Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-PCI-343

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 40 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 octobre 2021, à 8 h 16 [1] du matin, la Police provinciale de l’Ontario a avisé l’UES d’une blessure subie par le plaignant.

Selon le rapport de la Police provinciale, le plaignant avait été arrêté pour voies de fait conjugales le 12 octobre 2021, à 11 h 22, à une résidence de Kenora. Au détachement, le plaignant a craché sur des agents et a été plaqué à terre. Les agents ont également utilisé des techniques à mains nues lors du placage à terre. Le plaignant continué de cracher sur les agents jusqu’à ce qu’on le place en cellule.

Le plaignant s’est par la suite plaint de douleurs aux côtes et a été conduit à l’Hôpital du district du lac des Bois (« l’hôpital »). L’hôpital n’a confirmé la blessure que tard dans la soirée du 13 octobre 2021.

Le plaignant allait être détenu à la prison du district de Kenora, au 1430 River Drive, en attendant son enquête sur le cautionnement.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 14 octobre 2021 à 10 h 23

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 14 octobre 2021 à 11 h 02

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 0

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 40 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 18 octobre 2021.

Agent impliqué (AI)

AI A participé à une entrevue, mais n’a pas consenti à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 2 mars 2022.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 3 novembre 2021 et le 31 janvier 2022.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit au détachement de Kenora de la Police provinciale situé sur Highway 17. L’interaction entre le plaignant et les agents de police a eu lieu dans le stationnement sécurisé du poste. Communément connu sous le nom d’entrée sécurisée, le garage de stationnement permet d’accéder directement au bloc cellulaire du détachement.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [2]

Vidéos du détachement de la Police provinciale

La Police provinciale a remis à l’UES des séquences vidéo concernant l’incident impliquant le plaignant. Les vidéos n’avaient pas de fonction audio. Les heures utilisées dans le résumé qui suit sont tirées de l’horodatage de ces vidéos.

Caméra – Entrée sécurisée

À 23 h 55 min 4 s, un véhicule de patrouille de la Police provinciale arrive dans l’entrée sécurisée.

À 23 h 55 min 52 s, l’AT no 4 et l’AT no 3 sortent du véhicule; l’AI entre à pied.

À 23 h 57 min 27 s, l’AT no 3 ouvre la portière arrière, côté passager, du véhicule. Le plaignant sort du véhicule et crache directement au visage de l’AT no 4.

À 23 h 57 min 32 s, le plaignant est plaqué à terre par l’AT no 3 et l’AI, qui donnent chacun un coup de poing à la tête du plaignant. Le plaignant est assis, le torse plié en avant. L’AT no 3 est à genoux devant le plaignant et lui maintient la tête et les épaules avec ses bras.

À 23 h 57 min 38 s, le plaignant est toujours dans la même position assise et l’AT no 3 essaie toujours de lui maîtriser la tête et les épaules. L’AI donne un coup de genou au côté droit du torse du plaignant. Le plaignant et l’AT no 3 continuent de lutter sur le sol. L’AI se déplace vers le côté gauche du plaignant et le frappe de nouveau (peut-être deux fois) avec son genou, cette fois sur le côté gauche du torse.

À 23 h 58 min 31 s, l’AT no 3 et l’AT no 4 traînent le plaignant à travers la porte piétonne de l’entrée sécurisée; l’AI les suit. L’AI donne un coup de pied au plaignant au moment où celui-ci franchit la porte.

Caméra – Corridor

À 23 h 58 min 37 s, l’AT no 3 et l’AT no 4 traînent le plaignant dans le corridor depuis la porte piétonne de l’entrée sécurisée; l’AI les suit.

Caméra – Vestibule

À 23 h 58 min 46 s, l’AT no 3 et l’AT no 4 traînent le plaignant dans une cellule; l’AI les suit.

À 23 h 59 min 54 s, l’AT no 3 ferme la porte de la cellule.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, la Police provinciale a remis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 19 octobre et le 10 décembre 2021 :
  • Rapport de répartition assistée par ordinateur;
  • Enregistrements des communications;
  • Vidéo de la garde par la police;
  • Rapport général;
  • Liste des agents concernés;
  • Rapport d’arrestation;
  • Rapport sur un prisonnier;
  • Enregistrement au détachement de Kenora de la Police provinciale;
  • Notes de l’AT no 5;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes de l’AT no 4.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Dossiers médicaux de l’hôpital concernant le plaignant.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec le plaignant, avec l’AI et avec deux agents présents au moment de l’incident en question. L’enquête a également été facilitée par des vidéos du poste de police qui montrent l’incident.

Le 12 octobre 2021, en fin de soirée, l’AT no 3 et l’AT no 4 ont arrêté le plaignant dans une résidence, à Kenora, pour voies de fait. L’arrestation s’est déroulée sans incident. Les agents ont conduit le plaignant au détachement de Kenora dans leur véhicule de patrouille. En route, le plaignant a proféré des menaces violentes envers les agents.

Dans l’entrée sécurisée du détachement, le plaignant est sorti par la portière arrière droite de la voiture de patrouille, s’est dirigé vers l’AT no 4 et lui a craché au visage. L’AT no 3 et l’AI, qui étaient à côté, sont immédiatement intervenus pour maîtriser le plaignant. Ils ont tous deux asséné des coups de poing droits à la tête du plaignant et l’ont plaqué à terre. L’AT no 4 est sorti de l’entrée sécurisée pour aller se nettoyer le visage.

Le plaignant étant assis par terre, la jambe droite repliée devant lui et la jambe gauche tendue, l’AT no 3 a utilisé ses mains pour lui maintenir la tête vers le bas. Comme le plaignant essayait de relever la tête, l’AI lui a assené un coup du genou droit au côté droit du corps. L’agent est alors passé sur la gauche du plaignant et lui a donné un autre coup de genou (et peut-être deux coups [3]) au torse. Les agents ont alors fait rouler le plaignant sur le côté droit et l’AT no 3 a continué de lui maintenir la tête.

Après une autre brève période de lutte, l’AT no 3, avec l’aide de l’AI et de l’AT no 4 (revenu entre-temps dans l’entrée sécurisée), a traîné le plaignant sur une courte distance jusqu’à la porte piétonne. Alors qu’ils franchissaient le seuil de la porte, l’AI a donné un coup de pied aux fesses du plaignant.

Une fois la porte franchie, le plaignant a été placé en cellule.

Le lendemain matin, comme le plaignant se plaignait de douleurs aux côtes, on l’a conduit à l’hôpital où on lui a diagnostiqué des côtes fracturées des deux côtés du torse.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions
est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a subi des blessures graves pendant qu’il était sous la garde de la Police provinciale à Kenora le 12 octobre 2021. L’AI a été identifié comme étant l’agent impliqué aux fins de l’enquête de l’UES. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec les blessures du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force n’excède pas ce qui est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement d’un acte qui leur est légalement enjoint ou permis de faire.

Sur la base de leur enquête sur les lieux des troubles conjugaux, notamment des renseignements que leur avait communiqué directement la victime présumée, je suis convaincu que l’AT no 3 et l’AT no 4 étaient en droit d’arrêter le plaignant pour voies de fait. Une fois le plaignant sous leur garde légale, les agents avaient également le droit de contrôler ses mouvements pour assurer leur sécurité et celle du plaignant.

Je suis également convaincu que les coups de poing assenés initialement par l’AT no 3 et l’AI, ainsi que les coups de genou et les coups de pied subséquents de l’AI, constituaient une force légalement justifiée. Le plaignant venait d’agresser l’AT no 4 en lui crachant dessus. Cette agression était aggravée par le fait que le plaignant avait auparavant proféré des menaces de violence et affirmé qu’il avait la COVID-19. Dans les circonstances, il était impératif de maîtriser le plaignant immédiatement pour l’empêcher de commettre une nouvelle agression. Dans ce contexte, les coups de poing semblent constituer un usage proportionnel de la force puisqu’ils ont permis de maîtriser le plaignant sans lui infliger de blessures graves. Une fois au sol, le plaignant, bien que menotté sur le devant du corps, a continué de lutter contre les agents qui essayaient de l’empêcher de relever la tête. L’AI craignait, à juste titre à mon avis, que le plaignant crache de nouveau sur les agents s’il parvenait à dégager sa tête de leur emprise, a décidé de lui donner des coups de genou. Ce recours à la force était une tactique raisonnable étant donné la nécessité de maîtriser le plaignant.

Le coup de pied donné par l’AI fait l’objet d’un examen légitime. À ce moment-là, les agents traînaient le plaignant à travers la porte de l’entrée sécurisée vers l’aire des cellules et il était apparemment sous le contrôle de l’AT no 3 et de l’AT no 4. L’AI a dit qu’il avait donné le coup de pied pour distraire le plaignant, qui semblait bouger avec l’intention de frapper les agents avec ses mains. La vidéo n’est pas concluante à cet égard et l’AT no 3 et l’AT no 4 n’ont pas mentionné de tels mouvements de la part du plaignant.

Cela dit, il s’agissait d’une situation dynamique et il se pourrait bien que ces deux agents, leur attention concentrée sur ce qu’ils faisaient, n’aient tout simplement pas remarqué ce que l’AI a vu. Il est également concevable que l’AI se soit trompé sur ce qu’il pensait avoir vu. Quoi qu’il en soit, je n’oublie pas qu’en vertu de la common law, les agents confrontés à des situations volatiles ne sont pas tenus de mesurer leur force avec précision; ce qui est exigé d’eux, c’est une réaction raisonnable. En conséquence, je suis convaincu que le coup de pied reste dans les limites d’une force raisonnable, compte tenu des exigences du moment.

En dernière analyse, bien que j’accepte que les fractures du plaignant soient le résultat de la force utilisée par l’AI, il n’y a pas de motifs raisonnables de croire qu’elles étaient attribuables à une conduite illégale de la part de l’agent. Il n’y a donc aucun motif de porter des accusations criminelles dans cette affaire contre l’AI.


Date : 17 mai 2022

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Toutes les heures sont exprimées en heure de l’Est. [Retour au texte]
  • 2) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumées ci-après. [Retour au texte]
  • 3) La vidéo ne permet pas de déterminer si l’agent a donné un ou deux coups de genou au plaignant sur le côté gauche. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.