Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-TCD-374

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  • des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  • les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 62 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 3 novembre 2021, à 15 h 15, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES de ce qui suit.

À 14 h 08, le SPT a reçu un appel téléphonique d’un shérif qui se trouvait dans un appartement de la rue Keele pour expulser le plaignant. Le plaignant a sorti ce qui semblait être une arme à feu. Le shérif s’est éloigné et a appelé le SPT. Des agents de police sont arrivés sur les lieux et ont vu le plaignant saisir puis déposer l’arme à feu. À 14 h 54, le plaignant s’est tiré dessus.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 3 novembre 2021 à 15 h 15

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 3 novembre 2021 à 16 h 58

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 62 ans, décédé

Témoins civils

TC no 1 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)
TC no 2 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)

Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Agents témoins

AT no 1 À participé à une entrevue
AT no 2 À participé à une entrevue
AT no 3 À participé à une entrevue
AT no 4 À participé à une entrevue
AT no 5 À participé à une entrevue
AT no 6 À participé à une entrevue
AT no 7 À participé à une entrevue
AT no 8 À participé à une entrevue
AT no 9 À participé à une entrevue
AT no 10 À participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue les 6 et 7 novembre 2021.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit dans un appartement d’une chambre à coucher situé du côté ouest d’un immeuble de la rue Keele. En entrant dans l’appartement, il y a un placard immédiatement sur la droite, suivi de l’entrée d’une petite cuisine également sur la droite. Un petit couloir mène au salon-salle à manger. À gauche du salon-salle à manger, une porte mène à une chambre et une salle de bain.

Une grande partie du plancher du salon était tachée d’une substance rouge ressemblant à du sang. Il y avait des gouttes de sang ainsi que des flaques et des taches de transfert de couleur rouge. Une chaise pivotante se trouvait contre le mur ouest, près d’une longue table, également couverte de taches rouges ressemblant à du sang.

Un fauteuil bloquait l’entrée de la cuisine dans la salle à manger. Derrière le fauteuil, contre le mur est qui sépare la salle à manger de la cuisine, se trouvait une arme à feu noire avec une poignée blanche. Cette arme était un pistolet Norinco .45 ACP. À droite du fauteuil, près du mur nord de la salle à manger, il y avait une cartouche de calibre .45 usagée.


Figure 1 —Le pistolet Norinco .45 ACP

Une note manuscrite a été trouvée sur la longue table de la salle à manger. La note indiquait ce qui suit [traduction] : « Je n’ai pointé mon arme sur personne. S’il vous plaît, appelez mes amis et faites-leur savoir. »

Schéma des lieux

Éléments de preuve matériels

Voici une liste des pièces recueillies par l’UES au cours de l’enquête.

Article

Description

Type d’article

1

Pistolet Norinco calibre .45

Arme à feu

2

Projectile déformé retiré du défunt

Projectile

3

Jean avec ceinture marron

Vêtements

4

Sous-vêtement bleu

Vêtements

5

Paire de chaussettes

Vêtements

6

T-shirt blanc très taché

Vêtements

7

Chandail bleu taché

Vêtements

8

Jeu de clés de la poche avant droite de l’article 3

Effets personnels

9

Échantillon de sang — ADN

Échantillon biologique


Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Enregistrements des communications de la police

En voici un résumé :
  • Le 3 novembre 2021, à 14 h 07 min 55 s, un shérif appelle le 9-1-1 pour signaler qu’il s’est présenté avec son partenaire à un appartement de la rue Keele pour procéder à une expulsion et que le locataire – le plaignant – a brandi une arme à feu qui avait une tache brune.
  • Le shérif a quitté les lieux et s’est rendu dans un commerce pour appeler la police.
  • À 14 h 09 min 25 s, le répartiteur de la police demande du renfort pour un [appel impliquant une arme à feu] à l’appartement de la rue Keele.
  • On signale que le locataire – le plaignant – a pointé une arme sur le shérif qui tentait de l’expulser du logement.
  • À 14 h 23 min 59 s, l’AT no 10 alerte le répartiteur qu’il a procédé à une vérification sur le plaignant et que les dossiers mentionnent qu’il possède des armes à feu.
  • À 14 h 30, l’AT no 1 demande le GIU (Groupe d’intervention d’urgence). Le plaignant pointe une arme sur lui-même et refuse de sortir de l’appartement.
  • À 14 h 38 min 13 s, l’AT no 3 dit au répartiteur que le plaignant semble calme.
  • À 14 h 40 min 54 s, l’AT no 3 dit au répartiteur que le plaignant a posé brièvement son arme, puis l’a ramassée et l’a mise dans sa poche.
  • À 14 h 52 min 2 s, le répartiteur annonce que le GIU est arrivé.
  • À 14 h 54 min 40 s, une agente de police avise le répartiteur que le plaignant s’est tiré dessus.
  • À 14 h 54 min 56 s, un agent demande que les services médicaux d’urgence (SMU) viennent à l’appartement. Le plaignant s’est tiré dessus.
  • À 14 h 56 min 30 s, l’unité tactique des SMU arrive sur les lieux.
  • À 15 h 08 min 31 s, un agent alerte le répartiteur qu’une intervention médicale d’urgence a commencé.

Communications radio du GIU

  • À 14 h 40 min 41 s, le répartiteur dit au GIU qu’un shérif s’est rendu rue Keele pour signifier une expulsion et que le locataire, le plaignant, a brandi une arme à feu.
  • Il est noté que des agents en uniforme sont sur les lieux et que le plaignant a pointé l’arme sur eux et sur lui-même.
  • À 14 h 54 min 39 s, un agent du GIU dit [traduction] : « Il s’est tiré dessus ».
  • À 14 h 55 min 4 s, un agent du GIU dit que les ambulanciers paramédicaux sont arrivés.
  • À 14 h 55 min 11 s, un agent du GIU dit qu’ils ont trouvé l’arme par terre et que l’homme est dans le fauteuil.


Vidéo de caméras corporelles de la police

Le résumé suivant est une fusion de toutes les images de caméras corporelles en lien avec l’incident.
  • À 14 h 26, à l’immeuble d’appartements de la rue Keele, l’AT no 1, l’AT no 2 et l’AT no 8 montent en ascenseur jusqu’à l’étage du plaignant. L’AT no 4 et l’AT no 10 empruntent l’escalier.
  • À 14 h 27, l’AT no 1, l’AT no 2 et l’AT no 8 approchent de la porte de l’appartement du plaignant. Une botte posée par terre maintient la porte entrouverte de plusieurs centimètres.
  • L’AT no 1 se tient à gauche de la porte et commence à parler au plaignant. Il lui dit qu’il veut s’assurer qu’il n’a pas d’arme à feu. Il demande au plaignant de lui montrer ses mains et essaye de le convaincre de sortir dans le corridor. L’AT no 1 a la main droite sur son pistolet qu’il n’a toutefois pas dégainé.
  • À 14 h 28, le plaignant vient à la porte, l’ouvre, puis retourne dans l’appartement. Il semble se trouver à environ six mètres de la porte.
  • Le plaignant a les mains devant lui, à hauteur de poitrine.
  • L’AT no 1 dit que le plaignant a une arme derrière lui.
  • L’AT no 1 place son pied gauche contre la porte pour essayer de la maintenir ouverte, puis avance dans l’ouverture de la porte. L’AT no 1 n’a pas dégainé son pistolet et il a les mains vides sur le devant de son corps.
  • Le plaignant dit à plusieurs reprises qu’il va mettre fin à ses jours pour de bon.
  • L’AT no 4 avance et se place directement en face de la porte tandis que l’AT no 10 se place directement à droite de la porte. L’AT no 10 a dégainé son pistolet et le tient sur le côté, pointé vers le bas, caché du plaignant. L’AT no 4 a la main posée sur la gaine de son pistolet.
  • Le plaignant déclare qu’il n’a pas l’intention de se servir de son arme contre la police.
  • À 14 h 29, le plaignant ramasse son pistolet derrière lui, de la main droite. Les agents reculent immédiatement et la porte se referme partiellement contre la botte.
  • L’AT no 10 maintient la porte entrouverte de la main gauche.
  • L’AT no 1 s’éloigne et demande au répartiteur d’appeler de nouveau le GIU. Il dit que le plaignant s’est pointé une arme sur lui-même et refuse de sortir de l’appartement.
  • Les agents interagissent avec le plaignant pendant environ six minutes au cours desquelles un rapport s’établit. Le plaignant et l’AT no 1 discutent.
  • À partir de 14 h 33, pendant environ 19 minutes, l’AT no 1 est dans l’embrasure de la porte, les mains vides, et poursuit le dialogue avec le plaignant qui est dans le salon.
  • Le plaignant ne profère aucune menace envers la police et ne pointe à aucun moment son arme en direction des agents.
  • À 14 h 53, trois agents du GIU [vraisemblablement l’AI, l’AT no 5 et l’AT no 9] approchent de l’appartement depuis la droite. D’autres agents du GIU, dont l’AT no 6, les suivent.
  • L’AI a un bouclier qu’il pose dans le corridor. Il pose ensuite sa main sur l’épaule de l’AT no 10 et le fait reculer, après quoi il s’agenouille à droite de la porte et place le bouclier devant lui.
  • À 14 h 54 min 17 s, l’AT no 1 dit [traduction] : « C’est bon ? » et, « D’accord, il a deux pistolets sur la table les gars », ce que quelqu’un répète, « Deux pistolets sur la table. »
  • L’AT no 5 est debout derrière l’AI, un fusil pointé vers l’appartement.
  • À 14 h 54 min 25 s, l’AT no 5 déclare [traduction] : « Il tient un pistolet dans sa putain de main ».
  • À 14 h 54 min 26 s, l’AT no 1 déclare [traduction] : « Il essaie de se tirer dessus. »
  • À 14 h 54 min 28 s, depuis l’intérieur de l’appartement, le plaignant dit [traduction] : « Les gars, reculez. »
  • De 14 h 54 min 30 s à 14 h 54 min 34 s, les agents du GIU crient [traduction] : « Non… non… ne touche pas à cette arme. Lâche le pistolet immédiatement! »
  • À 14 h 54 min 33 s, on peut entendre un coup de feu. Environ une minute s’était écoulée depuis le moment où les agents du GIU étaient arrivés dans le corridor et s’étaient approchés de la porte de l’appartement. Environ 16 secondes s’étaient écoulées depuis le moment où le GIU avait pris la relève de l’AT no 1 pour diriger l’intervention. Au moment où le plaignant s’est tiré dessus, il semble que l’AI était agenouillé à droite de la porte, l’AT no 5 se tenait derrière lui à droite de la porte en pointant un fusil vers l’appartement, et l’AT no 6 et l’AT no 9 étaient à gauche de la porte.
  • À 14 h 54 min 35 s, un agent dit [traduction] : « Oh, il s’est tiré dessus ». Un autre agent dit [traduction] : « Il s’est tiré dessus », suivi de : « Oui, il s’est tué” »

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES examiné les dossiers suivants que lui a remis le SPT :
  • Rapport de détails d’événement du système de répartition assistée par ordinateur;
  • Enregistrements des communications;
  • Vidéos de caméras corporelles;
  • Photographies des lieux;
  • Notes des ATs;
  • Rapport d’incident.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Résultats préliminaires de l’autopsie du Service de médecine légale de l’Ontario.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec des agents qui étaient présents sur les lieux au moment du tir. L’enquête a également bénéficié des vidéos des caméras corporelles portées par certains des agents. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de ses notes, comme c’était son droit.

Le 3 novembre 2021, vers 14 h 10, le SPT a reçu un appel au 9-1-1. La personne qui appelait était un employé du Bureau du shérif du ministère du Procureur général. Il venait de se rendre à un appartement de la rue Keele pour tenter d’en expulser l’occupant – le plaignant. Il s’était enfui lorsque le plaignant avait sorti une arme de poing. Des agents ont été envoyés à l’adresse.

Les agents de la Division 31 du SPT – l’AT no 1, l’AT no 2, l’AT no 4, l’AT no 8 et l’AT no 10 – sont arrivés en premier sur les lieux, vers 14 h 25. L’AT no 1 a ouvert la porte de l’appartement et a commencé à parler avec le plaignant, qui se tenait à une distance de quatre à six mètres à l’ouest du seuil de la porte, avec une arme à feu. Le plaignant a assuré à l’AT no 1 qu’il ne voulait pas de mal aux agents et qu’il avait seulement l’intention de se servir de son arme pour mettre fin à ses jours. Il a invité l’agent à entrer dans l’appartement pour parler. L’AT no 1 a refusé et a demandé au plaignant de sortir de l’appartement. Le plaignant a refusé. L’AT no 1 a demandé par radio qu’on envoie le GIU.

L’impasse s’est poursuivie pendant un certain temps, dans un calme relatif de part et d’autre. Bien que le plaignant ait tenu le pistolet à divers moments (parfois contre sa poitrine) et l’ait placé sur une table voisine et dans la ceinture de son pantalon, les agents qui se tenaient à l’intérieur et autour de la porte n’ont pas dégainé leurs propres armes.

Les agents du GIU ont commencé à arriver à l’étage de l’immeuble du plaignant peu avant 15 h, soit environ une demi-heure après le premier agent en uniforme. Les agents de la Division 31 se sont éloignés légèrement pour laisser les agents du GIU prendre position des deux côtés de la porte de l’appartement. L’AI s’est mis à genoux juste au nord de la porte ouverte, muni d’un bouclier balistique et d’une arme de poing pointée vers l’appartement. L’AT no 5 était debout derrière lui, son fusil pointé sur le plaignant. L’AT no 6 et l’AT no 9 se tenaient de part et d’autre de la porte, chacun prêt avec une carabine C8.

Quelques secondes après l’arrivée du GIU à sa porte, le plaignant a saisi le pistolet sur la table, l’a pointé sur sa poitrine, s’est assis et s’est tiré un coup de feu dans le torse. Les agents du GIU lui avaient crié de laisser tomber l’arme et de ne pas « le faire » dans les instants précédant le coup de feu, en vain. Les agents sont entrés dans l’appartement, ont prodigué les premiers soins au plaignant et ont demandé aux ambulanciers paramédicaux (qui attendaient non loin de là) de les rejoindre.

Le plaignant a été transporté à l’hôpital où son décès a été constaté à 15 h 29.

Cause du décès

Le pathologiste chargé de l’autopsie était d’avis préliminaire que le décès du plaignant était attribuable à un seul coup de feu dans la poitrine.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 et 220 du Code criminel -- Négligence criminelle causant la mort

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé le 3 novembre 2021 des suites d’une blessure par balle qu’il s’était infligée. Comme il interagissait avec des agents du SPT au moment de sa mort et dans les instants qui l’ont précédée, l’UES a été informée de l’incident et a ouvert une enquête. L’agent impliqué (AI) a été identifié. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec le décès du plaignant.

L’infraction à prendre en considération en l’espèce est la négligence criminelle causant la mort, une infraction visée par l’article 220 du Code criminel. Destinée à viser les cas graves de négligence, l’infraction n’est établie que si la conduite reprochée démontre un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. Une simple négligence ne suffit pas à établir la responsabilité; il doit s’agir, entre autres, d’un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les mêmes circonstances. En l’espèce, il faut donc déterminer si les agents qui se sont rendus à l’appartement du plaignant, notamment l’AI, ont fait preuve d’un manque de diligence qui a contribué au décès du plaignant et qui était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

La présence sur les lieux des agents de la Division 31 et du GIU était légitime tout au long de leur interaction avec le plaignant. Le plaignant avait confronté un membre du Bureau du shérif avec une arme à feu qu’il gardait en sa possession et menaçait de s’en servir pour se suicider quand les agents ont commencé à arriver à son appartement. Dans les circonstances, les agents avaient le devoir de faire ce qui était raisonnablement en leur pouvoir pour placer le plaignant sous garde, l’empêcher de se blesser et préserver la sécurité publique.

La décision de déployer le GIU sur les lieux semble raisonnable. Même si l’AT no 1 et les autres agents de la Division 31 étaient parvenus à établir une sorte de rapport avec lui, le plaignant avait toujours un pistolet et demeurait une menace, pour lui-même et pour les autres, tout au long de l’impasse. Les agents du GIU sont spécifiquement formés et équipés pour faire face aux situations de ce genre.

Je suis convaincu que l’AI et les autres agents du GIU se sont comportés sur les lieux avec la diligence et le respect nécessaires pour le bien-être du plaignant pendant la minute ou les deux minutes où ils ont eu affaire à lui. Ils venaient juste de prendre position à côté de la porte pour remplacer les agents en uniforme, quand le plaignant a pris son arme sur la table et s’est tiré dessus. Il semble que la présence du GIU et peut-être le fait que leurs armes à feu étaient visibles aient déclenché l’acte final du plaignant. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas reprocher aux agents du GIU d’avoir dégainé et pointé leurs armes sur le plaignant puisque ce dernier était lui-même en possession d’un pistolet. Les agents faisaient preuve de prudence en se tenant prêts à agir pour se défendre rapidement au besoin. Il ne semble pas non plus qu’il y ait eu à un moment quelconque une possibilité réelle d’empêcher le plaignant de faire ce qu’il a fait compte tenu de la rapidité avec laquelle les événements se sont déroulés après l’arrivée des agents du GIU sur les lieux.

Pour les motifs qui précèdent, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que les agents en cause aient transgressé les limites de diligence prescrites par le droit criminel en lien avec le suicide du plaignant. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire.


Date : 1er mars 2021


Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments de preuve suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales} Les parties importantes de ces éléments de preuve sont résumés ci-après. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.