Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-OCI-395

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 26 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 19 novembre 2021, à 13 h 42, le Service de police de Belleville (SPB) a avisé l’UES d’une blessure subie par le plaignant. Selon le rapport du SPB, le plaignant a été arrêté le 18 novembre 2021, à 19 h 04, pour des mandats non exécutés et placé sous garde dans les cellules du SPB. Le 19 novembre 2021, à 1 h 40 du matin, le plaignant a été découvert pendu dans sa cellule. On a coupé ce qui le retenait et appelé les Services médicaux d’urgence (SMU).

Les SMU ont transporté le plaignant sous escorte policière à l’Hôpital général de Belleville (HGB) où il a été admis à l’unité de soins intensifs et intubé. Il pourrait avoir subi des lésions cérébrales par manque d’oxygène, mais on ignorait la gravité des autres blessures au moment de la notification.

La cellule était sécurisée pour permettre son examen.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 19 novembre 2021 à 15 h 08

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 19 novembre 2021 à 17 h 50

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 26 ans, n’a pas consenti à participer à une entrevue

Agent impliqué (AI)

AI A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées

L’agent impliqué a participé à une entrevue le 3 décembre 2021.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue le 2 décembre 2021.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit dans une cellule de l’aire de détention du SPB. Des débris de papier étaient éparpillés à l’intérieur et devant la porte de la cellule. Deux couvertures en feuille d’aluminium étaient liées par un nœud et enroulées autour du guichet passe-plat de la porte de la cellule. Un mécanisme permet d’ouvrir et de fermer ce guichet depuis l’extérieur; ce mécanisme fonctionnait correctement.

Éléments de preuve matériels

Le 19 novembre 2021, à 17 h 50, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu au poste du SPT pour examiner l’aire des cellules et prendre des photographies. Dans la cellule du plaignant, l’enquêteur a trouvé deux couvertures en feuille d’aluminium liées par un nœud. Ces couvertures ont été saisies.


Figure 1 – Couvertures en feuille d’aluminium

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Vidéos de l’aire de détention du SPB

Le SPB a fourni à l’UES les vidéos de l’aire de détention le 24 novembre 2021. En voici un résumé des parties pertinentes :

Vidéo de la salle d’enregistrement

  • Le 18 novembre 2021, à 19 h 11 min 40 s, l’AT no 1 et l’AT no 3 escortent le plaignant dans l’aire d’enregistrement du poste de police.
  • Le plaignant est menotté dans le dos. On le place face au mur.
  • On lui retire les menottes et on lui ordonne de garder les mains sur le mur pendant qu’on le fouille.
  • L’AI s’approche du plaignant et lui demande sa date de naissance et son adresse, et s’il a des blessures à signaler.
  • Le plaignant répond aux questions de l’AI et déclare qu’il n’a pas de blessure.
  • L’AI demande au plaignant s’il prend des médicaments. Le plaignant répond par l’affirmative et dit qu’il doit aller chercher un médicament à la pharmacie.
  • L’AI demande au plaignant s’il a des problèmes médicaux et le plaignant répond [traduction] : « Non, pas pour le moment ».
  • L’AI demande au plaignant s’il a déjà essayé de se faire du mal ou s’il a consommé de la drogue. Le plaignant ne répond pas et s’assoit en se tenant la tête.
  • À 19 h 17 min 13 s, le plaignant dit à l’AI qu’il n’a pas son médicament – la trazadone – et qu’il l’a attendu toute la journée.
  • Le plaignant dit à l’AI qu’il faut qu’on le conduise à l’hôpital.
  • L’AI demande au plaignant pourquoi il prend ce médicament et s’il veut parler à un avocat.
  • Le plaignant dit à l’AI qu’il a besoin de parler à un médecin et ajoute [traduction] « Sinon, je vais perdre la boule et ce sera votre faute. »
  • L’AI demande au plaignant quelle pharmacie a ses médicaments.
  • Le plaignant répond « Shoppers Drug Mart », et dit qu’il était censé parler avec Telemed ce matin-là pour obtenir du Suboxone.
  • Le plaignant répète trois fois la même chose, déclarant qu’il a besoin de Suboxone. L’AI l’interrompt et lui dit que son rendez-vous est pour le lendemain. Il ajoute [traduction] « N’essaye pas de nous jouer un tour. »
  • À 19 h 21 min 22 s, l’AI et l’AT no 1 sortent de l’aire d’enregistrement avec le plaignant.

Vidéo du bloc des cellules

  • Le 18 novembre 2021, à 19 h 21 min 27 s, l’AI et l’AT no 1 escortent le plaignant dans une cellule.
  • Le plaignant demande s’il peut avoir quelque chose à manger et l’AI lui répond [traduction] : « Tu vas te comporter correctement si tu veux qu’on te donne quelque chose à manger, par exemple, je ne veux pas t’entendre dire toute la nuit que tu veux aller à l’hôpital. »
  • Le plaignant dit [traduction] : « J’ai vraiment besoin de mes médicaments » et pointe sa tête de sa main gauche.
  • À 0 h 55 min 26 s, l’AI vient à la cellule, parle avec le plaignant puis disparaît du champ de vision de la caméra.
  • À 0 h 57 min 25 s, l’AI arrive devant la cellule, passe une boîte contenant des beignets au plaignant par le guichet, puis disparaît du champ de vision de la caméra.
  • À 1 h 35 min 44 s, l’AI entre dans le couloir des cellules et s’approche de la cellule du plaignant.
  • L’AI ouvre le guichet, essaye de tirer sur la couverture en aluminium et s’éloigne en courant.
  • À 1 h 36 min 34 s, l’AI revient dans le couloir, ouvre la porte de la cellule avec une clé et demande les SMU par radio.
  • Quand l’AI ouvre la porte, le plaignant tombe la tête la première dans le couloir. L’AI tente de le réveiller et l’encourage à respirer.
  • À 1 h 38 min 46 s, quatre agents en uniforme entrent dans le couloir et se tiennent près de la cellule du plaignant.
  • À 1 h 44 min 38 s, les ambulanciers paramédicaux arrivent avec une civière.
  • Les agents les aident à placer le plaignant sur la civière et les ambulanciers paramédicaux lui prodiguent des soins.
  • À 1 h 49 min 34 s, on sort le plaignant de l’aire de détention sur la civière.
Vidéo de la cellule du plaignant

  • À 7 h 21 min 29 s, le plaignant entre dans la cellule.
  • Il demande ses médicaments à plusieurs reprises en pointant sa tête avec les deux index.
  • Le plaignant passe un certain temps à genoux, allongé par terre, assis sur la banquette et allongé sur la banquette.
  • Le 19 novembre 2021, à 0 h 48 min 4 s, le plaignant se lève et frappe à la porte de la cellule.
  • À 0 h 54 min 29 s, le plaignant crie [traduction] : « Qu’est-ce qui se passe avec mes médicaments? »
  • À 0 h 55 min 26 s, l’AI arrive devant la cellule; le plaignant demande à manger.
  • À 0 h 57 min 30 s, on fait passer deux beignets dans une boîte par le guichet. Le plaignant s’assied et les mange.
  • À 1 h 18 min 36 s, le plaignant se lève brusquement, se dirige vers la porte de la cellule, puis soulève et rabat le guichet bruyamment.
  • À 1 h 28 min 8 s, le plaignant dit à travers le guichet [traduction] : « Yo, pourquoi faut-il qu’on se fasse du mal pour attirer votre câlisse d’attention? »
  • À 1 h 28 min 38 s, le plaignant prend les deux couvertures en feuille d’aluminium et les enroule autour du guichet.
  • Le plaignant attache les extrémités pour former une boucle et tire sur les côtés.
  • Le plaignant met son manteau sur sa tête. On ne peut pas voir exactement ce qu’il fait.
  • À 1 h 30, le plaignant tourne le dos à la porte de la cellule et se penche en avant pour retirer sa veste de sa tête.
  • La couverture en aluminium est enroulée autour de son cou et il tousse.
  • Le plaignant glisse par terre et bouge en serrant les poings.
  • À 1 h 33 min 3 s, le plaignant ne bouge plus.
  • À 1 h 35 min 48 s, l’AI ouvre le guichet et essaye de tirer la couverture en aluminium.
  • À 1 h 36 min 14 s, l’AI ouvre la porte de la cellule, coupe le nœud autour du cou du plaignant et demande que les SMU viennent à la cellule.
  • Le plaignant laisse échapper un soupir et tente de respirer. L’AI le relève en position assise et l’encourage à respirer.
  • À 1 h 46 min 5 s, le plaignant est transporté hors de la cellule par l’AI, un autre agent de police et un ambulancier paramédical.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPB a remis à l’UES les éléments et documents suivants entre le 24 novembre 2021 et le 3 décembre 2021 :
  • Vidéos de l’aire de détention du SPB;
  • Rapports d’incident (x 3);
  • Horaire des quarts;
  • Procédure de prise en charge et de contrôle des détenus;
  • Données de connexion à l’ordinateur – l’AI ;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Notes de l’AT no 5;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes de l’AI;
  • Notes de l’AT no 4;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Tableau de service.

Description de l’incident

Le scénario suivant découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec l’AI et avec d’autres agents qui sont intervenus auprès du plaignant pendant sa garde par la police. L’enquête a également bénéficié de vidéos du poste de police qui ont enregistré l’incident.

Dans la soirée du 18 novembre 2021, l’AT no 1 et l’AT no 4 ont arrêté le plaignant dans une résidence de Belleville. Ils avaient été envoyés à cette résidence en réponse à une plainte concernant la présence possible d’une arme sur les lieux. Au cours de leur enquête, les agents ont constaté que le plaignant – un occupant de la résidence – faisait l’objet de mandats d’arrêt non exécutés. Ils l’ont donc placé sous garde. L’arrestation s’est déroulée sans incident.

Au poste de police, le plaignant s’est énervé quand on lui a dit qu’il ne serait pas libéré avant une audience de libération sous caution le lendemain matin. Quand l’agent chargé de l’enregistrement – l’AI – lui a demandé s’il prenait des médicaments, le plaignant a répondu par l’affirmative et a demandé qu’on le libère pour lui permettre de récupérer son ordonnance ou de se rendre à l’hôpital. Il a nié avoir des préoccupations d’ordre médical et n’a rien dit quand l’AI lui a demandé s’il avait déjà essayé de se faire du mal ou consommé de la drogue.

Le plaignant a été placé en cellule vers 19 h 21 par l’AI. Il a répété à l’agent qu’il avait besoin de ses médicaments, tout en pointant du doigt sa tête.

Au cours des cinq heures et demie qui ont suivi, le plaignant a passé du temps allongé par terre ou sur la banquette de la cellule, à genoux et assis. Vers 0 h 50, il s’est levé de la banquette, est allé près de la porte de la cellule et a frappé. Vers 0 h 55, il a demandé en criant ce qui se passait avec ses médicaments. L’AI est venu à la cellule et a parlé avec le plaignant, qui lui a dit qu’il avait faim. Quelques minutes plus tard, l’agent est revenu avec deux beignets, qu’il a fait passer au plaignant par le guichet de la porte de la cellule. Le plaignant s’est assis et a mangé les beignets.

Vers 1 h 18, le plaignant s’est levé de nouveau, s’est approché de la porte de la cellule et a bruyamment soulevé et rabaissé le guichet. Dix minutes plus tard, le plaignant a crié à travers le guichet [traduction] : « Yo, pourquoi faut-il qu’on se fasse du mal pour attirer votre câlisse d’attention? » Le plaignant a alors ramassé les deux couvertures en feuille d’aluminium qui lui avaient été fournies, les a enroulées autour du guichet de la porte de la cellule et a noué leurs extrémités. Il a ensuite mis la ligature autour de son cou et, le dos contre la porte de la cellule, s’est penché en avant puis s’est laissé glisser le long de la porte pour s’assoir. Après avoir toussé, le plaignant a cessé de bouger. Il était alors 1 h 33.

L’AI est arrivé à la cellule du plaignant vers 1 h 35. Il est reparti, puis revenu à 1 h 36, a ouvert la porte de la cellule et a coupé la boucle formée par les couvertures autour du cou du plaignant. L’agent a appelé les SMU et demandé à d’autres agents de venir l’aider. La respiration du plaignant était laborieuse. L’AI l’a assis pour tenter de dégager ses voies respiratoires de toute salive.

À 1 h 46 min, le plaignant a transporté hors de la cellule par les agents et un ambulancier paramédical. Il avait subi une déchirure ligamentaire au cou. On ignore si le plaignant a subi d’autres blessures.

Dispositions législatives pertinentes

L’article 215 du Code criminel – Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :

c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
(i) par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
(ii) de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.

(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, de remplir cette obligation, si :
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne.

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle causant des lésions corporelles

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a subi une blessure grave le 19 novembre 2021 pendant qu’il était sous la garde du SPB. L’agent qui assumait la responsabilité globale des soins aux détenus à ce moment-là été identifié comme étant l’agent impliqué (AI) aux fins de l’enquête subséquente de l’UES. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec la blessure du plaignant.

Les infractions à prendre en considération en l’espèce sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention des articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. Pour la première, la culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les mêmes circonstances. La deuxième est une infraction plus grave de négligence, à savoir les cas qui font preuve d’un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. L’écart par rapport à une norme de diligence raisonnable doit être à la fois marqué et important. En l’espèce, il faut donc déterminer si l’AI a fait preuve d’un manque de diligence qui a contribué à la blessure du plaignant ou a mis sa vie en danger, et si ce manque était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Aucun élément de preuve ne suggère que l’arrestation du plaignant était illégale. Il faisait l’objet de mandats d’arrêt non exécutés pour avoir enfreint les conditions d’une ordonnance de mise en liberté. L’AT no 1 et l’AT no 4 étaient donc en droit de le placer sous garde.

En ce qui concerne la détention du plaignant en cellule, je suis convaincu que l’AI l’a traité avec la diligence et le respect nécessaires pour sa santé et son bien-être. Même si ce n’est qu’environ cinq heures et demie après l’avoir placé en cellule que l’AI a vérifié le plaignant en personne, rien ne permet de contester le témoignage de l’agent selon lequel il vérifiait régulièrement le plaignant sur un écran relié à la caméra de surveillance de la cellule. L’AI n’avait pas non plus de raison particulière de craindre que le plaignant puisse se blesser pendant la majeure partie de son incarcération – le dossier de police du plaignant ne contenait aucun avertissement concernant un tel risque, le plaignant n’avait jamais donné aucune indication à cet effet dans ses rapports antérieurs avec l’AI, et il n’avait pas suggéré qu’il était suicidaire lorsqu’on lui a spécifiquement posé la question durant son enregistrement au poste de police. L’AI a pris au sérieux la demande de médicaments sur ordonnance du plaignant et a agi raisonnablement, à mon avis, en décidant de ne pas récupérer les médicaments. Il avait fait appeler la pharmacie, dont le personnel avait indiqué que le plaignant n’avait pas besoin du médicament ce soir-là. Plus important encore, l’AI a agi rapidement – et ce faisant, a probablement sauvé la vie du plaignant – dès qu’il a remarqué que le plaignant était silencieux et immobile sur le plancher de la cellule, et s’est précipité pour couper le nœud autour du cou du plaignant à 1 h 36, soit environ six minutes après que le plaignant a tenté de se pendre. Par la suite, l’AI a prodigué des soins au plaignant en attendant l’arrivée des ambulanciers paramédicaux.

En dernière analyse, comme je suis convaincu, pour les motifs exposés ci-dessus, que l’AI n’a pas transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel, il n’y a pas de raison de porter des accusations criminelles en l’espèce et le dossier est clos.


Date : 7 mars 2022

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumés ci-après. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.