Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-OFI-293

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  •  des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  •  les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 63 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 6 septembre 2021, à 2 h 02 du matin, le Service de police de Chatham-Kent (SPCK) a signalé ce qui suit.

Le 5 septembre 2021, à 19 h 57, des agents du SPCK se sont rendus à une résidence de Laurentia Drive, à Tilbury, à la suite d’un appel au 9-1-1. Les occupants – le plaignant et son épouse (la TC no 6) – étaient chez eux et ont dit aux agents que l’appel au 9-1-1 avait été fait par erreur. Le plaignant était en état d’ébriété à ce moment-là. Les agents sont repartis.

Plus tard dans la soirée, à 22 h 52, le SPCK a reçu un appel du plaignant disant qu’il allait à l’intersection de Laurentia Drive et de l’avenue Rose avec des armes à feu. Les agents de sont retournés sur les lieux et sont entrés dans la résidence du plaignant. L’agent témoin (AT) no 4 est resté à l’extérieur où il a aperçu le plaignant qui tenait un pied de biche. Son autre main était dissimulée près de sa ceinture. L’agent impliqué (AI), l’AT no 1 et l’AT no 2 sont sortis de la résidence.

Le plaignant a refusé d’obéir à l’ordre de lâcher le pied de biche. L’AT no 2, l’AT no 4 et l’AI ont déployé leurs armes à impulsions. Le plaignant a ensuite retiré un objet de sa ceinture et l’a pointé sur l’AT no 1. L’AI a fait feu avec son pistolet et touché le plaignant à deux reprises. Une troisième balle a touché un véhicule en stationnement.

Les agents ont administré les premiers soins au plaignant jusqu’à l’arrivée des ambulanciers paramédicaux, qui l’ont transporté à l’hôpital Alliance Chatham-Kent pour la santé (ACKS).

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 6 septembre 2021 à 2 h 31

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 6 septembre 2021 à 6 h 13

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 5

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 3

Les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont examiné les lieux, recueilli des pièces à conviction, pris des photographies et déployé une station totale pour établir une cartographie des lieux et des indices matériels.

Les enquêteurs de l’UES ont interrogé des témoins civils et de la police.

Ils ont fait le tour du secteur et obtenu des vidéos de caméras de surveillance de maisons du voisinage.

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 63 ans; n’a pas consenti à participer à une entrevue; ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 N’a pas participé à une entrevue (proche parent)

Les témoins civils ont participé à une entrevue les 6 et le 14 septembre 2021.

Agent impliqué

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué. Ses notes ont été reçues et examinées.


Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 6 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 9 et le 29 septembre 2021.


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est déroulé sur la chaussée, devant la résidence du plaignant sur Laurentia Drive, à Tilbury. Le poteau d’éclairage public était du côté sud.

À l’ouest de l’allée de la maison du plaignant, les enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES ont trouvé quatre étuis de balles de pistolet usagés, deux armes à impulsions (une cartouche tirée par arme) et divers débris d’armes à impulsions ainsi que des vêtements, un pied-de-biche et une perceuse/tournevis à piles. Une empreinte de pas sur la pelouse devant la résidence du plaignant suggérait la position de l’AI lorsqu’il a fait feu.

Un véhicule stationné au bout de l’allée d’une maison voisine, sur Laurentia Drive, avait une marque de balle dans l’aile arrière droite, près du feu arrière. Seuls de petits fragments de cuivre ont été trouvés entre le coffre et l’aile. Ces fragments ont été photographiés, mais laissés en place, car il n’était pas possible de les récupérer sans endommager considérablement le véhicule.

Le pistolet de l’AI – un pistolet semi-automatique Glock modèle 22 de calibre .40 – a été remis à l’UES. Il avait une balle dans la chambre et onze balles dans le chargeur. Les chargeurs de rechange contenaient respectivement 13 et 15 balles.


Figure 1 – L’arme à feu de l’AI.


Figure 2 – Perceuse/tournevis et pied de biche.

Éléments de preuve matériels

Sur Laurentia Drive, l’UES a récupéré les débris de déploiement des armes à impulsions (sondes, fils et portes de cartouche), deux armes à impulsions déchargées, le tee-shirt du plaignant et quatre étuis de balles. L’UES a également saisi une perceuse à main et un pied de biche sur les lieux. Le SPCK a remis la ceinture de service de l’AI, y compris son arme à feu, à l’UES sur les lieux.

Les vêtements du plaignant ont également été récupérés. Son pantalon et son caleçon avaient une déchirure au niveau de la fesse droite. Son tee-shirt avait une déchirure à l’épaule droite. L’arrière de chacune de ses bottes avait une marque apparemment récente. Le bas de la jambe droite du pantalon en denim du plaignant présentait deux déchirures qui étaient vraisemblablement associés aux marques sur ses bottes.
 

Éléments de preuves médicolégaux

Armes à impulsions

D’après les données téléchargées de l’arme à impulsions portant le numéro de série B2900032K (portée par l’AT no 1), la cartouche 1 a été déployée le 5 septembre 2021 à 23 h 20 min 39 s (temps ajusté) pendant cinq secondes, avec un déclenchement supplémentaire de deux secondes à 23 h 20 min 50 s

D’après les données téléchargées de l’arme à impulsions portant le numéro de série X290084Y6 (portée par l’AT no 4), la cartouche 1 a été déployée le 5 septembre 2021 à 23 h 20 min 40 s (temps ajusté) pendant quatre secondes.

D’après les données téléchargées de l’arme à impulsions portant le numéro de série X29009KMF (portée par l’AI), la cartouche 1 a été déployée le 5 septembre 2021 à 23 h 20 min 40 s (temps ajusté) pendant cinq secondes.

L’arme à feu de l’AI

L’arme à feu de l’AI était munie d’une lampe de poche. Elle contenait une balle dans la chambre et onze balles dans le chargeur. Deux chargeurs de rechange contenaient respectivement 13 et 15 balles. L’AI n’a pas consenti à une entrevue avec l’UES, de sorte qu’on ne sait pas comment il chargeait généralement son arme. S’il avait l’habitude de « faire le plein » après avoir chargé 15 balles dans un chargeur de son pistolet, son arme aurait contenu 16 balles, ce qui indiquerait qu’il avait fait feu quatre fois. Toutefois, comme un des chargeurs ne contenait que 13 balles, il semble que l’AI ne chargeait pas son arme toujours de la même façon. Par conséquent, il n’est pas possible de tirer de conclusion en ce qui concerne le nombre de balles normalement chargées dans son arme à feu.

Témoignage d’expert

Soumissions et résultats du Centre des sciences judiciaires (CSJ)

Le 12 octobre 2021, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES s’est rendu à l’hôpital ACKS pour obtenir des éléments de preuve détenus par l’hôpital, en vertu d’un formulaire d’autorisation signé par le plaignant. Deux sacs de pièces à conviction qui avaient été scellés auparavant par un enquêteur de l’UES ont été remis à l’UES. Un de ces sacs contenait une balle récupérée sur le plaignant. L’autre contenait des fioles du sang prélevé lors de son admission à l’hôpital.

Le 13 octobre 2021, les étuis de balles usagés récupérés sur les lieux et l’arme à feu de l’AI ont été remis au CSJ. La veste et le pantalon déchiré du plaignant ont également été soumis au CSJ. Le CSJ a refusé d’accepter la balle et le sang remis par l’hôpital.

Au moment de la rédaction du présent rapport, l’UES n’avait pas encore reçu le rapport du CSJ.


Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [1]

Enregistrements des communications du SPCK

Le 5 septembre 2021, à 22 h 51, un homme [le plaignant] appelle le 9-1-1 et déclare qu’il sera à Rose et Laurentia avec ses armes à feu, puis raccroche. À 22 h 52, le réceptionniste rappelle le numéro de téléphone d’où provenait l’appel, mais le téléphone du plaignant n’accepte pas d’appels de numéros privés.

À 22 h 52, l’AI, l’AT no 2 et l’AT no 1 sont envoyés sur les lieux. On précise à l’AI que l’appel provenait d’une ligne terrestre à une adresse de Laurentia Drive. Les agents conviennent de se retrouver à cet endroit. Une vérification des dossiers de police du plaignant indique qu’aucune arme à feu n’est enregistrée à son nom, mais qu’il a déjà été accusé de voies de fait.

À 23 h 19, l’AI dit qu’ils n’ont rien trouvé dans la maison et qu’ils n’ont pas encore localisé le plaignant. Au même moment, un agent annonce par radio : [traduction] « Nous l’avons dans la rue. »

À 23 h 21, l’AI signale par radio que des coups de feu ont été tirés et il demande une ambulance.

Vidéo de la résidence 1 sur Laurentia Drive

La caméra d’une résidence de Laurentia Drive a enregistré une partie de l’interaction entre le plaignant et les agents de police. L’heure et la date de la vidéo étaient incorrectes. Les détails suivants reflètent le temps écoulé depuis le début vidéo, qui semble correspondre au temps réel.

Première vidéo
À 18 s du début du début de la vidéo, on voit des faisceaux de lampes de poche bouger et éclairer des parties de Laurentia Drive. À 22 s et 23 s, on peut entendre deux grands bruits secs. À 26 s, les agents commencent à ordonner au plaignant de « lâcher ça » et, à 30 s, on peut entendre un son qui ressemble à celui d’une perceuse qu’on met en marche. Au même moment, le faisceau lumineux des lampes de poche dans la rue continue de bouger. À 37 s, on peut entendre quatre coups de feu. Une femme, vraisemblablement la TC no 6, et les policiers crient.

À 7 min 12 s du début de la vidéo, une ambulance entre dans le champ de vision de la caméra.

Deuxième vidéo

À 55 s du début de la vidéo, une personne sort sur Laurentia Drive, suivie d’une autre personne plus à l’est. La première personne, que l’on croit être le plaignant, marche jusqu’au milieu de la rue puis semble retourner devant sa maison. À 1 min 40 s, le plaignant retourne dans la rue, et trois personnes le suivent sur la chaussée. Ces trois personnes sont en position de tir et semblent tenir des lampes de poche (ou des armes à feu ou des armes à impulsions avec une lampe de poche intégrée) allumées.

À 1 min 55 s, on entend trois bruits secs, compatibles avec la décharge d’armes à impulsions. À 1 min 59 s, les agents commencent à crier au plaignant de lâcher ce qu’il tient. À 2 min 3 s, on entend un son qui ressemble à celui d’une perceuse à piles qu’on met en marche, puis, à 2 min 9 s, on entend quatre coups de feu. Les agents s’approchent prudemment du plaignant, tandis qu’on peut entendre la TC no 6 crier que la police a tiré sur son mari. À 2 min 47 s et 2 min 51 s du début de la vidéo, on peut de nouveau entendre ce qui semble le son d’une perceuse qu’on met en marche.

La TC no 6 continue d’appeler son mari et de crier après les agents de police. À 8 min 45 s du début de la vidéo, une ambulance arrive sur les lieux.

Vidéo de la résidence 2 sur Laurentia Drive

Le 5 septembre 2021, à 20 h 04, deux agents de police arrivent devant la résidence du plaignant et vont à la porte d’entrée. La conversion est inintelligible. À 20 h 07, un homme [le plaignant] en tee-shirt entre dans le champ de vision de la caméra, debout dans son allée. Le plaignant nie avoir appelé le 9-1-1. Une femme [la TC no 6] explique aux agents que le plaignant tentait de composer le 4-1-1 mais a fait le 9-1-1par erreur. À 20 h 14, les agents disent au plaignant d’aller se coucher, lui souhaitent une bonne nuit et s’en vont.

À 23 h 18, le plaignant est dans l’allée devant chez lui lorsqu’un agent [l’AT no 4] sort du côté de la maison. Le plaignant dit immédiatement [traduction] : « Ne tire pas sur mes chiens. » L’AT no 4 ordonne au plaignant de retirer les mains de ses poches; le plaignant lui répond à plusieurs reprises « Non ». Le plaignant commence à se diriger vers la chaussée et demande à l’AT no 4 d’éteindre sa lampe. Il dit à l’AT no 4 [traduction] : « Laisse-nous tranquilles. On vous a assez vus. » L’AT no 4 ordonne au plaignant de sortir ses mains de sa poche.

La vidéo n’a pas enregistré le tir sur le plaignant.

À 23 h 27, une ambulance arrive sur les lieux et on peut entendre la TC no 6 crier des injures à un agent qui lui ordonne de retourner chez elle. L’agent met en garde la TC no 6 de ne pas causer de troubles. La TC no 6 lui répond [traduction] : « Vous avez tiré sur mon mari », et dit à l’agent qu’elle a entendu : « Plein d’agents dire de lâcher le fusil. Lâche ça. »

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPCK a remis à l’UES les documents et éléments suivant entre le 9 et le 29 septembre 2021 :
  • Enregistrements des communications;
  • Graphiques d’impulsions pour les trois armes à impulsions déployées ;
  • Fiches de sortie d’armes à impulsions;
  • Dossier de contact du SPCK pour le plaignant ;
  • Chronologie d’événement – Appel au 9-1-1 – 5 septembre 2021;
  • Chronologie d’événement – Appel concernant des armes – 5 septembre 2021;
  • Rapport général – querelle domestique;
  • Rapport général – Armes;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Sommaire de déclaration de l’AT 2;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Sommaire de déclaration de l’AT no 1;
  • Notes de l’AT no 6;
  • Sommaire de déclaration de l’AT no 6;
  • Notes de l’AI;
  • Déclaration écrite de l’AI;
  • Notes de l’AT no 4;
  • Déclaration écrite de l’AT no 4;
  • Photographies du lieu de l’incident;
  • Politique relative au recours à la force.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources :
  • Rapport d’appel d’ambulance;
  • Dossiers médicaux de l’hôpital ACKS;
  • Dossier médical du London Health Sciences Centre;
  • Vidéo du téléphone cellulaire du TC no 1;
  • Vidéo du téléphone cellulaire du TC no 3;
  • Vidéo de la résidence 1 sur Laurentia Drive
  • Vidéo de la résidence 2 sur Laurentia Drive

Description de l’incident

Le scénario suivant se dégage des éléments de preuve recueillis par l’UES, qui comprenaient des entrevues avec des agents et des témoins civils présents au moment de la fusillade ainsi que des vidéos de caméras de sécurité du voisinage qui ont capturé l’incident. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES, comme il en avait le droit. Il a fait une déclaration écrite et autorisé la communication de ses notes.

Vers 22 h 51, le plaignant a appelé le 9-1-1 depuis son domicile, sur Laurentia Drive, à Tilbury. Un premier appel avait été reçu de cette même adresse quelques heures auparavant. Vers 20 h, l’AT no 1 et l’AT no 4 s’étaient présentés à la maison à la suite d’un appel au 9-1-1 interrompu. Les agents avaient alors parlé au plaignant et à son épouse, la TC no 6, tous deux en état d’ébriété, qui leur avaient dit qu’ils avaient avait composé le 9-1-1 par erreur en tentant d’appeler le « 4-1-1 ». Dans le deuxième appel au 9-1-1, le plaignant a dit qu’il serait à « Rose et Laurentia, avec ses fusils » avant de raccrocher sans autre explication. Des agents ont été envoyés pour enquêter.

L’AT no 4 et l’AT no 1 sont retournés dans le secteur, accompagnés cette fois par l’AI et un agent en formation que l’AI encadrait – l’AT no 2. Les agents ont garé leurs véhicules à une certaine distance de la maison et se sont approchés à pied, examinant l’intersection de Laurentia Drive et de l’avenue Rose et les environs à la recherche du plaignant. Ils ont été accueillis par la TC no 6 à la porte de la maison. Elle a dit que le plaignant était probablement au sous-sol et a invité les agents à entrer pour le chercher. L’AI, l’AT no 1 et l’AT no 2 sont entrés dans la maison tandis que l’AT no 4 est resté à l’extérieur. Quelques minutes plus tard, l’AT no 4 a repéré le plaignant dans l’allée devant la maison.

Le plaignant était sorti du garage en tenant un pied de biche dans la main gauche. Quand l’AT no 4 lui a demandé de lâcher le pied de biche, le plaignant a refusé à plusieurs reprises et a avancé dans l’allée en direction de la rue. Il a également refusé d’obéir à l’ordre de retirer la main droite qu’il tenait dans sa veste dont la glissière était ouverte. Craignant que le plaignant ait une arme à feu sur lui, l’AT no 4 a sorti son arme à impulsions et l’a pointée vers le plaignant.

Informés par radio que le plaignant était à l’extérieur, les trois autres agents sont sortis de la maison et ont pris position autour du plaignant. Les agents ont ordonné à plusieurs reprises au plaignant de lâcher le pied-de-biche et de sortir sa main droite de sa veste, mais il a continué de refuser d’obtempérer, tout en marchant lentement vers l’ouest sur Laurentia Drive, suivi des agents. À un endroit juste au nord de l’allée de la maison immédiatement à l’ouest de celle du plaignant, croyant que le plaignant allait sortir une arme à feu dissimulée sous sa veste, l’AT no 4, l’AI et l’AT no 1 ont tous les trois déchargé leurs armes à impulsions en direction du plaignant.

Le plaignant a laissé tomber le pied-de-biche sur la chaussée, mais a confronté les agents tout en sortant sa main droite de sa veste; il tenait un objet, qu’il a pointé en direction des agents et, plus précisément, sur l’AT no 1. L’AI a reculé sur la pelouse de la maison du plaignant. De là, depuis une distance d’au plus 15 mètres environ du plaignant, l’AI a tiré quatre fois avec son arme de poing semi-automatique en direction du plaignant. Il était alors environ 23 h 21.

Le plaignant est tombé sur le côté gauche. Il avait été touché par deux des balles : l’une au triceps droit, l’autre à la fesse droite.

L’AI et l’AT no 1 se sont précipités vers le plaignant et lui ont administré les premiers soins en attendant l’arrivée des ambulanciers paramédicaux. À côté du plaignant sur la chaussée se trouvaient le pied de biche qu’il tenait et un tournevis à piles – l’objet confondu pour une arme à feu – dans la main droite.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
1. f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Analyse et décision du directeur

Le 5 septembre 2021, le plaignant a été grièvement blessé par des coups de feu tirés par un agent du SPCK à Tilbury. Cet agent a été désigné comme agent impliqué (AI) aux fins de l’enquête de l’UES qui a suivi. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec ce tir.

En vertu de l’article 34 du Code criminel, le recours à la force qui constituerait autrement une infraction est justifié lorsqu’il visait à contrecarrer une attaque ou menace d’attaque raisonnablement appréhendée, et que cette force était en soi raisonnable. Il faut évaluer le caractère raisonnable de la force en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et d’autres moyens étaient disponibles pour faire face à l’emploi possible de la force, le fait qu’une partie à l’incident utilisait ou menaçait d’utiliser une arme, ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou la menace d’emploi de la force. Les coups de feu tirés par l’AI sur le plaignant relevaient du recours à la force autorisé en vertu de l’article 34.

Il est important de noter d’emblée que la présence de tous les agents en cause était légale tout au long de l’incident en question. Ils avaient été envoyés sur les lieux à la suite d’un appel du plaignant à la police disant qu’il se trouvait à une intersection de voies publiques près de son domicile et qu’il était armé. Il s’agissait de la deuxième des deux interactions entre la police et le plaignant ce soir-là. Quelques heures auparavant, à la suite d’un appel interrompu au 9-1-1, des agents s’étaient présentés chez le plaignant et l’avaient trouvé en état d’ébriété. Dans les circonstances, les agents avaient de bonnes raisons de prendre au sérieux l’appel concernant les armes à feu et étaient tenus d’enquêter et de prendre les mesures raisonnables qui pourraient être nécessaires pour préserver la sécurité publique.

Bien que l’AI ait choisi de ne pas s’entretenir avec l’UES, comme c’était son droit légal, privant ainsi l’UES de la meilleure preuve concernant son état d’esprit lorsqu’il a fait feu, je suis satisfait, sur la base de sa déclaration écrite et de la preuve circonstancielle qui prévalait à ce moment-là, qu’il croyait honnêtement et raisonnablement qu’il était nécessaire de tirer sur le plaignant pour protéger son collègue – l’AT no 1 – d’une mort imminente. Le plaignant avait confronté les agents avec un pied de biche qu’il refusait de lâcher malgré les ordres répétés des agents. Sa main droite était dissimulée sous sa veste ouverte et il refusait d’obéir aux ordres des agents de la sortir, agissant ainsi dans ce qui aurait raisonnablement été perçu comme une tentative de dissimulation ou d’accès à une arme, possiblement une arme à feu. Ainsi, quand le plaignant a finalement sorti sa main droite de sous sa veste, brandissant un tournevis à piles qui aurait pu raisonnablement être pris pour une arme à feu étant donné qu’il faisait nuit à ce moment-là, j’accepte que l’AI a agi pour contrecarrer ce qu’il considérait légitimement comme présentant un danger de mort réel et imminent pour l’AT no 1.

Je suis également convaincu que l’AI a agi raisonnablement en faisant feu. Battre en retraite ou quitter les lieux n’était pas des options réalistes dans les circonstances. Compte tenu de ce que le plaignant leur avait fait croire aux agents lors de son appel au 9-1-1 et de son comportement sur la chaussée, les agents avaient de bonnes raisons de s’inquiéter pour la sécurité des résidents du secteur si le plaignant n’était pas contrôlé. L’AI n’a pas non plus agi précipitamment en recourant à son arme à feu. Les agents, y compris l’AI, avaient d’abord tenté de persuader verbalement le plaignant de se rendre. Par la suite, croyant que le plaignant était en train de récupérer une arme à feu sous sa veste, l’AI, l’AT no 4 et l’AT no 1 ont déchargé leurs armes à impulsions sur lui. Ce n’est que lorsque les décharges des armes à impulsions n’ont pas suffi à « désarmer » le plaignant, et que le plaignant a pointé ce que l’AI croyait être une arme à feu en direction des agents, que l’AI a fait feu. Bien que l’AI se soit trompé sur la nature de l’objet que tenait le plaignant, cette erreur, j’en suis convaincu, était raisonnable étant donné la situation tendue, les efforts du plaignant pour tromper les agents, par ses propos lors de son appel au 9-1-1 et par ses gestes délibérés sur les lieux, ainsi que la fraction de seconde dont l’AI disposait pour prendre une décision sur la menace à laquelle les agents étaient confrontés. En arrivant à cette conclusion, je note que l’AT no 4 et l’AT no 1, qui étaient dans une position similaire à celle de l’AI, pensaient aussi que le plaignant pointait une arme à feu sur eux lorsque l’AI a fait feu. Enfin, en ce qui concerne le nombre de coups de feu tirés par l’AI, je suis convaincu, pour des motifs raisonnables, que la menace perçue par l’agent n’a pas changé de façon appréciable entre le premier et le dernier coup de feu, compte tenu de la rapidité à laquelle les coups de feu se sont succédé.

En dernière analyse, je ne suis pas en mesure de conclure raisonnablement, sur la base des éléments de preuve, que l’AI a agi sans justification légale lorsqu’il a réagi à une menace raisonnablement perçue de force meurtrière exercée contre un autre agent en recourant à sa propre force meurtrière. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire.


Date : 4 janvier 2022


Approuvé par voie électronique par


Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

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