Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-PCI-132

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Le présent rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 34 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 23 avril 2021, à 17 h 51, la Police provinciale de l’Ontario a avisé l’UES des blessures subies par le plaignant.

Selon la Police provinciale, le 12 avril 2021, des agents de la Police provinciale ont été dépêchés sur les lieux d’une dispute familiale qui avait éclaté chez le plaignant, à Wasaga Beach. Lorsque le premier agent de police [on sait maintenant qu’il s’agissait de l’agent impliqué (AI) no 1] est arrivé, le plaignant l’a rencontré à l’extérieur avec une épée [on sait maintenant qu’il s’agissait d’une réplique décorative d’une épée samouraï de 75 centimètres de long] et un bâton de baseball dans les mains. Une arme à impulsions a été déchargée et le plaignant est tombé au sol. Ce faisant, il s’est cogné la tête sur une dalle de pavage imbriquée. La mère du plaignant [la témoin civile (TC) no 1] a été témoin de l’incident. Le plaignant a été appréhendé en vertu de la Loi sur la santé mentale (LSM) et admis à l’hôpital.

Le 23 avril 2021, la TC no 1 a signalé à la Direction des normes professionnelles de la Police provinciale que son fils avait fait une hémorragie cérébrale et subi une fracture du crâne.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 26 avril 2021 à 9 h 36

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 26 avril 2021 à 12 h

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4
Nombre d’enquêteurs spécialistes des
sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (« plaignant ») :

Homme de 34 ans, a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 26 avril 2021.

Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à des entrevues entre le 27 avril 2021 et le 21 juin 2021.

Agents impliqués

AI no 1 A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

L’AI no 1 A participé à une entrevue le 1er juin 2021.

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 N’a pas participé à une entrevue [1]
AT no 6 A participé à une entrevue
 
Les agents témoins ont participé à des entrevues le 3 mai 2021 et le 4 mai 2021.
 

Délai d’enquête

L’enquête a pris un certain temps, car il a fallu attendre l’opinion d’un expert médical et les données provenant de l’arme à impulsions de l’AI no 2. Les données de l’arme à impulsions ont initialement été demandées à la Police provinciale le 18 août 2021. Cependant, la Police provinciale a le jour même fourni à l’UES les données provenant de l’arme à impulsions d’un autre agent. L’UES a déterminé que les données ne provenaient pas de l’arme à impulsions de l’AI no 2 et a donc soumis une nouvelle demande, le 5 mai 2022, pour obtenir les données provenant de l’arme à impulsions de l’AI no 2. La Police provinciale a fourni les données de l’arme à impulsions de l’AI no 2 le 24 mai 2022.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit devant l’entrée d’une maison unifamiliale à demi-niveaux située à Wasaga Beach. La maison était dotée d’une allée pavée et d’un garage double. Devant les portes d’entrée doubles de la résidence, il y avait une zone surélevée dans un vestibule fermé. Les portes d’entrée s’ouvraient sur un palier/vestibule avec une porte, à la gauche, menant à une bibliothèque et à un garde-robe.

Une porte à droite menait à une buanderie. De l’autre côté du palier/vestibule, il y avait, à droite, des escaliers menant à l’étage supérieur et, à gauche, des escaliers menant au sous-sol. Il y avait un tapis de couloir devant la porte d’entrée.

À 8,5 mètres du côté ouest de l’allée, il y avait une tache sur la chaussée.

Une étiquette AFID (Anti-Felon Identification) a été retrouvée et récupérée sur le bord du trottoir/de l’allée, près de la marche d’entrée.

Éléments de preuve matériels

Image no 1 — Le sabre de style samouraï

Éléments de preuves médicolégaux

Données provenant de l’arme à impulsions

Le rapport des données provenant de l’arme à impulsions utilisée par l’AI no 1 a confirmé que la détente de l’arme a été activée à une reprise le 12 avril 2021, à 12 h 50 min 37 s [2], pendant cinq secondes. Deux sondes ont atteint le plaignant à l’avant du corps.

Le 24 mai 2022, la Police provinciale a fourni les données provenant de l’arme à impulsions de l’AI no 2. Ces données ont confirmé qu’il n’avait pas déchargé son arme à impulsions pendant l’incident.

Preuves d’expert

L’UES a demandé au Service de médecine légale de l’Ontario (SMLO) de fournir une opinion d’expert quant à la façon dont le plaignant aurait pu avoir subi les deux traumatismes crâniens fermés signalés. Le 15 février 2022, le SMLO a fourni son opinion sous forme de lettre adressée à l’UES. Selon l’auteur de la lettre :

[Traduction]
J’ai dénoté au moins trois types de traumatismes crâniens découlant probablement de différents mécanismes, notamment :

a. Impact sur le côté droit de la tête, sur l’os mastoïde/temporal droit, ayant causé une fracture non déplacée ainsi qu’une hémorragie dans les cellules mastoïdiennes et le conduit auditif externe droit. Le gaz détecté par tomodensitogramme dans l’os tapissant le segment jugulaire du sinus latéral droit et l’articulation temporo-mandibulaire pourrait être dû à une extension de cette fracture à travers l’os temporal. L’AI no 1 a indiqué qu’il avait vu du sang provenant de l’oreille droite peu après la décharge de l’arme à impulsions et la chute près de l’entrée. Si cette observation est exacte, alors une chute contre un mur de briques ou le sol en béton/brique d’un portique au cours de la chute pourrait certainement expliquer cette blessure. Une blessure de cette nature n’est pas courante après une chute contre un mur ou au sol depuis une position debout sans support, mais aucun aspect de ce mécanisme particulier ne permet d’exclure la possibilité que ce mécanisme ait mené aux blessures détectées. Il faut donc considérer ce mécanisme comme la cause la plus probable de cette blessure.

b. Les lésions contusionnelles du lobe frontal inférieur et du lobe temporal (privilégiées sur le premier tomodensitogramme) qui, avec le temps, se sont transformées en hémorragies intraparenchymateuses (comme on peut le voir sur les tomodensitogrammes ultérieurs), constituent probablement une transformation hémorragique de la lésion contusionnelle de contrecoup. Celles-ci étaient associées à des hémorragies sous-arachnoïdiennes et subdurales fines sur la convexité temporale. Une blessure contusionnelle de contrecoup viendrait étayer l’affirmation selon laquelle le blessé aurait subi un impact à l’arrière de la tête et aurait fait une chute ou aurait été mis au sol et se serait frappé l’arrière de la tête. Certains témoignages laissent effectivement entendre que ce mécanisme de blessure sur la chaussée a possiblement eu lieu.

Il est théoriquement possible que cette blessure contusionnelle de contrecoup sur le côté gauche du cerveau se soit produite au moment où une force contondante a été appliquée sur le côté droit de la tête (c’est-à-dire dans le portique, devant la porte d’entrée) et ait entraîné une fracture de l’os temporal droit. Il convient toutefois de noter que la blessure contusionnelle de contrecoup se produit habituellement à la suite d’un impact contondant à l’arrière de la tête, mais on ne peut exclure une autre explication.

c. Différentes blessures contondantes dues à un impact entraînant des blessures mineures sur le plan clinique ont été observées sur le visage (blessure latérale gauche de cicatrisation de la tête, saignement de la narine gauche, blessures quelconques sur le visage indiquées dans le dossier médical). Celles-ci se sont très probablement produites pendant que le blessé était sur la chaussée, bien que l’on ne puisse exclure la possibilité que certaines de ces blessures aient pu se produire après la chute due à la décharge de l’arme à impulsions près de la porte de la maison. Il n’est pas possible de déterminer le mécanisme précis de la blessure (p. ex., choc ou frottement contre le sol) en se fondant uniquement sur l’aspect clinique des blessures, mais il est possible de faire des déductions assez justes en se fondant sur les récits des témoins oculaires.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [3]

Enregistrements de communications audio de la Police provinciale

Appel au 911

Le 12 avril 2021, à 12 h 36 min 59 s, la TC no 1 a appelé au 911 et a signalé que son fils, le plaignant, ne voulait pas sortir de leur maison. Elle a indiqué que le plaignant était très agressif et a déclaré plus tard : [Traduction [4]] « Il est fou ». Pendant l’appel, on entend le plaignant crier en arrière-plan et affirmer que sa mère, la TC no 1, l’avait injurié toute la journée. La TC no 1 a demandé à plusieurs reprises au plaignant de sortir, ce à quoi il a répondu : « C’est toi qui fais ça, nom d’un chien », puis on l’entend parler d’un sac mortuaire et la traiter de « morceau de merde ». Le plaignant s’est rendu compte que la TC no 1 avait téléphoné à la Police provinciale et a crié à la Police provinciale de lui apporter son argent. Puis il a dit : « Voilà ce que tu me fait ». On entend la TC no 1 et le plaignant se disputer et le plaignant dire : « C’est très drôle ça. Tu me terrorises [sic] c’est très drôle ».

La téléphoniste du 911 a indiqué à la TC no 1 qu’elle allait parler au plaignant et la TC no 1 a passé le téléphone au plaignant. Initialement, le plaignant a affirmé qu’il en avait assez de l’agressivité de sa mère et que, toute la nuit, elle avait provoqué une « querelle de ménage ». Il a affirmé qu’il l’avait suppliée d’arrêter et que la TC no 1 avait touché quelque chose qui aurait pu l’électrocuter ou la tuer.

Le plaignant a ensuite porté son attention sur la téléphoniste de la Police provinciale et sur ce qu’il pensait de la Police provinciale. Il a qualifié la Police provinciale de corrompue et a déclaré que la Police provinciale avait commis des infractions criminelles à son endroit. Le plaignant a affirmé qu’il avait été aspergé d’un produit répulsif pour les ours et que la Police provinciale n’avait rien fait.

Le plaignant a également affirmé que sa mère et lui avaient été victimes de discrimination et qu’on leur avait dit de retourner dans leur pays. Le plaignant a déclaré que la Police provinciale n’était pas la bienvenue chez lui, mais les a invités à « se pointer chez lui ». Le plaignant a fait ou décrit plusieurs menaces, notamment qu’il allait lentement introduire un Smith et Wesson dans la poitrine d’un agent de police. Il a parlé d’armes qu’il pourrait utiliser pour se défendre, mais n’a pas voulu dire s’il avait ou non une arme à feu, malgré les multiples tentatives de la téléphoniste de tirer cette question au clair. Il a crié : « C’est ma propriété et si vous venez ici, je vous ferai tous tomber ». Il a demandé : « Vous avez compris? » et il a demandé à la téléphoniste de le lui répéter. La téléphoniste lui a demandé à de nombreuses reprises s’il était dans la maison, ce à quoi le plaignant a répondu : « Absolument ».

Le plaignant a continué à crier et on peut entendre un chien aboyer en arrière-plan. Le plaignant a crié : « Foutez le camp de chez moi immédiatement! Foutez le camp tout de suite! » et « Foutez le camp! » L’AI no 1 venait probablement d’arriver. Le plaignant a alors déclaré : « Vous êtes entré dans ma putain de maison! » Il a ajouté quelque chose d’indiscernable. On entend la décharge d’une arme à impulsions, suivie d’un « Ahh! » et d’autres sons indiscernables. Un homme [on sait maintenant qu’il s’agissait de l’AI no 1] a crié : « Mettez vos mains derrière votre dos, maintenant! » On entend la TC no 1 crier : « Ne lui tirez pas dessus! », puis l’appel au 911 prend fin.
 

Communications radio

Les communications radio n’avaient aucune valeur probante pour l’enquête sur les blessures du plaignant, mais ont fourni à l’UES de l’information sur les agents de police et l’ambulance qui ont été dépêchés.

Documents obtenus du service de police

L’UES a obtenu et examiné les éléments et documents suivants que lui a remis le Détachement d’Huronia Ouest de la Police provinciale :
  • Rapport d’arrestation rédigé par l’AI no 1
  • Rapport du système de répartition assistée par ordinateur
  • Données provenant des armes à impulsions des AI
  • Enregistrements des communications audio
  • Notes de l’AI no 1, de l’AT no 1, de l’AT no 2, de l’AT no 3, de l’AT no 4 et de l’AT no 5
  • Rapports d’incident
  • Formulaire de la Police provinciale sur le téléchargement des données provenant des armes à impulsions
  • Historique des incidents avec la Police provinciale
  • Rapports de la Police provinciale sur les effets personnels
  • Photos prises par l’agent de la police technique
  • Photos des lieux prises et annotées par l’AI no 1
  • Rapports supplémentaires rédigés par l’AI no 1 et l’AT no 6
  • Registres de formation pour les AI

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments et documents suivants que lui ont remis d’autres sources :
  • Schéma des lieux préparé par le TC no 4
  • Dossier médical du plaignant en lien avec l’incident
  • Photos prises par le plaignant de ses blessures aux tissus mous en voie de guérison
  • Opinion d’expert du Service de médecine légale de l’Ontario datée du 15 février 2022

Description de l’incident

Le scénario suivant se dégage du poids de la preuve recueillie par l’UES, laquelle comprenait des entrevues avec le plaignant, l’AI no 1 et plusieurs témoins civils. Comme la loi l’y autorise, l’AI no 2 a choisi de ne pas participer à une entrevue avec l’UES.

L’AI no 1 a été dépêché dans une résidence située dans le secteur de la 45e Rue Sud et de Knox Road West, à Wasaga Beach, en début d’après-midi. Il est arrivé sur les lieux vers 12 h 45. La mère du plaignant, la TC no 1, avait téléphoné au 911 pour signaler que son fils se comportait de manière agressive et qu’elle voulait qu’il quitte la maison. La téléphoniste du 911 les a entendus se disputer. À un moment donné, le plaignant a pris le téléphone des mains de sa mère et a parlé à la téléphoniste. Il s’est épanché sur les griefs qu’il avait contre sa mère et la police, et a menacé d’utiliser une arme à feu contre tout agent qui se présenterait chez lui. Lorsque l’AI no 1 est arrivé, la porte de la maison était fermée, mais il a entendu des cris à l’intérieur et il a donc décidé d’entrer dans la maison.

Le plaignant était au sous-sol lorsqu’il s’est rendu compte que l’agent était dans le hall d’entrée avant de la maison. Avec une petite épée de type samouraï dans sa main droite et un bâton souvenir miniature en bois dans sa main gauche, le plaignant a monté l’escalier menant directement au hall d’entrée et a affronté l’agent.

Lorsqu’il a vu le plaignant s’avancer, l’AI no 1 a reculé par la porte et l’a refermée derrière lui. Il avait reculé de plusieurs mètres lorsque le plaignant a ouvert la porte, tenant toujours l’épée et le bâton dans ses mains. Craignant pour sa sécurité personnelle, l’AI no 1 a déchargé son arme à impulsions une fois en direction du plaignant, entraînant la paralysie neuromusculaire du plaignant.

Son corps s’est raidi et il est tombé par la porte sur le patio en béton à l’extérieur.

Avec l’aide de l’AI no 2, qui venait d’arriver sur les lieux, l’AI no 1 a tiré le plaignant depuis le patio surélevé jusqu’à l’allée en pierre afin de lui passer les menottes derrière le dos. Les agents ont ensuite tiré le plaignant, qui était inerte, dans l’entrée pour l’amener jusqu’au côté passager arrière du véhicule de police de l’AI no 1. L’agent avait stationné son véhicule juste à l’ouest de l’entrée, face à l’est, sur le côté nord de la route.

Le plaignant a résisté lorsque les agents ont tenté de le placer sur la banquette arrière du côté passager. C’est à ce moment que l’AI no 1 a décidé de mettre le plaignant au sol. Ce faisant, l’arrière de la tête du plaignant a frappé la chaussée. Le plaignant a continué à se débattre au sol, tentant de se relever, et les agents ont lutté avec lui pour l’en empêcher.

Les ambulanciers paramédicaux sont arrivés sur les lieux et ont transporté le plaignant à l’hôpital où on lui a diagnostiqué deux traumatismes crâniens fermés. L’expert médical qui a fourni une opinion pour l’enquête a décrit ces blessures comme suit : une fracture non déplacée de l’os mastoïde/temporal droit; et une lésion contusionnelle de contrecoup au cerveau sur le côté gauche.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Article 34 du Code criminel — Défense de la personne — emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :

(a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne; 
(b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force;
(c) agit de façon raisonnable dans les circonstances.

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :

a) la nature de la force ou de la menace;
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel;
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident;
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser 
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause;
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause;
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force; 
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime.

Analyse et décision du directeur

Le 12 août 2021, le plaignant a été grièvement blessé lors de son arrestation par deux agents de la Police provinciale de l’Ontario à Wasaga Beach. Les agents de la Police provinciale qui ont participé à l’arrestation, l’AI no 1 et l’AI no 2, ont été identifiés comme étant les agents impliqués aux fins de l’enquête de l’UES. L’enquête est maintenant terminée. D’après mon évaluation de la preuve, il n’y a aucun motif raisonnable de conclure que l’un ou l’autre des agents impliqués a commis une infraction criminelle en lien avec les blessures subies par le plaignant.

Comme le prévoit l’article 34 du Code criminel, la force utilisée dans le but de se défendre ou de se protéger — ou de défendre ou de protéger une autre personne — contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force, est justifiée si la force utilisée était raisonnable. Le caractère raisonnable de la force doit être évalué à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, y compris des facteurs tels que : la nature de la force ou de la menace; la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel; la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme; et la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force. À mon avis, l’utilisation de l’arme à impulsions par l’AI no 1 s’inscrit dans la portée de la protection prescrite par l’article 34.

L’AI no 1 exerçait ses fonctions de façon légitime lorsqu’il s’est retrouvé face à face avec le plaignant avant qu’il décharge son arme à impulsions. La TC no 1, qui s’inquiétait du comportement agressif de son fils, avait demandé que la police se rende chez elle. Dans les circonstances, je suis convaincu que l’AI no 1 avait des motifs légitimes de pénétrer dans la maison, conformément aux règles de common law énoncées dans l’arrêt R. c. Godoy, [1999] 1 RCS 311 — il avait entendu des cris à l’intérieur de la maison et avait décidé, à juste titre, qu’il devait entrer immédiatement pour assurer la sécurité de la TC no 1.

Je suis également convaincu que l’agent était fondé à utiliser son arme à impulsions pour parer à une attaque réellement et raisonnablement appréhendée. Il ne fait aucun doute que le plaignant était furieux que l’AI no 1 soit entré chez lui et qu’il l’a affronté avec une épée et un bâton en main. Bien que ces objets étaient probablement de nature plus cérémonielle ou décorative que réelle, l’AI no 1 n’a eu que quelques secondes pour réagir et on peut lui pardonner de s’être trompé sur la gravité de la menace. De plus, il serait faux de dire que ces objets ne présentaient aucune menace. Au contraire, le plaignant prévoyait de s’en servir comme des armes et je suis convaincu qu’elles auraient pu infliger des blessures. Au vu de ce qui précède, je ne peux raisonnablement conclure que l’AI no 1 a agi avec excès lorsqu’il a tenté de neutraliser le plaignant à distance au moyen de son arme à impulsions. l’arme à impulsions a effectivement eu l’effet escompté — le plaignant a lâché ses armes et a immédiatement stoppé son avancée sur l’agent.

Ce qui est moins clair, c’est la question de savoir si la mise au sol à côté du véhicule de police constituait une utilisation justifiée de la force. Cela ne tombait certainement pas dans le champ d’application de l’article 34 du Code criminel, car les mains du plaignant étaient menottées à ce moment-là et il ne représentait pas une menace sérieuse pour l’AI no 1 ou l’AI no 2. La disposition sur laquelle je dois appuyer mon analyse est plutôt le paragraphe 25(1) du Code criminel, lequel prévoit que les agents de police sont à l’abri de toute responsabilité criminelle s’ils doivent recourir à la force dans l’exercice de leurs fonctions, pourvu que cette force soit raisonnablement nécessaire à l’exécution d’un acte qu’ils étaient tenus ou autorisés à accomplir en vertu de la loi.

Au moment où le plaignant a été mis au sol, il était sous la garde légale de la police. Il s’était approché d’un agent, armes en main, et s’était comporté d’une façon qui pouvait effectivement être interprétée comme une attaque, ce qui le rendait passible d’arrestation. Après l’avoir arrêté, l’AI no 1 et l’AI no 2 étaient fondés à exercer un contrôle sur les mouvements du plaignant pour assurer sa sécurité ainsi que la leur.

La preuve démontre que le plaignant a résisté aux efforts des agents pour le placer dans le véhicule. À mon avis, cela autorisait les agents à recourir à une certaine force. La décision de le mettre au sol ne semble pas déraisonnable dans ces circonstances. Comme l’a expliqué l’AI no 1, les agents pouvaient s’attendre, après l’avoir mis au sol, à mieux maîtriser toute autre tentative de lutte de la part du plaignant pendant qu’ils attendaient les ambulanciers paramédicaux. C’est la façon dont la mise au sol a été exécutée qui soulève des motifs de préoccupation.

Certains témoins oculaires ont exprimé des réserves quant à la force utilisée à l’endroit du plaignant sur le côté du véhicule de police. Cependant, les témoins oculaires ont fourni différentes descriptions de la force observée. Selon le témoignage le plus convaincant, la tête du plaignant aurait frappé le sol violemment lorsqu’il a été mis au sol.

L’AI no 1 a cependant déclaré qu’il avait mis le plaignant au sol de manière contrôlée, en le tirant simplement vers le bas. Sa tête a peut-être heurté le sol, mais il ne se serait pas agi d’un impact violent. L’agent a également nié que lui ou l’AI no 2 avaient balayé les pieds du plaignant sous lui afin de le mettre au sol.

En dernière analyse, je ne suis pas du tout convaincu que la preuve sur ce point est suffisamment convaincante pour soumettre cette affaire à un juge des faits. Autrement dit, étant donné les divergences dans les déclarations des témoins, y compris celles des témoins civils, je suis incapable de déterminer ce qui s’est passé avec suffisamment de certitude. Outre les divergences dans les récits des témoins, la preuve médicale est également ambiguë. En d’autres termes, selon la preuve médicale, il est possible que la blessure contusionnelle de contrecoup au cerveau soit le résultat d’un impact contondant à l’arrière de la tête (vraisemblablement, pendant la mise au sol) ou d’une force contondante sur le côté droit de la tête (vraisemblablement, lorsque le plaignant est tombé au sol après la décharge de l’arme à impulsions). Il n’est pas non plus manifeste que la mise au sol qui a mené le plaignant à se frapper la tête était nécessairement excessive. Bien que les récits des événements semblent indiquer que l’AI no 1 (et peut-être l’AI no 2) aurait dû faire preuve d’une plus grande prudence lorsqu’il a forcé le plaignant au sol, la loi reconnaît que la force employée ne peut être mesurée de façon exacte et en tient compte. La loi n’exige pas que l’agent mesure sa force de réaction avec exactitude; la loi requiert plutôt une réaction raisonnable, pas une réaction parfaite. Si l’AI no 1 était somme toute fondé à mettre le plaignant au sol, et je suis convaincu que cela était le cas, il serait difficile d’établir, à moins d’avoir des preuves plus convaincantes, que la façon dont l’agent a exécuté la tactique était si excessive qu’elle a dépassé la limite de ce qui était raisonnable.

Pour les motifs qui précèdent, bien que j’accepte que le plaignant a subi ses blessures durant son interaction avec l’AI no 1 et l’AI no 2, je n’ai pas de motifs raisonnables de croire qu’elles découlent d’une conduite illégale de la part de l’un ou l’autre des agents. Il n’y a donc pas lieu de porter des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.


Date : Le 7 juin 2022

Approuvé électroniquement par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) L’AT no 5 ne s’est pas rendu sur les lieux et n’est pas intervenu dans cet incident. Il est mentionné parce qu’il était l’agent de secteur. Cependant, il n’avait aucune note au sujet de l’incident. [Retour au texte]
  • 2) L’heure provient de l’horloge interne de l’arme, qui n’est pas nécessairement synchronisée à l’heure réelle. [Retour au texte]
  • 3) Les documents suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués, comme le prévoit le paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les principaux éléments des documents sont résumés ci-dessous [Retour au texte]
  • 4) NdT: Tous les dialogues sont des traductions. [Retour au texte]

Note:

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