire, à savoir que le décès du plaignant était attribuable à de multiples blessures de nature contondante.

Dispositions législatives pertinentes

Article 320.13, Code criminelConduite causant des lésions corporelles ou la mort

320.13 (1) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport  d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances.

(2) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, et cause ainsi des lésions corporelles à une autre personne.

(3) Commet une infraction quiconque conduit un moyen de transport d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, et cause ainsi la mort d’une autre personne.

Paragraphe 128(13), Code de la route – Véhicules de police et vitesse

128(13) Les limites de vitesse prescrites aux termes du présent article, d’un règlement ou d’un règlement municipal adopté en application du présent article ne s’appliquent pas aux véhicules suivants :

(b) au véhicule de police utilisé par un agent de police dans l’exercice légitime de ses fonctions.

Article 172, Code de la route – Interdiction : courses et manœuvres périlleuses

172 (1) Nul ne doit conduire un véhicule automobile sur une voie publique pour y disputer une course ou un concours, y tenir un pari ou y exécuter des manœuvres périlleuses. 



Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé lors d’une collision automobile le 16 août 2022. Puisque le véhicule qu’il conduisait a été poursuivi par un agent de la Police provinciale dans les instants qui ont précédé la collision, l’UES a été avisée. L’agent en question – l’AI – a été désigné comme agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir examiné les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle relativement au décès du plaignant.

L’infraction possible à l’étude est la conduite dangereuse causant la mort aux termes du paragraphe 320.13(3) du Code criminel. Pour qu’il y ait infraction de négligence criminelle, un simple manque de diligence ne suffit pas. L’infraction repose en partie sur une conduite qui équivaut à un écart marqué par rapport au niveau de prudence qu’une personne raisonnable aurait exercé dans des circonstances similaires. Dans l’affaire qui nous concerne, la question est de savoir s’il y a eu un manque de diligence dans la manière dont l’AI a conduit son véhicule qui aurait causé la collision ou contribué à celle-ci et, le cas échéant, s’il est suffisamment grave pour justifier des sanctions criminelles. À mon avis, ce n’est pas le cas.

L’AI était en droit de se lancer à la poursuite de la Chevrolet dans le but de l’immobiliser. Le plaignant était passé devant l’agent alors qu’il circulait à une vitesse de plus de 150 km/h en direction nord sur l’autoroute 416, cette vitesse dépassant largement la limite permise. À cette vitesse, l’AI avait des motifs raisonnables de croire que le plaignant exécutait des « manœuvres périlleuses », aux termes de l’article 172 du Code de la route, et peut-être même qu’il avait une « conduite dangereuse » aux termes du paragraphe 320.13(1) du Code criminel. Il était évident que le plaignant constituait un danger pour les autres automobilistes.

L’AI, qui circulait à des vitesses dépassant 200 km/h sur l’autoroute 416, constituait lui même un danger pour les autres automobilistes. Il a circulé à de telles vitesses pendant une période ininterrompue d’environ 50 secondes. Le danger était d’autant plus grand que l’AI a omis d’activer ses gyrophares et sa sirène pendant la majeure partie, voire la totalité de cette période. Cet équipement sert à signaler aux autres usagers de la route la présence du véhicule d’un agent pour leur donner le temps de réagir à la situation de manière sécuritaire. L’AI n’a pas non plus communiqué sa vitesse par radio. S’il l’avait fait, un agent supérieur aurait pu surveiller la situation et déterminer, d’un point de vue neutre, si le maintien de cette vitesse était justifié.

D’un autre côté, aucun élément de preuve n’indique que les autres automobilistes qui circulaient sur l’autoroute 416 ou sur le chemin Dilworth ont dû effectuer des manœuvres pour éviter le véhicule de l’AI. En effet, dès que l’AI a vu une file de véhicules devant lui, il a activé ses gyrophares. Cette mesure semble avoir signalé aux automobilistes la présence de l’AI, car ils ont réagi en demeurant dans la voie de droite et en ralentissant tandis que l’agent les dépassait. En outre, il ne faut pas oublier que le paragraphe 128(13) du Code de la route exempte les agents des dispositions concernant la vitesse lorsqu’ils conduisent un véhicule de police dans l’exercice légitime de leurs fonctions. Même si ce paragraphe ne donne pas carte blanche aux agents en ce qui concerne la vitesse, il leur accorde une certaine immunité dans l’exercice de leurs fonctions d’exécution de la loi. Dans cette affaire, il est raisonnable de s’attendre à ce que l’AI dépasse, dans une certaine mesure, la limite de vitesse dans le but de rattraper le plaignant après que celui-ci est passé devant l’AI à une vitesse élevée. Enfin, outre le fait qu’elle a peut-être incité le plaignant à maintenir sa vitesse, aucun élément de preuve n’indique que la conduite de l’AI – en particulier la vitesse à laquelle il circulait – a véritablement joué un rôle dans la collision qui s’est produite. L’agent se trouvait à environ 300 mètres du plaignant lorsque celui-ci a heurté le poteau électrique. En outre, on peut même se demander si le plaignant avait remarqué la présence de l’AI derrière lui.

En ce qui concerne les conditions environnementales à ce moment-là, elles étaient largement neutres et ne posaient pas de risques pour la sécurité publique. Peu de véhicules circulaient, la chaussée était sèche et le temps était dégagé.

Lorsque j’examine les considérations susmentionnées, je suis convaincu que la conduite de l’AI, même si elle était parfois dangereuse en raison de sa vitesse, n’a pas dépassé les limites de diligence prescrites par le droit criminel. Ainsi, il n’y a aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire. Le dossier est clos.



Date : 12 décembre 2022

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les enregistrements en question contiennent des renseignements personnels de nature délicate et ne sont donc pas divulgués, aux termes du paragraphe 34(2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces enregistrements sont résumées ci-dessous. [Retour au texte]
  • 2) L’agent de police inconnu est un agent du Centre provincial des opérations. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.