Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 20-TCI-200

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée (« LAIPVP »)

En vertu de l’article 14 de la LAIPVP (article relatif à l’application de la loi), certains renseignements peuvent être omis du présent rapport, notamment s’il est raisonnable de s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet, selon le cas :
  • de révéler des techniques et procédés d’enquête confidentiels utilisés par des organismes chargés de l’exécution de la loi;
  • de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 de la LAIPVP (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment :
  • le nom de tout agent impliqué;
  • le nom de tout agent témoin;
  • le nom de tout témoin civil;
  • les renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé (« LPRPS »)

En vertu de la LPRPS, le présent document ne contient aucun renseignement personnel lié à la santé de personnes identifiables. 

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’application de la loi.

Exercice du mandat

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’application de la loi qui mène des enquêtes sur les incidents à l’origine de blessures graves, de décès ou d’allégations d’agressions sexuelles, dans lesquels des agents de police sont en cause. La compétence de l’Unité s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux dans l’ensemble de l’Ontario.

En vertu de la Loi sur les services policiers, le directeur de l’UES doit déterminer, d’après les preuves recueillies dans une enquête, si un agent a commis une infraction criminelle en rapport avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. Si, à la suite de l’enquête, il existe des motifs raisonnables de croire qu’une infraction a été commise, le directeur a le pouvoir de déposer un chef d’accusation à l’encontre de l’agent. Subsidiairement, s’il n’y a aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction criminelle a été commise, le directeur ne dépose pas d’accusation, mais remet un rapport au procureur général pour l’informer des résultats de l’enquête.

Le rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur la blessure grave subie par un homme de 71 ans (plaignant).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 14 août 2020, à 16 h 15, le Service de police de Toronto a communiqué avec l’UES pour signaler ce qui suit.

Le 14 août 2020, vers 10 h 30, l’agent impliqué (AI) des services de circulation routière (unité de motocyclette) du Service de police de Toronto, procédait au contrôle de la vitesse des véhicules près de l’intersection de l’avenue Islington et de Ridgevalley Crescent. Le plaignant a alors été arrêté pour excès de vitesse et pour non-respect du port de la ceinture de sécurité. Lorsque l’agent lui a remis ses avis d’infraction provinciale, le plaignant se serait approché de l’AI de manière menaçante. L’agent lui aurait alors fait une mise en garde en lui disant de retourner à sa voiture, mais le plaignant aurait continué d’avancer vers l’agent.

L’AI a alors tendu sa matraque ASP en ordonnant au plaignant de cesser d’avancer, et celui-ci se serait approché davantage de l’agent et aurait été frappé avec la matraque.

Le plaignant a ensuite été conduit à l’Hôpital général d’Etobicoke, où une fracture de la mâchoire a été diagnostiquée.

Un vidéaste semi-professionnel, soit le témoin civil (TC) no 1, aurait semble-t il filmé la scène.


L’équipe

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Plaignant :

Homme de 71 ans, a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue
TC no 3 A participé à une entrevue
TC no 4 A participé à une entrevue
TC no 5 A participé à une entrevue
TC no 6 A participé à une entrevue

Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 Notes examinées; entrevue jugée non nécessaire
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue







Agents impliqués

AI N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué



Éléments de preuve

Les lieux

L’incident est survenu sur Ridgevalley Crescent, juste à l’est de l’intersection avec l’avenue Islington.

L’enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES ne s’est pas rendu sur les lieux, car ils n’avaient pas été sécurisés. Par conséquent, il n’y avait rien à examiner. L’UES a cependant demandé à voir les photos pertinentes du Service de police de Toronto.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou photographiques

Résumé de l’enregistrement vidéo

Le 18 août 2020, à 21 h 28, le TC no 1 a fourni à l’UES 28 séquences vidéo de courte durée prises durant l’incident faisant l’objet de l’enquête. Les séquences vidéo ne portaient pas la date ni l’heure. Ce qui suit est un résumé de leur contenu.

L’AI a fait signe avec sa main droite au conducteur d’un véhicule Toyota, soit le plaignant, de s’arrêter. L’AI tenait un radar de vitesse portatif dans la main gauche.

La tête hors de la fenêtre du conducteur, le plaignant a crié des paroles inaudibles en direction de l’avenue Islington. L’AI a placé le radar à l’arrière de sa motocyclette de police. Il a ensuite plié une longue feuille de papier blanche et le plaignant a traité l’AI de [Traduction] « trou de cul ».

Tout en sortant de son véhicule et en pointant un doigt de la main gauche en direction de l’AI, le plaignant a dit : [Traduction] « Je ne parle pas ». L’AI a pris un objet du côté droit, vers l’arrière, de son ceinturon de service.

L’AI a ensuite reculé en s’éloignant du plaignant, qui avait du sang sur la mâchoire. L’AI a ordonné au plaignant : [Traduction] « Assieds-toi. Assieds-toi par terre. ». En tenant un essuie-tout maculé de sang du côté gauche de sa mâchoire, le plaignant a dit : [Traduction] « Beau travail, trou de cul! », puis il est retourné vers son véhicule.

Pendant qu’il appliquait un essuie-tout sur le côté gauche de sa mâchoire, le plaignant était appuyé sur la voiture. Le TC no 2 se trouvait sur le bord du coffre de sa voiture et regardait dans la direction du plaignant. Celui-ci est retourné vers son véhicule, et l’AI l’a suivi.

LE TC no 2 et le TC no 4 étaient assis sur le gazon du terrain avant d’un bâtiment. Le plaignant a secoué la tête à l’intention du TC no 1, qui était en train d’enregistrer la scène.

Résumé de l’enregistrement audio et vidéo de l’AI

Le Service de police de Toronto a fourni un fichier d’enregistrement audio et vidéo pris par l’AI sur son téléphone cellulaire personnel durant son interaction avec le plaignant. L’enregistrement ne comportait pas d’indication de la date, et les heures indiquées ici correspondent au temps écoulé à partir du début de l’enregistrement et non pas à l’heure réelle.


Enregistrement audio

À 15 secondes après le début de l’enregistrement, l’AI a dit : [Traduction] « Bonjour, comment allez-vous? » Le plaignant a alors répondu : [Traduction] « Pas bien du tout. » L’AI a ensuite dit : [Traduction] « D’accord. Pourquoi ne portez-vous pas votre ceinture de sécurité? », ce à quoi le plaignant a répondu en haussant le ton : [Traduction] « Je viens de la détacher pour prendre mon portefeuille. » L’AI a rétorqué : [Traduction] « Non. Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas ce que j’ai vu. » Le plaignant a demandé : [Traduction] « Avez-vous une caméra? Je jure que je viens de l’enlever. » L’AI a dit : [Traduction] « Arrêtez de crier, Monsieur. Votre ceinture de sécurité n’était pas bouclée et si je vous ai arrêté, c’est parce que la limite de vitesse sur l’avenue Islington est de 50 et que vous rouliez à 71. » Le plaignant : [Traduction] « Vous savez quoi… », et l’AI l’a interrompu en disant : [Traduction] « Puis-je voir votre permis de conduire, une preuve de propriété du véhicule et votre certificat d’immatriculation? » Le plaignant lui a répondu : [Traduction] « Pas tant que vous ne m’aurez pas écouté. » L’AI a rétorqué : [Traduction] « Je n’ai pas l’intention d’écouter. » Le plaignant a alors demandé pourquoi il avait été arrêté, et l’AI lui a répondu que c’était pour un excès de vitesse. Le plaignant a ensuite demandé à l’agent s’il voulait savoir pourquoi il roulait si vite, et l’AI a dit : [Traduction] « Non, je ne veux pas le savoir. »

L’AI a redemandé à voir le permis de conduire, une preuve de propriété du véhicule et le certificat d’immatriculation à 1 minute 2 secondes à partir du début de l’enregistrement. Le plaignant ne cessait de répéter : [Traduction] « Qu’est-ce que c’est que cela? » L’AI a alors réitéré sa demande. Vingt secondes plus tard, il a répété sa demande et le plaignant lui a crié : [Traduction] « Je vous ai déjà entendu. » L’AI a déclaré : [Traduction] « Vous refusez de présenter vos documents. Je vous donne une dernière chance. Je vais retourner à ma moto et je vais préparer une contravention pour chaque document que vous refusez de présenter. Il vous reste dix secondes… Cinq secondes. » Le plaignant a alors dit : [Traduction] : « Voilà! » L’AI a ajouté : [Traduction] « Il manque une preuve de propriété du véhicule. » Le plaignant a alors répondu : [Traduction] « Oh, n’exagérez pas. » L’AI a insisté : [Traduction] « Vous savez ce que c’est? C’est un document juridique qui doit être signé pour être en règle. C’est comme le passeport, le permis de conduire ou la carte Santé. Ce document avec la signature n’est pas valide… et votre plaque arrière n’est pas bien visible. Il s’agit d’une autre infraction. Excès de vitesse. Ceinture de sécurité. Refus de… » Le plaignant a alors crié : [Traduction] « Va chier, mon gros plein de marde. » L’AI a néanmoins continué : [Traduction] « … avec une plaque pas entièrement visible. »

À 2 minutes 34 secondes à partir du début, l’AI a dit : [Traduction] « Restez dans la voiture, Monsieur. » Il l’a répété une autre fois pendant que le plaignant lui disait : [Traduction] « Va chier. » Le plaignant a demandé : [Traduction] « Elle n’est pas visible? » L’AI a répondu : [Traduction] « Elle n’est pas facilement visible au complet. Retournez à votre voiture Monsieur. » Le plaignant a réagi en disant : [Traduction] « Non, mange de la marde. Prends une photo. Allez, prends un photo. » L’AI lui a répondu : [Traduction] « Non, vous, prenez une photo. Retournez dans la voiture, Monsieur. » On a ensuite entendu un son, vraisemblablement le son de l’agent qui sortait sa matraque. Le plaignant a dit : [Traduction] « Quoi? Tu as l’intention de me frapper? C’est un bâton? » Pendant ce temps, l’AI répétait au plaignant de retourner dans sa voiture. Celui-ci lui a dit de lui foutre la paix et il l’a traité de gros plein de marde. L’AI a dit : [Traduction] « Merci. » Le plaignant a ajouté : [Traduction] « Avec quatre-vingt-dix ans de retard. La Gestapo! Tu aimes ça, hein? Va chier. » L’AI a rétorqué : [Traduction] « Assoyez-vous », et le plaignant lui a dit : [Traduction] « Va chier. » Après 3 minutes 15 secondes, le plaignant a cessé de parler.

L’AI a demandé : [Traduction] « Pouvez-vous enregistrer l’appel. » Le TC no 1 a répondu : [Traduction] « Non, non, non. » L’AI a répété qu’il voulait que l’appel soit enregistré et le TC no 1 a semblé d’accord.

À 3 minutes 45 secondes, l’AI a dit : [Traduction] « Assoyez-vous. Je ne peux pas faire mon travail tant que vous ne serez pas assis dans la voiture. » Il a continué à demander au plaignant de s’asseoir pendant environ 15 secondes.

L’AI a ensuite parlé à la radio de police. À 4 minutes 45 secondes, l’AI a dit : [Traduction] « C’est un journaliste, et il peut faire ce qu’il veut, alors oui, il est en train de filmer. » Le plaignant a dit : [Traduction] « Tu n’as pas un travail à faire, trou de cul? » L’AI a répondu qu’il faisait son travail. À environ 6 minutes 30 secondes, l’AI a demandé au TC no 1 de rester parce qu’il avait besoin de lui comme témoin, car le plaignant allait porter plainte. On a entendu un bruit mécanique ressemblant à celui d’une imprimante et, à peu près une minute plus tard, l’AI a demandé au TC no 1 de le filmer pendant qu’il se dirigeait vers le plaignant, et le TC no 1 a accepté. À environ 9 minutes, il a semblé que le plaignant avait dit quelque chose, et l’AI a répondu : [Traduction] « Ça s’en vient. »

L’enregistrement vidéo a alors commencé.

Enregistrement sur un téléphone cellulaire

L’AI tenait dans sa main un bout de papier blanc, soit une contravention conforme à la Loi sur les infractions provinciales. Il s’est approché du véhicule Toyota. Le plaignant était sur le siège du conducteur, avec la tête tournée en direction de l’AI. Lorsque l’AI est arrivé à environ un mètre de la portière du côté conducteur, le plaignant a ouvert sa portière.

L’AI a donné l’ordre suivant au plaignant : [Traduction] « Restez dans la voiture, retournez à votre voiture. » Le plaignant est complètement sorti de son véhicule et s’est mis à marcher vers l’AI avec le bras gauche complètement tendu à l’horizontale et l’index pointé. Le plaignant a répondu : [Traduction] « Je ne te parle pas » tout en semblant regarder derrière l’AI. Celui-ci a ordonné à maintes reprises au plaignant de retourner dans son véhicule.

Le plaignant se trouvait tout près de l’AI. Il semblait immobile, puis il a demandé : [Traduction] « Qu’est-ce que tu es en train de faire? »

La caméra a subitement tourné vers la gauche, puis on a pu voir brièvement une main tenant un objet cylindrique d’environ 2,5 centimètres de diamètre. La caméra a ensuite été de nouveau pointée vers le sud pour montrer le plaignant, qui semblait instable sur ses jambes et qui a porté la main gauche au côté gauche de son visage. Lorsque le plaignant a retiré sa main de son visage, on a aperçu une coupure qui saignait à gauche de la bouche, d’environ 2,5 centimètres de long. Le plaignant a perdu l’équilibre et il s’est retenu à l’arrière du véhicule, du côté du conducteur.

L’AI a ordonné à plusieurs reprises au plaignant de s’étendre au sol. Le plaignant regardait l’AI avec un air stupéfait.

L’AI s’est approché du plaignant et a tenté de le plaquer au sol en se servant de son bras gauche. Celui-ci est néanmoins demeuré debout à côté de son véhicule, avec un air hébété, et il a demandé : [Traduction] « Es-tu conscient de ce que tu viens de faire? »

L’AI a demandé des renforts par radio. Il a aussi demandé à ce qu’une ambulance vienne sur les lieux. L’AI a encore ordonné à plusieurs reprises au plaignant de s’asseoir au sol. Celui-ci lui a crié : [Traduction] « Arrête. Fous-moi la paix. » L’AI a précisé au plaignant qu’il n’était pas libre de partir.

L’AI a demandé pour une deuxième fois des renforts et une ambulance. Le plaignant s’était éloigné de son véhicule et il parlait au TC no 2, mais leur conversation était inaudible, sauf pour les paroles suivantes : [Traduction] « On est revenu en Allemagne, en 1930. » Le plaignant est retourné vers son véhicule et l’AI a reculé pour maintenir une distance par rapport à lui.

L’AI a dit au centre de répartition : [Traduction] « Je suis avec un conducteur très agressif. J’ai dû utiliser ma matraque et il saigne. J’ai besoin d’une ambulance » L’AI a aussi demandé qu’un sergent de patrouille routière et un agent avec une arme à impulsions se rendent sur les lieux. Le plaignant a crié à l’AI de lui remettre sa contravention. Celui-ci a ordonné au plaignant de rester assis et d’attendre l’ambulance. Le plaignant a dit qu’il n’avait pas besoin d’ambulance, ce à quoi l’AI a répliqué qu’il en avait besoin et qu’il devait rester assis. Le plaignant lui a lancé : [Traduction] « Vous êtes un professionnel, car vous savez comment frapper les gens sans leur casser les dents, hein?»

L’AI a annoncé à la radio que le plaignant s’était calmé et qu’il avait seulement besoin qu’un agent se tienne prêt et qu’une ambulance vienne chercher un homme de 70 ans, qui saignait du visage. Le plaignant s’est déplacé d’environ deux mètres vers la gauche de son véhicule et en direction de l’AI.

L’AI a ordonné au plaignant de retourner dans son véhicule, ce à quoi le plaignant a rétorqué qu’il voulait seulement voir ce qu’il avait [en faisant vraisemblablement allusion au TC no 1] sur son T-shirt. L’AI a dit que le TC no 1 était là pour des raisons sans lien avec lui. Le plaignant a dit certaines paroles laissant entendre que le TC no 1 filmait pour voir comment les gens réagissaient à certaines situations, mais que ça ne fonctionnait pas. Le plaignant a répété qu’il n’avait pas besoin d’une ambulance et il a réclamé sa contravention. L’AI lui a dit que l’ambulance arrivait.

Le centre de répartition a demandé plus de détails sur la blessure pour mettre les services ambulanciers au courant. L’AI a dit que le plaignant avait une coupure du côté gauche du visage, puis on a entendu le plaignant crier : [Traduction] « Il m’a cassé les dents, le salaud. »

Le plaignant s’est encore éloigné de son véhicule et, arrivé à une courte distance de l’AI, il a demandé pourquoi il le faisait attendre. L’AI a répété au plaignant qu’il n’avait pas le droit de partir tant qu’il n’aurait pas été examiné par les ambulanciers, tandis que celui-ci était en colère.

L’AT no 5 est sorti de sa voiture de police. L’AI a dit qu’il avait demandé une ambulance, car le plaignant saignait. Il a ajouté : [Traduction] « J’ai dû me servir de la matraque et je l’ai frappé. J’ai manqué le torse. » L’AI a demandé à l’AT no 5 de surveiller l’arrivée de l’ambulance.

Un autre agent [vraisemblablement l’AT no 4] s’est approché de l’AI et lui a posé des questions sur le TC no 1. L’AI a demandé que l’AT no 4 prenne les coordonnées du TC no 1.

Résumé de l’enregistrement vidéo fait par le TC no 3

L’UES a obtenu un enregistrement fait par le TC no 3. Les heures indiquées ici correspondent au temps écoulé à partir du début de l’enregistrement et non pas à l’heure réelle. L’enregistrement était de 1 minute 3 secondes. On pouvait voir l’intersection de l’avenue Islington et de Ridgevalley Crescent du côté est à partir d’un point à l’ouest.

Il y avait sur le coin de Ridgevalley Crescent un homme [maintenant identifié comme le TC no 1]. Un agent [maintenant identifié comme l’AI] allait et venait au milieu de la route sur Ridgevalley Crescent. Sa moto était du côté nord de Ridgevalley Crescent, juste à l’est d’un panneau d’arrêt obligatoire.

Une voiture de police conduite par l’AT no 5, avec sa sirène activée, roulait en direction sud sur l’avenue Islington et a dépassé Ridgevalley Crescent.

Le plaignant était appuyé sur le coffre d’un véhicule, avec la main gauche près du visage. L’AI se tenait à une distance de deux à trois voitures du plaignant.

Le TC no 2 et le TC no 4 étaient assis sur un terrain gazonné au sud de Ridgevalley Crescent.

Résumé de la vidéo du TC no 4

Le TC no 4 a remis à l’UES une copie d’un enregistrement vidéo de cinq secondes qu’il avait fait en relation avec l’incident faisant l’objet de l’enquête. L’enregistrement ne comportait pas d’indications de la date ni de l’heure. En voici un résumé.

Le plaignant était assis sur un terrain gazonné au sud-est de l’intersection de Ridgevalley Crescent et de l’avenue Islington. Un agent était penché à la hauteur de la taille et il était en train de discuter avec le plaignant. Une Toyota Matrix blanche était garée face vers l’est sur Ridgevalley Crescent. Il y avait un VUS identifié de la police avec ses feux d’urgence activés et deux agents debout derrière.

Enregistrements de communications

Résumé des enregistrements des communications du Service de police de Toronto

Le Service de police de Toronto a fourni les enregistrements de ses communications relatives à l’incident. Voici un résumé des enregistrements audio de la police.

De 10 h 36 min 30 s à 10 h 36 min 33 s, une alarme d’urgence a été activée par l’AI parce qu’il avait besoin d’assistance à l’intersection de l’avenue Islington et de Ridgevalley Crescent. Il a également demandé de faire venir les services ambulanciers et d’autres unités.

De 10 h 37 min 22 s à 10 h 37 min 48 s, l’AI a dit à la radio : [Traduction] « Je suis avec un conducteur très agressif. J’ai dû utiliser ma matraque et il saigne. J’ai besoin d’une ambulance. » L’AI a demandé qu’un sergent de patrouille routière et quelqu’un ayant un une arme à impulsions, car lui n’en avait pas, se rendent sur les lieux.

À 10 h 37 min 54 s : Le centre de répartition du service 911 a appelé un répartiteur des services ambulanciers afin de demander qu’une ambulance vienne sur les lieux, à l’intersection de Ridgevalley Crescent et de l’avenue Islington.

À 10 h 38 min 0 s, lorsque l’AI a demandé les services ambulanciers, la conversation suivante s’est tenue.

[Traduction]
Plaignant : [paroles inaudibles] la maudite contravention.

AI : Vous devez rester ici, Monsieur. Attendez. Une ambulance arrive bientôt pour vous.

Plaignant : Il y a… je n’en ai pas besoin!

AI Vous avez besoin d’une ambulance. Assoyez-vous.

Plaignant : Ouais, pourquoi?

À 10 h 38 min 42 s, l’AI a indiqué que le plaignant s’était calmé et a demandé que [Traduction] « quelqu’un se tienne prêt ».

De 10 h 38 min 53 s à 10 h 40 min 26 s, l’AI a dit à la radio qu’un homme de 60 ans [par la suite identifié comme un homme de 70 ans] saignait au visage. Le plaignant avait une coupure à la joue gauche.

De 10 h 41 min 58 s à 10 h 43 min 59 s, l’AI a dit à la radio que l’AT no 5 avait dépassé le lieu où il se trouvait. L’AI a ensuite indiqué que l’AT no 5 était sur place et que toutes les autres unités pouvaient ralentir parce que [Traduction] « tout allait bien ». Il a demandé l’heure d’arrivée prévue de l’ambulance.

À 10 h 46 min 30 s, l’AT no 4 est arrivé sur les lieux.

À 10 h 47 min 29 s, les services ambulanciers étaient dans le secteur de l’intersection de l’avenue Kipling et du boulevard Lakeshore.

À 10 h 47 min 40 s, l’AI a redemandé qu’un sergent de patrouille routière aille le rejoindre.

À 10 h 53 min 37 s, l’AT no 2 a dit qu’il se rendait là où l’AI se trouvait.

À 10 h 55 min 29 s, un agent a signalé que le plaignant avait une lacération à la joue gauche et il a demandé l’heure d’arrivée prévue de l’ambulance.

À 10 h 57 min 8 s, une communication a annoncé que l’ambulance était à l’intersection de Rathburn Road et de l’avenue Islington.

À 11 h 1 min 34 s, l’AI a signalé que l’ambulance était arrivée.

À 11 h 36 min 13 s, l’AI était en train de rédiger ses notes et il se dirigeait vers la division des services routiers.

À 11 h 37 min 18 s, l’AT no 1 a suivi l’ambulance jusqu’à l’Hôpital général d’Etobicoke.

Éléments obtenus auprès du Service de police

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants du Service de police de Toronto:
• les enregistrements des communications;
• les enregistrements audio et vidéo de l’AI;
• le rapport d’incident général;
• résumé détaillé de l’incident;
• le rapport de blessure du plaignant;
• les notes des AT;
• les avis conformes à la Loi sur les infractions provinciales;
• la procédure relative aux arrestations;
• la procédure relative au contrôle de la vitesse;
• la procédure relative à l’utilisation de la force et ses annexes;
• la correspondance interne du Service de police de Toronto concernant les renseignements divulgués par l’AI le 17 août 2020;
• la liste des témoins civils du Service de police de Toronto;
• le registre de formation de l’AI sur l’utilisation de la force.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

Sur demande, l’UES a obtenu les éléments de preuve audio et vidéo de témoins civils:
• l’enregistrement sur téléphone cellulaire du TC no 1;
• l’enregistrement sur téléphone cellulaire du TC no 3;
• la vidéo enregistrée par le TC no 4.

Sur demande, l’UES a obtenu et examiné les documents et éléments suivants des services ambulanciers de Toronto et de l’Hôpital général d’Etobicoke:
• le rapport d’appel d’ambulance;
• le dossier médical de l’Hôpital général d’Etobicoke.

Description de l’incident

Le scénario qui suit ressort des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment les entrevues avec plusieurs témoins civils et les enregistrements vidéo montrant une partie de l’interaction en question. Vers 10 h 30. le 14 août 2020, l’AI contrôlait la vitesse des véhicules à l’intersection de l’avenue Islington et de Ridgevalley Crescent, lorsqu’il a intercepté le plaignant pour un excès de vitesse. Le plaignant, qui roulait en direction nord, a emprunté Ridgevalley Crescent et s’est immobilisé, face vers l’est, juste à l’est de l’avenue Islington.

Le plaignant était mécontent de s’être fait arrêter. Il a exprimé sa colère et a proféré des jurons à l’égard de l’AI et, à un certain stade, il est sorti de son véhicule.L’AI a tenté de le calmer et lui a demandé de retourner dans son véhicule. Celui-ci s’est exécuté, mais il n’a pas tardé à ressortir.

Toujours en furie, le plaignant est ressorti de son véhicule et s’est approché de l’agent. Il a continué d’exprimer son désaccord avec ce qui était en train de se passer et il était particulièrement en colère contre un autre civil, soit le TC no 1, qui, avec l’autorisation de l’AI, avait fait quelques enregistrements de l’interaction entre l’agent et le plaignant.

L’AI a continué d’ordonner au plaignant de retourner dans son véhicule. Lorsque ce dernier s’est approché de lui jusqu’à être à portée de main, l’AI l’a frappé avec sa matraque. Le coup porté au plaignant a causé une lacération au côté gauche du visage et une fracture de la mâchoire inférieure.

Après les coups de matraque, le plaignant a porté la main à son visage et a constaté qu’il saignait. Il a crié à l’agent ce qu’il venait de lui faire, mais est demeuré à distance. L’AI a demandé une ambulance par radio et il a attendu que d’autres agents arrivent.

Le plaignant a été conduit à l’hôpital dans une ambulance et ses blessures ont été diagnostiquées.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances
(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Analyse et décision du directeur

Dans la matinée du 14 août 2020, le plaignant a été frappé et blessé par l’AI après avoir été intercepté par lui. L’AI a été identifié comme l’agent impliqué pour les besoins de l’enquête de l’UES. D’après mon évaluation des éléments de preuve, il n’existe pas de motifs raisonnables de croire que l’AI a commis une infraction criminelle en relation avec la blessure du plaignant.

L'article 34 du Code criminel définit ce qui constitue une force justifiée pour se défendre soi-même ou défendre une autre personne. Il autorise des actions qui constitueraient autrement une infraction dans les cas où ces actions visent à parer une attaque raisonnablement appréhendée et sont, en soi, justifiées dans les circonstances. Je considère que les éléments de preuve sont insuffisants pour conclure raisonnablement que la force employée par l’AI dépassait les limites de ce qui est jugé comme justifié.

Les éléments de preuve indiquent que l’AI était dans l’exécution de ses fonctions légitimes de contrôle de la vitesse lorsqu’il a capté le véhicule du plaignant sur son radar et l’a intercepté pour excès de vitesse. Le plaignant s’est alors mis en colère contre l’agent. Il a formulé verbalement ses objections et il a proféré des jurons à l’endroit de l’agent. Et ce n’était qu’un début. Le plaignant est allé encore plus loin pour montrer son désaccord en sortant de son véhicule à quelques reprises et en s’approchant de l’agent de façon menaçante. Les déclarations des témoins indépendants à cet égard sont révélatrices, chacun s’étant dit préoccupé par le comportement du plaignant. Au vu du dossier, comme l’AI avait déjà ordonné au plaignant de s’éloigner et de retourner à son véhicule, je juge qu’il était justifié de sa part d’avoir recours à la force pour se défendre contre des gestes qui pouvaient raisonnablement être pris pour une attaque potentielle. Il s’agit de déterminer le bien-fondé de la force employée par l’AI.

J’estime avoir des motifs suffisants pour conclure que les deux coups de matraque donnés par l’agent n’étaient pas excessifs dans les circonstances. L’agressivité du plaignant et son refus de cesser d’avancer, malgré les demandes faites par l’agent, pouvaient donner l’impression à ce dernier que le plaignant était sur le point de l’attaquer. Il avait donc le droit de se protéger. Il avait aussi le droit de protéger le TC no 1, qui était aussi la cible de la colère du plaignant et qui se trouvait alors tout près. Il est très regrettable que les coups de matraque aient blessé gravement le plaignant au visage. Dans leur formation, les agents apprennent à éviter le visage avec leur matraque, à cause du potentiel évident de causer des blessures graves. Les éléments de preuve indiquent néanmoins que l’AI n’avait pas l’intention de frapper le plaignant à la tête. Il voulait plutôt, comme il l’a expliqué à un agent arrivé sur les lieux de la confrontation, utiliser la technique de maniement en « X » pour frapper le plaignant au torse et il lui a frappé la tête par accident, à cause des mouvements de ce dernier, et rien dans les éléments de preuve ne contredit l’explication de l’agent.

Je conclus en signalant que l’AI s’est lui-même causé du tort. Avant son interaction avec le plaignant, l’agent avait été approché par un journaliste, soit le TC no 1, qui voulait tourner quelques scènes montrant des interactions entre un agent et un citoyen durant les interceptions liées au Code de la route. L’AI qui, semble-t il, croyait avoir le droit de donner cette autorisation, à condition que le visage des personnes soit brouillé, a accepté. Je ne sais pas s’il avait raison d’avoir accepté. Quoi qu’il en soit, ce qui est clair, c’est que la présence du TC no 1 avec une caméra vidéo, qui était en train d’enregistrer l’interaction, a été une source d’irritation pour le plaignant et a eu pour effet d’attiser sa colère. L’AI a été indûment agressif dans son interaction avec le plaignant avant l’altercation, et il a ainsi empiré une situation déjà tendue. Par exemple, il a, à un certain stade, fait un décompte de dix secondes, en donnant ce délai au plaignant pour qu’il lui présente des documents, sans quoi il allait lui donner une contravention. Même s’il est vrai que l’AI avait le droit de se défendre malgré des erreurs traduisant un manque de jugement, je vais signaler ce problème au chef de police.

Pour les raisons exposées ci-dessus, puisque j’ai la conviction que l’AI a agi de manière raisonnable en utilisant sa matraque afin d’éviter une attaque raisonnablement appréhendée de la part du plaignant, il n’y a pas lieu de déposer des accusations dans cette affaire. Le dossier est donc clos.


Date : 16 août 2021

Signature électronique

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Les éléments de preuve recueillis durant l’enquête indiquent que les agents sont entraînés à manier leur matraque de manière à tracer un X dans les airs en visant les membres ou le centre du tronc du sujet. La technique comprend deux mouvements, comme si on traçait un « X » à la craie sur un tableau. [Retour au texte]

Note:

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