Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-PCD-326

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur le décès d’un homme de 43 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 28 novembre 2020, à environ 16 h 15, la Police provinciale de l'Ontario a signalé à l’UES le décès du plaignant.

La Police provinciale a rapporté que, le 27 novembre 2020, à 22 h 50, des membres de l’escouade tactique et d’autres agents ont été dépêchés à cause d’un incident de violence familiale mettant en cause un homme armé qui s’était barricadé dans une résidence de Sucker Creek, à l’ouest de Little Current, à l’île Manitoulin. Le secteur a été bouclé par les agents de l’escouade tactique de la Police provinciale et, avec l’assistance d’un négociateur, des tentatives ont été faites pour engager la conversation avec l’homme, mais celui-ci est resté silencieux. Après plusieurs tentatives infructueuses, les agents de l’escouade tactique ont pénétré dans la résidence et ont trouvé l’homme décédé, avec une blessure par balle à la tête qu’il semblait s’être infligée lui-même. Le défunt a par la suite été identifié comme le plaignant.

L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3
Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 2

Le 28 novembre 2020, à 18 h 8, trois enquêteurs de l’UES et deux enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires ont été affectés à une enquête sur le décès du plaignant. Des membres de l’UES sont arrivés sur les lieux à 11 h 16 le même jour et ils ont immédiatement entrepris une enquête.

Vu la pandémie de coronavirus, des dispositions ont été prises pour interroger les agents en cause par téléphone.

Des enquêteurs de l’UES ont interrogé les témoins civils (TC) nos 1 et 2.

Un examen médicolégal des lieux a été effectué et des photos ainsi que des mesures ont été prises.

Un médecin s’était rendu sur les lieux et avait déclaré le plaignant mort à 2 h 45 le 28 novembre 2020.

Un fusil à verrou de calibre .22 a été retrouvé près du corps du plaignant. Il a été saisi et a fait l’objet d’un examen judiciaire. Pendant cet examen, une douille a été retrouvée dans la chambre à cartouches de l’arme à feu, et on a constaté que le chargeur contenait quatre cartouches. De plus, une boîte de métal contenant des cartouches de calibre .22 a été retrouvée sur le sol, près de la jambe droite du plaignant.

Le 7 janvier 2021, l’agent impliqué (AI) a fait une déclaration et a fourni une copie des notes de son carnet à l’UES.

Plaignant :

Homme de 43 ans, décédé


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue



Agent impliqué

AI A participé à une entrevue; notes reçues et examinées


Éléments de preuve

Les lieux

L’incident s’est déroulé à une résidence de Sucker Creek, à l’ouest de Little Current, à l’île Manitoulin.

Dans une chambre, on a retrouvé le cadavre du plaignant étendu sur le dos au sol, au pied d’un lit. Il tenait un fusil à verrou de calibre .22 dans la main gauche, et le fusil reposait sur son corps, avec la bouche du canon pointée vers le menton. Le plaignant avait au menton une blessure par balle. Une boîte de métal contenant des cartouches de calibre .22 a été retrouvée à côté de la jambe droite du plaignant. Aucun autre projectile ni aucune autre douille n’ont été retrouvés sur place.

Enregistrements de communications

Voici le résumé des enregistrements des communications relatifs aux événements survenus les 27 et 28 novembre 2020, qui ont abouti au décès du plaignant.

• À partir de 23 h 7 min 10 s, il y a eu des communications par radio au sujet d’une conversation entre la police et le TC no 1.
• À partir de 23 h 8 min, des agents ont commencé à communiquer par radio au sujet de la résidence concernée par l’incident et ils ont confirmé la maison ciblée.
• À partir de 23 h 26 min 10 s, il y a eu des communications par radio concernant l’identité du suspect, soit le plaignant, un homme de 43 ans, qui avait par le passé déjà été accusé en relation avec un autre incident de violence familiale et l’utilisation d’armes à feu.
• À partir de 23 h 28 min 6 s, il y a eu des communications par radio pour poser des questions concernant une camionnette stationnée dans l’entrée de cour de la résidence en cause.
• À partir de 23 h 34 min 3 s, il y a eu des communications par radio au sujet des codes tactiques relatifs aux positions (des agents) à la résidence en cause.
• À partir de 23 h 34 min 40 s, il y a eu des communications par radio relatives à la position des agents de l’escouade tactique et à la distance par rapport à la maison. La commandante des opérations a demandé l’autorisation d’aller de l’avant.
• À partir de 23 h 35 min 21 s, il y a eu des communications par radio relatives aux stratégies tactiques et indiquant que les côtés de la maison étaient complètement bloqués. On pouvait entendre les agents de l’escouade tactique se trouvant à l’arrière de la résidence faire rapport sur la situation et il y a aussi eu des communications décrivant la maison.
• À partir de 23 h 37 min 27 s, il y a eu des communications par radio relatives à l’observation de la résidence en cause et aux stratégies tactiques. Les agents de l’escouade tactique ont avisé la commandante des opérations qu’il n’y avait aucun mouvement à l’intérieur de la maison. Des agents de l’escouade tactique ont dit avoir vu par la fenêtre un homme passer.
• À partir de 23 h 46 min 20 s, il y a eu des communications par radio portant sur les stratégies tactiques, une demande d’obtention d’une arme ARWEN et la déconnexion d’un lampadaire. Il y a eu des discussions sur la meilleure façon pour les agents de l’escouade tactique d’approcher de la résidence en cause. D’autres communications par radio ont porté sur les accusations criminelles portées contre le plaignant. D’autres communications par radio concernaient du matériel tactique et un tireur d’élite.
• À partir de 23 h 56 min 27 s, il y a eu des communications par radio confirmant le propriétaire enregistré de la camionnette stationnée devant la résidence. Une demande visant à déployer un dispositif de dégonflage de pneu pour la camionnette a été approuvée.
• À partir de 23 h 59 min 45 s, il y a eu des communications par radio au sujet de l’approche tactique adoptée, des déplacements des membres de l’équipe et d’une arrestation criminelle.
• À partir de 0 h 5 min 47 s, il y a eu des communications par radio demandant qu’une unité de reconnaissance aille cogner à la porte, mais la commandante des opérations a refusé.
• À partir de 0 h 12 min 29 s, il y a eu des communications par radio d’une unité de reconnaissance signalant qu’un chien se trouvait à l’intérieur de la maison et qu’une fenêtre était ouverte.
• À partir de 0 h 52 min 14 s, il y a eu des communications par radio au sujet d’appels téléphoniques effectués à l’intérieur de la maison par des négociateurs auxquels l’homme ne répondait pas. Les négociateurs étaient arrivés sur la boîte vocale.
• À partir de 1 h 12 min 27 s, il y a eu des communications par radio au sujet du déploiement d’une caméra et d’un artifice de distraction. Les agents de l’escouade tactique ont confirmé qu’ils entendaient un téléphone sonner, mais que personne ne répondait et qu’aucun mouvement n’était détecté à l’intérieur de la maison.
• À partir de 1 h 15 min 7 s, il y a eu des communications par radio au sujet d’un porte-voix, d’une caméra et d’une échelle.
• À partir de 1 h 19 min 24 s, il y a eu des communications par radio de la part des agents de l’escouade tactique disant qu’il n’y avait aucun son ni aucun mouvement à signaler à l’intérieur de la maison. La commandante des opérations a ordonné aux agents de l’escouade tactique de ne pas approcher de la maison.
• À partir de 1 h 26 min 33 s, il y a eu des communications par radio des agents de l’escouade tactique disant qu’ils n’entendaient rien dans la maison et demandant à la commandante l’autorisation d’activer les feux d’urgence et les sirènes pour réveiller l’homme, mais la demande a été refusée.
• À partir de 1 h 28 min 12 s, il y a eu des communications par radio concernant le porte-voix et la caméra et la commandante a ordonné aux agents de l’escouade tactique d’approcher de la porte pour vérifier si elle n’était pas verrouillée.
• À partir de 1 h 29 min 48 s, il y a eu des communications par radio de la part des agents de l’escouade tactique disant qu’ils voyaient la cuisine et le salon avec un sofa, mais n’avaient aucune trace de l’homme. Des agents de l’escouade tactique ont indiqué que la porte arrière n’était pas verrouillée et que le chien se trouvait au sous-sol.
• À partir de 1 h 35 min 42 s, des agents de l’unité de reconnaissance ont indiqué à la commandante qu’ils voyaient une télé allumée à l’intérieur, mais n’avaient aperçu personne. Il y a aussi eu des communications par radio entre les agents de l’escouade tactique et la commandante, qui cherchaient à déterminer où se trouvait l’homme.
• À partir de 1 h 43 min 15 s, il y a eu des communications par radio concernant des stratégies tactiques visant à ouvrir la porte arrière pour le déploiement d’un artifice de distraction pour qu’un négociateur téléphone ensuite dans la maison.
• À partir de 2 h 1 min 29 s, l’énoncé de mission tactique a été diffusé et les unités tactiques ont confirmé avoir reçu le message. Des membres de l’unité de reconnaissance ont dit avoir entendu le téléphone sonner mais que l’homme n’avait pas répondu à l’intérieur. Il y a eu des discussions tactiques à propos de l’utilisation d’une caméra à l’intérieur de la maison. Des agents de l’escouade tactique ont rapporté qu’une pièce était vide.
• À partir de 2 h 23 min 39 s, il y a eu des communications par radio d’agents de l’escouade tactique qui regardaient par une fenêtre. Ils ont indiqué que des stores les empêchaient de voir dans la chambre. Le déploiement à l’avant de la maison d’un deuxième artifice de distraction a été discuté, et la commandante a donné son autorisation tactique pour le déploiement. Après la détonation des artifices de distraction, la police a ordonné à l’homme de sortir. On a indiqué que le téléphone avait sonné, mais que l’homme n’avait pas répondu.
• À partir de 2 h 31 min 13 s, des agents de l’escouade tactique ont indiqué à la radio qu’ils n’avaient aucune réponse de l’homme et ils ont demandé à la commandante des opérations d’essayer d’ouvrir une fenêtre, qui était, semble-t il, celle de la chambre de l’homme.
• À partir de 2 h 33 min 23 s, il y a eu des communications par radio de la commandante des opérations aux agents de l’escouade tactique pour leur demander de continuer à crier après l’homme pour attirer son attention.
• À partir de 2 h 41 min 46 s, la commandante des opérations a ordonné aux agents de l’escouade tactique de placer une échelle de manière à pouvoir monter jusqu’à la fenêtre avant, du côté gauche, pour vérifier si elle était verrouillée. Les ordres indiquaient de faire glisser la fenêtre si elle n’était pas verrouillée afin de l’ouvrir, puis de se servir d’une caméra pour voir si l’homme se trouvait dans la chambre.
• À partir de 2 h 43 min 41 s, des agents de l’escouade tactique ont dit à la radio qu’ils avaient trouvé l’homme couché sur le plancher et qu’il avait une blessure par balle. Ils ont demandé de faire venir une ambulance et la commandante a demandé s’il y avait des signes que l’homme était toujours en vie et où étaient la blessure et l’arme à feu. Les agents de l’escouade tactique ont confirmé que l’homme tenait le canon de son arme à feu sous le menton.
• À partir de 2 h 46 min 16 s, la commandante des opérations a autorisé les agents à entrer dans la maison. Des agents de l’escouade tactique ont dit à la radio qu’ils étaient parvenus jusqu’à l’homme et qu’il avait besoin d’une ambulance, en précisant qu’il n’avait plus de signes vitaux.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du bureau satellite de Little Current (île Manitoulin) de la Police provinciale de l’Ontario :
• les rapports d’intervention du Centre d'information de la police canadienne sur le plaignant (x2);
• les rapports opérationnels [supplémentaires] de l’équipe d’intervention d’urgence;
• le résumé écrit de la déclaration du TC no 1 faite à la Police provinciale de l’Ontario;
• les notes de l’AI et des AT;
• la chronologie des événements;
• les enregistrements des communications;
• le résumé de l’incident;
• le rapport de l’agent en cause;
• les documents de formation de la Police provinciale de l’Ontario;
• les rapports de renseignements personnels (x4);
• le rapport supplémentaire;
• le rapport annuel de cours de recyclage de l’AI.

Description de l’incident

Le scénario qui suit ressort des éléments de preuve collectés par l’UES, notamment les entrevues avec l’AI et cinq agents sous le commandement de l’AI et avec deux témoins civils. L’analyse des enregistrements des communications de la police a également été utile pour l’enquête.

En fin de soirée le 27 novembre 2020, la Police provinciale de l’Ontario a reçu un appel au 911 provenant d’une résidence sur Sucker Creek. L’appel a été fait par le TC no 2, qui a signalé que le plaignant et sa mère étaient engagés dans une querelle intense. Pendant l’appel, l’homme a ajouté que sa mère venait de lui apprendre que le plaignant avait une arme à feu en sa possession. Le téléphoniste lui a alors dit de sortir de la résidence avec sa mère ainsi que ses frères et sœurs, puis des agents ont été envoyés à la résidence en question.

Des agents du service de police des Chefs et conseils unis de l'île Manitoulin (Anishnawbe) ont été les premiers agents à arriver sur les lieux et ils étaient suivis de près par des agents en uniforme et des agents de l’escouade tactique de la Police provinciale de l’Ontario. Un poste de commandement a été établi à une certaine distance de la résidence. L’AI a été mise au courant de l’incident juste avant 23 h, et a alors ordonné l’exécution d’une opération pleinement intégrée, qui englobait le déploiement de l’équipe d’intervention d’urgence et de l’escouade tactique de même que le recours à des négociateurs en situation de crise et à des enquêteurs criminels. Un énoncé de mission a fini par être établi et diffusé à tous les agents. Le but était d’isoler, de contenir et d’évacuer la résidence et de négocier avec le plaignant pour l’amener à se rendre de façon sécuritaire, en veillant en tout temps à préserver le mieux possible la sécurité du plaignant, du public et des agents.

Des agents de l’escouade tactique ont commencé à arriver au poste de commandement vers 23 h. Dirigée par l’AT no 2, l’équipe comptait quatre agents (dont l’AT no 3 et l’AT no 1), un meneur de chien et son chien. Vers 23 h 30, les agents ont commencé à approcher de la maison et se sont rendus à une distance d’environ 40 mètres. À partir de cette position, l’AT no 2 a aperçu par la fenêtre la silhouette d’une personne, qui a fini par disparaître. Les agents ont alors décidé d’approcher pour en voir plus et une petite équipe de reconnaissance composée de deux agents s’est frayée un chemin jusqu’au bâtiment. Vers 23 h 50, deux autres agents, notamment l’AT no 4, se sont joints aux autres pour prendre part à l’opération et ils ont aussi été désignés pour pénétrer dans le périmètre de la résidence. De leur poste d’observation, les agents n’ont pas réussi à voir le plaignant dans la résidence par les fenêtres, mais ils ont entendu un téléphone sonner. Il s’agissait d’un négociateur en situation de crise qui essayait d’entrer en contact avec le plaignant se trouvant à l’intérieur de la résidence. Les autres tentatives visant à faire réagir le plaignant, comme l’utilisation d’un porte-voix et le déploiement de deux artifices de distraction dans la résidence, ont été infructueuses.

Après l’utilisation du deuxième artifice de distraction, vers 2 h 30, l’AT no 4 a été autorisé à s’approcher de la fenêtre de la chambre, à l’avant de la maison, pour jeter un coup d’œil à l’intérieur. À l’aide d’une échelle, l’AT no 4 a grimpé jusqu’à la fenêtre, qui n’était pas verrouillée, il l’a ouverte et a repoussé le rideau vers l’intérieur. Près du pied du lit, dans la chambre, se trouvait le plaignant, étendu sur le dos. Sa main gauche tenait le canon d’une arme à feu, soit un fusil à verrou de calibre .22. Il avait le canon sous le menton. L’agent a crié : [Traduction] : « blessure par balle ». Il est ensuite resté debout sur son échelle à surveiller pendant que des membres de l’escouade tactique entraient dans la chambre.

Une fois la maison fouillée et jugée sécuritaire par les agents de l’escouade tactique, les ambulanciers tactiques ont été autorisés à entrer et à évaluer l’état du plaignant. Vers 2 h 50, les ambulanciers ont confirmé que le plaignant était décédé.

Cause du décès

À l’autopsie, le médecin légiste a retiré un projectile de calibre .22 de la tête du plaignant et il a conclu que le décès était attribuable à une blessure par balle orale interne à la tête.

Dispositions législatives pertinentes

Articles 219 du Code criminel -- Négligence criminelle

219 (1) est coupable d’une négligence criminelle quiconque :
a) soit en faisant quelque chose;
b) soit en omettant de faire quelque chose qui est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.

(2) Pour l’application du présent article, devoir désigne une obligation imposée par la loi.

Articles 220 du Code criminel -- Négligence criminelle

220 Quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible :
a) s’il y a usage d’une arme à feu lors de la perpétration de l’infraction, de l’emprisonnement à perpétuité, la peine minimale étant de quatre ans;
b) dans les autres cas, de l’emprisonnement à perpétuité.

Analyse et décision du directeur

Le plaignant est décédé le 28 novembre 2020 d’une blessure par balle à la tête qu’il s’est lui-même infligée à Sucker Creek. Comme des agents de la Police provinciale de l’Ontario étaient présents autour de l’immeuble au moment où le coup de feu a été tiré, l’UES a été avisée et a ouvert un dossier. L’AI, soit l’agent qui était responsable de l’opération déployée par la Police provinciale de l’Ontario à la résidence en cause, a été identifiée comme l’agent impliqué pour les besoins de l’enquête de l’UES. Selon mon évaluation des éléments de preuve, j’ai la conviction qu’il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle ayant un lien avec le décès du plaignant.

La seule infraction à prendre en considération dans cette affaire serait celle de négligence criminelle ayant causé la mort, contraire aux exigences de l’article 220 du Code criminel. Elle ne s’applique que dans les cas de grave négligence qui dénote une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui. On se base sur le fait que la conduite représente ou non un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la même situation. Ce qu’il faut déterminer dans ce dossier, c’est s’il y a eu, de la part de l’AI, un manque de diligence, par rapport à la manière dont elle a dirigé l’ensemble de l’intervention de la police ayant causé le décès du plaignant ou y ayant contribué, et que ce manque est suffisamment flagrant pour entraîner une sanction pénale. À mon avis, ce n’est pas le cas.

Les agents ayant pris part à l’opération autour de la résidence étaient en tout temps légitimement mandatés et dans l’exercice de leurs fonctions légitimes. Ils s’étaient rendus à la résidence après un appel d’urgence fait à la police pour signaler que le plaignant s’était emparé d’une arme à feu au cours d’une querelle familale avec sa conjointe et le fils de celle-ci. La police avait des raisons légitimes de craindre pour la sécurité du plaignant et celle d’autres personnes dans les environs et ils avaient le devoir de faire tout en leur pouvoir pour régler la situation de façon aussi pacifique que possible. Les agents savaient aussi que le plaignant était en violation de conditions de ne pas troubler l’ordre public et, par conséquent, qu’ils avaient des motifs valables de procéder à son arrestation.

J’ai la conviction qu’une fois l’AI sur les lieux, les décisions qu’elle a prises en tant que responsable du commandement général de l’opération ainsi que la conduite des agents de l’escouade tactique pendant le déroulement des événements en question, ont été en tout temps sages et raisonnables. Les agents n’ont pas tardé à arriver sur les lieux et à se mobiliser quand ils ont été sur place. Une fois la résidence encerclée, et après avoir vérifié que le plaignant se trouvait seul dans la maison, ils ont fait tout en leur pouvoir pour l’amener à se rendre en toute sécurité. Un négociateur spécialement formé avait été amené pour qu’il tente d’entrer en contact avec le plaignant. Malheureusement, le plaignant a décidé de ne pas répondre au téléphone même si la police a tenté de le joindre à plusieurs reprises. Soupçonnant que le plaignant se soit endormi, d’autant plus qu’ils le savaient dans un état d’ébriété avancé, l’AI a autorisé l’utilisation d’artifices de distraction et d’un porte-voix, mais rien n’a permis d’obtenir une réaction du plaignant, qui se trouvait à l’intérieur de la résidence. À mesure que le temps passait et que la police s’inquiétait de plus en plus pour le bien être du plaignant, l’AI a jugé qu’il était temps d’intervenir plus activement malgré les risques que représentait un individu armé. Pour ce qui est du moment de cette intervention, je ne peux blâmer l’AI de ne pas avoir agi assez vite. Comme ils avaient affaire à un individu armé, il était légitime que les agents abordent la situation avec une grande prudence et qu’ils épuisent toutes les possibilités d’intervenir à distance avant de passer à une approche plus téméraire. Après les ordres de l’AI, un agent de l’escouade tactique s’est approché d’une fenêtre à l’avant, il a regardé à l’intérieur et a vu le cadavre du plaignant sur le plancher de la chambre. D’autres agents de l’escouade tactique ont pénétré dans la maison et ont été rapidement suivis des ambulanciers. Malheureusement, le plaignant avait subi une blessure par balle extrêmement grave à la tête, il n’avait plus de signes vitaux à l’arrivée des ambulanciers et il ne pouvait être réanimé.

Au vu du dossier, et compte tenu de ce qui précède, j’ai la conviction que l’AI et les agents sous son commandement ont fait preuve d’une diligence raisonnable et se sont souciés de la santé et du bien être du plaignant pendant toute l’opération policière, même s’ils ne sont pas parvenus à l’empêcher de s’enlever la vie. Par conséquent, il n’y a aucun motif de porter des accusations dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 30 août 2021

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.