Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-OCI-255

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  •  des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 
En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  •  les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 51 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 13 août 2021, à 4 h 07 du matin, le Service de police de Windsor (SPW) a avisé l’UES de l’admission du plaignant à l’hôpital. Selon le SPW, le 12 août 2021, à 12 h 43, des agents du SPW ont arrêté le plaignant pour « possession aux fins de trafic » de crack et de méthamphétamines. Le plaignant a été placé à 13 h 05 dans une cellule, qui était une « cellule de prévention du suicide ». Le motif du choix d’une telle cellule était inconnu au moment de la notification.

À 0 h 17, le 13 août 2021, le plaignant a été découvert sans connaissance dans sa cellule. Il a été transporté au campus Ouellette de l’Hôpital régional de Windsor (HRW) où il a été admis à l’unité de soins intensifs et était toujours intubé au moment de la notification. Il était apparemment dans un état critique et on ne s’attendait pas à ce qu’il survive.

Le SPW a également indiqué que la cellule avait été sécurisée pour l’UES.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 13 août 2021 à 4 h 47

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 13 août 2021 à 7 h 33

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 4

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 1

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 51 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à une entrevue le 19 août 2021.

Témoins civils (TC)

TC N’a pas participé à une entrevue[1]

Agents impliqués (AI)

AI no 1 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.
AI no 3 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

Agents témoins (AT)

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 25 octobre et le 8 novembre 2021.

Témoins employés du service (TES)

TES no 1 A participé à une entrevue
TES no 2 A participé à une entrevue
TES no 3 A participé à une entrevue
TES no 4 A participé à une entrevue
TES no 5 A participé à une entrevue
TES no 6 A participé à une entrevue
TES no 7 A participé à une entrevue
TES no 8 A participé à une entrevue
TES no 9 A participé à une entrevue

Les témoins employés du service de police ont participé à une entrevue entre le 25 octobre et le 3 novembre 2021.

Éléments de preuve

Les lieux

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a trouvé la porte de la cellule du plaignant sécurisée avec un sceau du SPW. La cellule comportait une couchette en ciment d’un côté et un combiné toilette/lavabo le long du mur du fond, en face de la porte de la cellule.

La cellule était propre à l’exception, d’un masque d’équipement de protection individuelle (EPI) jetable par terre. Il y avait des débris médicaux par terre, à l’extérieur de la cellule, dont trois injecteurs nasaux de naloxone.

La couchette de la cellule mesurait 0,68 mètre de large, 2,3 mètres de long et 0,48 mètre de haut. Il y avait 0,55 mètre entre la couchette et le bloc toilettes/lavabo et 1,19 mètre entre la couchette et le mur du fond.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies[2]

Données de télévision en circuit fermé – Vidéo de garde du SPW

L’UES a obtenu les vidéos du système de surveillance de l’aire de détention et de la cellule, pour la période où le plaignant était détenu au poste. Ce qui suit est un résumé des enregistrements audio et vidéo pertinents de l’aire de détention du SPW et de la cellule où le plaignant était détenu entre 13 h 13 min 58 s, le 12 août 2021, et 0 h 39 min 59 s, le 13 août 2021, heure à laquelle les ambulanciers paramédicaux sont venus chercher le plaignant dans la cellule où il avait été découvert sans connaissance.

La partie audio de l’enregistrement de la détention du plaignant était pratiquement intelligible en raison de l’écho caverneux résultant de l’architecture du bloc cellulaire et du bruit ambiant produit par le système de chauffage, ventilation et climatisation ainsi que par le personnel du SPW qui travaillait à proximité de la cellule du plaignant.

Sur la vidéo, la toilette du combiné toilette/lavabo de la cellule était masquée par un rectangle blanc créé par le logiciel du système de surveillance pour respecter l’intimité et la dignité du prisonnier. Le logiciel n’avait pas de fonction qui permettrait de neutraliser ce rectangle blanc.

Il était impossible de savoir exactement ce que disaient les membres du personnel du SPW et le plaignant parce qu’ils portaient tous un masque de protection personnelle. Les heures indiquées sont toutes approximatives et notées ci-après à partir des horodatages associés aux données de vidéosurveillance.

Aire de détention

13 h 13 min 58 s – Le plaignant entre dans l’aire d’enregistrement, escorté par un agent spécial/membre civil du SPW. Les deux s’approchent du bureau de l’enregistrement, derrière lequel se trouvent deux agents spéciaux du SPW. Le plaignant, qui n’est pas menotté, tient son short de la main gauche et tripote de la main droite les poches de son short. Pendant tout ce temps, il semble essayer d’ajuster quelque chose dans ses poches et son short. Il signe un document de la main droite dans un classeur sur le bureau, tout en tenant son short de la main gauche.

13 h 15 min 51 s – On conduit le plaignant dans la salle de prise d’empreintes digitales où il s’assied après avoir remonté son pantalon jusqu’aux hanches au moment où il s’approche de la chaise. La prise d’empreintes digitales effectuée par un agent spécial du SPW se déroule sans incident.

Cellule

13 h 20 min – Le plaignant entre dans une cellule et s’allonge sur le dos sur la couchette. Il porte un masque de protection individuelle. Ses mains sont visibles sur sa poitrine et sa jambe droite est croisée sur la jambe gauche au niveau des chevilles. Il semble dormir.

13 h 48 min – Le plaignant a changé de position; il est maintenant allongé sur le côté gauche, la tête e vers le fond de la cellule où se trouve le combiné toilette/lavabo, et les jambes pliées aux genoux à environ 45 degrés par rapport au mur derrière lui. Il semble dormir.

13 h 56 min – Le plaignant a changé de nouveau de position et est maintenant assis sur la couchette, les genoux repliés contre la poitrine et son chandail tiré jusqu’aux orteils, cachant ses fesses, ses jambes et ses pieds de la plage focale de la caméra.

14 h 06 min – Le plaignant a retiré ses deux bras de ses manches pour dissimuler ses mains et ses bras de la caméra. Utilisant son chandail qui est encore tiré vers le bas pour cacher le bas de son corps, le plaignant a pratiquement créé une tente pour cacher tout son corps, sauf sa tête, de la caméra. Il a aussi le visage tourné vers le bas, hors de la plage focale de la caméra. Quarante-huit secondes plus tard, le plaignant replie ses genoux encore plus près de sa poitrine, sous le chandail.

14 h 07 min 26 s – Le plaignant commence à mettre ses mains dans son chandail en se servant d’abord de sa main droite pour tirer la manche gauche afin de faire passer son bras gauche à l’intérieur de son chandail. Il utilise ensuite sa main gauche, qui est maintenant à l’intérieur du chandail, pour dégager sa main droite et son bras droit, de façon à avoir les deux mains et les deux bras dans le chandail, hors des manches, et à dissimuler ainsi complètement ses membres supérieurs. Le plaignant cache son visage tout au long de ces mouvements en enfonçant sa tête presque complètement dans l’encolure du chandail. Au cours des minutes qui suivent, le plaignant fait des mouvements délibérés avec ses mains sous son chandail, tout en gardant son visage caché dans son chandail. Ces mouvements cessent vers 14 h 07 min 43 s; ils ne semblent pas correspondre à une simple manipulation de son short et de son chandail pour plus de confort. Le plaignant reste assis sur la couchette de la cellule dans la même position que celle décrite ci-avant, se tenant le visage entre les mains et ne laissant apparaître que ses doigts près de son front.

14 h 45 min 51 s – L’attention du plaignant est soudainement attirée par quelqu’un ou par un autre bruit à l’extérieur de sa cellule. Il se lève immédiatement et, tout en tripotant son pantalon, il sort de sa cellule en tenant son pantalon à la taille.

15 h 02 min 39 s – Le plaignant revient dans sa cellule et s’assied sur la couchette près de la porte de la cellule. Il a encore les mains et les bras dissimulés dans son chandail. Il tripote son pantalon puis, à 15 h 02 min 57 s, se lève et approche de la porte, apparemment en train de parler à quelqu’un dans le corridor. Après plusieurs secondes, il se rassied sur la couchette, la tête penchée vers le bas, de sorte que son torse n’est pas visible sur la vidéo.

15 h 08 min – Le plaignant se lève et, avec les mains et les bras toujours dissimulés dans son chandail, s’approche de la porte de la cellule et regarde brièvement par la fenêtre de la porte avant de parcourir deux fois la longueur de la cellule, les mains et les bras cachés sous son chandail, puis regarde à nouveau par la fenêtre. Il hoche la tête plusieurs fois, comme s’il parlait à quelqu’un à travers la porte fermée de sa cellule. Il recommence ensuite à faire les cent pas dans la cellule et, à 15 h 09 min 2 s, s’assied sur la couchette près de la porte avec les mains, les bras et la tête rentrés dans son chandail et en effectuant des mouvements délibérés sous son chandail avec ses mains.

15 h 09 min 10 s – Le plaignant se lève, renfile rapidement ses bras et ses mains dans les manches du chandail, s’approche du combiné toilette/lavabo avec son masque sous le menton et appuie sur le robinet du lavabo avec la paume de sa main droite. Sa main gauche n’est pas entièrement visible. Il se penche en avant et boit une gorgée d’eau au robinet, se redresses et avale. Il boit ensuite une nouvelle gorgée d’eau et se redresse pour l’avaler, mais cette fois, il penche légèrement la tête en arrière, comme pour avaler une substance qu’il a dans la gorge, avant de retourner au bord de la couchette.

15 h 09 min 24 s – Le plaignant, plié en avant au niveau de la taille et le dos tourné vers la couchette, cache sa main gauche sous son chandail et, de la main droite, fouille à la recherche de quelque chose dans la poche avant de son pantalon. Il retourne ensuite au combiné toilette/lavabo où il semble pousser quelque chose dans le lavabo ou dans la toilette de la main gauche tout en ouvrant un robinet de la main droite. La vue de la toilette et du lavabo est obstruée par le plaignant et par le rectangle blanc de protection de l’intimité/la dignité. Le plaignant semble vérifier brièvement le lavabo ou la cuvette de toilette avant de retourner à la couchette.

15 h 09 min 41 s – Le plaignant est retourné à la couchette où, après s’être assis, il retire de nouveau les bras et les mains des manches de son chandail, et s’allonge sur la couchette avec la jambe gauche croisée sur la jambe droite au niveau des chevilles, les pieds vers la porte de la cellule et la tête vers le mur du fond de la cellule. Il semble regarder le plafond et cligner des yeux avec son masque toujours attaché à ses oreilles, mais sous son menton.

16 h 55 min 43 s – Le plaignant semble avoir dormi/ronflé jusqu’à ce moment-là, toujours allongé sur le dos, avec une fréquence respiratoire audible d’environ sept respirations par minute [fréquence normale des hommes adultes = 12 à 16 respirations par minute], lorsqu’un agent spécial entre dans la cellule et tente de le réveiller. L’agent spécial approche sa tête de celle du plaignant et l’appelle à voix haute à plusieurs reprises par son prénom pour le réveiller et finit par lui crier de se lever pour attirer son attention. Le plaignant réagit lentement en se grattant sans cesse l’abdomen, le dos, les bras, la tête et l’intérieur des oreilles, ainsi que d’autres parties de son corps, sans même sembler être conscient de la présence de l’agent spécial en train de crier. Le plaignant a beaucoup de difficulté à renfiler ses bras dans les manches de son chandail et à se lever, se rasseyant sur la couchette tout en se débattant avec son chandail. À un moment donné, le plaignant renonce à mettre son chandail correctement et regarde fixement le vêtement autour de son cou. Sans être parvenu à enfiler correctement son chandail, le plaignant se lève lentement et doit s’appuyer de la main gauche sur le mur en face de la couchette pour garder son équilibre. Il se rassied sur la couchette et recommence à se débattre avec son chandail.

16 h 58 min 49 s – Un agent spécial entre dans la cellule en faisant signe et en disant au plaignant de se dépêcher. La qualité audio est médiocre. Le plaignant se relève lentement avec l’aide de l’agent spécial qui lui tient le haut du bras gauche pour l’aider à garder l’équilibre. Le plaignant s’agrippe alors à la porte de la cellule et la tient tout en sortant dans le corridor.

17 h 02 min 31 s – L’agent spécial qui a aidé le plaignant à sortir de la cellule le ramène à l’intérieur. L’agent spécial aide le plaignant à garder son équilibre et à s’assoir sur la couchette près de la porte de la cellule. Le plaignant se penche en avant à deux reprises, basculant d’avant en arrière avant de se plier complètement en deux, endormi en position assise et manque de justesse de tomber par terre, la tête la première. Le plaignant reste dans cette position, ronflant et sifflant bruyamment, jusqu’à 17 h 49 min 30 s, quand la voix d’une femme (vraisemblablement une agente spéciale) près de la porte de la cellule le tire de son sommeil.

17 h 49 min 50 s – Le plaignant s’agite de nouveau et se pousse en arrière sur la couchette. Il semble chancelant et la paume de sa main droite glisse du bord de la couchette avant qu’il ne recommence à se gratter le bas du dos avec la même main. Il essaye d’ajuster sa posture, mais est distrait par le fait qu’il se gratte le dos et la tête. Il vacille lentement vers le sol à plusieurs reprises, glissant presque de la couchette, la tête la première, à 17 h 51 min 30 s. Le plaignant réussit finalement à se repositionner en arrière sur la couchette vers le mur contre lequel il finit par s’appuyer, mais pas avant 19 h 39 min 33 s, après avoir dormi, ronflé et glissé au bord de la couchette et manqué de tomber sur le sol à plusieurs reprises.

Entre 19 h 39 min 57 s, le 12 août, et 00 h 15 min 37 s, le 13 août 2021, le plaignant reste dans la même position affaissée, émettant parfois des bruits de respiration audibles, visiblement peu profonds et sporadiques, et parfois aucun. À 0 h 15 min 37 s, un agent spécial entrouvre la porte de la cellule et appelle le plaignant par son prénom, sans obtenir de réponse. Puis, à 0 h 15 min 47 s, le même agent spécial tape le genou droit du plaignant plus d’une douzaine de fois avec un dossier en papier, pousse le pied droit du plaignant avec le bout de sa botte et appuie le dos de sa main plusieurs fois contre la face externe de la cuisse droite du plaignant. Il frotte aussi brièvement le sternum du plaignant. Le plaignant n’a aucune réaction. Le masque du plaignant est par terre et son chandail est mouillé par de la bave sous l’encolure.

0 h 16 min 33 s – L’agent spécial continue d’appeler le plaignant sans obtenir de réponse, tandis qu’un deuxième agent spécial entre dans la cellule pour l’aider.

0 h 16 min 43 s – Les deux agents spéciaux soulèvent avec précaution les jambes du plaignant du bord de la couchette et l’étendent sur le dos. On peut voir en partie un autre membre du SPW dans l’embrasure de la porte en train d’enfiler des gants de protection. Les agents spéciaux tournent le plaignant sur le côté droit et on entend l’un d’eux dire : [traduction] « Oui, il va pas bien ». Un autre agent spécial utilise sa radio portative pour demander de l’aide.

Au cours des cinq minutes qui suivent, trois agents spéciaux et un sergent du SPW [maintenant connu comme étant l’AI no 3] appellent le plaignant en lui disant « Wakey, wakey ! » et l’encouragent à continuer de respirer. À 0 h 24 min 30 s, un des agents spéciaux avait administré trois doses successives de naloxone d’une trousse d’urgence fournie par l’AI no 3 et effectué des frictions du sternum pour tenter d’obtenir une réaction. On entend un agent du SPW demander pourquoi le plaignant est là. Un autre agent du SPW lui répond que c’est pour possession de drogue. Pendant ce temps, le plaignant n’est jamais laissé seul ou sans surveillance et il reste dans la même position, sans tomber de la couchette ni se retourner sur le dos.

0 h 28 min 6 s – L’AI no 3 sort de la cellule pour laisser la place aux ambulanciers paramédicaux qui arrivent tandis que deux agents spéciaux restent dans la cellule pour observer le plaignant et le maintenir en position de récupération sur le côté droit.

0 h 28 min 16 s – Le premier des deux ambulanciers paramédicaux entre dans la cellule et prend en charge le plaignant.

Éléments obtenus auprès du service de police

Sur demande, le SPW a remis à l’UES les éléments et documents suivants les 13 août et le 2 novembre 2021 :
  • Rapport du système de répartition assistée par ordinateur;
  • Directive relative aux soins et contrôle des détenus;
  • Directive relative au centre de détention;
  • Directive sur la fouille de personnes;
  • Fiche d’enregistrement (formulaire de transport et d’enregistrement de détenu);
  • Liste de contrôle de cellule 1 – le plaignant
  • Liste de contrôle de cellule 2 – le plaignant;
  • Copie papier de vérification de la cellule;
  • Cellule – entrée et sortie – le plaignant;
  • Historique de cellule – le plaignant;
  • Liste de cellule – enregistrement intégré (Versa) ;
  • Liste de la cellule – le plaignant;
  • Cellules – registre d’appels téléphoniques d’avocat - anonymisé ;
  • Liste des agents concernés;
  • Rapport narratif du TES no 2 (rapport supplémentaire);
  • Rapport narratif du TES no 4 (rapport supplémentaire);
  • Rapport narratif de l’AT no 1 (rapport supplémentaire);
  • Rapport narratif de l’AT no 2 (rapport initial de l’agent)
  • Rapport narratif du TES no 3 (rapport supplémentaire);
  • Rapport narratif du TES no 1 (rapport supplémentaire);
  • Notes du TES no 9;
  • Notes de l’AT no 3;
  • Notes du TES no 2;
  • Notes du TES no 4;
  • Notes du TES no 8;
  • Notes du TES no 5;
  • Notes de l’AT no 1;
  • Notes du TES no 7;
  • Notes de l’AT no 2;
  • Notes du TES no 3;
  • Notes du TES no 1;
  • Notes du TES no 6;
  • Vidéo de la garde;
  • Registre des pièces remises à l’UES.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources le 24 août 2021 :
  • Dossiers du plaignant à l’Hôpital régional de l’hôpital liés à l’incident.

Description de l’incident

Le scénario suivant ressort des éléments de preuve recueillis par l’UES, qui comprenaient des entrevues avec le plaignant et ses gardiens ainsi qu’un examen de la vidéo de la cellule, qui a capturé toute la durée de la garde du plaignant au poste de police. Les agents impliqués n’ont pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni autorisé la communication de leurs notes, comme c’était leur droit.

Le plaignant a été arrêté sans incident et placé sous garde par l’AT no 2 le 12 août 2021 vers 12 h 45. Avant de placer le plaignant dans un fourgon de transport de prisonniers, l’agent l’a fouillé et a saisi diverses quantités de drogue dans ses poches et dans son sac à dos. Le fourgon de transport de prisonniers, conduit par l’AT no 3, a emmené le plaignant au poste de police où il est arrivé vers 13 h 10.

On a posé une série de questions au plaignant lors de son enregistrement au poste. Le plaignant a reconnu avoir récemment fumé de la marijuana, mais a nié toute consommation d’alcool. Il a été placé en cellule vers 13 h 20.

Vers 15 h 10, le plaignant s’est levé de la couchette de sa cellule, s’est approché du lavabo, a bu une gorgée d’eau et a avalé du fentanyl. Il avait dissimulé le fentanyl dans une capsule en plastique « Kinder Surprise » dans la fente de ses fesses, en l’insérant partiellement dans son rectum. En position assise, les bras et les jambes fléchies repliés sous son chandail dont il s’est servi pour cacher ce qu’il faisait, il a réussi à récupérer subrepticement la substance peu après 14 h.

Le plaignant s’est allongé sur la couchette de la cellule et a dormi jusqu’à environ 16 h 55, heure à laquelle un agent spécial est parvenu à le réveiller, non sans mal. Tout en étant très léthargique et instable, le plaignant a été escorté hors de la cellule par un agent spécial pour parler avec son avocat dans une autre pièce. Incapable de parler à son avocat sans s’endormir, le plaignant a été ramené dans sa cellule vers 17 h 02. Il s’est endormi de nouveau, sortant de temps à autre de son sommeil.

Entre environ 19 h 39 et 0 h 15, le plaignant est resté en position assise sur la couchette de la cellule, le dos contre le mur et la tête penchée en avant.

À 0 h 15, un agent spécial qui passait pour vérifier l’état du plaignant a remarqué quelque chose d’anormal – une quantité importante de salive sur la chemise du plaignant. L’agent spécial – le TES no 1 – est entré dans la cellule et a immédiatement tenté de réveiller le plaignant. Le plaignant respirait, mais l’agent spécial ne parvenait pas à le réveiller. Le TES no 1 a immédiatement alerté l’AI no 3 et a demandé qu’on appelle une ambulance.

En attendant l’arrivée des ambulanciers paramédicaux, un certain nombre d’agents spéciaux et l’AI no 3 ont tenté de réanimer le plaignant. Le plaignant a été placé en position de récupération et plusieurs doses de naloxone lui ont été administrées par voie nasale.

Les ambulanciers paramédicaux sont arrivés sur les lieux vers 0 h 23, ont pris en charge le plaignant et l’ont conduit à l’hôpital vers 0 h 47.

Dispositions législatives pertinentes

Article 215, paragraphes 1 et 2, Code criminel -- Devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence

215 (1) Toute personne est légalement tenue :
a) en qualité de père ou mère, de parent nourricier, de tuteur ou de chef de famille, de fournir les choses nécessaires à l’existence d’un enfant de moins de seize ans;
b) de fournir les choses nécessaires à l’existence de son époux ou conjoint de fait;
c) de fournir les choses nécessaires à l’existence d’une personne à sa charge, si cette personne est incapable, à la fois :
i. par suite de détention, d’âge, de maladie, de troubles mentaux, ou pour une autre cause, de se soustraire à cette charge,
ii. de pourvoir aux choses nécessaires à sa propre existence.
(2) Commet une infraction quiconque, ayant une obligation légale au sens du paragraphe (1), omet, sans excuse légitime, dont la preuve lui incombe, de remplir cette obligation, si :
a) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)a) ou b) :
i. ou bien la personne envers laquelle l’obligation doit être remplie se trouve dans le dénuement ou dans le besoin,
ii. ou bien l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou expose, ou est de nature à exposer, à un péril permanent la santé de cette personne;
b) à l’égard d’une obligation imposée par l’alinéa (1)c), l’omission de remplir l’obligation met en danger la vie de la personne envers laquelle cette obligation doit être remplie, ou cause, ou est de nature à causer, un tort permanent à la santé de cette personne

Articles 219 du Code criminel -- Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Article 221 du Code criminel -- Causer des lésions corporelles par négligence

221 Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.

Analyse et décision du directeur

Le 13 août 2021, au petit matin, le plaignant a été transporté à l’hôpital depuis une cellule du SPW. Il avait subi une surdose de drogue. Après plusieurs jours à l’hôpital, le plaignant a été libéré, ayant eu la chance d’échapper à toute séquelle physique. L’UES a été avisée de l’incident et a ouvert une enquête. Trois agents, qui étaient responsables de la surveillance du plaignant pendant sa détention, ont été identifiés comme agents impliqués. L’enquête est maintenant terminée. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que les agents impliqués aient commis une infraction criminelle en lien avec la surdose et l’admission à l’hôpital du plaignant.

Les infractions à prendre en considération en l’espèce sont le défaut de fournir les choses nécessaires à l’existence et la négligence criminelle causant des lésions corporelles, en contravention des articles 215 et 221 du Code criminel, respectivement. Pour la première, la culpabilité serait fondée, en partie, sur la conclusion que la conduite constituait un écart marqué par rapport à la norme de diligence qu’une personne raisonnable aurait exercée dans les circonstances. La deuxième est une infraction plus grave de négligence, à savoir les cas qui font preuve d’un mépris déréglé ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autres personnes. Pour que cette infraction soit établie, il faut notamment que le comportement en question constitue un écart à la fois marqué et important par rapport à un niveau de diligence raisonnable. En l’espèce, il faut déterminer si les agents impliqués, ou l’un d’entre eux, ont fait preuve d’un manque de diligence qui a mené ou contribué à la situation fâcheuse du plaignant et si ce manque était suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

L’idéal aurait été d’essayer de réveiller le plaignant plus tôt, car il est resté en grande partie immobile entre environ 19 h 39 et 0 h 15. Les agents spéciaux avaient remarqué plus tôt qu’il était léthargique et chancelant et avaient évoqué la nécessité de le garder sous surveillance étroite. De plus, le fait que le plaignant était détenu dans une cellule de prévention du suicide suggère qu’une surveillance plus proactive de son état aurait sans été justifiée.

Cela dit, si les responsables de sa garde ont manqué de vigilance, je ne suis pas convaincu que leur conduite constituait un écart marqué par rapport à une norme de diligence raisonnable, et encore moins un écart à la fois marqué et important. Par exemple, rien n’indique que les agents n’aient pas, pour l’essentiel, respecté la politique de la police qui exige de vérifier les détenus toutes les quinze minutes. Le dossier suggère au contraire qu’ils l’ont respecté.

De plus, les agents avaient des raisons de croire que la somnolence du plaignant était le résultat d’un récent manque de sommeil. En effet, quand le TES no 7 l’a interrogé à ce sujet, le plaignant a dit qu’il n’avait pas dormi depuis l’avant-veille. En outre, le plaignant avait prétendu aux agents qu’il n’avait pas consommé de substances illicites, à l’exception d’un seul « joint », avant d’être arrêté. C’est aussi ce qu’il a répondu quand on l’a interrogé à ce sujet lors de son enregistrement au poste. Dans les circonstances, les agents n’avaient pas de raison particulière de craindre que le plaignant souffre d’une surdose de drogue.

Les agents n’avaient pas non plus de raison particulière de croire que le plaignant présentait un risque de suicide. Même s’il est vrai qu’il a été placé dans une cellule de prévention du suicide, aucun des agents spéciaux, à part la TES no 6, ne semblait savoir pourquoi. La TES no 6, qui était chargée de l’enregistrement au moment de l’arrivée du plaignant au poste, a déclaré qu’elle avait décidé de le mettre dans cette cellule non pas parce qu’elle craignait qu’il présente un risque de suicide, mais parce que son arrestation était liée à la drogue et qu’elle avait jugé préférable de le garder à l’écart des autres prisonniers. En fait, le plaignant n’avait pas été signalé comme étant à risque de suicide, d’après les personnes chargées de sa supervision directe le jour en question.

Il est déconcertant que le plaignant soit parvenu à introduire du fentanyl dans sa cellule, à le récupérer et à le consommer par la suite, sans que cela soit détecté, mais là aussi, il y a un certain nombre de considérations atténuantes. Le plaignant avait fait l’objet de deux fouilles avant d’être placé en cellule, d’abord sur le lieu de son arrestation, puis avant d’être placé en cellule. Cependant, comme le plaignant avait dissimulé l’emballage contenant la drogue dans la fente de ses fesses et dans son rectum, une fouille par palpation n’aurait pas permis de la détecter. Il est concevable qu’une fouille à nu aurait donné de meilleurs résultats, mais au moment de l’enregistrement au poste, le sergent ne pensait probablement pas qu’une telle fouille était justifiée. Comme la jurisprudence l’indique clairement, on ne peut pas procéder systématiquement à la fouille à nu des détenus; on doit la réserver aux cas où il existe des motifs raisonnables et probables de croire qu’elle est nécessaire : R. c. Golden, [1993] 3 RCS 679. Comme le plaignant avait déjà fait l’objet de fouilles au cours desquelles une quantité importante de drogue avait été saisie, je ne peux pas raisonnablement conclure que la décision de ne pas procéder à une fouille à nu était sans fondement. Une fois en cellule, bien que le plaignant ait été régulièrement surveillé, il est clair qu’il n’était pas en observation constante, mais il n’y avait pas non plus de raison impérieuse de faire autrement. Dans les circonstances, on peut comprendre comment un détenu peut parvenir à récupérer des drogues dissimulées sur lui et à les consommer sans se faire remarquer. En effet, il est clair que le plaignant a fait tout son possible pour retirer en cachette le fentanyl de l’endroit où il l’avait caché.

Enfin, il convient de noter qu’une fois que les agents spéciaux, en particulier le TES no 1, se sont rendu compte que le plaignant était en état de détresse médicale aiguë, ils ont agi rapidement, avec l’aide de l’AI no 3, pour prodiguer des soins au plaignant. Ils ont immédiatement appelé les ambulanciers paramédicaux et ont administré plusieurs doses de naloxone au plaignant en attendant leur arrivée.

En conséquence, même si les personnes responsables de la garde du plaignant auraient été sans doute mieux avisées de le surveiller de plus près et d’exercer de plus grandes précautions durant sa détention, je ne suis pas convaincu que ces faiblesses, compte tenu des considérations atténuantes, transgressaient les limites de diligence prescrites par le droit pénal. Il n’y a donc pas lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.

Date : 10 décembre 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Le TC n'était pas présent au moment de l'arrestation du plaignant et n'avait aucune information pertinente pour l'enquête de l'UES au sujet de l'admission du plaignant à l'hôpital pendant qu'il était sous la garde de la police. [Retour au texte]
  • 2) Les documents suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l'Unité des enquêtes spéciales. Les éléments importants des documents sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]

Note:

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