Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 22-OCI-174

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 41 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 6 juillet 2022, vers 18 h 55, le Service de police d’Owen Sound (SPOS) a contacté l’UES et communiqué les renseignements suivants.

Le 6 juillet 2022, vers 1 h 08 du matin, un homme [connu pour être le plaignant] a été conduit au poste central du SPOS situé au 922 2nd Avenue West, à Owen Sound, après son arrestation en vertu de mandats non exécutés. L’arrestation s’est apparemment déroulée sans incident. Le plaignant a été détenu en attendant sa comparution devant le tribunal dans la matinée. Après l’audience, le plaignant a été placé en détention provisoire en attendant son transfert au Centre correctionnel du Centre-Nord (CCCN) à Penetanguishene. Vers 14 h 30, la témoin employée du service (TES) no 1 a remarqué que le plaignant, qui était en cellule au poste du SPOS, se comportait de façon étrange, ce qu’elle a signalé à l’agent témoin (AT) no 1. Le comportement du plaignant semblait résulter d’une surdose, et des restes de fentanyl ont été trouvés dans la cellule. Le SPOS a appelé des ambulanciers qui ont conduit le plaignant à l’Hôpital d’Owen Sound (Grey Bruce Health Services). À l’hôpital, on a administré du Narcan au plaignant, ce qui a eu un effet positif. Par la suite, le plaignant a perdu connaissance et a été admis à l’unité des soins intensifs où il est resté sous perfusion de Narcan. Le personnel médical jugeait cependant que le plaignant allait se rétablir.

L’aire des cellules avait été sécurisée; cependant, tous les éléments de preuve avaient été retirés et sécurisés dans un entrepôt de la police. La vidéo de la cellule était disponible.

À sa sortie de l’hôpital, on allait transférer le plaignant au CCCN.

Les agents en cause étaient l’agent impliqué (AI) no 1 (agent qui a procédé à l’arrestation), l’AI no 2 (agent qui a enregistré le plaignant au poste), le TES no 2 (employé chargé de la sécurité de la cellule) et l’AT no 1 (agent qui est intervenu à la cellule et a appelé les services médicaux d’urgence (SMU)).

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 7 juillet 2022 à 7 h 45

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 7 juillet 2022 à 8 h 41

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 41 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 11 juillet 2022.

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 19 et le 28 juillet 2022.

Témoins employés du service (TES)

TES no 1 A participé à une entrevue
TES no 2 A participé à une entrevue

Les témoins employés du service de police ont participé à une entrevue entre le 13 et le 20 juillet 2022.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est déroulé dans une cellule du quartier général du SPOS.

Le 6 juillet, vers 1 h 21 du matin, l’AI 1 no et l’AI no 2 ont escorté le plaignant jusqu’à une cellule.

Vers 14 h 30, l’AT no 2, l’AT no 1 et la TES no 1 ont transféré le plaignant de sa cellule initiale à une autre cellule. Quatre morceaux de Fentanyl rose ont ensuite été trouvés dans la cellule initiale.

Figure 1 - A piece of pink fentanyl located at the scene
Figure 1 - Un morceau de fentanyl rose trouvé sur les lieux

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Enregistrements des communications du SPOS

Le SPOS a remis quatre enregistrements à l’UES.

Premier enregistrement
Le premier enregistrement est celui d’un appel à un sergent depuis les cellules, à partir de 14 h 27 min 3 s. La TES no 1 appelle l’AT no 1 et dit [traduction] : « Il est en mauvais état. On dirait qu’il est tombé; il morve et bave, comme s’il faisait exprès. Je ne sais pas. Ensuite, par moments, il perd connaissance; il me parle, puis se tait. Il dit qu’il n’arrive pas à ouvrir la bouche. Je lui ai répété de s’allonger, je ne sais pas combien de fois, et il a dit qu’il le ferait, mais il n’arrête pas de s’endormir. Il est vraiment capoté. » L’AT no 1 demande : « Penses-tu qu’il le fait exprès ? »; la TES no 1 répond : « Non, je ne pense pas. Je pense qu’il est vraiment incapable de rester éveillé. » L’AT no 1 dit : « D’accord, je vais venir », à quoi la TES no 1 répond : « D’accord. »

Deuxième enregistrement
Le deuxième enregistrement, qui commence à 14 h 57 min 35 s, porte sur une demande d’ambulance. L’AT no 1 appelle le centre de répartition de la police et les SMU et demande une ambulance. Elle dit qu’il y a un homme de 40 ans, qui a peut-être consommé du fentanyl; il est éveillé, mais léthargique.

Troisième enregistrement
Le troisième enregistrement, à partir de 14 h 41 min 25 s, est celui d’un appel d’une sergente qui demande au centre de répartition de créer un « incident lié à la drogue ». L’AT no 1 demande au répartiteur de créer un « événement lié à la drogue » pour le plaignant. L’AT no 1 dit : « CDSA, [2] on pense qu’il s’agit de fentanyl rose dans la cellule, après détérioration du comportement du plaignant. »

Quatrième enregistrement
Le quatrième enregistrement, qui commence à 0 h 53 min 43 s, est celui des transmissions radio. À 0 h 53 min 54 s, l’AI no 1 demande au centre de répartition de vérifier si le plaignant fait l’objet de mandats. À 0 h 54 min 43 s, un répartiteur répond : [traduction] « Il y a un [expurgé], qui indique un rayon de 63 kilomètres pour notre service, vol de moins de x 3 non endossé, non-respect de la probation x 4 non endossé, possession de biens de moins de x 2 non endossé, utilisation d’une carte de crédit x 7 non endossée et défaut de se présenter au tribunal qui a été endossé. »

À 1 h 03 min 43 s, l’AI no 1 dit qu’il est au poste de police avec le plaignant.

À 13 h 17 min 7 s, l’AT no 1 demande à une unité d’aller chercher le repas d’un prisonnier.

À 15 h 04 min 54 s, l’AT no 1 confirme que les SMU sont sur place.
 

Vidéo de l’aire des cellules du SPOS

Première vidéo
Il s’agit de la vidéo du couloir de la cellule A. On peut voir l’AT no 1 et l’AT no 2 faire passer le plaignant d’une cellule à la suivante.

Les ambulanciers paramédicaux arrivent; la TES no 1 ouvre la porte de la deuxième cellule. On fait sortir le plaignant de la cellule et on le place sur une civière.

Deuxième vidéo
La deuxième vidéo montre la deuxième cellule. L’AT no 1 et l’AT no 2 placent le plaignant dans la deuxième cellule. Le plaignant s’endort. L’AT no 1 vient examiner le plaignant à plusieurs reprises. Les ambulanciers paramédicaux arrivent et sortent le plaignant de la cellule.

Troisième vidéo
La troisième vidéo est celle du couloir de la cellule initiale. L’AI no 2 et l’AI no 1 escortent le plaignant dans le couloir. Après avoir fait entrer le plaignant dans la cellule initiale, les agents s’éloignent.

La cellule du plaignant est vérifiée environ 21 fois.

On peut voir ensuite le plaignant sortir de la cellule, puis marcher dans le couloir avec l’AT no 1, l’AT no 2 et la TES no 1 en direction d’un autre bloc cellulaire.

Quatrième vidéo
L’AI no 2 et l’AI no 1 placent le plaignant dans la cellule initiale. L’AI no 2 revient dans la cellule peu après. L’AI no 1 vient aussi avec des documents qu’il lit au plaignant.

On peut voir ensuite le plaignant penché en avant, les pieds par terre et la tête abaissée jusqu’aux genoux; quelque chose tombe par terre. Le plaignant ramasse ce qui est tombé par terre, puis s’allonge sur le lit et s’endort. La TES no 1 arrive à la porte de la cellule; le plaignant se lève et lui parle, après quoi il sort de la cellule avec elle.

Cinquième vidéo
La cinquième vidéo montre le couloir de la cellule initiale. On peut voir la TES no 1 escorter le plaignant jusqu’à la cellule initiale. La TES no 1 vérifie la cellule à plusieurs reprises. Elle apporte un ordinateur portable sur un chariot jusqu’à la porte de la cellule pour que le plaignant puisse participer à distance à son audience sur la libération sous caution. L’AT no 1, l’AT no 2 et la TES no 1 entrent dans le couloir et se dirigent vers la cellule du plaignant. Le plaignant sort dans le couloir avec les deux agents et la TES no 1. La TES no 1 tient un sac banane noir.

Sixième vidéo
La sixième vidéo montre la cellule initiale. Le plaignant est allongé sur le lit, sous une couverture blanche. Il s’assied en gardant les mains sous la couverture et regarde sous la couverture. Il retire ses mains de sous la couverture et les approche de son visage. Il semble manger quelque chose. Le plaignant se couvre la tête avec la couverture et s’allonge. La TES no 1 s’approche de la cellule et parle au plaignant. Il se lève, vient près de la porte de la cellule et parle avec elle. Le plaignant retourne jusqu’au lit et s’assoit, penché en avant. Il se redresse puis s’allonge sur le lit.

La TES no 1, l’AT no 2 et l’AT no 1 s’approchent de la cellule, ouvrent la porte et entrent dans la cellule. L’AT no 1 fouille le plaignant et lui retire un sac banane. Les agents le menottent et le font sortir de la cellule.

Vidéos 7 à 14 et vidéos 18
Les vidéos 7 à 14 et 18 n’avaient aucune valeur probante.

Vidéos 15 et 16
Ces deux vidéos montrent l’entrée sécurisée du poste de police. L’AI no 1 fait sortir le plaignant d’un véhicule de police et l’escorte jusqu’à l’entrée du hall d’enregistrement. L’AI no 2 est debout devant l’entrée du hall d’enregistrement; la porte de l’entrée sécurisée est ouverte. Le plaignant entre dans l’aire d’enregistrement.

Vidéo 17
La vidéo 17 montre l’enregistrement. Le plaignant arrive au poste du SPOS menotté dans le dos. On l’escorte jusqu’à une banquette où il s’assoit. L’AI no 2 parle au plaignant; l’AI no 1 se tient à proximité. L’AI no 1 enfile des gants noirs. L’AI no 1 retire la casquette de baseball du plaignant et la pose sur le comptoir du hall d’enregistrement. L’AI no 2 parle au plaignant. Le plaignant enlève ses chaussures; il porte des chaussettes blanches. Le plaignant se relève et fait face au mur; l’AI no 1 est derrière lui. L’AI no 1 essaie de retirer la veste du plaignant, mais ce dernier est toujours menotté. L’AI no 1 lui retire les menottes et les pose sur la banquette. L’AI no 2 s’approche du plaignant et lui retire des objets qu’il place dans un sac d’éléments de preuve. Le plaignant appuie les mains sur le mur et l’AI no 1 commence à le fouiller. L’AI no 1 fouille par tâtonnement les bras et les épaules du plaignant, son dos et les poches gauche et droite de sa chemise ainsi que ses deux jambes. L’AI no 2 s’approche du plaignant et l’emmène aux toilettes pendant environ 60 secondes. Cet endroit n’a pas de vidéosurveillance. L’AI no 1 retire la chemise du plaignant, la fouille puis la lui rend. L’AI no 2 et l’AI no 1 escortent le plaignant jusqu’à l’aire des cellules.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPOS a remis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 8 juillet et le 16 août 2022 :
  • Chronologie de l’incident;
  • Contacts du plaignant avec le SPOS jusqu’au 8 juillet 2022;
  • Rapport d’arrestation du plaignant;
  • Renseignements sur les biens d’un prisonnier (le plaignant);
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes de la TES no 1;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Rapports d’incident et rapports supplémentaires;
  • Politique - prise en charge et traitement des personnes sous garde;
  • Politique - fouille de personnes;
  • Politique - arrestation;
  • Photographies de cellules;
  • Registre de vérification de prisonnier;
  • Registre de prisonnier;
  • Registre de prisonnier – le plaignant;
  • Vidéos du bloc cellulaire;
  • Enregistrements des communications.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Rapport d’appel d’ambulance – SMU du comté de Grey;
  • Dossier médical - Hôpital d’Owen Sound (Grey Bruce Health Services).

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment de l’entrevue avec le plaignant et avec le personnel chargé de sa supervision pendant sa détention par la police. Les agents impliqués n’ont pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de leurs notes, comme c’était leur droit.

Le 6 juillet 2022, vers 0 h 45, l’AI no 1 a repéré le plaignant à bicyclette sur la 9e Avenue Est, à Owen Sound. L’agent a vérifié auprès de son centre de communication si le plaignant faisait l’objet de mandats d’arrestation, a appris qu’il y avait des mandats d’arrêt en vigueur contre lui et a procédé à l’arrestation puis à la fouille du plaignant.

Le plaignant a été conduit au poste de police où il a été enregistré, fouillé de nouveau et placé en cellule. Il a dormi une bonne partie de la nuit et a assisté à une audience virtuelle de mise en liberté sous caution dans la matinée, qui s’est conclue par sa détention provisoire dans un établissement correctionnel.

De retour dans sa cellule en attendant d’être transporté à l’établissement correctionnel, le plaignant a commencé à sombrer en état de détresse médicale. Il semblait léthargique, avait très sommeil et commençait à baver. Quand elle a remarqué cette situation pour la première fois, vers 13 h 50, l’agente spéciale (la TES no 1) a alerté la sergente de service à ce moment-là, l’AT no 1. L’AT no 1 s’est personnellement rendue à la cellule du plaignant pour vérifier comment il allait. Quand on lui a demandé ce qui n’allait pas, le plaignant a répondu qu’il était simplement fatigué et frustré. La TES no 1 et l’AT no 1 ont décidé de surveiller le plaignant de plus près.

Vers 14 h 30, lorsqu’il est devenu évident que l’état du plaignant se détériorait, l’AT no 1 est allée dans l’aire des cellules avec l’AT no 2. Craignant que le plaignant ne fasse une surdose de drogue, la sergente a décidé d’entrer dans la cellule et de l’inspecter soigneusement, ainsi que de fouiller le plaignant, à la recherche de drogue.

L’AT no 1 et l’AT no 2 sont donc entrés dans la cellule, ont menotté le plaignant sans incident et l’ont fouillé. Entre autres articles, ils ont trouvé et saisi un sac banane à la taille du plaignant, le cordon de son pantalon ainsi que des pièces de monnaie dans une poche. Le plaignant a été escorté hors de la cellule et placé dans une autre cellule, après quoi l’AT no 1 et l’AT no 2 ont trouvé quatre morceaux de ce qu’ils pensaient être du fentanyl dans la cellule initiale.

Vers 15 h, quand la TES no 1, chargée de surveiller le plaignant dans l’autre cellule, a signalé que ce dernier avait vomi, l’AT no 1 a contacté les services médicaux d’urgence. Des ambulanciers paramédicaux sont arrivés et ont conduit le plaignant à l’hôpital en ambulance.

Le plaignant a perdu connaissance à l’hôpital et a été soigné pour une surdose de plusieurs drogues, condition dont il s’est finalement remis.

Dispositions législatives pertinentes

L’article 215 du Code criminel – Défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Article 221 du Code criminel -- Causer des lésions corporelles par négligence

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a subi une surdose de drogue alors qu’il était sous la garde du SPOS le 6 juillet 2022. Dans le cadre de l’enquête qui a suivi, l’UES a désigné deux agents impliqués : l’agent qui avait arrêté le plaignant plus tôt dans la journée – l’AI no 1 – et l’agent qui avait la responsabilité globale des soins au plaignant au moment de son enregistrement au poste, l’AI no 2. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués ait commis une infraction criminelle en lien avec la surdose du plaignant.

Les infractions à prendre en considération en l’espèce sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention des articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. Un simple manque de diligence ne suffit pas à engager la responsabilité pour ces deux infractions. Pour la première, la culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les mêmes circonstances. La deuxième correspond aux cas encore plus graves de négligence qui font preuve d’un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. Pour que cette infraction soit établie, il faut notamment que la négligence constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à une norme de diligence raisonnable. En l’espèce, il faut donc déterminer si l’AI no 1 ou l’AI no 2 a fait preuve d’un manque de diligence qui a mis en danger la vie du plaignant ou a contribué à sa surdose et si ce manque était suffisamment grave pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

D’entrée de jeu, je note que la suffisance de la surveillance du plaignant ne semble pas en cause. D’après l’ensemble de la preuve, le plaignant a fait l’objet d’une surveillance régulière tout au long de sa garde par la police, cette surveillance est devenue plus étroite lorsqu’il est apparu que le plaignant n’allait peut-être pas bien, et des soins médicaux ont été rapidement prodigués au plaignant dès que son état a semblé empirer au point de recourir à un professionnel de la santé. La question semble plutôt de savoir comment le plaignant a pu récupérer et consommer de la drogue pendant son séjour dans une cellule de police; plus précisément, pourquoi les drogues n’ont-elles pas été confisquées par la police avant son admission en cellule?

À première vue, il semble que les fouilles effectuées par l’AI no 1, la première sur les lieux de l’arrestation et la seconde, en présence de l’AI no 2 au moment de l’enregistrement du plaignant au poste, n’étaient pas suffisamment minutieuses. Par exemple, il est difficile de comprendre pourquoi le sac banane attaché à la taille du plaignant n’a pas été découvert ou, s’il l’a été, pourquoi il n’a pas été confisqué. Dans ce cas, on peut comprendre pourquoi les drogues que le plaignant avait sur lui, si elles étaient visibles, sont passées inaperçues. Il s’agit d’un commentaire plutôt décevant sur la diligence avec laquelle l’AI no 1 s’est acquitté de ses responsabilités, d’autant plus qu’il a fouillé le plaignant non pas une seule fois, mais deux. De toute évidence, si l’AI no 1 avait fait preuve de plus de diligence dans ces fouilles, le plaignant ne se serait peut-être pas retrouvé dans une situation aussi désespérée. Ce manque de diligence était-il suffisant pour engager sa responsabilité pénale? À mon avis, ce n’est pas le cas.

Des facteurs atténuants font que la conduite de l’AI no 1 ne constitue pas un écart marqué par rapport à une norme de diligence raisonnable. Pour commencer, ce n’est pas comme si l’agent avait complètement manqué à son devoir. La preuve établit qu’il a effectivement procédé à deux fouilles par palpation du plaignant et a saisi certains articles, notamment une pipe en verre et une feuille d’aluminium. Il semble aussi que l’arrestation du plaignant n’avait rien à voir avec la drogue. Si tel avait été le cas, l’agent aurait été davantage conscient du besoin d’effectuer une fouille plus poussée du plaignant. [3] Enfin, le lien de causalité est également un problème, parce que je suis incapable d’écarter complètement la possibilité que le plaignant ait dissimulé les drogues dans une cavité corporelle – son rectum – lorsqu’il a été arrêté puis placé en cellule. Si c’était le cas, il aurait peut-être fallu une fouille à nu, ou même une fouille des cavités corporelles, pour repérer les drogues. Cependant, je ne suis pas certain, conformément à la jurisprudence établie par l’arrêt R. c. Golden, [2001] 3 RCS 679, que de telles fouilles auraient été légalement justifiées dans les circonstances.

En dernière analyse, comme je ne suis pas raisonnablement convaincu, pour les motifs exposés ci-dessus, que les fouilles effectuées et supervisées par l’AI no 1 et l’AI no 2 aient transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel, il n’y a pas de raison de porter des accusations criminelles en l’espèce.


Date : 3 novembre 2022

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumées ci-après. [Retour au texte]
  • 2) Probablement l’acronyme anglais de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. [Retour au texte]
  • 3) Il faut toutefois reconnaître que l’AI no 1 avait saisi certains accessoires de consommation de drogue. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.