Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-TCI-186

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  •  des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  •  les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 55 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 17 juin 2021, à 2 h du matin, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES d’une blessure survenue la veille. Selon le SPT, le 16 juin 2021, à 15 h 35, l’agent impliqué (AI) entrait en voiture dans le stationnement à l’arrière du poste de la 31e division lorsqu’un homme a franchi la barrière de sécurité et est entré à pied dans le stationnement. L’AI a interpellé l’homme – identifié plus tard comme étant le plaignant – qui est devenu agressif. L’agent a arrêté le plaignant avec l’aide de l’agent témoin (AT) no 2.

Le plaignant a été escorté dans le poste de la 31e division où il s’est plaint d’une douleur au dos. Il a par la suite été conduit à l’Hôpital général d’Etobicoke. À 0 h 35, le plaignant a reçu un diagnostic de fractures transversales des vertèbres L1 à L4.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 17 juin 2021 à 6 h 55

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 17 juin 2021 à 14 h 21

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 55 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 17 juin 2021.

Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 3 août et le 6 novembre 2021.

Retard dans l’enquête

L’enquête a été initialement ouverte le 17 juin 2021 et le plaignant a été interrogé ce jour-là. Les désignations des agents témoins ont été retardées jusqu’au 29 et 30 juillet 2021.

Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est produit dans le stationnement de la 31e division du SPT, au 40 Norfinch Drive, à Toronto.

Comme cet incident a été signalé plus de 11 heures après qu’il se doit produit, il n’y avait aucune scène à examiner et aucun indice matériel à recueillir.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[1]

L’UES a demandé et reçu des enregistrements numériques des caméras de sécurité du poste de la 31e division et des caméras corporelles portées par deux agents de police en cause dans cet incident.

Sur les vidéos des caméras de sécurité du poste de la 31e division, on peut voir le plaignant franchir à pied la barrière ouverte à 15 h 35, devant une Dodge Journey noire, immédiatement après que l’AT no 1 a ouvert la barrière avec sa carte d’accès.

Malheureusement, le champ de vision d’aucune des caméras installées à l’extérieur du poste ne couvrait l’endroit où l’arrestation a eu lieu. Une caméra près de l’entrée sécurisée a enregistré le plaignant escorté à cet endroit à 15 h 46 min 41 s, après son arrestation.

Les enregistrements de la caméra corporelle de l’AT no 2 débutent une fois le plaignant menotté. On peut entrevoir ce qui semble être des écorchures récentes au-dessus du sourcil droit et au-dessus du genou droit du plaignant. Lorsque la fonction audio de la caméra est activée,[2] l’AI énonce en détail les motifs de l’arrestation du plaignant et les accusations dont il fait l’objet. Lorsqu’il déclare que le plaignant est accusé d’avoir agressé la police et ajoute : « surtout moi »[3], le plaignant rétorque : « Après que tu m’as tapoché? » ce à quoi l’AI répond : « Non. Avant. » L’AI : « Usage de force durant l’arrestation. La blessure à la tête est probablement due à l’arrestation. Je ne l’avais pas remarqué avant. Celle à son genou résulte sans aucun doute de l’arrestation ». Il ajoute : « Plusieurs coups au rein. Il dit qu’il n’a aucune douleur à cet endroit pour le moment, mais il pourrait en ressentir. Pendant l’arrestation, on lui a donné plusieurs coups de poing dans le dos pour pouvoir le menotter. »

En parlant avec les policiers, le plaignant dit à l’un d’eux qu’il a été arrêté alors qu’il « ne faisait que traverser le stationnement à vélo ».[4] Lorsque l’AT no 2 dit au plaignant qu’il est entré à pied et lui fait remarquer que la bicyclette en vue est la sienne (l’AT no 2), le plaignant semble surpris et dit : « Je suis entré à pied? Où est mon vélo alors? Ah merde les gars, sérieusement? »

Lorsque l’AT no 2 dit au plaignant qu’il aurait dû s’en aller quand on lui a demandé de le faire, le plaignant rétorque : « Vous êtes quoi, un militaire? » Lorsque le plaignant demande une ambulance, l’AT no 2 lui demande son âge. Le plaignant répond qu’il a 60 ans.[5]

Éléments obtenus auprès du service de police

L’UES examiné les dossiers suivants que lui a remis le SPT :
  • Rapport de détails d’événement du système de répartition assistée par ordinateur;
  • Enregistrements des communications;
  • Courriel du SPT concernant la liste modifiée des agents en cause;
  • Rapport général d’incident;
  • Notes des ATs;
  • Liste des agents;
  • Résumé de la poursuite en justice;
  • Vidéos de caméras corporelles de plusieurs agents;
  • Vidéos de caméras de surveillance de la 31e division;
  • Politique et annexes sur le recours à la force du SPT.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a également reçu une copie des dossiers médicaux du plaignant du William Osler Health System (Hôpital général d’Etobicoke).

Description de l’incident

Le scénario suivant se dégage du poids des éléments de preuve, dont des entrevues avec le plaignant et avec des agents qui ont participé à l’arrestation. L’AI n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de ses notes, comme c’était son droit.

Dans l’après-midi du 16 juin 2021, le plaignant est entré à pied dans le stationnement sécurisé de la 31e division au 40, Norfinch Drive, à Toronto. Il l’a fait juste devant un véhicule de police banalisé, dont le conducteur venait d’ouvrir la barrière de sécurité pour entrer dans le stationnement. Le véhicule de police a dépassé le plaignant, s’est arrêté, et le passager avant – l’AI – en est sorti. Lorsque l’agent lui a demandé ce qu’il faisait et l’a averti qu’il commettait une intrusion, le plaignant lui a dit d’aller « se faire foutre », puis a adopté une attitude agressive. Il a repoussé un bras que l’AI avait levé dans sa direction.

Voyant ce qui venait de se produire, le conducteur du véhicule de police, l’AT no 1, s’est précipité vers le plaignant, l’a saisi par le haut du corps et l’a plaqué à terre. L’AT no 1 et l’AI – rejoints peu après par plusieurs autres agents du poste alertés par l’incident – ont lutté avec le plaignant au sol.

Comme le plaignant, à plat ventre sur le sol, refusait de sortir les bras de sous son corps, l’AI lui a asséné plusieurs coups de poing au côté droit. Les agents sont alors parvenus à dégager les bras du plaignant et à le menotter dans le dos.

Après son arrestation, le plaignant a été conduit à l’hôpital où on lui a diagnostiqué des fractures au bas du dos.

Dispositions législatives pertinentes

Paragraphe 25(1) du Code criminel -- Protection des personnes autorisées

25 (1) Quiconque est, par la loi, obligé ou autorisé à faire quoi que ce soit dans l’application ou l’exécution de la loi :
a) soit à titre de particulier
b) soit à titre d’agent de la paix ou de fonctionnaire public
c) soit pour venir en aide à un agent de la paix ou à un fonctionnaire public
d) soit en raison de ses fonctions

est, s’il agit en s’appuyant sur des motifs raisonnables, fondé à accomplir ce qu’il lui est enjoint ou permis de faire et fondé à employer la force nécessaire pour cette fin.

Analyse et décision du directeur

Le 26 juin 2021, le plaignant a subi des blessures graves durant son arrestation par des agents du SPT sur le terrain de la 31e division. L’un des agents qui a procédé à l’arrestation a été désigné comme agent impliqué (AI) aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI ait commis une infraction criminelle en lien avec l’arrestation et les blessures du plaignant.

En vertu du paragraphe 25 (1) du Code criminel, les agents de police sont exonérés de toute responsabilité criminelle lorsqu’ils ont recours à la force dans l’exécution de leurs fonctions, pour autant que cette force est raisonnablement nécessaire à l’accomplissement d’un acte qui leur est légalement enjoint ou permis de faire. Le plaignant est entré sans autorisation dans le terrain de la 31e division, a refusé de partir lorsqu’on le lui a demandé et a agressé l’AI en repoussant le bras qu’il avait tendu en position défensive. De toute évidence, l’arrestation du plaignant était justifiée.

Je suis en outre convaincu qu’il n’y a pas suffisamment de preuves pour conclure raisonnablement que l’AI, ou tout autre agent en cause, a utilisé une force excessive pour placer le plaignant sous garde. La preuve établit que le plaignant a adopté une attitude combative envers l’AI lorsqu’on lui a demandé ce qu’il faisait, puis a commencé à frapper un des bras de l’agent. Dans les circonstances, j’accepte que le placage à terre par l’AT no 1 était une tactique raisonnable puisque cela devait permettre de contrer toute nouvelle agression de la part du plaignant en le plaçant dans une position désavantageuse. Une fois à terre, le plaignant a résisté vigoureusement, et il a finalement fallu la force combinée d’au moins quatre agents pour lui maîtriser les bras. Par conséquent, je ne suis pas raisonnablement convaincu que les coups de poing assénés par l’AI et l’utilisation par l’AT no 1 de son genou pour appuyer dans le dos du plaignant et l’empêcher de se relever, constituaient une force inutile et disproportionnée. Une fois le plaignant menotté, aucune autre force n’a été utilisée contre lui.

Selon un élément de preuve, des agents auraient donné des coups de pied au plaignant et l’auraient piétiné par pendant cinq à dix minutes; il serait toutefois dangereux de s’appuyer sur cette preuve sans corroboration. La caméra corporelle a capturé la source de cette version des faits qui n’était clairement pas exacte, et la personne qui a fait cette déclaration avait également beaucoup consommé d’alcool avant l’incident en question, ce qui met en doute sa capacité à percevoir et à se souvenir avec précision de l’incident. À la lumière des faiblesses qu’il présente, cet élément de preuve n’est pas suffisamment convaincant pour justifier d’être mis à l’épreuve par un juge des faits.

En conséquence, bien que le plaignant ait subi une fracture au dos lors de l’altercation physique qui a marqué son arrestation, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que ses blessures résultaient d’un acte illégal de la part des agents en cause, y compris l’AI. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire et le dossier est clos.

Date : 20 décembre 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les documents suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales. Les éléments importants des documents sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
  • 2) 15 h 51 min 39 s [Retour au texte]
  • 3) Les citations entre guillemets dans cette version française du rapport sont des traductions. [Retour au texte]
  • 4) 15 h 56 min 30 s [Retour au texte]
  • 5) Le plaignant avait 55 ans au moment de cet incident. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.