Rapport du directeur de l’Unité des enquêtes spéciales - Dossier nº 21-TFI-118

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Mandat de l’UES

L’Unité des enquêtes spéciales (« l’UES » ou « l’Unité ») est un organisme civil d’exécution de la loi qui enquête sur les incidents mettant en cause un agent et impliquant un décès, une blessure grave, la décharge d’une arme à feu contre une personne ou une allégation d’agression sexuelle. Selon la définition de la Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales (Loi sur l’UES), « agents » s’entend des agents de police, des agents spéciaux employés par la Commission des parcs du Niagara et des agents de la paix en vertu de la Loi sur l’Assemblée législative. La compétence de l’UES s’étend à plus de 50 corps de police municipaux, régionaux et provinciaux en Ontario.

En vertu de la Loi sur l’UES, le directeur de l’UES doit établir, d’après les preuves recueillies dans le cadre d’une enquête, s’il existe des motifs raisonnables de croire qu’un agent a commis une infraction criminelle. Si de tels motifs existent, le directeur a le pouvoir de faire porter une accusation criminelle contre cet agent. Par contre, en l’absence de tels motifs, le directeur ne peut pas porter d’accusation. Dans ce cas, un rapport d’enquête est rédigé et rendu public, sauf s’il portait sur des allégations d’agression sexuelle, auquel cas le directeur de l’UES peut consulter la personne concernée et exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas publier le rapport pour protéger la vie privée de la personne concernée.

Restrictions concernant la divulgation de renseignements

Loi de 2019 sur l’Unité des enquêtes spéciales

En vertu de l’article 34, certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment :
  • le nom d’un agent impliqué, d’un agent témoin, d’un témoin civil ou d’une personne concernée, ainsi que tout renseignement permettant d’identifier ces personnes; 
  • des renseignements qui pourraient amener à ce que l’identité d’une personne ayant signalé avoir été agressée sexuellement soit révélée dans le contexte de l’agression sexuelle; 
  • des renseignements qui, de l’avis du directeur de l’UES, peuvent présenter un risque de préjudice grave pour une personne; 
  • des renseignements qui divulguent des techniques ou méthodes d’enquête; 
  • des renseignements dont la diffusion est interdite ou restreinte par la loi; 
  • des renseignements pour lesquels la protection de la vie privée d’une personne obtenue grâce à leur non-publication l’emporte clairement sur l’intérêt public de les publier.

Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée

En vertu de l’article 14 (article relatif à l’exécution de la loi), certains renseignements peuvent être omis de ce rapport, notamment : 
  •  des renseignements qui révèlent des techniques ou méthodes d’enquête confidentielles utilisées par des organismes chargés de l’exécution de la loi; 
  • des renseignements dont on pourrait raisonnablement s’attendre à ce que leur divulgation ait pour effet de faire obstacle à une question qui concerne l’exécution de la loi ou à une enquête menée préalablement à une instance judiciaire. 

En vertu de l’article 21 (article relatif à la vie privée), le présent rapport ne contient aucun renseignement personnel protégé, notamment : 
  •  les noms de personnes, y compris des témoins civils et des agents impliqués et témoins; 
  • des renseignements sur le lieu de l’incident; 
  • les déclarations des témoins et les éléments de preuve qui ont été fournis à l’UES à titre confidentiel dans le cadre de l’enquête; 
  • d’autres identifiants susceptibles de révéler des renseignements personnels sur les personnes concernées par l’enquête. 

Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé

En vertu de cette loi, le présent document ne contient aucun renseignement personnel sur la santé de personnes identifiables.

Autres instances, processus et enquêtes

Il se peut que certains renseignements aient été omis du présent rapport parce que leur divulgation pourrait compromettre l’intégrité d’autres instances liées au même incident, par exemple des instances pénales, des enquêtes du coroner, d’autres instances publiques ou d’autres enquêtes menées par des organismes d’exécution de la loi.

Exercice du mandat

En vertu de l’article 15 de la Loi sur l’UES, l’UES peut enquêter sur la conduite d’agents (agents de police, agents spéciaux de la Commission des parcs du Niagara ou agents de la paix en vertu de Loi sur l’Assemblée législative) qui pourrait avoir entraîné un décès, des blessures graves, une agression sexuelle ou la décharge d’une arme à feu contre une personne.

Une personne subit une « blessure grave » qui relève de la compétence de l’UES si, selon le cas : elle subit une blessure pour laquelle elle est admise à l’hôpital, elle souffre d’une fracture du crâne, d’un membre, d’une côte ou d’une vertèbre, elle souffre de brûlures sur une grande partie du corps, ou elle subit une perte de la vision ou de l’ouïe par suite d’une blessure.

De plus, une « blessure grave » désigne toute autre blessure subie par une personne susceptible d’avoir des répercussions sur la santé ou le confort de cette personne et qui n’est pas de nature passagère ou bénigne.

Ce rapport porte sur l’enquête menée par l’UES sur les blessures graves subies par un homme de 54 ans (le « plaignant »).

L’enquête

Notification de l’UES

Le 13 avril 2021, à 9 h 22, le Service de police de Toronto (SPT) a avisé l’UES d’une fusillade impliquant des agents qui venait de se produire à une adresse de la rue Shuter. Un homme a été conduit à l’hôpital St. Michael après avoir été touché par des coups de feu tirés par des agents.

L’équipe

Date et heure de l’envoi de l’équipe : 13 avril 2021 à 10 h 29

Date et heure d’arrivée de l’UES sur les lieux : 13 avril 2021 à 10 h 45

Nombre d’enquêteurs de l’UES assignés : 3

Nombre d’enquêteurs spécialistes des sciences judiciaires de l’UES assignés : 3

Personne concernée (le « plaignant ») :

Homme de 54 ans; a participé à une entrevue et ses dossiers médicaux ont été obtenus et examinés

Le plaignant a participé à des entrevues le 30 juin et le 27 juillet 2021.


Témoins civils

TC no 1 A participé à une entrevue
TC no 2 A participé à une entrevue

Les témoins civils ont participé à des entrevues le 15 avril et le 29 mai 2021.

Agents impliqués

AI no 1 A participé à une entrevue et ses notes ont été reçues et examinées
AI no 2 N’a pas consenti à se soumettre à une entrevue ni à remettre ses notes, comme la loi l’y autorise en tant qu’agent impliqué.

L’AI no 1 a participé à une entrevue le 6 mai 2021.


Agents témoins

AT no 1 A participé à une entrevue
AT no 2 A participé à une entrevue
AT no 3 A participé à une entrevue
AT no 4 A participé à une entrevue
AT no 5 A participé à une entrevue

Les agents témoins ont participé à une entrevue entre le 14 avril et le 22 avril 2021.


Retard dans l’enquête

La conclusion de ce rapport a été retardée, parce que les enquêteurs de l’UES ont dû attendre de pouvoir s’entretenir avec le plaignant, qui a fait un long séjour à l’hôpital à la suite de ses blessures par balle.

Éléments de preuve

Les lieux

L’appartement du plaignant est un appartement à une seule chambre. Il y a un coin cuisine le long d’un mur, juste après la porte dans le hall d’entrée. À gauche de la porte, un couloir mène à la salle de bain et à la chambre. Le salon est à droite de la porte.

Dans le couloir, à gauche de la porte de l’appartement, l’UES a trouvé par terre un pistolet à impulsions et une sonde de pistolet à impulsions. Une autre sonde était coincée dans le cadre de la porte de l’appartement. Des étiquettes AFID (identification anti-félons) ont été trouvées par terre, devant la porte. À droite de la porte, l’UES a trouvé des cartouches, des fils et une sonde de pistolet à impulsions. Deux douilles de pistolet ont également été trouvées par terre, ainsi qu’un gilet/chandail noir de police, sur lequel figurait le nom de l’AI no 2.

La porte de l’appartement avait deux trous d’impact de balles, sur le côté droit. Les deux coups de feu avaient traversé la porte et l’un des projectiles avait frappé le mur du couloir, en face de la porte. Une balle a été récupérée dans ce mur.

Deux douilles de pistolet ont été trouvées par terre, dans la salle de bain du plaignant.

Une traînée de sang traversait le salon jusqu’à l’endroit où le plaignant a été retrouvé, dans l’espace entre la salle à manger et la cuisine.

Sur le plancher de la salle à manger, une veste était trempée de sang et était endommagée à la manche droite. Un projectile a été récupéré dans la manche.

Éléments de preuve matériels

Comme indiqué dans la section précédente, deux douilles de pistolet ont été trouvées à l’extérieur de la porte de l’appartement, et il y avait deux impacts de balles dans la porte, tous deux compatibles avec les deux tirs de l’AI no 1 dans la porte. Deux douilles de cartouches ont été récupérées dans la salle de bain de l’appartement du plaignant, et on pense qu’il manquait deux cartouches dans le pistolet de l’AI no 2, ce qui est compatible avec deux coups de feu tirés par l’AI no 2.

Des étiquettes AFID de pistolet à impulsions ont été trouvées des deux côtés de la porte de l’appartement du plaignant, ce qui correspond à l’utilisation d’une telle arme pendant que la porte était ouverte. Une sonde de pistolet à impulsions a été récupérée dans le cadre de la porte de l’appartement.

Les enquêteurs de l’UES se sont rendus à l’hôpital St. Michael pour tenter de récupérer tous les fragments de balles qui auraient pu être extraitres du plaignant; toutefois, ils ne sont pas parvenus à obtenir ces éléments de preuve.

Éléments de preuves médicolégaux

Examens d’armes

L’AT no 1 avait déployé son pistolet à impulsions durant cet incident. Le 13 avril 2021, un enquêteur spécialiste des sciences judiciaires de l’UES a téléchargé les données internes de ce pistolet. Ces données ont révélé que l’AT no 1 a déployé son pistolet à impulsions à 9 h 00 min 7 s, avec la cartouche 1. Il a tiré la cartouche 2 à 9 h 00 min 10 s [1]

Le pistolet de l’AI no 2, un Glock modèle 22 semi-automatique de calibre .40, contenait 12 cartouches. Ses chargeurs de rechange contenaient tous deux 14 cartouches. L’AI no 2 n’a pas consenti à une entrevue; on ne sait donc pas si elle avait l’habitude de « faire le plein » de son pistolet. Si sa pratique consistait simplement à insérer un chargeur dans son pistolet et à charger une cartouche dans la culasse, le nombre de balles réelles trouvées dans son pistolet suggérerait qu’elle a tiré deux coups. Deux douilles vides ont été trouvées dans l’appartement du plaignant et comme aucun autre agent que l’AI no 2 n’était à l’intérieur de l’appartement lorsque des coups de feu ont été tirés, les deux douilles vides confirment que l’AI no 2 a tiré deux fois.

Le pistolet de l’AI no 1, également un Glock modèle 22 semi-automatique de calibre .40, contenait 13 cartouches. Ses chargeurs de rechange contenaient chacun 14 cartouches. Au cours de son entrevue avec l’UES, l’AI no 1 a déclaré que son pistolet aurait été chargé de 15 cartouches. Il avait tiré deux coups de feu.


Figure 1 - Un Glock Model 22 d’un agent impliqué.

Le mardi 20 avril 2021, l’UES a soumis les éléments suivants au Centre des sciences judiciaires (CSJ) aux fins d’analyses:

• Deux douilles vides récupérées dans le couloir ;
• Deux douilles vides récupérées dans la salle de bain du plaignant;
• La balle récupérée dans le mur de l’appartement, face à la porte;
• La balle récupérée dans la veste trouvée dans la salle à manger;
• le pistolet de l’AI no 1;
• le pistolet de l’AI no 2;
• le T-shirt du plaignant;
• la veste récupérée dans la salle à manger.

Au moment de la présentation du présent rapport, l’UES n’avait pas reçu les résultats des analyses du CSJ.

Éléments de preuve sous forme de vidéos, d’enregistrements audio ou de photographies [2]

L’UES a obtenu les vidéos pertinentes suivantes:

• La vidéo d’une caméra de surveillance de la rue Shuter reçue le 4 août 2021.

Cette vidéo montre l’arrivée de l’AT no 1 et de l’AT no 2 à l’immeuble de la rue Shuter, à 7 h 46. L’AT no 2 tient une grande enveloppe, qui contient vraisemblablement le formulaire 47 [3] qu’ils viennent exécuter. L’AT no 2 et l’AT no 1 sortent d’un ascenseur à l’étage où habite le plaignant.

À 8 h 47, l’AI no 1 et l’AI no 2 arrivent et montent en ascenseur jusqu’à l’étage du plaignant. L’AI no 1 porte une veste jaune de l’Unité d’intervention communautaire, tandis que l’AI no 2 porte une veste légère ou un chandail d’uniforme de police bleu foncé.

À 8 h 55, l’AT no 4 et trois agents de l’unité cycliste prennent l’ascenseur jusqu’à l’étage du plaignant. À 8 h 56, l’AT no 3 monte en ascenseur jusqu’au troisième étage. L’AT no 5 et un autre agent en civil arrivent à 9 h 06 et montent en ascenseur jusqu’à l’étage du plaignant.

À 9 h 12, l’AT no 3, l’AT no 4 et l’AT no 5 escortent tous les autres agents hors de l’immeuble. L’AI no 2 ne porte plus son chandail/gilet bleu foncé.

Rapport de répartition assistée par ordinateur (RAO) et enregistrement des communications

Le 9 avril 2021, à 12 h 10, une infirmière du Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) appelle la Division 51 du SPT pour signaler qu’un formulaire 47 a été émis pour le plaignant parce qu’il a manqué des rendez-vous pour recevoir ses médicaments. L’infirmière précise que le plaignant souffre de schizophrénie. Elle accepte d’apporter le formulaire à la Division 51.

À 12 h 29, le répartiteur du service de police demande que des agents se rendent à la résidence du plaignant. Aucun agent n’est alors disponible.

Le rapport du RAO indique que le plaignant était connu pour être violent et avait déjà menacé des gens avec un couteau. Il souffrait de schizophrénie et accueillait souvent des « squatters » dans son appartement. L’infirmière de CAMH a mentionné qu’on pouvait s’attendre à ce que le plaignant se montre violent envers les agents de police. Le rapport du RAO mentionne également que le plaignant était recherché par la division 51 du SPT en vertu d’un mandat d’arrêt entériné.

À 16 h 57, des agents sont envoyés à l’appartement du plaignant. À 17 h 33, les agents disent que personne n’a répondu à la porte et qu’ils ont l’intention de réessayer dans quelques heures. À 20 h 04, les agents disent qu’ils retournent sur les lieux. À 0 h 23 (le 10 avril 2021), les agents disent que le plaignant n’est pas chez lui et qu’aucun son ne provient de l’appartement.

Le 12 avril 2021, à 9 h 08, l’infirmière de CAMH appelle le SPT. Elle précise que le plaignant est à la clinique de CAMH au moment de l’appel. Le plaignant affirme que des serpents l’attaquent. Il souhaite qu’on l’amène à l’hôpital, mais le personnel de la clinique préfèrerait ne pas l’accompagner en taxi. Le SPT accepte d’envoyer des agents pour emmener le plaignant à l’hôpital; cependant, aucun agent n’est disponible pour le faire à ce moment-là.

À 9 h 31, l’infirmière rappelle le SPT et dit que le plaignant a quitté la clinique. L’infirmière souligne que le plaignant a de longs antécédents d’agression.

À 9 h 53, des agents récupèrent le formulaire 47 au poste de la division 51 du SPT et se rendent à l’appartement du plaignant. À 10 h 20, les agents disent qu’ils ont frappé plusieurs fois à la porte du plaignant. Ils peuvent entendre de la musique jouer à tue-tête dans l’appartement, mais personne ne répond à la porte. L’agent suggère de replacer l’appel dans la file d’attente, pour que d’autres agents s’en occupent plus tard.

À 16 h 29, d’autres agents sont envoyés à l’appartement du plaignant. À 18 h 04, les agents disent qu’ils ont frappé à la porte du plaignant, mais n’ont obtenu aucune réponse.

Le 13 avril 2021, à 0 h 12, des agents se rendent à l’appartement du plaignant. À 1 h 40, les agents sur les lieux disent qu’ils ont frappé plusieurs fois à la porte, mais n’ont reçu aucune réponse. Ils demandent que l’appel soit assigné au quart de jour.

À 7 h 31, l’AT no 1 et l’AT no 2 sont envoyés à l’appartement du plaignant. On les avertit que le plaignant a la réputation d’être violent, qu’il souffre de schizophrénie et qu’il a déjà brandi des couteaux dans le passé. À 7 h 35, le répartiteur contacte le Groupe d’intervention d’urgence (GIU) qui accepte de surveiller l’appel. À 7 h 37, le GIU dit qu’ils surveillent les communications radio de la 51e division.

À 8 h 37, l’AI no 2 demande à être enregistrée comme intervenant sur l’appel.

À 8 h 53, on entend une agente de police crier [traduction] : « Coups de feu! » Un agent de police dit ensuite d’une voie excitée que des coups de feu ont été tirés.

À 9 h 15, un agent dit qu’on conduit l’AI no 1 et l’AI no 2 à l’hôpital pour des blessures graves liées au stress.

Éléments obtenus auprès du service de police

Le SPT a remis les documents suivants à l’UES entre le 13 avril et le 3 août 2021:

• Copie de l’enregistrement des communications;
• Copie du rapport d’incident général;
• Rapport du système de RAO;
• Notes prises par tous les agents témoins désignés dans leurs carnets de service respectifs;
• Notes de l’AI no 1;
• Enregistrement des interactions du SPT avec le plaignant;
• Copie de la photo du plaignant;
• Copie du formulaire 47 concernant le plaignant;
• Copie du registre de remise de pistolet à impulsions;
• Photos de l’AI no 2, prises par l’AT no 5;
• Photographies des lieux;
• Politique du SPT – Personnes ayant des troubles émotionnels;
• Politique du SPT – Recours à la force;
• Confirmation de la formation sur l’usage de la force pour l’AI no 1;
• Confirmation de la formation sur l’usage de la force pour l’AI no 2.

Éléments obtenus auprès d’autres sources

L’UES a examiné les éléments suivants obtenus auprès d’autres sources:
 
• Copie du dossier médical du plaignant de l’hôpital St. Michael;
• Copie des enregistrements du système de vidéosurveillance de la rue Shuter.

Description de l’incident

La séquence d’événements suivante découle des éléments de preuve recueillis par l’UES, notamment des entrevues avec le plaignant, avec un des deux agents impliqués – l’AI no 1 – ainsi qu’avec deux autres agents témoins qui étaient présents sur les lieux au moment des tirs et avec un civil qui a été témoin d’une partie de l’incident. Comme c’était son droit légal, l’autre agent impliqué – l’AI no 2 – n’a pas consenti à participer à une entrevue avec l’UES ni à lui communiquer une copie de ses notes sur l’incident.

Dans la matinée du 13 avril 2021, l’AI no 1 et l’AI no 2 se sont rendus à un appartement de la rue Shuter pour appréhender son occupant – le plaignant. Le plaignant faisait alors l’objet d’un mandat d’arrêt, qui avait été délivré lorsqu’il ne s’était pas présenté à une audience au tribunal, et d’un formulaire 47, ce dernier délivré par CAMH et autorisant de ramener le plaignant à l’établissement pour avoir enfreint une ordonnance de traitement en milieu communautaire. Quand l’AT no 1 a frappé à la porte, le plaignant a ouvert la porte puis l’a refermé rapidement en la claquer sur les agents. Par la suite, les agents ont continué de frapper et d’appeler le plaignant en l’encourageant à ouvrir la porte, en vain.

L’AT no 1 et l’AT no 2 ont demandé conseil à leurs supérieurs sur la façon de procéder. Le déploiement de l’équipe mobile d’intervention en cas de crise (EMIC) a été discuté, mais elle n’était pas disponible ce jour-là avant 11 h. Vers 8 h, l’AT no 5 a avisé les agents qu’on demanderait un mandat Feeney [4] et qu’ils devraient continuer à surveiller la porte en attendant l’arrivée d’autres agents et la délivrance du mandat.

L’AI no 2 et l’AI no 1 sont arrivés sur les lieux pour aider l’AT no 1 et l’AT no 2 vers 8 h 50. L’AI no 2 a donné un coup de pied dans la porte pour attirer l’attention du plaignant. Au bout d’un certain temps, le plaignant a entrouvert la porte. Il tenait un grand couteau.

Il s’en est suivi une lutte dans l’embrasure de la porte. Le plaignant a tiré l’AI no 2 dans l’appartement et l’AI no 1, qui était derrière elle, a réagi en la saisissant pour tenter de l’éloigner de la porte. Dans la bagarre, l’AI no 2 s’est retrouvée à l’intérieur de l’appartement sur le dos. Alors que la porte était toujours ouverte, l’AT no 1 a déchargé son pistolet à impulsions en direction du plaignant qui se tenait près de la porte. Une des sondes a frappé l’AI no 1. L’AT no 1 a déchargé son pistolet à impulsions une deuxième fois, sans effet.

Peu après ces décharges de pistolet à impulsions, la porte étant maintenant fermée et verrouillée, avec l’AI no 2 seule avec le plaignant à l’intérieur, l’AI no 1 a fait feu deux fois sur la porte. À peu près au même moment, l’AI no 2 a tiré deux fois sur le plaignant dans l’appartement. Le plaignant a été frappé trois fois : au bras gauche, au bras droit et à l’abdomen.

Après le deuxième tir de l’AI no 1, l’AI no 2 a crié qu’elle ouvrait la porte et l’a fait. Le plaignant était par terre, dans la cuisine de l’appartement. L’AI no 1, l’AT no 1 et l’AT no 2 sont entrés dans l’appartement et ont prodigué les premiers soins au plaignant.

Des ambulanciers paramédicaux sont rapidement arrivés sur les lieux et ont transporté le plaignant à l’hôpital.

Dispositions législatives pertinentes

Article 34 du Code criminel -- Défense -- emploi ou menace d’emploi de la force

34 (1) N’est pas coupable d’une infraction la personne qui, à la fois :
a) croit, pour des motifs raisonnables, que la force est employée contre elle ou une autre personne ou qu’on menace de l’employer contre elle ou une autre personne
b) commet l’acte constituant l’infraction dans le but de se défendre ou de se protéger -- ou de défendre ou de protéger une autre personne -- contre l’emploi ou la menace d’emploi de la force
c) agit de façon raisonnable dans les circonstances

(2) Pour décider si la personne a agi de façon raisonnable dans les circonstances, le tribunal tient compte des faits pertinents dans la situation personnelle de la personne et celle des autres parties, de même que des faits pertinents de l’acte, ce qui comprend notamment les facteurs suivants :
a) la nature de la force ou de la menace
b) la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent et l’existence d’autres moyens pour parer à son emploi éventuel
c) le rôle joué par la personne lors de l’incident
d) la question de savoir si les parties en cause ont utilisé ou menacé d’utiliser une arme
e) la taille, l’âge, le sexe et les capacités physiques des parties en cause
f) la nature, la durée et l’historique des rapports entre les parties en cause, notamment tout emploi ou toute menace d’emploi de la force avant l’incident, ainsi que la nature de cette force ou de cette menace;
f.1) l’historique des interactions ou communications entre les parties en cause
g) la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou à la menace d’emploi de la force
h) la question de savoir si la personne a agi en réaction à un emploi ou à une menace d’emploi de la force qu’elle savait légitime

Analyse et décision du directeur

Le plaignant a été blessé par des coups de feu tirés par deux agents du SPT dans son appartement de Toronto le 13 avril 2021. Les deux agents – l’AI no 1 et l’AI no 2 – ont été désignés comme agents impliqués aux fins de l’enquête de l’UES. Après avoir évalué les éléments de preuve, j’estime qu’il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’un ou l’autre des agents impliqués ait commis une infraction criminelle en lien avec ces tirs.

En vertu de l’article 34 du Code criminel, la force utilisée pour se défendre ou défendre autrui contre une attaque ou menace d’attaque raisonnablement appréhendée, ne constitue pas une infraction à condition que cette force soit raisonnable. Le caractère raisonnable de la force doit être évalué en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes, notamment : la nature de la force ou de la menace, la mesure dans laquelle l’emploi de la force était imminent, la disponibilité d’autres moyens pour faire face à l’emploi possible de la force, le fait qu’une partie à l’incident utilisait ou menaçait d’utiliser une arme ainsi que la nature et la proportionnalité de la réaction de la personne à l’emploi ou la menace d’emploi de la force. Je ne peux pas raisonnablement conclure, en me fondant sur le dossier de preuve, que les coups de feu tirés par l’AI no 1 et l’AI no 2 n’étaient pas autorisés par l’article 34.

Tous les agents intervenus dans cet incident, y compris l’AI no 2 et l’AI no 1, sont restés dans des limites légales en tout temps. Ils étaient dans le couloir près de la porte de son appartement et cherchaient à appliquer deux procédures légales – un formulaire 47 en vertu de la Loi sur la santé mentale et un mandat d’arrêt – lorsque l’échauffourée avant les coups de feu s’est ensuivie. Dans ce dossier, rien ne suggère une entrée illégale des agents dans des locaux privés. [5]

L’AI no 1 a dit aux enquêteurs de l’UES qu’il avait fait feu dans un effort désespéré de sauver la vie de l’AI no 2, qu’il craignait en danger imminent à ce moment-là. Aucun élément du dossier ne jette un doute sur l’authenticité de l’état d’esprit dans lequel l’agent a déclaré s’être trouvé. En ce qui concerne l’AI no 2, il n’y a aucun élément de preuve direct concernant son état d’esprit au moment où elle a fait feu puisqu’elle a refusé de faire une déclaration à l’UES, comme c’était son droit. Cela dit, les circonstances entourant les coups de feu tirés par l’AI no 2 suggèrent fortement qu’elle agissait pour protéger sa vie –elle venait d’être tirée violemment en arrière dans l’appartement par le plaignant qui brandissait un couteau et elle était seule avec lui au moment des coups de feu. C’est d’ailleurs ce qu’elle a confié à l’AT no 5 à l’hôpital, peu après l’incident.

Bien qu’on ne dispose que de très peu d’éléments de preuve quant aux détails de ce qui se passait dans l’appartement au moment où l’AI no 2 a fait feu, le peu qu’on en sait ne suggère pas que l’agente ait agi de manière déraisonnable en tirant deux coups de feu sur le plaignant. Se retrouvant seule dans un appartement fermé à clé face à un plaignant armé et erratique, il semblerait que l’agente était en droit de réagir à une menace mortelle en ayant recours elle-même à une force mortelle.

La question à trancher concerne donc davantage le bien-fondé des coups de feu de l’AI no 1. Au moment où il a fait feu, la preuve établit que la porte de l’appartement était fermée. L’agent a tiré à l’aveuglette dans l’appartement au travers de la porte, mettant possiblement en danger la vie de la personne qu’il tentait de sauver – l’AI no 2 – ainsi que de toute autre personne qui aurait pu être présente dans l’appartement.

Cependant, même si la conduite de l’AI no 1 était risquée, je suis convaincu qu’il s’agissait d’un risque calculé. L’AI no 1 venait de voir l’AI no 2 se faire traîner dans l’appartement, puis la porte fermée derrière elle, par un plaignant armé et violent. Après avoir essayé en vain de pousser la porte pour l’ouvrir de force, l’agent a décidé qu’il n’avait pas d’autre choix, pour sauver la vie de l’AI no 2, que de tirer avec son arme dans la direction où il avait vu le plaignant pour la dernière fois et à l’écart de l’endroit où il avait vu l’AI no 2 par terre. Bien que l’agent affirme avoir fait feu une seconde ou deux après la fermeture de la porte, la preuve indique que dix secondes au moins s’étaient écoulées. Il va de soi que cet intervalle de temps n’aurait fait qu’augmenter le risque que l’AI no 2 ne soit touchée par une balle tirée l’AI no 1, étant donné la possibilité accrue qu’elle se soit déplacée entre-temps. Cela dit, je n’ignore pas le principe de common law selon lequel les agents impliqués dans des situations dangereuses et volatiles ne sont pas tenus de mesurer avec précision la force avec laquelle ils réagissent; ce qui est requis de leur part est une réaction raisonnable, pas mesurée de façon rigoureuse: R. v. Baxter (1975), 27 CCC (2d) 96 (Ont. C.A.); R. c. Nasogaluak, [2010] 1 R.C.S 206. Dans le feu de l’action, avec seulement quelques secondes pour prendre une décision et avec la vie de l’AI no 2 en jeu, la preuve ne permet pas de croire raisonnablement que la force utilisée par l’AI no 1 était disproportionnée aux circonstances du moment.

Pour les raisons qui précèdent, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que l’AI no 1 et l’AI no 2 se soient comportés autrement que légalement tout au long de leur interaction avec le plaignant. [6] Il n’y a pas donc lieu de déposer des accusations criminelles dans cette affaire, et le dossier est clos.


Date : 11 août 2021

Approuvé par voie électronique par

Joseph Martino
Directeur
Unité des enquêtes spéciales

Notes

  • 1) Ces heures sont dérivées de l'horloge interne du pistolet à impulsions, qui n'est pas nécessairement synchronisée avec l'heure réelle. [Retour au texte]
  • 2) Les documents suivants contiennent des renseignements personnels délicats qui ne sont pas divulgués conformément au paragraphe 34 (2) de la Loi de 2019 sur l'Unité des enquêtes spéciales. Les éléments importants des documents sont résumés ci-dessous. [Retour au texte]
  • 3) Appréhension en vertu de l'article 33.4 de la Loi sur la santé mentale d'une personne qui fait l'objet d'une ordonnance de traitement en milieu communautaire. [Retour au texte]
  • 4) Obtenu en vertu de la procédure prévue aux articles 529 et 529.1 du Code criminel et nommé d'après la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R. c. Feeney, [1997] 2 RCS 13, un mandat Feeney autorise les agents de police à entrer de force dans une maison d'habitation pour procéder à une arrestation. [Retour au texte]
  • 5) Il semble que les agents connaissaient les antécédents de maladie mentale du plaignant. En effet, il avait été signalé dans les dossiers de police comme une personne émotionnellement perturbée, ce qui soulève la question de savoir si l'EMIC aurait dû intervenir pour l'arrestation du plaignant. L'EMIC, constituée d’un agent ou d’une agente de police ayant suivi une formation spécialisée et d’un infirmier ou d’une infirmière en santé mentale, peut apporter son aide dans les appels de service impliquant des personnes émotionnellement perturbées. Selon le dossier de preuve, l'EMIC n'était pas disponible ce jour-là avant 11 h, mais, bien entendu, on peut alors se demander pourquoi la police n'a pas simplement attendu jusqu'à ce moment-là pour engager les services de l'équipe. Aucune bonne raison n'a été avancée en réponse à cette question. Il se peut fort bien qu'une telle équipe aurait été mieux à même de résoudre la situation de façon pacifique. Quoi qu'il en soit, c'est dans une certaine mesure de la spéculation de conclure que l'EMIC aurait eu plus de succès que les agents en question. Je ne pense pas non plus que les agents n'avaient pas droit à la protection prévue par l'article 34, même si je conclus qu'ils ont agi précipitamment en procédant sans attendre l'aide de l'EMIC. [Retour au texte]
  • 6) Étant convaincu qu'il n'y a aucune raison de croire que les coups de feu sortaient des limites légales en vertu de l'article 34 du Code criminel, je suis également convaincu que les décharges du pistolet à impulsions par l'AI no 1 – un recours à une force moindre qui a précédé les coups de feu – étaient légitimes pour défendre l'AI no 2. [Retour au texte]

Note:

La version originale anglaise signée du rapport fait autorité. En cas de divergence entre cette version et les versions anglaise ou française en ligne, la version originale anglaise signée du rapport l’emporte.