Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 22-OFD-057

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 27 ans (le plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 23 février 2022, à 18 h 39, le Service de police de Hamilton (SPS) a contacté l’UES et communiqué les renseignements suivants.
Le SPT avait reçu des renseignements concernant un véhicule suspect. Le véhicule était maintenant sur Strathearne Place, un cul-de-sac. Trois agents [maintenant connus pour être l’agent impliqué (AI) et les agents témoins (AT) no 1 et AT no 2] se sont rendus sur les lieux. Un agent était à pied lorsque des coups de feu impliquant les suspects ont été échangés. L’un des suspects, le plaignant, a été blessé, mais on ne savait pas dans quel état il se trouvait. L’autre personne suspecte, le témoin civil (TC) no 2, n’avait pas été blessée et avait été arrêtée sur les lieux. [1]

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 23 février 2022 à 18 h 54

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 23 février 2022 à 19 h 54

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 3

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 27 ans, décédé

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 N’a pas participé à une entrevue (a refusé)
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue
TC no 7 A participé à une entrevue
TC no 8 A participé à une entrevue
TC no 9 A participé à une entrevue
TC no 10 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à des entrevues entre le 24 février 2022 et le 17 mars 2022.

Agent impliqué

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué; ses notes ont été reçues et examinées

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 5 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées
AT no 6 N’a pas participé à une entrevue, mais ses notes ont été reçues et examinées.

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 24 février et le 10 mars 2022.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit sur Strathearne Place, une rue est-ouest située près de l’aéroport international John C. Munroe, à Hamilton.

Il s’agit d’un quartier résidentiel avec des maisons individuelles des deux côtés de la chaussée. Il y avait de la neige des deux côtés de la rue, et des lampadaires du côté sud de la chaussée. L’extrémité ouest de la chaussée se termine par un cul-de-sac. Le temps était dégagé et froid, et la chaussée était sèche.

De nombreux véhicules impliqués et non impliqués se trouvaient sur les lieux, y compris les véhicules de police de l’AI et de l’AT no 1 et l’AT no 2, une Kia, une camionnette Chevrolet Silverado et un véhicule utilitaire sport (VUS) Hyundai.

Une Chevrolet Cavalier à quatre portes était orientée vers le nord-est, au nord de la chaussée dans des arbres. Le véhicule avait frappé plusieurs arbres avant de rester coincé sur des souches résultant de la collision. La portière du conducteur était ouverte et sa vitre semblait avoir été brisée. Une éraflure était visible sur l’extérieur de la portière du conducteur. La portière arrière gauche était fermée et avait une éraflure visible au bas de sa surface extérieure. Des vêtements et des débris médicaux jonchaient le sol à l’extérieur de la portière du conducteur et des taches de sang étaient visibles sur le sol à cet endroit.

Un défaut a été noté sur le pare-brise, côté conducteur. Le véhicule avait subi d’importants dommages par collision frontale; la porte du passager avant était ouverte et la porte arrière droite était entrouverte. Des traces de pneus dans la neige, du côté nord de la chaussée menaient jusqu’à la Cavalier au nord-est.


Figure 1 – Position finale de la Cavalier


Figure 2 – Lieu de l’incident sur Strathearne Place, en direction est

Schéma des lieux

Éléments de preuve matériels

Les principaux indices matériels suivants ont été recueillis au cours de l’enquête :
  • Un pistolet Glock de calibre .40, délivré à l’AI, avec une cartouche de calibre .40 chambrée;
  • Trois chargeurs de pistolet de calibre .40, y compris celui du pistolet de l’AI, et les cartouches de calibre 40 correspondantes;
  • Une douille de calibre .40 [légèrement endommagée] sur la voie en direction ouest de Strathearne Place, à l’ouest des marques de pneus partant du côté nord de la chaussée;
  • Une douille de calibre .40 sur la voie en direction est de Strathearne Place, au nord-ouest de la Kia;
  • Un fragment de verre prélevé sur la voie en direction ouest de Strathearne Place, à l’ouest de la scène de l’incident, deux fragments de verre au sud du trottoir nord et un fragment de verre sur la voie ouest de Strathearne Place, à l’est de la scène;
  • Des vêtements ensanglantés près de la portière du conducteur de la Cavalier;
  • Un projectile prélevé sur le thorax du plaignant, près de la colonne vertébrale;
  • Un fragment de projectile prélevé sur le thorax du plaignant, près de la colonne vertébrale;
  • Un projectile prélevé sur le coussin du siège conducteur de la Cavalier;
  • Un chandail à capuchon retiré du plaignant;
  • Un morceau de papier d’aluminium avec des résidus blancs provenant du chandail à capuchon retiré du plaignant;
  • Un téléphone cellulaire.


Figure 3 – L’arme à feu de l’AI


Figure 4 – Le chargeur de l’arme de l’AI


Figure 5 - Trou de balle dans le pare-brise avant de la Cavalier

Éléments de preuves médicolégaux

Soumissions et résultats du Centre des sciences judiciaires (CSJ)

Le 28 mars 2022, l’UES a demandé au CSJ d’examiner les deux projectiles tirés par l’AI à la recherche d’éventuels morceaux de verre afin d’évaluer si l’un ou l’autre des projectiles avait endommagé la vitre du côté conducteur et/ou le pare-brise du véhicule, ou si ces dommages avaient été causés par autre chose.

L’UES a en outre demandé au CSJ d’examiner le chandail à capuchon que le plaignant portait au moment de l’incident pour détecter des résidus de coups de feu, ainsi que le pistolet, le chargeur et les munitions de l’AI pour en vérifier le fonctionnement et la conformité au Règlement de l’Ontario 926/90.

Le 14 avril 2022, la Section des analyses chimiques du CSJ a indiqué n’avoir trouvé aucun morceau de verre sur les projectiles.

Le 13 juillet 2022, la Section des armes à feu et des traces d’outils du CSJ a conclu que les douilles récupérées sur les lieux avaient été tirées avec l’arme à feu de l’AI et qu’il n’y avait aucun résidu de décharge d’arme à feu sur le chandail.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [2]

Séquences de vidéosurveillance d’une résidence

L’UES a recherché et obtenu des séquences vidéo d’une résidence. Les images ont été améliorées numériquement. En voici un résumé :

Le 23 février 2022, à 5 min 46 s du début de la vidéo, une Kia roule vers l’ouest sur Strathearne Place, fait demi-tour au cul-de-sac puis se dirige vers l’est et disparaît du champ de vision de la caméra.

À 20 min 43 s, un VUS Ford Explorer du SPH roule lentement vers l’ouest sur Strathearne Place, passe devant une Cavalier et une camionnette Chevrolet Silverado noire avec deux motoneiges à l’arrière, et s’engage dans l’allée d’une résidence. Le conducteur du VUS du SPH [maintenant connu pour être l’AI] fait marche arrière, puis s’arrête à côté de la Cavalier.

À 21 min 29 s, l’AI sort du Ford Explorer, passe devant son véhicule de police et disparaît du champ de vision. On peut voir ensuite l’AI près du coin avant gauche de la Cavalier. Le feu de recul sur le coin arrière gauche de la Cavalier est allumé.

À partir de 21 min 43 s du début de l’enregistrement, on peut entendre l’AI crier ce qui suit : [traduction]

Je…
Police, ne bouge pas.

Le feu de recul de la Cavalier s’éteint.

Arrête!
Je vais te tirer dessus!
Je vais tirer. Sors de là!
Éteins le moteur, tout de suite!
Éteins-le!
Éteins-le!
Arrête-le!
Arrête-le!


La Cavalier commence à avancer.

Je vais te tirer dessus mec!
Je vais…

La Cavalier s’arrête.

Ne m’oblige pas à le faire!
Ne m’oblige pas à le faire!
Ne m’oblige pas à le faire!
Je vais ...!
Je vais te tirer dessus!
Éteins-le!
Éteins-le!
Éteignez-le, je vais, putain!
Ne m’oblige pas à le faire!
Ne m’oblige pas à faire ça!


À 22 min 18 s du début de la vidéo, on peut voir les phares d’un Ford Explorer du SPH [maintenant connu pour être le véhicule de l’AT no 1 et de l’AT no 2] qui roule vers l’ouest dans la voie est.

Ne m’oblige pas à faire ça !

À 22 min 20 s, les phares ne sont plus visibles car le Ford Explorer est nez à nez avec la Kia devant une maison de Strathearne Place.

Éteins-le !
Éteins-le maintenant!


À 22 min 24 s, un agent [maintenant connu comme étant l’AT no 1] sort de son véhicule de police et est debout près du milieu de la chaussée. Au même moment, la Cavalier avance et commence quitter sa place de stationnement.

À 22 min 26 s, on peut entendre un coup de feu. La roue arrière gauche de la Cavalier vient juste de sortir du champ de vision de la caméra, dans le coin avant droit du Ford Explorer de l’AI, et on peut voir immédiatement après l’AI à côté du coin avant gauche de son Ford Explorer. L’AT no 1 n’est pas visible.

Environ une seconde plus tard, on peut entendre un deuxième coup de feu. L’AI est alors presque au milieu de la voie ouest de la rue, juste derrière la fenêtre côté conducteur, tandis que la Cavalier traverse Strathearne Place. Les mouvements de la Cavalier et de l’AI sont simultanés. L’AT no 1 s’élance en courant vers la Cavalier, qui est alors à mi-chemin de la chaussée, sur un banc de neige du côté nord de Strathearne Place. L’AI court en direction de la Cavalier et arrive à la hauteur de la roue arrière gauche de la Cavalier.

À 22 min 29 s, on peut entendre la Cavalier frapper un arbre.

Enregistrements des communications

Chronologie de l’incident

Ce qui suit est un résumé des communications pertinentes de la police, telles que saisies dans la chronologie de l’événement du SPH.

Vers 17 h 18, le SPH reçoit un appel d’un homme qui signale la présence d’un véhicule suspect – une camionnette – garé sur Strathearne Place. Il croit qu’il s’agit d’un véhicule volé.

Vers 17 h 22, le répartiteur avise les agents de la présence possible d’armes à feu dans le véhicule.

Vers 17 h 38, un agent annonce que des coups de feu ont été tirés.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPH a remis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 1er mars et le 8 juillet 2022 :
  • Enregistrements des communications;
  • Dossier de la Couronne – Déclaration de l’AT no 4;
  • Dossier de la Couronne – Déclaration de l’AT no 5;
  • Dossier de la Couronne – Déclaration de l’AT no 3;
  • Dossier de la Couronne – Déclaration de l’AT no 2;
  • Schéma de la scène par l’AT no 1;
  • Balayages 3D de la scène et du véhicule par les spécialistes des sciences judiciaires;
  • Photographies de la scène et du véhicule par les spécialistes des sciences judiciaires;
  • Rapport général;
  • Rapport de profil du sujet par le SPH;
  • Chronologie de l’incident;
  • Empreintes digitales;
  • Chronologie des événements (I-NetViewer);
  • Notes de l’AT no 4;
  • Notes de l’AI;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 5;
  • Notes de l’AT no 6;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Photographies du plaignant;
  • Politique – recours à la force.
  • Politique – matériel et usage de la force;
  • Rapport supplémentaire;
  • Certification du recours à la force – l’AI;
  • Déclaration écrite de l’AT no 1;
  • Déclaration écrite de l’AT no 6.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Résultats préliminaires d’autopsie du Service de médecine légale de l’Ontario;
  • Rapport d’autopsie, daté du 27 avril 2022, du Bureau du coroner;
  • Dossiers de HHS/HGH ;
  • Photographies prises par le TC no 6;
  • Séquence vidéo d’une résidence.

Description de l’incident

Les éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec plusieurs témoins oculaires et des séquences vidéo qui ont capté une grande partie de l’incident, ont permis d’établir le scénario suivant. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES, comme il en avait le droit, mais a autorisé la communication de ses notes sur l’incident.

Le 23 février 2022, en fin d’après-midi, le plaignant était assis sur le côté passager avant d’une Chevrolet Cavalier lorsqu’il a remarqué un agent de police près de la portière du conducteur. La Cavalier était garée devant l’allée d’une maison de Strathearne Place, à Hamilton. Un autre véhicule – une Kia – était garé juste devant la Cavalier. Le plaignant était drogué. La personne assise au volant était une amie, la TC no 2. Quand elle a vu l’agent, la TC no 2 est passée rapidement sur la banquette arrière. Le plaignant a pris le volant.
 
L’agent en question était l’AI. Il était sur les lieux en réponse à un appel à la police indiquant qu’une camionnette volée avait été repérée sur Strathearne Place. L’agent avait également été avisé qu’il y avait dans le véhicule des armes à feu appartenant au propriétaire de la camionnette. La camionnette était effectivement garée sur Strathearne Place, le long du trottoir côté sud, à un mètre ou deux derrière la Cavalier. Ne voyant personne dans la camionnette, mais remarquant le plaignant et la TC no 2 dans la Cavalier qui semblaient endormis, l’AI a pensé que ces derniers étaient possiblement liés au véhicule volé. L’AI a donc immobilisé son VUS de police à côté de la Cavalier, est sorti et s’est approché de la portière du conducteur du véhicule.

Dans les secondes qui ont suivi, le plaignant a fait marche arrière avec la Cavalier vers la camionnette derrière lui. Craignant que le plaignant essaye de manœuvrer la Cavalier pour sortir devant sa voiture de patrouille et s’échapper, l’agent a dégainé son arme à feu et a fait quelques pas pour se mettre à l’abri derrière son véhicule. À partir de là, l’AI a averti à plusieurs reprises le plaignant qu’il lui tirerait dessus s’il n’éteignait pas le moteur. Alors que la Cavalier avançait légèrement, puis s’arrêtait, l’AI a continué à mettre le plaignant en garde en répétant : [traduction] « Ne m’oblige pas à faire ça! ». Quand la Cavalier a commencé à virer à gauche vers l’avant de la voiture de police, l’AI, qui se tenait alors entre l’avant de sa voiture de police et la Cavalier, a tiré sur le plaignant. Une seconde plus tard, l’agent a tiré de nouveau tout en franchissant la chaussée vers le nord, comme la Cavalier.

Les deux balles ont frappé le plaignant.
Après les coups de feu, la Cavalier a continué vers le nord sur une propriété du côté nord de la chaussée où elle a percuté un arbre et s’est immobilisée.
 
L’AT no 1 et l’AT no 2, arrivés ensemble sur les lieux dans une voiture de police, venaient d’immobiliser leur véhicule nez à nez avec la Kia quelques instants avant les coups de feu. L’AT no 1 s’est précipité vers le côté conducteur de la Cavalier et a vu le corps du plaignant s’affaisser sur le siège passager avant. L’AT no 1 a dégagé le plaignant, l’a allongé sur le dos près de la Cavalier et a commencé à lui prodiguer les premiers soins.
 
La TC no 2 est sortie de la banquette arrière de la Cavalier et a été arrêtée sans incident.
Le plaignant a été emmené de là en ambulance à l’hôpital où son décès a été constaté à 18 h 42.

Cause du décès

Le pathologiste chargé de l’autopsie a attribué le décès du plaignant à des blessures par balles au torse. Une balle a pénétré la partie supérieure gauche de l’abdomen du plaignant, a traversé le corps gauche à droite, légèrement vers le haut et d’avant en arrière, et est ressortie sur le côté de la partie supérieure droite de l’abdomen. La deuxième balle est entrée dans la partie supérieure gauche de la poitrine, a traversé le corps de gauche à droite, légèrement d’avant en arrière et vers le haut, et a été retrouvée au côté droit de la colonne thoracique.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances
(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé dans la soirée du 23 février 2022 des suites de blessures par balle infligées par un agent du SPH. Cet agent a été désigné comme étant l’agent impliqué (AI) aux fins de l’enquête de l’UES qui a suivi. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec le décès du plaignant.

En vertu de l’article 34 du Code criminel, le recours à la force qui constituerait autrement une infraction est justifié lorsqu’il visait à contrecarrer une attaque ou menace d’attaque raisonnablement appréhendée, et que cette force était en soi raisonnable. Le caractère raisonnable de la force doit être évalué en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et d’autres moyens étaient disponibles pour faire face à l’emploi possible de la force, le fait qu’une partie à l’incident utilisait ou menaçait d’utiliser une arme, ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction à l’emploi ou la menace d’emploi de la force. À mon avis, ces coups de feu relevaient de la justification prévue à l’article 34.

L’AI exécutait ses fonctions lorsqu’il s’est approché de la Cavalier. Il participait légalement à une enquête sur un véhicule volé. Il était également dans son droit de chercher à placer le plaignant et la TC no 2 sous garde pour enquêter lorsque le plaignant a démarré la Cavalier pour éviter d’être appréhendé. Si on tient compte de l’ensemble des circonstances, y compris le fait qu’ils étaient dans un véhicule garé bizarrement devant une allée à côté de la camionnette, il existait des motifs raisonnables de soupçonner que le plaignant et la TC no 2 étaient impliqués dans le vol de la camionnette : R. c. Mann, [2004] 3 RCS 59.
Je suis convaincu qu’au moment où l’AI a fait feu, il croyait raisonnablement qu’il courait un risque de mort ou de lésions corporelles graves et qu’il a agi en état de légitime défense. Bien que l’UES n’ait pas connaissance directe de l’état d’esprit de l’AI à ce moment-là, puisqu’il n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES (comme c’était son droit légal), c’est ce qui ressort des notes qu’il a rédigées sur cette affaire. De plus, les circonstances tendent à justifier cette inférence, à savoir qu’il est raisonnable de croire qu’un agent se trouvant à proximité d’un véhicule à moteur en mouvement et tentant de fuir les lieux jugerait nécessaire d’agir pour se protéger contre le risque de mort ou de blessure.

Je suis également convaincu que la force utilisée par l’AI, à savoir deux coups de feu, constituait une force raisonnable dans les circonstances. Au moment du tir, l’AI était à proximité immédiate de la Cavalier qui virait dans sa direction. En fait, la preuve montre que l’AI a en fait été frappé par le véhicule, avant ou pendant les coups de feu, et a ainsi subi une fracture de la jambe gauche. D’après la vidéo, l’AI a tiré le deuxième coup de feu au moment où la Cavalier était juste à côté de lui et non se dirigeant droit sur lui. On peut donc se demander si le deuxième coup de feu était nécessaire. Le droit criminel prévoit toutefois une certaine latitude dans l’évaluation de la conduite des agents confrontés à des circonstances dangereuses qui évoluent rapidement. Les agents ne sont pas tenus de mesurer avec précision la force avec laquelle ils réagissent; ce qui est requis de leur part, c’est une réponse raisonnable, pas nécessairement rigoureuse. À mon avis, face à un véhicule dont le conducteur a l’intention de s’enfuir, et avec peu de marge de manœuvre compte tenu des positions relatives de la voiture de police de l’agent et de la Cavalier, une personne raisonnable dans la situation de l’agent aurait pu croire nécessaire de tirer sur le conducteur de la Cavalier pour le mettre hors d’état de nuire. Dans les circonstances, aucune autre arme n’aurait eu le résultat immédiat nécessaire.
 
Ma décision en la matière ne doit pas être interprétée comme suggérant que la conduite de l’AI ne doit pas être mise en question. Par exemple, on peut se demander pourquoi l’AI s’est placé à un endroit qui le mettait en danger alors qu’il croyait, raisonnablement pour les raisons susmentionnées, qu’il n’avait pas d’autre choix que de tirer, en particulier lorsque la politique du SPH interdit aux agents de tirer sur un véhicule en mouvement pour neutraliser le véhicule ou le conducteur, sauf s’ils sont confrontés à un risque mortel distinct et indépendant du véhicule. L’AI aurait peut-être dû se mettre à couvert derrière son VUS. Néanmoins, au moment où il a fait feu, l’agent avait également des raisons de croire que le plaignant était intoxiqué et qu’il avait possiblement des armes à sa disposition (la camionnette volée contenait des armes à feu). Chacune de ces considérations tendrait à justifier une attitude plus proactive de l’agent. Quoi qu’il en soit, ces questions relèvent des normes professionnelles qui sont la responsabilité du service de police.
Par conséquent, je suis convaincu qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI a commis une infraction criminelle en lien avec le décès du plaignant. Il n’y a donc aucune raison de porter des accusations criminelles contre l’agent et le dossier est clos.


Date : 21 septembre 2022

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Le plaignant a été transporté par ambulance de la scène de l’incident à Hamilton Health Sciences/Hôpital général de Hamilton (HHS/HGH) où son décès a été constaté à 18 h 42. [Retour au texte]
  • 2) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumées ci-après. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.